COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-4
ARRÊT AU FOND
DU 20 MARS 2024
N° 2024/70
Rôle N° RG 23/08709 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLRIQ
[T] [I] [P]
C/
[S] [L] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Martine MANELLI
Me Charles TOLLINCHI
TJ de Marseille
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge aux affaires familiales de MARSEILLE en date du 05 Juin 2023 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/03495.
APPELANT
Monsieur [T] [I] [P]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 7], demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Martine MANELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (avocata plaidant) et par Me Dahlia MONTERROSO, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant)
INTIMEE
Madame [S] [L] [O]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 6], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) et par Me Clémentine NICOLINI-ROUSSEL, avocat au barreau de MARSEILLE (avocat plaidant)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Février 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Michèle JAILLET, Présidente
Madame Nathalie BOUTARD, Conseillère
Mme Pascale BOYER, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Fabienne NIETO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2024,
Signé par Madame Michèle JAILLET, Présidente et Mme Fabienne NIETO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige
Le 10 novembre 1993, [S] [O] et [T] [P] ont acquis en indivision une villa sise à [Localité 6] 7ème arrondissement, pour le prix de 1.050.000 francs, soit 160.071,46 euros.
L'acquisition a été réalisée en pleine propriété à concurrence de 70 % pour Monsieur [P] et 30 % pour Madame [O].
Le prix a été financé grâce à un apport personnel de chaque acquéreur et un prêt solidaire.
Ils se sont mariés le [Date mariage 4] 1995 à [Localité 6], sous le régime de la participation aux acquêts, selon un contrat de mariage signé le 13 juin 1995.
Ils ont eu trois enfants.
Une ordonnance de non-conciliation a été rendue le 4 juin 2012 sur requête en divorce de Madame [O].
Par jugement en date du 24 mars 2016, le tribunal de grande instance de Marseille a:
- prononcé le divorce entre les époux sur le fondement des dispositions de l'article 233 du code civil
- ordonné la liquidation des intérêts patrimoniaux des ex-époux
- commis le président de la chambre des notaires
- désigné un juge commis pour contrôler les opérations,
- condamné Monsieur [P] à payer à Madame [O] une prestation compensatoire de 110.000 euros en capital.
Ce jugement a été signifié le 28 avril 2016 et n'a pas fait l'objet d'un appel.
Il a été transcrit sur l'acte de mariage le 20 juin 2016.
Un notaire a été commis.
Les parties ne sont pas parvenues à un partage amiable.
Par acte d'huissier de justice du 12 juillet 2019, Monsieur [P] a saisi le juge aux affaires familiales devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'obtenir :
- l'ouverture des opérations de liquidation et partage de l'indivision existant sur le bien immobilier acquis avant le mariage,
- la fixation d'une indemnité d'occupation à la charge de Madame [O],
- la désignation d'un expert,
- le sursis à statuer sur l'attribution préférentielle du bien ou sa licitation.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro 19/9748.
Dans le cadre de cette procédure, le 3 mai 2022, le juge aux affaires familiales a ordonné une expertise et un sursis à statuer sur le partage judiciaire.
Par acte d'huissier de justice du 19 février 2021, Monsieur [P] a fait assigner Madame [O] devant la même juridiction aux fins :
- qu'il soit statuer sur la nature propre des biens, valeurs et avoirs acquis pendant le mariage dans le cadre de son activité professionnelle de kinésithérapeute
- que soit reconnue à son profit une créance de 138.400 euros au titre de valeurs propres placées au nom de Madame [O] provenant de revenus professionnels.
Cet acte a donné lieu à enregistrement au rôle du tribunal judiciaire de Marseille sous le numéro 21/3495.
Madame [O] a élevé un incident en soulevant la prescription de l'action en paiement de Monsieur [P].
Le juge de la mise en état a ordonné la réouverture des débats pour soumettre aux parties la question de la jonction de cette procédure avec celle enregistrée antérieurement.
Madame [O] s'est opposée à la jonction avec la procédure antérieure et a soulevé l'irrecevabilité de l'action en invoquant la prescription de la demande portant sur une créance relevant de liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts.
Monsieur [P] s'en est rapporté sur la jonction et s'est opposé à la fin de non recevoir.
Par ordonnance contradictoire du 5 juin 2023, à laquelle il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, procédure et prétentions des parties, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Marseille a :
- DIT n'y avoir lieu à jonction des procédures 21/03495 et 19/09748,
- DIT que la demande de créance présentée par Monsieur [P] pour la somme de 138.400 euros est prescrite,
- DÉCLARÉ, par conséquent, irrecevable la demande présentée par Monsieur [P] au titre d'une créance entre époux d'un montant de 138.400 euros,
- CONDAMNÉ Monsieur [T] [P] à payer à Madame [S] [O] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- DÉBOUTÉ Monsieur [T] [P] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- DÉBOUTÉ les parties de leurs demandes plus amples
- CONDAMNÉ Monsieur [T] [P] aux dépens et autorisé les avocats à recouvrer ceux dont ils ont fait l'avance.
Monsieur [P] a formé appel de cette décision par déclaration par voie électronique du 30 juin 2023.
Le 6 juillet 2023, l'appelant a répondu à l'interrogation du président de la chambre 2-4 que l'ordonnance n'avait pas été signifiée.
Madame [O] a constitué avocat le 19 juillet 2023.
Le 13 septembre 2023, le président de la chambre a décidé de la fixation de la date de plaidoiries au 21 février 2024 selon la procédure de bref délai.
Les parties en ont été avisées par voie électronique.
Par conclusions du 23 septembre 2023, l'appelant demande à la cour de :
- RECEVOIR son appel et le DIRE bien fondé.
- INFIRMER l'ordonnance d'incident du 05 juin 2023 en ce qu'elle a dit que la
demande de créance présentée par Monsieur [P] pour la somme de
138.400 euros est prescrite et déclaré, par conséquent, irrecevable sa demande
au titre d'une créance entre époux de ce montant,
En conséquence,
- STATUER sur l'absence de prescription triennale,
- STATUER sur la recevabilité de la prescription quinquennale,
- DÉCLARER recevable sa demande au titre de sa créance d'un montant de 138.400 euros,
En cas de besoin,
- DEBOUTER, si besoin, [S] [O] de toutes ses prétentions, fins et conclusions au titre de la révocation de l'avantage matrimonial,
- Se DÉCLARER incompétent et RENVOYER les parties au fond,
En tout état de cause,
- CONDAMNER [S] [O] à lui payer une somme de 1500 euros au visa de l'article 700 du 'NCPC',
- CONDAMNER [S] [O] aux dépens.
Selon ses écritures communiquées le 23 octobre 2023, Madame [O], intimée, sollicite de la cour qu'elle :
- CONFIRME purement et simplement l'ordonnance du tribunal judiciaire de Marseille en date du 5 juin 2023
En conséquence,
- DÉBOUTE Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes,
- CONDAMNE Monsieur [P] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 CPC,
- CONDAMNE Monsieur [P] aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 17 janvier 2024.
Motifs de la décision
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées.
Sur l'étendue de la saisine de la cour
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Les demandes de 'donner acte' sont dépourvues de tout enjeu juridique et ne constituent pas des prétentions au succès desquels les parties pourraient avoir un intérêt légitime à agir au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
Ne constituent pas par conséquent des prétentions au sens de l'article sus-cité du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou encore à 'prendre acte' de sorte que la cour n'a pas à y répondre.
Il n'y a donc pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'constater que' ou 'dire que' telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.
L'article 9 du code de procédure civile dispose qu''il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention' et que l'article 954 du même code, dans son alinéa 1er, impose notamment aux parties de formuler expressément ses prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée 'avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et leur numérotation'.
Par ailleurs l'effet dévolutif de l'appel implique que la cour connaisse des faits survenus au cours de l'instance d'appel et depuis le jugement déféré et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s'ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu'en cours d'instance d'appel.
En l'espèce, l'appel porte sur tous les chefs de l'ordonnance critiquée.
Sur la question de la prescription
L'appelant soutient que les parties n'ont jamais eu l'intention de liquider leur régime matrimonial dans le délai de trois ans prévu par l'article 1578-4 du code civil.
Il ajoute que son ex-épouse ne conteste pas que les sommes virées sur les placements au nom de Madame [O] proviennent de son activité professionnelle de kinésithérapeute alors qu'elle ne travaillait pas.
Il rappelle qu'une clause insérée dans le contrat de mariage prévoit que restent propres les biens, valeurs et avoirs bancaires issus de l'activité professionnelle d'un époux.
Il en déduit que la somme de 138.400 euros ne peut être intégrée dans le patrimoine final pour le calcul des acquêts.
Il soutient que son action ne porte pas sur une créance entre époux dont le règlement participe à la liquidation du régime matrimonial mais sur le paiement d'une créance de droit commun soumis à un délai de prescription de 5 ans.
Il ajoute que la question de la révocation de l'avantage matrimonial du fait du divorce dont se prévaut Madame [O] ne relève pas des pouvoirs du juge de la mise en état mais du tribunal statuant au fond.
Il précise que la procuration sur son compte donnée à son épouse en 1995 ne vaut pas acceptation de sa part d'une dérogation à la clause d'exclusion des biens professionnels du patrimoine final.
Il expose que cette procuration avait une finalité pratique puisque son épouse gérait seule les biens et l'entretien de leur famille alors qu'il apportait seul les revenus nécessaires.
L'intimée rappelle qu'elle a oeuvré en faveur de la liquidation du régime matrimonial alors que son ex-époux a été taisant et absent.
Elle soutient que les créances entre époux sont prises en compte dans les opérations de liquidation de la créance de participation puisqu'elles s'ajoutent au patrimoine final, ainsi que le prévoient les articles 1572 et 1575 du code civil.
Elle ajoute que l'origine de la créance est indifférente.
Elle précise que la clause d'exclusion contenue dans le contrat de mariage ne concerne que les biens professionnels eux-mêmes et non les valeurs et avoirs bancaires financés grâce aux revenus professionnels.
Elle rappelle que le contrat de mariage, reprenant les termes de l'article 1570 du code civil, exclut les fruits du patrimoine originaire.
Elle ajoute que les virements au profit de madame [O] étaient connus de Monsieur [P] qui avait également accès à ses comptes.
Elle soutient que l'action intentée participe aux opérations de liquidation des intérêts patrimoniaux, compte tenu du régime matrimonial qui les régissait, et qu'elle est donc soumise à la prescription de trois ans.
Elle ajoute que la clause d'exclusion des biens professionnels du contrat de mariage constitue un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit par le divorce en application de l'article 265 du code civil.
Elle rappelle qu'elle n'a formulé en première instance aucune prétention au titre de cet avantage.
Elle adopte le point de départ de la prescription triennale fixée par le juge de la mise en état au 30 mai 2016, date à laquelle le jugement de divorce a acquis force de chose jugée.
L'article 1578-4 du code civil, figurant dans le chapitre intitulé 'Du régime de participation aux acquêts' dispose que : 'A la dissolution du régime matrimonial, si les parties ne s'accordent pas pour procéder à la liquidation par convention, l'une d'elles peut demander au tribunal qu'il y soit procédé en justice.
Sont applicables à cette demande, en tant que de raison, les règles prescrites pour arriver au partage judiciaire des successions et communautés.(...)
L'action en liquidation se prescrit par trois ans à compter de la dissolution du régime matrimonial. (...)'
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, la solution du litige concernant la prescription nécessite qu'il soit déterminé si le règlement de la créance revendiquée par Monsieur [P] participe à la liquidation du régime matrimonial.
Dans ce cas, elle serait soumise à la prescription triennale prévue par ce texte dont le point de départ est la date à laquelle le jugement de divorce a acquis force de chose jugée.
Dans le cas contraire, il s'agirait d'une créance de droit commun soumise au délai de prescription de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil.
Monsieur [P] invoque une créance constituée de sommes qui ont été prélevées sur les revenus de son activité professionnelle et virées sur des comptes de placement ouverts au seul nom de son épouse.
Il soutient que ces sommes en tant que biens professionnels sont exclues du calcul du patrimoine final et n'entrent donc pas dans la liquidation du régime matrimonial.
Toutefois, les transferts de fonds dont il se prévaut ont été pratiqués pendant le mariage sous le régime de la participation aux acquêts.
L'application de la clause du contrat de mariage figurant en pages 3 et 4 excluant la valeur des biens professionnels du calcul de la créance de participation lors de la liquidation ne peut être étendue aux revenus de la profession d'un époux et aux biens et objets financés grâce à ces revenus.
L'article 1572 du code civil prévoit que les créances entre époux font partie du patrimoine final qui permet, après déduction de la valeur du patrimoine originaire de chaque époux, de déterminer les acquêts nets de chacun puis, après compensation, la créance de participation éventuelle de l'un au profit de l'autre.
Il convient de déduire de ces éléments que le règlement de la créance objet de l'action de Monsieur [P] participe à la liquidation du régime matrimonial et que l'action de ce chef était soumise au délai de prescription de 3 ans.
Celui-ci a pris effet le 30 mai 2016 et a expiré le 29 mai 2019 à minuit.
L'assignation du 19 février 2021, délivrée après expiration de ce délai, se heurte à la fin de non recevoir tirée de la prescription.
Il convient en conséquence de confirmer la décision du premier juge en adoptant ses motifs pour ceux qui n'auraient pas été repris dans cet arrêt.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'appelant a visé les chefs de l'ordonnance concernant les dépens et les frais irrépétibles dans ceux critiqués dans la déclaration d'appel.
Cependant, il ne présente aucune prétention de ces chefs devant la cour.
L'intimée a conclu à la confirmation de tous les chefs de l'ordonnance.
La cour ne peut donc que confirmer la décision de première instance sur ces points.
En ce qui concerne les dépens d'appel, ils seront supportés par Monsieur [P] qui succombe.
Il sera aussi condamné à verser à Madame [O] la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à l'occasion de cette instance et non compris dans les dépens.
La demande de Monsieur [P] à ce titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort :
Confirme l'ordonnance du 5 juin 2023 en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [T] [P] aux dépens d'appel ;
Condamne Monsieur [T] [P] à verser à Madame [S] [O] la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame Michèle Jaillet, présidente, et par Madame Fabienne Nieto, greffière, auxquelles la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La présidente