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14/03/2024 | FRANCE | N°22/10724

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 14 mars 2024, 22/10724


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024



N°2024/













Rôle N° RG 22/10724 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJZ6T







[F] [V]





C/



S.A. [3]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE











































Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me J

ulie ANDREU

Me Elodie BOSSUOT-QUIN

CPAM DES BOUCHES DU RHONE



















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 06 Juillet 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 15/1780.





APPELANT



Monsieur [F] [V], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/10724 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJZ6T

[F] [V]

C/

S.A. [3]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie ANDREU

Me Elodie BOSSUOT-QUIN

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 06 Juillet 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 15/1780.

APPELANT

Monsieur [F] [V], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

S.A. [3], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Swanie FOURNIER, avocat au barreau de LYON

CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 4]

représenté par Mme [H] [M] (Inspectrice Juridique) en vertu d'un pouvoir spécial

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Mme Isabelle PERRIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Anne BARBENES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [F] [V], employé par la société [3] en qualité d'agent de maîtrise, a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône être atteint d'un lymphome B diffus à grandes cellules que cette caisse a pris en charge le 8 janvier 2013 après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 5].

La caisse l'a déclaré consolidé à la date du 30 juin 2014, puis a fixé à 72% (dont 5% au titre de l'incidence professionnelle) son taux d'incapacité permanente partielle.

Par jugement en date du 18 août 2020, le tribunal judiciaire de Marseille, pôle social, a, notamment :

* dit que la maladie de M. [V] revêt le caractère de maladie professionnelle,

* dit que cette maladie professionnelle est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [3],

* ordonné la majoration de la rente à son maximum,

* ordonné avant dire droit une expertise médicale,

* alloué à M. [V] une indemnité provisionnelle de 10 000 euros,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône récupèrera auprès de la société [3] les sommes qui seront allouées à la victime en réparation de ses préjudices résultat de la faute inexcusable de l'employeur,

* condamné la société [3] à payer à M. [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le rapport d'expertise a été déposé le 3 mars 2021.

Par jugement en date du 6 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Marseille, pôle social, après avoir rappelé que la maladie professionnelle dont souffre M. [V] est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [3] et que la rente est majorée à son taux maximum, a :

* fixé ainsi qu'il suit les indemnités dues à M. [V]:

- 4 230 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 7 000 euros au titre des souffrances physiques et morales,

- 1 500 euros au titre du préjudice esthétique,

soit au total à 12 730 euros,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône versera directement à M. [V] la somme de 12 730 euros,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône récupérera auprès de la société [3] les sommes allouées à la victime,

* débouté M. [V] de ses demandes au titre des préjudices sexuel, d'agrément, d'établissement et de perte de promotion professionnelle,

* condamné la société [3] à verser à M. [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société [3] aux dépens.

M. [V] a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions n°2 réceptionnées par le greffe le 9 janvier 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [V] sollicite la réformation du jugement en ses dispositions fixant ses préjudices et le déboutant de ses demandes au titre des préjudices sexuel, d'agrément, d'établissement et de perte de promotion professionnelle.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de :

* fixer ainsi qu'il suit l'indemnisation de ses postes de préjudice:

- 8 122.50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 120 000 euros au titre des souffrances physiques,

- 120 000 euros au titre des souffrances morales,

- 15 000 euros au titre du préjudice esthétique,

- 297 515 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

- 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- 15 000 euros au titre du préjudice sexuel,

- 20 000 euros au titre du préjudice d'établissement,

- 30 000 euros au titre de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,

* dire que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône sera tenue de faire l'avance de ces sommes,

* condamner la société [3] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

A titre subsidiaire, concernant le déficit fonctionnel permanent, il sollicite un complément d'expertise.

Par conclusions remises par voie électronique le 25 janvier 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [3] sollicite la confirmation du jugement entrepris sur l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire et définitif et en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes au titre des préjudices sexuel, d'agrément, d'établissement et de perte de promotion professionnelle.

A titre principal, elle demande à la cour de ramener à de plus justes proportions l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées physiques et morales avant consolidation, et subsidiairement de confirmer les indemnisations fixées au titre de ces postes de préjudice.

Y ajoutant, elle lui demande de débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation du déficit fonctionnel permanent et subsidiairement de la ramener à de plus justes proportions, et plus subsidiairement, de retenir sa mission pour l'expertise portant sur le déficit fonctionnel permanent.

Elle demande en outre à la cour de débouter la caisse primaire d'assurance maladie de son action récursoire au titre de la majoration de la rente, faute de justifier des préjudices indemnisés par la rente servie et sa majoration en l'absence de préjudice de nature patrimoniale.

Enfin elle demande à la cour de débouter M. [V] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et plus subsidiairement de ramener a minima le montant sollicité.

Par conclusions visées par le greffier le 31 janvier 2024, oralement soutenues à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'elle récupérera auprès de la société [3] les sommes allouées à la victime, en réparation de ses préjudices résultant de la faute inexcusable de son employeur.

Elle indique s'en rapporter à la décision de la cour sur la réparation des préjudices personnels de

M. [V], tant sur le quantum que sur les postes à indemniser, déduction faite de la provision de 10 000 euros et demande à la cour de :

* débouter la société [3] de sa demande tendant à ce qu'elle soit déboutée de son action récursoire au titre de la majoration de la rente,

* condamner la société [3] à lui rembourser la totalité des sommes allouées par la cour dont elle sera tenue de faire par avance le paiement, y compris celles résultant de la majoration de la rente,

* condamner la société [3] à lui rembourser la somme de 1 800 euros versée au titre de l'expertise diligentée en première instance ainsi que ceux de l'expertise complémentaire qui serait ordonnée par la cour.

MOTIFS

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente, à une indemnisation complémentaire du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurée, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

Par ailleurs, il doit également être tenu compte de l'incidence des arrêts rendus le 20 janvier 2023 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (21-23947 et 20-23673).

1- sur l'indemnisation des préjudices complémentaires :

Il résulte de l'expertise que M. [V] a été atteint d'un lymphome à grandes cellules avec tumeur de la base de la langue, diagnostiqué en janvier 2012, puis traité par 6 cures de chimiothérapie de mars 2012 à juin 2012 avec surveillance très régulière à l'institut [6] et obtention d'une rémission complète attestée cliniquement et radiologiquement au jour de l'expertise.

Il n'y a pas eu d'hospitalisation complète.

Compte tenu des conclusions de cette expertise, étant précisé que la caisse indique s'en remettre à son appréciation sur la réparation des préjudices, la cour fixe ainsi qu'il suit l'indemnisation des différents postes de préjudice soumis à son appréciation :

A- s'agissant des postes de préjudice extra-patrimoniaux :

* Concernant les postes de préjudice extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation) :

- déficit fonctionnel temporaire :

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 8 122.50 euros en retenant une base journalière de 30 euros pour le taux de 100%, et de 203 jours au taux de 50% outre 677 jours au taux de 25%.

Il souligne que suite au dire du médecin mandaté par son employeur, l'expert a maintenu l'évaluation en classe 3 (taux de 50%) et en classe 2 (25%).

Son employeur réplique essentiellement que le calcul doit se faire sur une base moyenne de 23.76 euros en 2012, de 23.84 euros en 2013 et de 24.10 euros en 2014 par jour.

Il conteste les taux de 50% et 25%, en reprenant les observations de son médecin conseil ayant évalué ce taux à 25% (classe 2) sur la période du 31 janvier 2012 au 20 août 2012, et à 10% (classe 1) pour la période du 21 août 2012 au 30 juin 2014 en indiquant que sur la période du 1er août 2013 au 30 juin 2014 son salarié avait repris le travail à temps plein et avait mené une vie strictement normale.

Réponse de la cour :

L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique et ce jusqu'à la date de consolidation, fixée par la caisse au 30 juin 2014.

L'expert retient :

* un déficit fonctionnel temporaire quantifié à 50% (classe 3) pendant la période des six cures en hôpital de jour du 31 janvier 2012 au 21 août 2012, soit pendant 203 jours,

* un déficit fonctionnel temporaire quantifié à 25% (classe 2) du 22 août 2012 au 30 juin 2014, soit pendant 677 jours.

Si les premiers juges ont retenu l'évaluation de l'expert pour la première période, ils ont réduit à 10% le taux sur celle du 22 août 2012 au 30 janvier 2014 en raison de la fin du traitement, de la surveillance générale plus espacée en l'état de la rémission complète constatée, de la reprise d'une activité professionnelle à compter du 15 octobre 2012, d'une activité sportive, 'familiale et conjugale et de doléances essentiellement concentrées sur la période de traitement par la chimiothérapie.

L'indemnisation de ce poste de préjudice incluant les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, son évaluation ne peut prendre uniquement en considération, contrairement à l'argumentaire du médecin conseil de l'employeur, l'incidence du traitement médical, étant observé que la chimiothérapie s'est étalée non point sur 3 mois et demi mais sur une période de plus de six mois.

De même, il ne peut être retenu que la perturbation psychologique du traitement par chimiothérapie résulterait uniquement d'allégations du salarié, tout comme les troubles sexuels dont il a fait état, ce médecin concédant dans son argumentaire que la chimiothérapie a pu générer une baisse de la libido.

L'absence de prise en charge spécialisée ne suffit pas à exclure les conséquences à la fois de la conscience par le salarié de la gravité de sa maladie, ni les perturbations induites dans sa vie quotidienne et par conséquent les joies usuelles de celle-ci, d'autant que la gravité de ce type de cancer est médicalement reconnue, notamment par le barème indicatif d'indemnisation des maladies professionnelles (chapitre 7.4).

Les termes même de l'argumentaire médical dont se prévaut l'employeur sont exclusivement hypothétiques, ce qui a, du reste, conduit l'expert à maintenir, en réponse à ce dire, les deux périodes d'incapacité avec les deux taux initialement envisagés.

L'avis de cet expert n'est pas utilement contredit par l'employeur qui ne verse aux débats aucun autre élément.

Compte tenu de l'absence d'hospitalisation complète, pendant la période des six séances de chimiothérapie, entre le 31 janvier 2012 et le 21 août 2012, soit durant 203 jours, la quantification à 50% du taux du déficit fonctionnel temporaire est justifiée à la fois par ce type de soins mais aussi par leur impact sur la vie personnelle et familiale de la victime de la maladie professionnelle, compte tenu des gênes relatées à la déglutition, de la gêne pharyngée, des douleurs induites par la chimio (céphalées fatigue, sensation de brûlure, nausées, vomissements, absence de libido).

Pour la période postérieure, les éléments repris dans l'expertise de l'examen médical du 27 août 2012, mentionnant la persistance d'une gêne pharyngée, de celui du 2 avril 2013, faisant état du caractère récurrent de la gêne au niveau de la langue, et de ceux des 29 juillet et 2 décembre 2013, notant l'existence de céphalées 'probablement accrues par la chimiothérapie', qui objectivent l'impact physique des suites de la chimiothérapie et de la perturbation en résultant dans la qualité de vie et des joies usuelles, conduisent également la cour à retenir le taux de 25% proposé par l'expert.

Par ailleurs, c'est à la date d'indemnisation, soit du présent arrêt, que le montant journalier servant de base à l'indemnisation doit être retenu.

En retenant une base journalière de 30 euros, la cour infirmant de ce chef le jugement entrepris, fixe l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total à 8 122.50 euros :

[(30 euros x 0.50) x 203 jours) + (30 euros x 0.25) x 677 jours)].

- souffrances endurées :

Exposé des moyens des parties :

M.. [V] sollicite la somme de 120 000 euros au titre des souffrances physiques et la même somme au titre des souffrances morales en arguant du revirement de jurisprudence résultant des arrêts de l'assemblée plénière du 20 janvier 2023.

Il précise que les séances de chimiothérapie duraient entre trois et cinq heures, la première fois 7 heures, qu'il y avait la pose d'un masque réfrigérant 20 mn avant l'administration des produits, maintenu 20 minutes après la fin de la perfusion, et ce par cycles répétés tous les 21 jours.

Il souligne que lors de l'examen clinique de l'expert, il a été noté des aphtes, une gêne pharyngée et fausses routes.

Il invoque des souffrances morales liées au fait de se savoir atteint à l'âge de 44 ans d'une maladie incurable, qui se sont ajoutées aux souffrances physiques, et ont perturbé son comportement, alors que ses enfants étaient jeunes. Il fait état d'une prise en charge spécialisée en 2015.

Son employeur lui oppose les fourchettes d'indemnisations du référentiel usuellement utilisé pour soutenir que ces demandes sont surévaluées et demander que l'indemnisation soit ramenée à de plus justes proportions.

Réponse de la cour :

Les souffrances endurées initialement évaluées par l'expert à 4/7 ont été ramenées dans ses conclusions à 3.5/7 suite au dire de l'employeur arguant de la rémission complète, de l'évolution favorable assez rapidement, et de l'absence de complication grave secondaire à la chimiothérapie.

L'expert indique avoir pris en compte les six séances de chimiothérapie, l'impact psychologique pour les effets secondaires de celles-ci, chez un homme âgé de 45 ans, l'existence d'un retentissement professionnel et familial, en précisant que postérieurement à la date de consolidation un traitement et un suivi psychiatriques ont été nécessaires en 2015 pendant un an.

S'il est exact que les arrêts de l'assemblée plénière cités par l'appelant ont opéré un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'indemnisation des victimes d'accident du travail et de maladies professionnelles, pour autant ce revirement concerne le déficit fonctionnel permanent (c'est à dire après consolidation) et non point l'indemnisation des souffrances endurées avant consolidation.

S'il est établi que les souffrances psychiques induites par la maladie et le traitement médical ont rendu nécessaire une prise en charge spécialisée pendant un an à partir de 2015, ces éléments doivent être pris en considération dans l'indemnisation qui, jusqu'au revirement de jurisprudence précité, n'était pas pris en compte, pour concerner un préjudice postérieur à la consolidation, en considérant que la rente l'indemnisait également.

Compte tenu de la nature des lésions initiales, de l'impact psychologique de l'annonce du diagnostic avec sentiment décrit à l'expert de 'peur de mourir', des insomnies, des angoisses, du recours à l'aide d'une infirmière pour annoncer sa maladie avec son épouse à leurs deux enfants, de l'isolement social et familial, des difficultés pour annoncer lui-même sa maladie à ses parents, des effets de la chimiothérapie, de l'incidence psychologique de la proposition de congélation du sperme si son couple voulait un troisième enfant, des douleurs ressenties lors des séances de chimiothérapie et de leurs suites, de la longueur de la prise en charge à la fois pendant la chimiothérapie sur plus de six mois, avec durant cette période et pendant la période qui a suivi de plus de deux années, avant la date de consolidation, un isolement social (repli sur soi), la cour infirmant de ce chef le jugement entrepris, fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à 35 000 euros.

- préjudice esthétique temporaire :

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 15 000 euros, en invoquant à la fois une opération chirurgicale ayant laissé une cicatrice, un gonflement du visage et une perte de poids importante en raison des traitements et de la prise de cortisone, d'une asthénie très marquée, de la perte de cheveux progressive.

Son employeur estime que l'évaluation à 1.5/7 retenue par l'expert est surévaluée et que l'indemnité sollicitée est excessive au regard de la jurisprudence habituelle.

Réponse de la cour :

L'expert évalue le préjudice esthétique temporaire à 1.5/7 en lien avec l'alopécie secondaire à la chimiothérapie jusqu'à deux mois après l'arrêt du traitement et la cicatrice du port à cath.

La demande d'indemnisation couvre en réalité à la fois le préjudice esthétique temporaire (alopécie, effets physiques de la chimiothérapie et des médicaments) mais aussi le préjudice esthétique définitif (cicatrice non décrite par l'expert bien qu'elle soit mentionnée).

Compte tenu de ces éléments, alors que M. [V] était âgé de 44 ans lors du diagnostic de sa maladie, de l'image dégradée de sa personne liée à la chimiothérapie et à l'alopécie, qui ont cependant existé sur une durée relativement courte de huit mois, et en tenant compte de la cicatrice, la cour infirmant de ce chef le jugement entrepris, fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à 3 000 euros.

* Concernant les postes de préjudice extra-patrimoniaux permanents (après consolidation) :

- déficit fonctionnel permanent :

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 297 815 euros en évaluant son préjudice pour une personne âgée entre 41 et 50 ans sur la base d'un taux médical de 67% avec une valeur du point à 4 445 euros.

En se prévalant de l'arrêt de la Cour de cassation (2e Civ. 19 mai 2016 n°11-22684), son employeur lui oppose d'une part que la rente a pour objet exclusif de réparer sur une base forfaitaire les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, c'est à dire les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, alors qu'en l'espèce il a repris son activité professionnelle sans perte de rémunération.

Il se prévaut de l'arrêt du 28 septembre 2023 (2e Civ., 28 septembre 2023, n°21-25.690) tout en arguant que s'il a appliqué le nouveau principe de jurisprudence dégagé par l'assemblée plénière

en considérant que la victime d'une faute inexcusable peut prétendre à la réparation du préjudice causé par les souffrances endurées physiques et morales endurées que la rente ou l'indemnité en capital n'ont pas pour objet d'indemniser, pour autant cet arrêt n'a pas justifié ce qu'indemnisait la rente de l'assuré en l'absence de perte de gains professionnels, de salaires et l'incidence professionnelle.

Considérant que le contrat de travail n'a pas été rompu, alors que le taux professionnel indemnise déjà l'incidence professionnelle de la maladie développée, il en déduit que le taux de 67% indemnise nécessairement un préjudice extra patrimonial et relève qu'il résulte de l'annexe I de l'article R.434-32 du code de la sécurité sociale que la rente n'est pas fondée sur des critères exclusivement patrimoniaux puisqu'elle compense, pour partie des atteintes objectives aux fonctions physiologiques. Il ajoute que l'indemnisation de ce poste de préjudice ne peut être faite sur les bases du droit commun alors que le taux d'incapacité permanente partielle fixé par le médecin-conseil répond à un barème spécifique aux accidents du travail et maladies professionnelles.

Il souligne que dans son avis du 8 mars 2013, le Conseil d'Etat a considéré que le recours exercé par la caisse au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait s'exercer que sur les postes de préjudices de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle, et que dans son arrêt du 19 décembre 2019 (2e Civ., n°18-23.804) la Cour de cassation a jugé que la majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par l'organisme social dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement d'une rente.

Réponse de la cour :

Le déficit fonctionnel permanent tend à indemniser la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles familiales et sociales).

Il indemnise ainsi, en sus du déficit fonctionnel lié à l'incapacité physique et de l'incidence professionnelle, la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence du fait des séquelles qu'elle conserve.

Selon les articles L.434-1 et L.434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R.434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

Il s'ensuit que cette rente présente un caractère forfaitaire et global.

Selon l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L.452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle

Par deux arrêts en date du 20 janvier 2023, (pourvois n°21-23.947 et 20-23.673) l'assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, en revenant sur sa jurisprudence antérieure selon laquelle la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

S'il est exact que l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit l'être désormais de façon autonome, pour autant ce poste de préjudice demeure, pour les victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur, distinct de l'indemnisation de l'incapacité permanente partielle.

Il ne peut donc être évalué suivant le barème du droit commun qui y inclut l'indemnisation de la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel.

La victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur est par contre fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice que la majoration de sa rente ne répare pas.

Dans ses arrêts, du 20 janvier 2023, l'assemblée plénière a en effet rappelé que le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L.431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

Il s'ensuit que la victime de l'accident du travail est fondée à solliciter au titre de l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, en sus de ses préjudices réparés par la rente accident du travail majorée sur la base du taux d'incapacité permanente partielle fixé par la caisse, qui indemnise le déficit fonctionnel, soit la diminution de ses capacités physiques, psychosensoriel ou intellectuel définitive, le préjudice résultant de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis dans ses conditions d'existence du fait des séquelles qu'elle conserve.

En l'espèce, il résulte de l'expertise que postérieurement à la date de consolidation (30 juin 2014), M. [V] a fait l'objet au cours de l'année 2015 et pendant un an d'une prise en charge spécialisée avec suivi psychiatrique. Les souffrances psychiques ainsi prises en charge ne sont indemnisées ni par l'indemnisation que la cour vient de fixer au titre des souffrances endurées antérieures à consolidation, ni par la rente, et donc subséquemment par la majoration de rente.

Par ailleurs, lors de l'expertise, M. [V], qui occupait un poste d'agent de maîtrise chez son employeur depuis janvier 1989, a indiqué avoir repris son travail en octobre 2012 à mi-temps thérapeutique jusqu'en janvier 2013, puis avoir été affecté à un poste différent, de logistique, et avoir été reclassé en septembre 2015, après 'burn out' sur un poste d'adjoint au responsable de magasin.

Il a décrit les séquelles psychologiques de sa maladie, n'ayant pas repris le poste de travail sur le terrain, la crainte d'une récidive selon les symptômes persistants (gêne pharyngée occasionnant des troubles

de la déglutition, sensation de gonflement), le diagnostic de sa maladie ayant été posé après consultation pour une gêne à la déglutition.

Il a fait aussi état d'un sentiment de déclassement professionnel, ses collègues ayant bénéficié de promotions et de hausses importantes de salaires.

Il résulte du rapport d'évaluation des séquelles du médecin-conseil, fixant à 67% le taux purement médical, qu'il a retenu comme séquelles: 'lymphome à grandes cellules de la base de la langue en rapport avec l'exposition au benzène. Paresthésies des extrémités et troubles fonctionnels séquellaires lors de la déglutition. Rémission après traitement spécifique', qu'il s'est basé pour le taux sur le 'barème aux victimes de lymphomes professionnels non hodgkiniens', et que les doléances exprimées lors de l'examen clinique ont été les suivantes: 'aphtes fréquents, gêne de la base de la langue à type de sensation désagréable sans gêne à la déglutition, dyspepsie hypothétique intermittente avec céphalées'.

Le chapitre 7.4 (hypercytoses) de l'annexe II du barème indicatif d'invalidité (maladies professionnelles) mentionne que cette affection comporte un risque vital, que pour la maladie de [D] et les lymphomes non hodgkiniens, elle est définie par la biopsie ganglionnaire, et propose pour les lymphomes non hodgkiniens un taux de 67 % à 100 %.

Il a par ailleurs été retenu par la caisse dans l'évaluation globale du taux d'incapacité, 5% au titre de l'incidence professionnelle s'ajoutant au 67% du taux purement médical d'incapacité.

Il s'ensuit que les préjudices non indemnisés par la rente, et sa majoration, relevant du déficit fonctionnel permanent sont donc présentement constitués par les angoisses inhérentes à la maladie professionnelle contractée quant à une évolution négative, malgré le caractère de rémission complète retenu par l'expert, à la perte de qualité de vie induite et aux souffrances psychiques après consolidation, que le suivi médical et examens rendus nécessaires par ce type de pathologie ne peut que réactiver.

Ces éléments soumis à l'appréciation de la cour sont suffisants pour lui permettre d'apprécier d'indemnisation de ce poste de préjudice, caractérisé en l'espèce à la fois par les souffrances physiques et psychiques postérieures à la date de consolidation et la perte de qualité de vie.

Il n'y a donc pas lieu d'ordonner un complément d'expertise.

En tenant compte de l'âge de 46 ans de M. [V] à la date de la consolidation, la cour fixe l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent à 20 000 euros.

- préjudice sexuel :

Pour débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation de ce poste de préjudice, les premiers juges ont retenu que l'ensemble de ses doléances porte essentiellement sur la période antérieure à la consolidation et plus particulièrement du 31 janvier au 21 août 2012, de sorte que leur indemnisation est intervenue au titre du déficit fonctionnel temporaire et qu'aucun élément objectif ne permet d'établir que la pratique sexuelle ait été limitée après la date de consolidation.

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 15 000 euros, soulignant qu'il était âgé de 44 ans lors du diagnostic, que son traitement a impacté sa libido, n'ayant plus eu de rapports intimes avec son épouse pendant sa chimiothérapie. Il souligne que l'expert a retenu l'existence de ce poste de préjudice et que le médecin conseil de son employeur l'admet.

Son employeur s'oppose à cette demande en soutenant que ce préjudice a été temporaire et que son indemnisation a été prise en considération dans le déficit fonctionnel temporaire avant consolidation.

Réponse de la cour :

L'expert retient un préjudice sexuel en lien avec la gravité du diagnostic et la lourdeur de la thérapeutique, tout en indiquant que la durée du traitement n'a été que d'une durée de 3 mois et demi (sic), tout en indiquant que le traitement anxiolytique et antidépresseur n'a été effectué qu'à partir de 2015, et que le renoncement à un troisième enfant ne peut être écarté même en l'absence de congélation du sperme avant la chimiothérapie par peur de la maladie et de l'avenir incertain devant une pathologie grave.

La nature des lésions de la maladie professionnelle exclut l'existence d'un préjudice sexuel de nature morphologique en l'absence d'atteinte des organes sexuels et il est acquis que les séquelles n'ont pas généré une impossibilité ou d'une difficulté durable à procréer, mais qu'il y a eu renoncement à un projet de troisième enfant, ce qui fait l'objet d'une demande d'indemnisation distincte.

Il s'ensuit que le préjudice sexuel invoqué est constitué par une diminution de la libido, admise au plan médical pendant la chimiothérapie, mais ensuite contestée par l'employeur en ce qu'elle est alors induite par l'incidence psychique de la maladie.

La reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle important par le médecin-conseil de la caisse en application du guide barème des maladies professionnelles implique la reconnaissance de séquelles, à la date de consolidation, même s'il est considéré qu'il y a 'rémission complète' du cancer.

Toutefois, il est exact que la perte de la libido est reliée dans les déclarations faites à l'expert à la période de la chimiothérapie, laquelle est antérieure à la consolidation, et est nécessairement indemnisée durant cette période par le déficit fonctionnel temporaire.

Alors que cet élément a été retenu par les premiers juges dans leur motivation, l'appelant n'étaye pas sa contestation du refus d'indemnisation qui lui a ainsi été opposé, ce qui conduit la cour à confirmer de ce chef le jugement entrepris.

- préjudice d'agrément :

Pour débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation de ce poste de préjudice, les premiers juges ont retenu que l'ensemble de ses doléances porte essentiellement sur la période antérieure à la consolidation et plus particulièrement du 31 janvier au 21 août 2012, de sorte que leur indemnisation est intervenue au titre du déficit fonctionnel temporaire et qu'aucun élément objectif ne permet d'établir que la pratique d'une activité sportive ou de loisirs ait été limitée après la date de consolidation.

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 50 000 euros en alléguant être avant sa maladie une personne très active, un grand coureur, pratiquer avant son accident du travail diverses activités sportives telles que le vélo, la course, le volley ainsi que la randonnée, alors qu'il ne peut plus en pratiquer aucune.

Son employeur soutient que ce poste de préjudice n'est pas caractérisé, soulignant qu'il n'est produit aux débats aucune pièce justifiant d'une activité sportive et de loisirs à laquelle il ne peut plus s'adonner du fait de sa maladie professionnelle.

Réponse de la cour :

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.

L'expert considère que pendant la période thérapeutique il n'a plus pu pratiquer la course à pied, qu'il y a eu une reprise progressive, mais sans jamais retrouver les capacités ni les performances antérieures.

Cependant, il est exact que M. [V] ne justifie pas avoir, antérieurement à son accident du travail, pratiqué régulièrement une quelconque activité spécifique sportive ou de loisirs, ce qui conduit la cour à confirmer de ce chef le jugement entrepris qui l'a débouté de sa demande indemnitaire à ce titre.

- préjudice d'établissement :

Pour débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation de ce poste de préjudice, les premiers juges ont retenu que l'expert retient un renoncement et non une incapacité à réaliser un projet de troisième enfant et que si la perte de chance se caractérise comme la privation d'une probabilité raisonnable de la survenance d'un événement positif, elle ne doit pas être appréciée au regard de la probabilité raisonnable de la survenance d'un événement négatif, soit en l'espèce le risque de récidive de la maladie, mais plutôt en l'état des capacités de la personne à la date de la consolidation.

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 20 000 euros en soutenant qu'avant sa maladie, il envisageait avec son épouse, âgée de 38 ans, un troisième enfant, et que ce projet familial a été réduit à néant avec la soudaineté de la maladie qui a nécessité une chimiothérapie immédiate pour garantir les chances de succès.

Son employeur s'oppose à cette demande en relevant qu'il lui a été proposé à deux reprises d'effectuer des démarches positives en vue de préserver la possibilité d'agrandir sa famille, qu'il a refusées.

Réponse de la cour :

Ce préjudice consiste en la perte d'espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

S'il est exact que la maladie professionnelle n'a pas engendré stricto sensu un handicap, pour autant la nature même de la gravité de celle-ci, compte tenu d'une part du risque d'une récidive qui ne peut être écarté et d'autre part et surtout ce qu'un projet d'enfant s'inscrit dans une durée, à tout le moins celle de la minorité, usuellement retenue pour être une période éducative, et non point en terme de conception, et prend aussi en considération l'âge des parents.

Il s'ensuit que la proposition de congélation de son sperme, comme le refus de celle-ci, ne peuvent suffire à exclure l'existence du préjudice allégué.

La cour relève que lors du diagnostic de sa maladie, en janvier 2012, M. [V] était âgé de 44 ans, marié depuis le 3 juillet 2004. Il est établi qu'il était père de deux enfants nés les 27 juillet 2005 et 2 septembre 2009.

La date de consolidation a été fixée au 30 juin 2014.

Les déclarations faites à l'expert relatives au souhait du couple d'avoir un troisième enfant auquel il a renoncé, doivent être prises en considération, en ce qu'il a expliqué cette décision par 'la peur de retomber malade et de laisser mon épouse élever seule nos enfants'.

L'attestation de son épouse ainsi que d'une collègue de travail de celle-ci, corroborent ses dires sur l'abandon de ce projet familial imputable à sa maladie professionnelle.

Infirmant de ce chef le jugement entrepris, la cour fixe à la somme de 10 000 euros l'indemnisation de ce poste de préjudice.

B- s'agissant des postes de préjudice patrimoniaux :

* Concernant les postes de préjudice patrimoniaux permanents (après consolidation) :

- perte ou diminution de possibilités de promotion professionnelle :

Pour débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation de ce poste de préjudice, les premiers juges ont retenu que si l'expert relève l'existence d'une incidence professionnelle, celle-ci a été indemnisée par la rente majorée, et le taux professionnel de 5% destiné à réparer la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de la maladie.

Exposé des moyens des parties :

M. [V] sollicite la somme de 30 000 euros soutenant démonter ce préjudice par son tableau comparatif des évolutions de coefficients et de salaires d'anciens collègues. Il souligne que l'expert a retenu ce poste de préjudice.

Son employeur réplique que la perte d'une chance de promotion professionnelle doit présenter un caractère sérieux, et qu'il doit être justifié d'un préjudice distinct de celui résultant d'un déclassement professionnel déjà compensé par l'attribution de la rente majorée. Il souligne que le taux d'incapacité permanente partielle comprend 5% de taux professionnel et argue que la réparation d'une perte de chance de promotion professionnelle n'a pas vocation à indemniser un ressenti d'échec.

Il argue en outre que son salarié était affecté à un poste de technicien, coefficient 225 et qu'après sa maladie, il a été affecté au poste d'adjoint responsable magasin avec un coefficient 250 et soutient que sa rémunération de base est supérieure à la moyenne des rémunérations des salariés au K250, et conforme à la moyenne des rémunérations des salariés de plus de 50 ans au K250.

Il souligne en outre que lors de différents entretiens professionnels son salarié avait clairement indiqué qu'il ne souhait pas avoir d'autres responsabilités et qu'il avait prévu de quitter la société dans 4 ans.

Réponse de la cour :

La victime d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de son employeur a droit à être indemnisée du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, mais doit justifier que la disparition de l'éventualité favorable d'une possibilité de progression, dont l'accident du travail ou la maladie professionnelle l'a privée, présente un caractère sérieux et non hypothétique.

Ce poste de préjudice est distinct de l'incidence professionnelle de la maladie professionnelle indemnisée en l'espèce par un taux de 5%, qui ne la répare pas.

L'expert a retenu une perte de chance de promotion professionnelle en indiquant que M. [V] a vu tous ses anciens collègues de travail évoluer sur de nouvelles filières, avec des promotions salariales, dont il n'a pu bénéficier, compte tenu de son reclassement, précisant que 'lors de l'entretien individuel professionnel il a évoqué un souhait de quitter la société mais il sera dans la retraite dans 3 ans'.

Les données chiffrées du tableau comparatif versé aux débats par le salarié (PSV26) ne sont pas contestées par son employeur, elles sont du reste corroborées par les copies des bulletins de paye jointes. Elles portent sur la comparaison de la situation de cinq salariés de l'entreprise dont lui-même, ayant tous plus de 15 ans d'ancienneté.

La comparaison de leurs coefficients en 2011, soit l'année précédant la maladie professionnelle et en 2019, met en évidence que son coefficient (225) était égal ou dans la moyenne des quatre autres salariés, alors qu'en 2019 il est inférieur à trois salariés, ayant tous trois une ancienneté inférieure à la sienne.

Les pièces de l'employeur n'expliquent pas cette différence du coefficient, et les différences de primes liées au poste de travail occupé, sont à cet égard indifférentes.

S'il est exact que lors de sa reprise du travail, M. [V] a conservé son coefficient de 225, et que lors de son entretien d'évaluation en 2020, il n'a pas exprimé de souhait d'évolution, son supérieur hiérarchique ayant noté 'départ dans 4 ans. Ne souhaite pas évoluer', pour autant l'employeur ne justifie d'aucun autre entretien d'évaluation.

Néanmoins, compte tenu du reclassement opéré lors de la reprise du travail, avec le même coefficient, et surtout du peu d'éléments de comparaison soumis à l'appréciation de la cour, ne permettant pas de retenir une réelle diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, puisque son coefficient est passé entre 2011 et 2019 de 225 à 250, et qu'en raison du faible comparatif (4 autres salariés) ces données chiffrées ne sont pas suffisantes, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande d'indemnisation de ce poste de préjudice.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'indemnisation totale complémentaire des préjudices subis par M. [V] s'établit comme suit:

* déficit fonctionnel temporaire: 8 122.50 euros,

* souffrances endurées (physiques et morales): 20 000 euros,

* préjudice esthétique: 3 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent: 20 000 euros,

* préjudice sexuel: 0 euro,

* préjudice d'agrément: 0 euro,

* préjudice d'établissement: 10 000 euros,

* perte ou diminution de possibilités de promotion professionnelle: 0

soit au total 61 122.50 euros, dont il convient de déduire la provision déjà allouée de 10 000 euros.

La cour rappelle que la caisse primaire d'assurance maladie doit en faire l'avance, en application de l'article L.452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, et qu'il a été définitivement jugé qu'elle peut en récupérer le montant auprès de la société [3].

2- sur l'étendue du recours de la caisse primaire d'assurance maladie :

Exposé des moyens des parties :

L'employeur argue que le corollaire de la réparation intégrale est l'interdiction de la double indemnisation qui présente un caractère inéquitable, pour soutenir que si la cour jugeait que la rente indemnise exclusivement un préjudice de nature patrimoniale, l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie, s'agissant de la majoration de la rente, constituerait un indu, aucune prestation de sécurité sociale de nature patrimoniale n'ayant été versée à M. [V] à compter de la consolidation de son état de santé et que la caisse doit être déboutée de son action récursoire s'agissant de la rente.

La caisse réplique d'une part que la rente présente un caractère forfaitaire, et d'autre part que la détermination de l'objet de la rente ne concerne que les recours des tiers payeurs alors qu'en matière de faute inexcusable, son action récursoire résulte spécifiquement des articles L.452-2 à L.452-3-1 du code de la sécurité sociale et non point de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, sur lequel se fonde l'employeur, ce texte excluant du recours contre tiers les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail alors que l'article L.454-1 du code de la sécurité sociale, est applicable en matière d'accidents du travail. Elle souligne que l'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle par son médecin-conseil intègre pleinement une dimension médicale, dont le taux professionnel n'est qu'une composante.

Réponse de la cour :

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que le recours de la caisse, porte sur l'indemnisation des préjudices complémentaires des victimes d'accidents du travail ou maladies professionnelles imputables à la faute inexcusable de leur employeur, indépendamment de la majoration de la rente.

La cour vient de juger que majoration de la rente n'indemnise pas le déficit fonctionnel permanent et a alloué à la victime de la maladie professionnelle une indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent, circonscrit dans ses composantes aux préjudices non indemnisés par la rente et sa majoration, caractérisés à la fois par les souffrances physiques et psychiques postérieures à la date de consolidation et par la perte de qualité de vie.

Contrairement à ce qui est allégué par l'employeur, il n'y a donc pas double indemnisation d'un même préjudice, et le recours de la caisse portant sur la majoration de la rente est la conséquence de sa faute inexcusable.

La société [3] doit donc être condamnée à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance à M. [V] au titre de la réparation de ses préjudices complémentaires, ce qui inclut le capital représentatif de la majoration de la rente, et également les frais d'expertise dont elle a aussi fait l'avance.

Succombant en ses prétentions la société [3] doit être condamnée aux entiers dépens.

L'équité justifie d'allouer à M. [V] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Fixe l'indemnisation des préjudices complémentaire subis par M. [F] [V] ainsi qu'il suit:

* déficit fonctionnel temporaire: 8 122.50 euros,

* souffrances endurées (physiques et morales): 20 000 euros,

* préjudice esthétique: 3 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent: 20 000 euros,

* préjudice sexuel: 0 euro,

* préjudice d'agrément: 0 euro,

* préjudice d'établissement: 10 000 euros,

* perte ou diminution de possibilités de promotion professionnelle: 0

soit au total 61 122.50 euros, dont il convient de déduire la provision déjà allouée de 10 000 euros,

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône doit en faire l'avance,

- Condamne la société [3] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance, soit les indemnités présentement fixées ainsi que le capital représentatif de la majoration de la rente, et les frais de l'expertise médicale, soit 1 800 euros,

- Déboute M. [F] [V] du surplus de ses demandes,

- Déboute la société [3] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamne la société [3] à payer à M. [F] [V] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [3] aux entiers dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/10724
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;22.10724 ?
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