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19/03/2024 | FRANCE | N°21/17095

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 19 mars 2024, 21/17095


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024



N°2024/













Rôle N° RG 21/17095 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIPY7







S.A.R.L. [4]





C/



[N] [W]

[5]































Copie exécutoire délivrée

le : 19/03/2024

à :



- Me Alain DE ANGELIS, avocat au barreau de MARSEIL

LE



- Me Sarah DAHAN, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Carole MAROCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 04 Novembre 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 17/03405.





APP...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 19 MARS 2024

N°2024/

Rôle N° RG 21/17095 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIPY7

S.A.R.L. [4]

C/

[N] [W]

[5]

Copie exécutoire délivrée

le : 19/03/2024

à :

- Me Alain DE ANGELIS, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Sarah DAHAN, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Carole MAROCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 04 Novembre 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 17/03405.

APPELANTE

S.A.R.L. [4], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Alain DE ANGELIS de la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Juliette PERCOT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [N] [W], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Sarah DAHAN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Alexandra BEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

[5] dont le siège social est [Adresse 6], représentée par son Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Carole MAROCHI de la SELARL MAROCHI & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me MANUGUERRA Geoffrey, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mars 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mars 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 20 mai 2015, M. [N] [W], ouvrier paysagiste au sein de la société à responsabilité limitée (SARL) [4] en contrat saisonnier, a été victime d'un accident du travail : en passant le motoculteur, il s'est blessé au pied et à la jambe gauche et a dû subir une amputation tibiale.

L'accident été pris en charge selon la législation sur les risques professionnels par décision de la mutualité sociale agricole.

L'état de santé de M. [W] a été déclaré consolidé au 30 septembre 2017 et un taux d'incapacité permanente partielle de 90% lui a été reconnu.

Par requête en date du 27 mars 2017, M. [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail.

Par jugement définitif en date du 7 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [W] le 20 mai 2015 est dû à la faute inexcusable de la société [4],

- ordonné une expertise aux fins d'évaluer les préjudices de la victime,

- fixé une provision de 50.000 euros sur l'indemnisation du préjudice que la [5] devait verser à la victime,

- dit que la [5] devait récupérer auprès de la société [4] les sommes allouées à la victime en réparation de son préjudice, en ce comprise la provision précitée,

- condamné la société [4] à payer à M. [W] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,

- et réservé les dépens.

Le docteur [R] a déposé son rapport le 13 octobre 2020.

Par ordonnance présidentielle du 17 novembre 2020, le dispositif du jugement a été rectifié pour adapter la mission de l'expert à l'évaluation des prejudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale de la victime d'un accident du travail.

Le docteur [R] a rendu un nouveau rapport le 25 février 2021.

Par jugement en date du 4 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- dit que la rente versée à M. [W] doit être majorée pour la fixer à son taux plafond depuis son attribution,

- condamné la SARL [4] à réparer le préjudice subi par M. [W] dans les termes suivants :

- préjudices temporaires extra-patrimoniaux :

* pour les périodes de déficit fonctionnel temporaire total et partiel : 16.605 euros,

* pour les souffrances endurées : 30.000 euros,

* pour le préjudice esthétique temporaire : 8.000 euros,

- préjudices temporaires patrimoniaux :

* pour les frais d'assistance d'un médecin : 2.400 euros,

* pour l'assistance par une tierce personne avant consolidation : 30.100 euros,

* pour les frais divers (facture ergothérapeuthe) : 400 euros,

- préjudices permanents extra-patrimoniaux :

* pour le préjudice esthétique permanent : 30.000 euros,

* pour le préjudice d'agrément : 30.000 euros,

* pour le préjudice sexuel : 10.000 euros,

* pour le préjudice d'établissement : 10.000 euros,

- préjudices permanents patrimoniaux :

* pour l'assistance par tierce personne après consolidation : 390.122,25 euros,

* pour les frais d'aménagement du véhicule : 3.520,20 euros,

* pour les frais d'aménagement du logement : 39.258,75 euros,

* pour les frais médicaux futurs : 90.192 euros,

- autorisé la caisse [5] à récupérer auprès de la SARL [4] le montant de la majoration de la rente par application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale et à obtenir de sa part le remboursement des avances de toute nature notamment de celle relevant du paiement des préjudices annexes réparés au titre des articles L.452-3 et L.452-4 du code de la sécurité sociale, outre les frais correspondant aux honoraires de l'expert désigné,

- condamné la SARL [4] à payer à M. [W] la somme de 3.000 euros à titre de frais irrépétibles,

- mis à la charge de la SARL [4] les éventuels dépens de l'instance,

- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.

Par déclaration au greffe de la cour enregistrée sur RPVA le 6 décembre 2021, la société [4] a interjeté appel du jugement.

Par arrêt mixte rendu le 25 mai 2023, la présente cour a :

- confirmé le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a alloué une indemnisation complémentaire du préjudice lié à l'assistance par tierce personne après consolidation, du préjudice d'agrément et du préjudice d'établissement,

- débouté M. [W] de ses demandes d'indemnisation complémentaire du préjudice lié à l'assistance par tierce personne après consolidation, du préjudice d'agrément et du préjudice d'établissement,

- ordonné avant-dire droit un complément d'expertise, aux fins de :

- indiquer si, après la consolidation, la victime a été atteinte :

*d'une réduction du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à son intégrité anatomo-physiologique,

*de phénomènes douloureux et de répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite,

* ainsi que de conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte séquellaire dans la vie de tous les jours,

- et dans l'affirmative, fixer le taux du déficit fonctionnel permanent qui en découle,

- réservé la décision sur les frais et les dépens.

Le docteur [R] a déposé son rapport du 18 décembre 2023.

A l'audience du 8 février, la société appelante reprend les conclusions déposées et visées par le greffe le jour même. Elle demande à la cour de :

- fixer l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent à allouer à M. [W] à une somme ne pouvant excéder 144.000 euros,

- constater qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour sur la demande en remboursement des frais d'assistance à expertise sous réserve du justificatif de la note d'honoraires et de l'absence de prise en charge par l'assurance de la victime,

- débouter M. [W] de sa demande en frais irrépétibles.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que compte tenu de l'âge de la victime (41 ans au jour de la consolidation), son taux d'incapacité (45%) et de la valeur du point à prendre en compte (3.200 €) la demande de M. [W] doit être revue à la baisse.

Elle indique ne pas s'opposer au remboursement des frais d'honoraires engagés pour que la victime soit assistée lors de l'expertise, sous réserve qu'il n'y ait pas double indemnisation avec celle de son assurance.

Elle explique qu'elle était fondée à solliciter l'infirmation du jugement pour obtenir l'exclusion de l'indemnisation complémentaire de postes déjà indemnisés par le livre IV du code de la sécurité sociale et celle des postes non justifiés dans leur principe, puisque la cour a réduit significativement le montant de l'indemnité globale allouée, et que l'appel a permis à la victime d'obtenir l'indemnisation d'un déficit fonctionnel permanent, de sorte qu'il ne peut être argué de l'immobilisme de l'appelante pour obtenir le paiement de frais irrépétibles.

M. [W] reprend oralement les conclusions communiquées par RPVA le 4 janvier 2024. Il demande à la cour de :

- condamner la SARL [4] à lui payer la somme de 155.025 euros au titre de l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent,

- condamner la SARL [4] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de frais irrépétibles,

- condamner la SARL [4] à payer les dépens de l'appel,

- dire que l'organisme de sécurité sociale fera l'avance des condamnations à charge pour lui d'exercer son action récursoire à l'encontre de la société employeuse.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que compte tenu de son âge (41 ans au jour de la consolidation), son taux d'incapacité (45%) et de la valeur du point à prendre en compte de 3.445 euros, l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent doit être fixée à 155.025 euros.

Il se fonde sur la facturation du docteur [I] qui l'a assisté à l'expertise pour solliciter le remboursement de la somme de 900 euros.

Il ajoute qu'il a dû être assisté par un avocat pour introduire l'instance, suivre le dossier, répondre aux conclusions des parties adverses, rassembler les pièces nécessaires au succès de ses prétentions et participé aux opérations d'expertise, de sorte qu'il est fondé à solliciter le paiement de frais irrépétibles.

La [5] reprend les conclusions déposées et visées par le greffe le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :

- fixer à une somme ne pouvant dépassser 144.000 euros l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de M. [W],

- condamner la SARL [4] à lui rembourser les sommes dont elle sera amenée à faire l'avance au titre de la réparation de la faute inexcusable,

- condamner la partie succombant à l'instance à lui payer 600 euros à titre de frais irrépétibles, et à payer les dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fonde son évaluation de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent sur une valeur de point égal à 3.200 euros, eu égard à l'âge de la victime.

Elle n'admet une indemnisation des frais d'assistance à l'expertise que sur justificatif d'une absence de prise en charge de ces frais par ailleurs.

Elle fonde son action récursoire à l'encontre de la société employeuse sur les dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Il convient de se reporter aux écritures oralement reprises par les parties à l'audience pour un plus ample exposé du litige.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'indemnisation du préjudice lié au déficit fonctionnel permanent

Le poste de préjudice lié au déficit fonctionnel permanent est défini par la commission européenne (conférence de Trèves de juin 2000) et par le rapport [X] comme étant :

'la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours'.

Il permet ainsi d'indemniser non seulement l'atteinte à l'intégrité physique et psychique au sens strict, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence.

Il ressort du rapport d'expertise du docteur [R] rendu le 18 décembre 2023, que M. [W] présente un déficit fonctionnel permanent de 45% au regard de la mauvaise qualité du moignon d'amputation, de son aspect raccourci et de ses conséquences fonctionnelles sur la marche, de la répercussion psychologique avec nécessité d'un traitement anti-dépresseur et de la persistance de douleurs du membre fantôme.

Compte tenu de l'âge de M. [W] au jour de la consolidation de son état de santé (41 ans), de son déficit fonctionnel permanent évalué à 45% et de la valeur du point à 3.345 euros selon le barème dit [Z], habituellement appliqué par la cour d'appel, l'indemnisation du préjudice lié au déficit fonctionnel permanent sera fixé au montant de 150.525 euros (3.345 x 45).

Sur l'indemnisation de l'assistance à expertise médicale

Il résulte tant du rapport d'expertise du docteur [R] en date du 18 décembre 2023 que de la facture d'honoraires du docteur [I], que M. [W] s'est effectivement fait assister lors de l'expertise complémentaire.

Cependant, à défaut pour M. [W] de justifier que le coût de cette assistance n'a pas déjà été pris en charge par son assurance, la cour n'est pas mise en mesure de vérifier qu'il en a bien assumé le coût.

Il sera donc débouté de sa demande en paiement de la somme de 900 euros du chef de l'indemnisation de l'assistance à expertise médicale.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, de la reconnaissance de la faute inexcusable de la SARL [4] à l'origine de l'accident du travail de M. [W] par arrêt de la présente cour rendu le 25 mai 2023, et en application des dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, il convient de rappeler que la [5] devra faire l'avance de ces sommes et de condamner la SARL [4] à les lui rembourser.

Sur les frais et dépens

La SARL [4] succombant à l'instance, sera condamnée au paiement des dépens de l'appel en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.

En outre, en application de l'article 700 du même code, elle sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 3.500 euros et à la [5] la somme de 600 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par décision contradictoire,

Fixe l'indemnisation du préjudice lié au déficit fonctionnel permanent de M. [W] à la somme de 150.525 euros,

Déboute M. [W] de sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance à expertise complémentaire à hauteur de 900 euros,

Rappelle que la [5] devra faire l'avance de ces sommes et pourra les récupérer auprès de la SARL [4] en sa qualité d'employeur dont la faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail de M. [W] a été reconnue,

Condamne la SARL [4] à rembourser les sommes que la [5] aura avancées au titre de l'indemnisation complémentaire des préjudices de M. [W],

Condamne la SARL [4] à payer à M. [W] la somme de 3.500 euros et à la [5] la somme de 600 euros,

Condamne la SARL [4] au paiement des dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 21/17095
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;21.17095 ?
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