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14/03/2024 | FRANCE | N°22/10265

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 14 mars 2024, 22/10265


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AVANT DIRE DROIT

DU 14 MARS 2024



N°2024/













Rôle N° RG 22/10265 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJYMD







[F] [A]





C/



S.A.S. [20]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE











































Copie exécutoire délivrée

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Me Hélène BIVILLE-AUBERT

Me Michel DOSSETTO

CPAM DES BOUCHES DU RHONE















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 13 Juin 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 18/5046.





APPELANT



Monsieur [F] [A], demeurant [Adresse 12]



représenté par Me Hélène BIVILLE-AUBE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AVANT DIRE DROIT

DU 14 MARS 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/10265 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJYMD

[F] [A]

C/

S.A.S. [20]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Hélène BIVILLE-AUBERT

Me Michel DOSSETTO

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 13 Juin 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 18/5046.

APPELANT

Monsieur [F] [A], demeurant [Adresse 12]

représenté par Me Hélène BIVILLE-AUBERT, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Sylvie LANTELME, avocat au barreau de TOULON

INTIMEES

S.A.S. [20] SUR DECLARATION D APPEL N° 22/08997, demeurant [Adresse 14]

représentée par Me Michel DOSSETTO, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nathan DJIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 16]

représenté par Mme [J] [U] (Inspectrice Juridique) en vertu d'un pouvoir spécial

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Mme Isabelle PERRIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Anne BARBENES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE:

M. [F] [A], employé en qualité de vendeur polyvalent depuis le 24 avril 2015 par la société [20], a déclaré le 13 juin 2016 à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône souffrir d'un eczéma de contact (allergie au chlorure de cobalt) en sollicitant la reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie et en joignant un certificat médical initial daté du 8 juin 2016, mentionnant un eczéma allergique aggravé des deux paumes des mains suite à l'exposition au chlorure de cobalt, la date de la première manifestation de la maladie étant le 8 juin 2016.

La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a pris en charge le 24 novembre 2016 cette maladie au titre du tableau 65 des maladies professionnelles,

Il a également sollicité le 21 juin 2016 la reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie d'eczéma de contact (allergie au disperse Brown), en joignant un certificat médical initial, daté du 21 juin 2016, mentionnant un eczéma allergique récidivant des paumes des deux mains suite à l'exposition au disperse Brown et indiquant que la date de la première manifestation de la maladie est également le 8 juin 2016.

La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a pris en charge le 24 novembre 2016 cette maladie au titre du tableau 15 bis des maladies professionnelles, puis a déclaré l'état de santé de M. [A] consolidé à la date du 16 octobre 2017 et a fixé à 5% son taux d'incapacité permanente partielle.

M. [A] a pris acte le 17 juillet 2017 de la rupture de son contrat de travail

M. [A] a saisi le 17 août 2018 un tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle.

Par jugement en date du 13 juin 2022, le tribunal judiciaire de Marseille, pôle social, après avoir déclaré le recours recevable, a :

* débouté M. [A] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur,

* débouté M. [A] du surplus de ses demandes,

* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné M. [A] aux dépens.

M. [A] a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions réceptionnées par le greffe le 29 janvier 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [A] sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* condamner la société [20] pour faute inexcusable envers lui,

* ordonner une expertise médicale,

* condamner la société [20] à lui verser une provision de 30 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

* condamner la caisse primaire d'assurance maladie à revaloriser au maximum sa rente 'annuelle',

* condamner la société [20] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, entièrement distraite au profit de Me Biville-Aubet, outre les dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 5 octobre 2023, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [20] sollicite la confirmation du jugement entrepris.

A titre subsidiaire, elle demande de :

* lui donner acte de ce qu'elle ne s'oppose pas à la nomination d'un expert,

* débouter M. [A] de sa demande de provision, ou la réduire,

* condamner M. [A] aux dépens.

Par conclusions réceptionnées par le greffe le 15 décembre 2023, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, indique s'en remettre à l'appréciation de la cour en ce qui concerne l'existence d'une faute inexcusable imputable à l'employeur.

Dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement et retiendrait la faute inexcusable de l'employeur, elle lui demande de condamner la société [20] à lui rembourser les sommes dont elle a, aura fait ou sera tenue de faire l'avance du paiement y compris de la majoration de rente.

MOTIFS

1- Sur la faute inexcusable :

Pour débouter M. [A] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable dans ses maladies professionnelles, les premiers juges ont retenu que la conscience du danger de l'employeur s'appréciant au moment ou pendant la période d'exposition au risque, le salarié ne démontre pas que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque de lésions eczématiformes de mécanisme allergique auquel il était exposé dans le cadre de son activité professionnelle lors de la manipulation des produits pour la période d'exposition concernée. Ils ont également retenu que l'appréciation de la conscience du danger relève de l'examen des circonstances de faits, notamment de l'activité du salarié ou du non-respect des règles de sécurité, alors qu'il ne démontre pas que son employeur avait ou aurait dû avoir du fait que les fonctions de vendeur polyvalent l'exposait à la maladie professionnelle dont il est atteint, ni que l'entreprise n'aurait pas respecté les règles de sécurité, le salarié portant des gants dès sa reprise de novembre 2016 et l'employeur ayant répondu favorablement au courrier daté du 17 février 2017 concernant la réorientation du salarié.

Exposé des moyens des parties :

L'appelant soutient que son employeur a manqué à son obligation de sécurité, la visite d'embauche n'ayant eu lieu que prés d'un an après, et que dans le cadre de ses attributions il a été amené à manipuler, notamment des jeans contenant des produits toxiques à l'origine de ses deux maladies professionnelles, ayant développé une allergie au chlorure de cobalt et au disperse Brown.

Il soutient que son employeur n'a pas respecté les réserves émises par le médecin du travail lors de la visite de reprise, préconisant une réorientation sur un autre secteur du magasin et avec port de gants qui ne lui ont jamais été fournis, et qu'ainsi il a été victime d'une rechute et d'une aggravation de son état de santé. Il ajoute avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail le 17 juillet 2017.

Il soutient que la faute inexcusable de son employeur réside à la fois dans la réalisation hors délai de la visite médicale d'embauche ainsi que de celle de reprise et dans le non-respect des préconisations du médecin du travail.

Son employeur conteste tout manquement à son obligation de sécurité. S'il reconnaît que la visite d'embauche a été effectuée avec retard, il relève que lors de celle-ci son salarié a été déclaré apte sans réserve.

Il reconnaît également que la visite de reprise a été effectuée au-delà du délai de 8 jours prescrit par la loi tout en soutenant que le retard de quelques jours a été sans incidence.

Il souligne que le salarié s'était lui-même acheté le 29 novembre 2016 les gants recommandés par l'inspecteur du travail, et argue les lui avoir remboursés deux mois plus tard pour soutenir que bien avant la visite auprès du médecin du travail du 12 décembre il était protégé par des gants.

Il allègue ne pas avoir eu connaissance du certificat médical évoquant la question de reprendre le travail avec des gants et argue que si les premiers tests allergologiques datent du 17 mai 2016, à partir de novembre 2016, le salarié travaillait avec des gants.

Il soutient que le salarié ne démontre pas la conscience du danger au moment ou pendant la période d'exposition durant laquelle elle doit s'apprécier et que les fautes qui lui sont reprochées n'ont pas joué un rôle causal dans la survenance de la maladie.

Réponse de la cour :

Dans le cadre de l'obligation légale de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du

travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer les risques qui ne peuvent pas l'être.

Le manquement à son obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Pour engager la responsabilité de l'employeur dans la maladie professionnelle dont est atteint le salarié, la faute inexcusable de l'employeur doit être la cause nécessaire de cette maladie, sans qu'elle soit pour autant la cause déterminante, et c'est au salarié, ou à ses ayants droit, à qui incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, d'établir que la maladie professionnelle a pour cause la faute de son employeur résultant de son manquement à son obligation de sécurité pour le préserver d'un risque dont il avait, ou ne pouvait pas ne pas avoir, conscience.

En l'espèce, le caractère professionnel des deux maladies dont souffre le salarié n'est pas contesté par l'employeur, et il résulte des deux décisions de prise en charge de ces pathologies au titre d'une part du tableau 65 et d'autre part du tableau 15 bis des maladies professionnelles que les conditions posées par ces deux tableaux, portant à la fois sur la caractérisation médicale au regard de la maladie inscrite au tableau, sur le délai de prise en charge et sur la liste des travaux susceptibles de provoquer la dite maladie sont réunies.

Les deux maladies professionnelles du salarié sont des eczémas, localisés dans les paumes des deux mains, qui sont des allergies consécutives à une exposition professionnelle pour l'une au chlorure de cobalt (tableau 65) et pour l'autre au disperse Brown (tableau 15Bis).

Ces deux tableaux donnent une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies qui sont pour :

* le tableau 65, notamment la 'préparation, l'emploi, la manipulation des agents nocifs limitativement énumérés' dont le 'cobalt et ses dérivés',

* le tableau 15Bis, notamment, 'l'utilisation des amines aromatiques, de leurs sels, de leurs dérivés et des produits qui en contiennent à l'état libre, tels que matières colorantes'.

L'employeur ne soumet à l'appréciation de la cour aucun élément de nature à établir, qu'il a procédé, comme il en a l'obligation légale, à une évaluation des risques auxquels sont exposés ses salariés, et par suite ne justifie nullement, après avoir évalué les dits risques, de mesure de préventions mises en place.

La circonstance que l'employeur ait été défaillant dans l'organisation de la visite médicale d'embauche qui n'a été réalisée que le 11 mars 2016 alors que le contrat de travail a débuté le 24 avril 2015 est inopérante à caractériser sa faute inexcusable dans les maladies professionnelles du salarié, dés lors que celles-ci sont intrinsèquement liées à l'exposition aux risques des tableaux précités. De plus, dans le certificat médical du 26 octobre 2016, il est précisé que le salarié 'n'a pas antécédent atopique connu personnel ou familial'.

Par contre, il résulte de l'avis d'aptitude du médecin du travail en date du 4 mai 2016, que 'dans l'attente d'examen complémentaire, une affectation dans une section n'imposant pas de manipulation manuelle répétée d'articles en jean est nécessaire' (le médecin précisant qu'il travaille actuellement département 6-section jeans) et qu'une nouvelle visite devra intervenir dans deux mois.

Par cet avis du médecin du travail qui lui a nécessairement été transmis, l'employeur a eu connaissance du risque pour la santé de son salarié auquel l'exposait son poste de travail.

Il n'est pas contesté que le salarié a été placé en arrêt de travail au titre de la législation professionnelle du 8 juin 2016 au 15 novembre 2016.

Il résulte du certificat du professeur, chef de service du pôle santé publique du CHU [21], daté du 26 octobre 2016, que le salarié a été affecté à un nouveau poste juste avant la survenue de ses lésions (eczéma des faces palmaires depuis décembre 2015), que ce poste consiste à effectuer des activités de pliage des jeans sans protection cutanée initiale, et que les lésions disparaissent pendant les congés et récidivent à la reprise. Ce professeur y indique que 'les résultats des tests épicutanés concordent parfaitement avec la symptomatologie clinique qui récidive dès la manipulation des jeans. Ces derniers contiennent des métaux comme le cobalt et des résines à base de dérivés cyclisés de l'urée tel que DDEU et des colorants disperse de type Brown' (...) Il m'informe qu'il continue à présenter des lésions malgré son changement de secteur, il est toujours en contact avec des textiles qui sont susceptibles de contenir du DDEU ou des colorants du même type. Je lui conseille de se munir systématiquement de gants en coton blanc'.

Il résulte ensuite de l'avis du médecin du travail daté du 10 novembre 2016, que 'la reprise semble envisageable à l'issue de l'arrêt en cours, dans une section n'imposant pas de manipulation manuelle répétée d'articles en jeans. De même, affecter M. [A] dans une section limitant l'exposition cutanée aux textiles: privilégier un poste avec des articles cintrés. Le port de gants en coton s'impose et les doubler si possible, avec des gants de protection. A revoir lors de la visite effective'.

Dans son avis d'aptitude du 12 décembre 2016, le médecin du travail émet les restrictions suivantes: 'pas de manipulation d'article en jean. Privilégier un poste avec articles cintrés. Mettre à disposition de M. [A] des gants en coton et les doubler avec des gants de protection'.

Ces restrictions réitérées (4 mai 2016, 10 novembre 2016 et 12 décembre 2016) du médecin du travail et spécialement les deux dernières lors de la reprise du travail n'ont pas été respectées par l'employeur qui ne justifie ni avoir affecté son salarié sur un poste 'n'imposant pas de manipulation manuelle répétée d'articles en jean', ni avoir mis à sa disposition des gants tels que décrits par le médecin du travail.

La circonstance que le salarié se soit acheté avec ses deniers personnels des gants, que l'employeur allègue lui avoir remboursés deux mois plus tard, est inopérante à établir qu'il a respecté les restrictions posées par le médecin du travail alors que depuis l'avis du 4 mai 2016 il a été informé du danger auquel son salarié était exposé, en lien avec la présence des produits utilisés lors de la fabrication des jeans qu'il commercialise, et dont il ne peut utilement arguer être demeuré dans l'ignorance de leur toxicité eu égard à son secteur d'activité.

La cour rappelle que les articles R.4321-1 et suivants du code du travail font obligation à l'employeur de mettre à la disposition de ses salariés les équipements de travail nécessaires à réaliser ou convenablement adaptés à cet effet, en vue de préserver leur santé et leur sécurité, et que lorsque les mesures prises ne peuvent pas être suffisantes pour préserver leur santé et leur sécurité, il doit prendre toutes autres mesures nécessaires à cet effet, en agissant notamment sur l'organisation du travail ou les procédés de travail.

Or les avis du médecin du travail des 4 mai 2016 et surtout ceux des 10 novembre et 12 décembre 2016 lui faisaient spécialement obligation d'agir dans le sens de ces dispositions, qu'il ne justifie nullement avoir respectées, ce qui caractérise un manquement fautif à son obligation de prévention du danger auquel était exposé son salarié, dont il ne pouvait ne pas avoir conscience du fait même de ces avis avec restrictions du médecin du travail, alors même qu'il ne justifie pas davantage avoir rempli son obligation légale d'évaluations des risques et consécutivement de prévention des risques identifiés.

Il résulte en outre des attestations, toutes établies dans les formes légales, par [W] [I], [R] [T], [P] [D], [Z][S], [N] [V] que le salarié manipulait au rayon textile homme pour ranger le rayon, à mains nues, les vêtements en fin d'année 2016, sans qu'un équipement de protection (gants) soit mis à sa disposition par son employeur, le témoin [D], salariée de l'entreprise, précisant que lors de la reprise de son arrêt de travail en novembre 2016, il était 'affecté au même rayon et manipulait le textile sans gants en coton malgré plusieurs demandes', et que 'de ce fait il a acheté des gants en coton avec ses propres moyens'.

Il est enfin établi que le salarié a été placé, au titre des maladies professionnelles, en arrêt de travail le 6 mars 2017 jusqu'à la rupture de son contrat de travail le 17 juillet 2017 et que par arrêt en date du 29 avril 2022, la chambre sociale de la présente cour d'appel a, notamment, dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, cet arrêt retenant que l'employeur a gravement manqué à son obligation de sécurité ayant entraîné une aggravation de l'état de santé du salarié.

Les manquements réitérés de l'employeur dans son obligation de préserver son salarié du danger auquel l'exposait les manipulations de vêtements fabriqués en utilisant des produits reconnus toxiques par deux tableaux de maladies professionnelles, sont caractérisés à la fois par l'absence de dispositions prises pour aménager son poste de travail suivant les prescriptions du médecin du travail le 4 mai 2016 et par l'absence de mise à disposition, lors de la reprise du travail en décembre 2016, des gants de protection spécifiés par le médecin du travail.

Ces manquements sont à l'origine à la fois des deux maladies professionnelles reconnues et de la dégradation de sa pathologie allergique, avec un nouvel arrêt de travail prescrit le 6 mars 2017.

Ils caractérisent la faute inexcusable de la société [20] qui ne pouvait d'autant moins ignorer le risque professionnel auquel était exposé M. [A] que les avis du médecin du travail avant même la reconnaissance du caractère professionnel de ses pathologies, comportaient des restrictions qu'elle n'a pas respectées.

Par infirmation du jugement entrepris, la cour juge que les maladies professionnelles de M. [A] prises en charges au titre des tableaux 15 Bis et 65 sont imputables à la faute inexcusable de la société [20].

2 -Sur les conséquences de la faute inexcusable :

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, ainsi qu'à une majoration de la rente.

Par ailleurs, il doit également être tenu compte de l'incidence des arrêts rendus le 20 janvier 2023 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (21-23947 et 20-23673).

Il résulte des dispositions de l'article L.452-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, que la caisse récupère le capital représentatif de la majoration de la rente auprès de l'employeur et l'article L.452-3 dernier alinéa dispose que la réparation des préjudices de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

La cour fixe la majoration du capital représentatif de la rente servie à M. [A] à son taux maximum.

L'expertise médicale sollicitée est effectivement nécessaire pour évaluer les conséquences dommageables des maladies professionnelles, au sens des dispositions précitées et de la décision du conseil constitutionnel.

Compte tenu des éléments médicaux soumis à son appréciation, la cour fixe à 3 000 euros le montant de l'indemnisation provisionnelle.

La présente décision doit être déclarée commune à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui fera l'avance de la provision allouée et des frais d'expertise et pourra en récupérer le montant ainsi que la majoration de la rente, en application des dispositions des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [A] les frais qu'il a été contraint d'exposer pour sa défense, ce qui justifie de lui allouer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l'expertise ordonnée, les dépens doivent être réservés en fin de cause.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que deux maladies professionnelles prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie le 24 novembre 2016 au titre des tableaux 15 Bis et 65 des maladies professionnelles sont dues à la faute inexcusable de la société [20],

- Fixe au maximum la majoration du capital de la rente,

- Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices de M. [F] [A]:

- Ordonne une expertise médicale,

* Commet pour y procéder:

le docteur [B] [X]

[Adresse 11]

[Localité 9]

Tél : [XXXXXXXX04]

Fax : [XXXXXXXX03]

Mèl : [Courriel 17]

et à défaut

le docteur [H] [C] [H]

[Adresse 13]

[Localité 9]

Tél : [XXXXXXXX02]

Port. : [XXXXXXXX05]

Mèl : [Courriel 18]

et à défaut

le Docteur [E] [G] épouse [O]

[Adresse 10]

[Localité 9]

Tél : [XXXXXXXX06]

Mèl : [Courriel 15]

tous trois inscrits sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence,

avec pour mission de :

- Convoquer, dans le respect des textes en vigueur, M. [F] [A],

- Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de M. [F] [A] et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieur à la maladie et sa situation actuelle,

- A partir des déclarations de M. [F] [A], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins,

- Recueillir les doléances de M. [F] [A] et au besoin de ses proches, l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de M. [F] [A], à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par elle,

- Analyser dans un exposé précis et synthétique :

* la réalité des lésions initiales,

* la réalité de l'état séquellaire,

* l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur déjà révélé,

- Tenir compte de la date de consolidation fixée par l'organisme social,

- Préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale:

* Souffrances endurées temporaires et/ou définitives:

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif:

Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice d'agrément:

Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir, en distinguant les préjudices temporaires et définitif,

* Perte de chance de promotion professionnelle:

Indiquer s'il existait des chances de promotion professionnelle qui ont été perdues du fait des séquelles fonctionnelles,

- Préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale:

* Déficit fonctionnel temporaire:

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d'une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d'hospitalisation.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

* Assistance par tierce personne avant consolidation:

Indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire, avant consolidation, pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne, préciser la nature de l'aide prodiguée et sa durée quotidienne,

* Déficit fonctionnel permanent:

Evaluer pour la période postérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie, les souffrances physiques et morales permanentes et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve,

* Frais de logement et/ou de véhicule adaptés:

Donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap,

* Préjudices permanents exceptionnels:

Dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents,

* Préjudice sexuel:

Indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité),

- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,

- Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

- Dit que l'expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

- Dit que l'expert déposera au greffe de la cour son rapport dans le délai de six mois à compter de sa saisine,

- Désigne le président ou le magistrat chargé d'instruire de la 4ème chambre section 8 A de la cour pour surveiller les opérations d'expertise,

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône doit faire l'avance des frais de l'expertise médicale avec faculté de recours contre l'employeur en versant au Régisseur d'avances et de recettes (RIB : Code banque [XXXXXXXXXX07] Code guichet [XXXXXXXXXX08] N° de compte [XXXXXXXXXX01] Clé RIB 38 Domiciliation TP [Localité 19]) de la cour d'appel la somme de 1 500 euros à titre de provision à valoir sur sa rémunération, et ce dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt,

- Alloue à M. [F] [A] une indemnité provisionnelle de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône fera l'avance des sommes allouées à M. [F] [A] ainsi que des frais d'expertise et pourra en récupérer directement et immédiatement les montants auprès de la société [20], en ce compris la majoration de rente,

- Condamne la société [20] à payer à M. [F] [A] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, cette indemnité étant entièrement distraite au profit de Me Biville-Aubet, avocat,

- Renvoie l'affaire à l'audience de la chambre 4-8 A du 22 avril 2025 à 9 heures,

- Dit que les parties devront déposer et communiquer leurs conclusions selon le calendrier de procédure suivant :

- 31 décembre 2024 pour l'appelant,

- 31 mars 2025 pour les intimés,

- Réserve les dépens en fin de cause.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/10265
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;22.10265 ?
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