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22/03/2024 | FRANCE | N°19/11773

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 22 mars 2024, 19/11773


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 22 MARS 2024



N°2024/ 61





RG 19/11773

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEUFT







Organisme CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES B OUCHES DU RHONE





C/



[R] [J] [U]

















Copie exécutoire délivrée

le 22 Mars 2024 à :



- Me Emmanuel LAMBREY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V84


>- Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V336









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 04 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/01527.



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COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 MARS 2024

N°2024/ 61

RG 19/11773

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEUFT

Organisme CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES B OUCHES DU RHONE

C/

[R] [J] [U]

Copie exécutoire délivrée

le 22 Mars 2024 à :

- Me Emmanuel LAMBREY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V84

- Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V336

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 04 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/01527.

APPELANTE

CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Emmanuel LAMBREY de la SCP LAMBREY & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Bertrand LOUBEYRE, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Madame [R] [J] [U], ayant-droit de M. [O] [U], décédé, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2024, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 23 Février 2024, puis au 22 Mars 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2024.

Signé par Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

M. [O] [U] était engagé par la Caisse Primaire centrale d'Assurance Maladie (ci après CPCAM) des Bouches-du-Rhône à compter du 6 février 1969, selon contrat à durée indéterminée.

Le salarié occupait au dernier état de la relation contractuelle, les fonctions d'inspecteur chargé d'enquête, niveau 6, au sein du service des enquêtes AT /MP, anciennement dénommée enquêtes administratives.

La convention collective nationale applicable était celle du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.

M. [U] était convoqué le 3 mai 2016 à un entretien préalable à une mesure disciplinaire fixé au 18 mai 2016, et le conseil de discipline régional du Sud-Est rendait son avis le 8 juin 2016.

Le 14 juin 2016, la CPCAM des Bouches-du-Rhône prononçait sa rétrogradation par courrier remis en main propre, dans un emploi correspondant 'Employeur, niveau 5B, Coefficient 285 de la classification des emplois' au sein du service pôle employeur.

Le salarié acceptait le 23 juin 2016 la mesure disciplinaire et un avenant lui était adressé le 24 juin 2016 à effet au 1er juillet 2016 avec maintien de ses points de compétences.

M. [U] était en arrêt de travail pour maladie à compter du 5 juillet 2016 jusqu'à son départ à la retraite le 1er avril 2019.

Le salarié saisissait le 23 juin 2017 le conseil de prud'hommes de Marseille, en annulation de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, de la sanction disciplinaire prononcée, en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, en rappel de salaire et en paiement d'indemnités.

Par jugement du 4 juillet 2019, le conseil de prud'hommes en sa formation de départage, a statué comme suit :

« Déboute [O] [U] de sa demande de voir annuler la procédure conventionnelle disciplinaire engagée à son encontre ;

Dit que la matérialité des faits reprochés à [O] [U] ayant conduit au prononcé de la sanction disciplinaire, à savoir la rétrogradation, par courrier daté du 14juin 2016 n'est pas établie ;

Annule la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'[O] [U] par courrier daté du 14 juin 2016'

Condamne la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à verser à [O] [U] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, et ce, jusqu'a parfait paiement ;

Ordonne la capitalisation des intérêts, sous réserve toutefois qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ;

Déboute [O] [U] de sa demande de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de ses demandes indemnitaires subséquentes (indemnité de préavis, indemnité légale de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour procédure vexatoire et dommages et intérêts pour préjudice moral) ;

Déboute la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à verser à [O] [U] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône aux entiers dépens de la présente procédure ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ».

Par acte du 18juillet 2019, le conseil de l'employeur a interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 14 octobre 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône demande à la cour de :

« Infirmer le jugement de départage du Conseil de prud'hommes de Marseille en date du 4 juillet 2019 en ce qu'il a :

Dit que la matérialité des faits reprochés à [O] [U] ayant conduit au prononcé de la sanction disciplinaire, à savoir la rétrogradation, par courrier daté du 14 juin 2016 n'est pas établie

Annulé la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'[O] [U] par courrier daté du 14 juin 2016

Condamné la CPCAM des Bouches-du-Rhône à verser à [O] [U] la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision et ce jusqu'à parfait paiement

Ordonné la capitalisation des intérêts, sous réserve toutefois qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière

Débouté la CPCAM des Bouches-du-Rhône de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive

Condamné la CPCAM des Bouches-du-Rhône à verser à [O] [U] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamné la CPCAM des Bouches-du-Rhône aux entiers dépens de la présente procédure Et Statuant à Nouveau

Dire et Juger non fondé l'ensemble des prétentions formulées par Monsieur [O] [U],

Débouter en conséquence Monsieur [O] [U] de l'ensemble de ses demandes,

En Tout Etat de Cause

Condamner Monsieur [O] [U] au paiement à la CPCAM des Bouches-du-Rhône, prise en la personne de son représentant légal, de la somme de 10.000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive;

Condamner Monsieur [O] [U] au paiement à la CPCAM des Bouches-du-Rhône, prise en la personne de son représentant légal, de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».

Dans ses dernières écritures en intervention volontaire communiquées au greffe par voie électronique le 20 mai 2021, Mme [R] [J] [U], demande à la cour de :

«Dire et juger Madame [U] recevable en son intervention volontaire en qualité d'ayant droit de feu Monsieur [U] ;

Recevoir le concluant en son appel incident comme régulier en la forme et justifié au fond ;

Dire et juger Madame [U] recevable en ses demandes,

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Monsieur [U] du surplus de ses demandes à savoir :

de sa demande de voir annuler la procédure conventionnelle engagée à son encontre ;

de sa demande de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de ses demandes indemnitaires subséquentes à savoir :

Dire et juger la procédure disciplinaire brutale et vexatoire ;

Ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ;

Condamner la Caisse Primaire Centrale d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à payer et à porter les sommes suivantes à Madame [U] en sa qualité d'héritière :

Rappel de salaire y afférent à l'annulation de la rétrogradation disciplinaire ;

180.111 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique ;

10.806,66 € à titre d'indemnité conventionnelle de préavis ;

1080,66 € à titre d'incidence congés payés ;

25.815,82 € au titre d'indemnité légale de licenciement ;

15.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire ;

10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Statuant à nouveau :

Dire et juger nulle la procédure disciplinaire à l'encontre de Monsieur [O] [U] ;

Annuler la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre de Monsieur [O] [U];

Dire et juger qu'[O] [U] a subi un préjudice moral ;

Dire et juger la procédure disciplinaire brutale et vexatoire ;

En conséquence,

Ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ;

Condamner la Caisse Primaire Centrale d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à payer et à porter les sommes suivantes à Madame [U] en sa qualité d'héritière :

5.000 € au titre de l'annulation de la sanction disciplinaire ;

Rappel de salaire y afférent ;

180.111 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique ;

10.806,66 € à titre d'indemnité conventionnelle de préavis ;

1080,66 € à titre d'incidence congés payés ;

25.815,82 € à titre d'indemnité légale de licenciement

15.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire ;

10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

3.000,00 € an titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dire et juger que 1'intégra1ité des sommes allouées à Madame [U] en sa qualité d'héritière produira intérêts de droit à compter de la demande en justice avec capitalisation, en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil ;

Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la CPCAM, en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Confirmer le jugement du Conseil des prud'hommes en ce qu'il a :

prononcé l'annulation de la sanction disciplinaire de rétrogradation prononcée à l'encontre de Monsieur [U] ;

condamné la CPAM des Bouches du Rhône à régler à Monsieur [U] les sommes suivantes:

5.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure disciplinaire injustifiée ;

2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

débouté la CPAM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

condamné le défendeur aux entiers dépens.

Condamner la Caisse Primaire Centrale d'Assurance Maladie aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL Vincent Arnaud, sous affirmation d'en avoir fait l'avance ».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I) Sur l'intervention volontaire de Mme [R] [J], veuve de M. [O] [U]

Les dispositions de l'article 554 du code de procédure civile prévoient que « peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ».

En vertu des dispositions de l'article 373 du code de procédure civile « l'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense. À défaut de reprise volontaire, elle peut l'être par voie de citation ».

En l'espèce, M. [U] est décédé le 17 août 2020 et il est justifié de la qualité d'épouse commune en biens universellement de M. [U] par l'acte de notoriété du 20 novembre 2020. De même, les formalités nécessaires à la reprise à l'égard de la CPCAM des Bouches-du-Rhône ont bien été accomplies.

Il y a lieu dès lors, l'action étant transmissible, de déclarer recevable l'intervention volontaire Mme [R] [J] en qualité d'ayant droit, aux fins de reprise de l'instance engagée par feu M. [U].

II) Sur la demande de nullité de la procédure conventionnelle disciplinaire

L'intimée reproche au conseil des prud'hommes d'avoir retenu que la mauvaise appréciation des faits sur la base des documents communiqués au conseil de discipline ne constituait pas une violation d'une garantie de fond. Elle précise que le moyen qu'elle invoque ne réside pas dans l'appréciation faite par le conseil de discipline mais dans la nature des éléments soumis par l'employeur au conseil de discipline pour établir une prétendue faute.

Elle soutient que la procédure disciplinaire est irrégulière et abusive, puisque ce dernier s'est fondé sur de simples tableaux réalisés par l'employeur ainsi que sur ses allégations, sans qu'aucune preuve concrète des fraudes reprochées ne soit présentée ni même au salarié, aucun document ne lui ayant été soumis au cours de l'entretien préalable.

Elle souligne que M. [U] a été contraint d'accepter la rétrogradation sanction, sous la menace d'un licenciement pour faute grave alors qu'il était en période de maladie.

La CPCAM des Bouches du Rhône réplique que la procédure disciplinaire conventionnelle est régulière et contradictoire, que le salarié était présent lors du conseil de discipline, assisté de son avocat qui a pu présenter l'ensemble des éléments utiles à sa défense lors de ce conseil, lequel s'est prononcé en toute connaissance de cause, en retenant que les faits exposés étaient constitutifs d'une faute.

Les dispositions de l'article 48 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale prévoient notamment que lorsque le directeur envisage de prendre l'une des trois sanctions suivantes : une suspension sans traitement, une rétrogradation ou un licenciement avec ou sans indemnité, il doit convoquer le salarié en lui indiquant l'objet de la convocation.

Au cours de l'entretien, l'agent est entendu en présence des délégués du personnel ou par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise et l'employeur doit indiquer les motifs de la sanction envisagée, et recueillir les explications du salarié.

Le directeur a cinq jours ouvrés maximum à compter du jour de l'entretien pour demander la convocation du conseil de discipline qui doit se réunir dans les 15 jours suivants de la réception

de cette demande. Les conclusions du conseil de discipline sont notifiées par écrit dans les 48 heures au directeur et à l'agent en cause.

La sanction ne peut intervenir avant que le conseil de discipline ne se soit prononcé sur la proposition faite par le directeur, le délai total de la procédure ne pouvant excéder 1 mois à compter de la date de l'entretien.

La lettre de convocation du 3 mai 2016 précise qu'il est envisagé à l'encontre de M. [U] une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave sur le fondement de manquements professionnels constatés et le salarié a été entendu en ses explications le 18 mai 2016 en présence des délégués du personnel cadre élus de son établissement.

Le conseil de discipline régional, régulièrement composé de manière paritaire et avec un quorum atteint, a été saisi le 24 mai 2016 sur la sanction envisagée, à savoir un licenciement pour faute grave, et a rendu son avis après avoir écouté les explications de M.[U] et de son avocat.

Le conseil de discipline a considéré que « les faits présentés constituent une faute mais que les éléments contenus au dossier ne justifient pas un licenciement pour faute grave ».

L'avis a été notifié le 9 juin 2016 au directeur de la CPAM des Bouches-du-Rhône, soit dans le délai de 48 heures, et cette dernière a notifié au salarié par courrier du 14 juin 2016, remis en main propre le 15 juin 2016, la mesure de rétrogradation dans le délai d'un mois à compter du 18 mai 2016.

La CPCAM a informé M.[U] par courrier du 24 juin 2016 que la rétrogradation prendrait effet le 1er juillet 2016 avec maintien des points de compétences et d'expérience.

Il n'est pas relevé d''irrégularités formelles commises dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par les dispositions conventionnelles.

S'agissant des documents communiqués au conseil de discipline :

Le courrier de saisine du 24 mai 2016 par la CPCAM mentionne la transmission d'un dossier composé d'un mémoire et des pièces justificatives afférentes.

Le mémoire liste les griefs retenus à l'encontre du salarié, à savoir : des fausses déclarations de frais professionnels à des fins d'enrichissement personnel par la rédaction de fausses déclarations de déplacement, la facturation à plusieurs reprises d'un même déplacement à des dates différentes dans le but de tromper l'employeur, de fausses déclarations de déplacement dans le but de maquiller des heures de travail non accomplies, la violation du statut agent assermenté, la perte de confiance de l'employeur, les manquements dans la rédaction des PV d'audition au préjudice des assurés sociaux et de l'organisme.

Il y est adjoint le rapport de contrôle sur les frais de déplacement des enquêteurs administratifs du 4 mars 2016 et l'analyse qui en est faite ainsi que des annexes :

- annexe 1: le tableau récapitulatif des déplacements sur les enquêtes AT/MT

- annexe 2 : le tableau de l'estimation du préjudice financier par journée de déplacement

- annexe 3 : le tableau des déplacements déclarés sur les journées ou partie de journée pour lesquels aucun déplacement n'a été constaté ou seulement un nombre marginal de déplacements

- annexe 4 : le tableau récapitulatif des multiples facturations contrôlées

- annexe 5 : la liste des appels sortants (phase 2)

- le rapport de contrôle complémentaire sur les frais de déplacement des enquêteurs administratifs pour les enquêtes AT/MP

- la note concernant le mode de fonctionnement du service enquêtes administratives

- le tableau 2 récapitulatif des anomalies constatées sur la période de mars 2014 mars 2015 (hors multi facturation) d'[O] [U]

- le tableau 1 récapitulatif du préjudice subi par l'employeur du fait de facturations de déplacements effectués entre décembre 2013 et avril 2015 par [O] [U]

- les convocations à l'entretien préalable à la procédure disciplinaire

- la synthèse de l'entretien préalable du 18 mai 2016.

Il s'avère que les feuilles de route concernant les déplacements du salarié lors des enquêtes administratives, les comptes-rendus d'activité relatifs aux personnes visitées, les pièces relatives aux missions, les procès-verbaux d'audition des employeurs et des victimes, les procès-verbaux de constatation, les courriers adressés aux personnes concernées, les exemples d'anomalie sur les enquêtes n'ont pas été produits devant le conseil de discipline, ni même au salarié, alors qu'il est primordial que celui-ci puisse en prendre personnellement connaissance pour préparer au mieux sa défense dans un délai suffisant (pièces intimées 15 à 48, 50 à 54).

Les dispositions de l'article 52 alinéa 4 de la convention collective prévoient notamment que « l'agent doit recevoir communication de son dossier au moins huit jours avant la réunion du conseil de discipline » et la Cour de cassation considère que la disposition d'une convention collective qui institue une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi constitue une garantie de fond.

Or, il résulte de l'entretien préalable à la mesure disciplinaire que le salarié ne disposait pas de l'ensemble des pièces puisque Mme [L] qui l'assistait a demandé « s'il sera communiqué à M. [U] les détails des dossiers qui lui sont reprochés » et M. [K], délégué du personnel a indiqué « M. [U] est prêt à expliquer toutes les anomalies constatées sur présentation de faits concrets et précis et non globalisés ».

Le conseil de discipline a pris son avis sur la base de documents de synthèse, mettant certes en exergue des anomalies, mais sans que le salarié puisse donner des justifications précises sur les faits reprochés comme il a pu le faire suite à la transmission desdites pièces dans le cadre de la procédure devant le conseil des prud'hommes.

Il s'ensuit qu'il y a eu une violation d'une garantie de fond, ce qui entraîne l'annulation de la procédure conventionnelle disciplinaire, et par voie de conséquence, l'annulation de la sanction disciplinaire de rétrogradation du 14 juin 2016 prise à l'encontre d'[O] [I].

Le salarié justifie d'un préjudice distinct qui ne peut pas être réparé par la seule annulation de la sanction. En effet, le salarié a dû s'expliquer à plusieurs reprises, s'est vu retirer sa carte professionnelle délivrée dans le cadre de son assermentation et a du saisir la juridiction prud'hommale pour se voir réhabiliter dans ses droits. C'est par une juste appréciation de la cause que le premier juge lui a alloué des dommages et intérêts à hauteur de 5 000 € au titre du préjudice moral subi, somme qui devra être réglée à Mme [R] [J] [U] en sa qualité d'héritière et d'ayant droit de feu M. [O] [U].

La demande pour procédure brutale et vexatoire doit être rejetée, l'intimée étant déjà indemnisée pour son préjudice moral à ce titre.

S'agissant du rappel de salaire :

Il est réclamé un rappel de salaire sans toutefois en indiquer le montant.

La CPCAM rétorque que le salarié a conservé le maintien de ses points d'expérience et de compétences et qu'il a bénéficié, à compter de son arrêt de travail jusqu'à sa retraite, d'un maintien de sa rémunération, calculée sur la base des trois mois précédents son arrêt de travail.

La rétrogradation a été notifiée le 15 juin 2016 et devait prendre effet le 1er juillet 2016 avec toutefois un maintien des points de compétences et d'expérience (ancienneté).

Le salarié a été en arrêt de travail dès le 5 juillet 2016 jusqu'à sa retraite.

L'intimée ne produit en pièce 2 qu'un seul bulletin de salaire du mois d'octobre 2015 et ne donne aucun autre élément, ce qui ne permet pas à la cour de statuer utilement sur ce chef de demande.

Le jugement entrepris qui a débouté le salarié de ce chef doit être confirmé.

III) Sur la résiliation judiciaire

L'intimée reproche au conseil des prud'hommes d'avoir rejeté la demande du salarié considérant que ce dernier ne justifiait d'aucun préjudice financier alors que cette procédure vexatoire lui a causé un préjudice moral important et que le maintien du salaire s'effectue sur le salaire en vigueur au moment de l'arrêt de travail.

La CPCAM relève que la résiliation judiciaire est sollicitée sur la seule base de la nullité de la sanction et indique que le salarié a bénéficié jusqu'à sa retraite d'un maintien total de sa rémunération, soit celle qu'il percevait avant la prise d'effet planifié de rétrogradation.

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d'en rapporter la preuve.

Il n'est produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le premier juge qui a relevé l'absence d'un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail, la rétrogradation n'ayant jamais été effective et le salarié n'ayant jamais subi la moindre perte de rémunération.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur ainsi que de ses demandes indemnitaires subséquentes s'agissant des indemnités de rupture, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les demandes pour procédure brutale et vexatoire ainsi que pour préjudice moral résultant des circonstances de la rupture doivent être rejetées en l'absence même de rupture et de préjudice subi.

IV) Sur les autres demandes

La demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive de la CPCAM doit être rejetée, la procédure conventionnelle disciplinaire et la sanction disciplinaire ayant été annulées.

La CPCAM qui succombe doit s'acquitter des dépens, être déboutée de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamnée à payer à l'intimée la somme de 3000€.

Les dépens ne peuvent être distraits, la procédure en matière sociale ne donnant pas l'exclusivité à l'avocat dans la représentation.

Il n'y a pas lieu de statuer sur le sort des frais de l'exécution forcée, lesquels sont futurs et régis par l'article L.118-8 du code des procédures civiles d'exécution, et soumis en cas de contestation au juge de l'exécution.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Déclare recevable Mme [R] [J] [U] en son intervention volontaire en sa qualité d'héritière et d'ayant droit de feu M. [O] [U], décédé en cours d'instance ;

Confirme le jugement déféré SAUF s'agissant de la demande d'annulation de la procédure conventionnelle disciplinaire ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Prononce l'annulation de la procédure conventionnelle disciplinaire emportant l'annulation de la sanction disciplinaire du 14 juin 2016 ;

Condamne la Caisse Primaire centrale d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à payer à Mme [R] [J] [U] ès qualités, la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la Caisse Primaire centrale d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône aux dépens d'appel.

LE GREFFIER Pour Mme MARTIN empéchée,

Mme [V] en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/11773
Date de la décision : 22/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-22;19.11773 ?
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