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14/03/2024 | FRANCE | N°21/10630

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-5, 14 mars 2024, 21/10630


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024



N° 2024/ 72



MAB/KV









Rôle N° RG 21/10630 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHZZL







S.A.S.U. TK ELEVATOR FRANCE





C/



[X] [W]











Copie exécutoire délivrée

le : 14/03/24

à :



- Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS



- Me Céline CECC

ANTINI, avocat au barreau de NICE

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRASSE en date du 02 Juillet 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00253.





APPELANTE


...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2024

N° 2024/ 72

MAB/KV

Rôle N° RG 21/10630 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHZZL

S.A.S.U. TK ELEVATOR FRANCE

C/

[X] [W]

Copie exécutoire délivrée

le : 14/03/24

à :

- Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

- Me Céline CECCANTINI, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRASSE en date du 02 Juillet 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00253.

APPELANTE

S.A.S.U. TK ELEVATOR FRANCE (THYSSENKRUPP ASCENSEURS), demeurant [Adresse 10]

représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS substituée par Me Elvire MARTINACHE, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [X] [W], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Céline CECCANTINI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2024.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

M. [X] [W] a été engagé par la société CG2A en qualité de technicien niveau III échelon 3 coefficient 240, à compter du 28 octobre 2002, par contrat à durée indéterminée. Le contrat a ensuite été transféré à la société TK Elevator France.

La société TK Elevator France étant spécialisée dans la fabrication de matériel de levage et de manutention, les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de la métallurgie de la région parisienne. La société TK Elevator France employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

Suite à un incident survenu sur un ascenseur le 30 mai 2015, la société TK Elevator France a initié une procédure de licenciement pour faute grave à l'encontre de M. [W], mis à pied de manière conservatoire le 2 juin 2015 et convoqué à un entretien préalable fixé le 9 juin 2015. Le 12 juin 2015, le comité d'entreprise, saisi en raison du statut de salarié protégé de M. [W], a émis un avis défavorable sur la mesure de licenciement envisagée. Le 24 juillet 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser la mesure de licenciement de M. [W].

Suite à sa réintégration, M. [W] a été placé, le 31 juillet 2015, en arrêt maladie pour syndrôme anxio-dépressif. Lors d'une visite de reprise le 2 décembre 2015, M. [W] a été déclaré par le médecin du travail 'inapte à son poste de technicien de maintenance au sein de la société ' apte à un poste équivalent dans un autre contexte organisationnel', puis le 16 décembre 2015 'inapte définitivement à son poste de technicien de maintenance ainsi qu'à tout poste au sein de l'entreprise. Apte à un poste équivalent dans un autre contexte organisationnel'.

Sur recours hiérarchique formé le 22 septembre 2015 par la société TK Elevator France, le ministre du travail, par décision du 14 janvier 2016, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 24 juillet 2015, en raison de son incompétence territoriale, et refusé le licenciement de M. [W], en raison du non-respect par l'employeur des délais de procédure pour saisir la Direccte.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable fixé le 3 mars 2016, M. [W], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 mai 2016, a été licencié pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement.

Le 4 avril 2018, M. [W], contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, a saisi la juridiction prud'homale, afin d'obtenir diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement de départage rendu le 2 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Grasse:

- a jugé le licenciement de M. [W] sans cause réelle et sérieuse,

- a condamné la société TK Elevator France à lui verser les sommes suivantes :

4888 euros bruts à titre de préavis,

488,80 euros bruts de congés payés y afférents,

35 000 euros nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le remboursement par la société TK Elevator France à Pôle Emploi des indemnités de chômage dans la limite de 6 mois et prononcé l'exécution provisoire du jugement.

La société TK Elevator France a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 avril 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter M. [W] de ses demandes et de condamner l'intimé au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'appelante fait valoir qu'aucun comportement fautif ne peut lui être reproché, sa décision d'engager une procédure de licenciement suite à l'incident du 30 mai 2015 et aux résultats de l'enquête diligentée étant légitime et n'ayant pu aboutir qu'en raison d'une erreur de procédure. Elle soutient également n'avoir nullement manqué à son obligation de sécurité et n'être pas responsable de l'inaptitude de M. [W], qui ne peut être considérée comme étant d'origine professionnelle. Enfin, la société allègue avoir respecté l'obligation de reclassement, en adressant à M. [W] une proposition validée par le médecin du travail.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 janvier 2022, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société TK Elevator France au titre de la requalication de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et y ajoutant, il sera alloué à M. [W] de ce chef la somme de 36 660 euros à titre indemnitaire, soit 15 mois de salaires,

- condamné la société TK Elevator France à régler à M. [W] la somme de 4 888 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis en sus de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (10%) : soit 488,80 euros,

- condamné la société TK Elevator France relativement à la méconnaissance de son obligation de santé et de sécurité à l'égard de M. [W] et y ajoutant, il sera alloué à M. [W] de ce chef la somme de 29 328 euros, soit 12 mois de salaires,

Et condamner la société TK Elevator France à régler à M. [W] une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en sus des entiers dépens.

L'intimé réplique que son inaptitude trouve son origine dans les comportements fautifs de l'employeur, et notamment dans la volonté de la société TK Elevator France de le licencier pour faute grave, afin de masquer ses propres manquements, puis dans son acharnement à son encontre. Il sollicite par conséquent la confirmation du jugement qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'intimé sollicite par ailleurs une indemnisation liée aux manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, affirmant avoir subi un préjudice du fait de la perte de son emploi et de la dégradation de son état de santé.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement du 19 mai 2016 est ainsi motivée :

'Je fais suite à notre courrier recommandé de convocation du 22 février 2016 et à l'entretien préalable du 3 mars 2016 qui a eu lieu à 11h30 dans les locaux de notre agence Côte d'Azur en présence de M. [F] [I], délégué syndical.

Je vous rappelle les termes de cet entretien.

Vous occupez au sein de notre établissement un poste de technicien de maintenance, coefficient 240 de la convention collective OETAM région parisienne, depuis le 28/10/2002.

Vous êtes en arrêt de travail depuis le 31 juillet 2015.

Le 2/12/2015, à l'occasion d'une visite médicale du travail 'de reprise', le médecin du travail vous a déclaré : 'inapte à son poste de technicien de maintenance au sein de la société. Apte pour un poste équivalent dans un autre contexte organisationnel'.

En date du 15/12/2015, une étude de poste a été effectuée par le médecin du travail.

Le 16/12/2015, le médecin du travail a indiqué dans son 2ème avis médical : 'inapte définitivement à son poste de technicien de maintenance aini qu'à tout poste au sein de l'entreprise. Apte pour un poste équivalent dans un autre contexte organisationnel'.

Dans le respect des conclusions médicales, nous avons entamé une recherche de reclassement. Elle a été effectuée au sein de notre établissement Côte d'Azur, de notre entreprise et de notre groupe.

Le 12 janvier 2016, nous avons adressé au Docteur [J] (Ametra 06) les postes recensés à cette date afin de savoir s'ils étaient compatibles avec votre état de santé.

Il s'agissait pour la société ThyssenKrupp Ascenseurs de 3 postes de techniciens de maintenance situés à [Localité 6], [Localité 2] (Ag. Les Alpes), [Localité 3] (Ag. Côte d'Azur) et pour la société Thyssenkrupp Electrical Steel Ugo d'un poste de technicien order center basé à [Localité 4] (Pas-de-Calais).

Le médecin du travail nous a indiqué en retour qu'aucun poste de travail n'était compatible avec votre état de santé chez ThyssenKrupp Ascenseurs. Par contre, le poste proposé par la société ThyssenKrupp Electrical Steel Ugo lui paraissait compatible.

Pour examen des solutions possibles, une réunion des délégués du personnel a été organisée en date du 14 janvier 2016. Lors de cette réunion, ont été examinées les possibilités de reclassement pouvant vous être offertes, compte-tenu des préconisations médicales.

Les délégués du personnel n'ont pas fait de remarques particulières.

Le 26 janvier 2016, sous pli recommandé, un courrier de proposition de poste vous a été adressé reprenant le poste suivant :

Société ThyssenKrupp Electrical Steel Ugo

Poste CDD 6 mois en remplacement, basé à [Localité 4] (Pas-de-Calais)

Technicien order center au sein de la cellule 'spécification techniques - service client'

Temps plein 37h50 du lundi au vendredi (7h50 / jour)

Rémunération brute mensuelle : 1 524,80 euros - 13ème mois - prime de présence (600 euros brute en juin et décembre) - prime de vacances (800 euros en juin, au prorata des droits à congés payés) - prime de St Eloi (en décembre, correspond à environ 2 jours de salaire) - frais de santé et de prévoyance.

Convention collective sidérurgie (GESIM)

Un descriptif du poste vous a été communiqué et vous avez été informé que vous bénéficierez des formations nécessaires pour vous permettre l'accomplissement de cette fonction.

Par courrier recommandé du 8 février 2016, reçu en date du 11 février 2016, vous nous avez fait savoir que vous n'acceptiez pas le poste proposé.

Le 22 février 2016, compte tenu de la situation d'inaptitude physique médicalement constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement dans l'entreprise et dans d'autres entreprises du groupe, une convocation à l'entretien préalable à la décision envisagée de rupture de votre contrat de travail vous a été adressée.

Comme vous assurez un mandat de délégué du personnel, nous avons consulté le comité d'entreprise lors d'un CE extraordinaire qui s'est déroulé le 10 mars 2016 à 8h30. Celui-ci a émis un avis défavorable.

L'obligation de consultation étant satisfaite, nous avons envoyé le 4 mars 2016 la demande d'autorisation à l'inspection du travail concernant la rupture envisagée de votre contrat de travail.

Après enquête, l'inspection du travail de [Localité 7] nous a fait savoir par un courrier du 13 mai 2016, reçu dans nos locaux le 17 mai 2016, qu'elle nous autorisait à procéder à votre licenciement.

Puisque malgré une recherche de reclassement approfondie au sein de notre entreprise et de notre groupe, il s'avère qu'aucun poste adapté aux préconisations médicales n'est actuellement disponible et compte tenu de notre impossibilité de vous proposer d'autres postes que celui que nous avons déjà communiqué dans notre courrier du 26 janvier 2016 et que vous avez refusé, que l'inspection du travail a donné son accord à votre licenciement, nous avons le regret de vous annoncer que nous avons décidé de vous licencier pour inaptitude physique médicalement constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement dans l'entreprise et dans d'autres entreprises du groupe.

Compte tenu de votre inaptitude, vous ne pouvez effectuer de préavis. La date d'envoi de cette lettre de licenciement constituera la date de rupture de votre contrat de travail. (...)'

1- Sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude

M. [W] soutient que son inaptitude trouve son origine dans les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de loyauté, de telle sorte que le licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

* Sur les manquements de l'employeur à l'obligation de loyauté et de sécurité

En vertu des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'exécuter loyalement le contrat de travail.

En vertu de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.4161-1, par des actions d'information et de formation, et par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes et met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention définis par l'article L.4121-2.

Ainsi, il appartient à l'employeur tenu d'une obligation de moyen renforcée en matière de sécurité, d'établir qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail destinées à garantir la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

Pour reprocher à la société TK Elevator France des manquements qui seraient à l'origine de son inaptitude, M. [W] fait valoir que :

- l'employeur s'est acharné à vouloir mener à terme une procédure de licenciement pour faute grave, malgré l'avis défavorable du comité d'entreprise et le refus de l'inspection du travail d'autoriser cette mesure, en raison de l'absence d'éléments suffisants déterminant sa responsabilité dans l'accident survenu le 30 mai 2015 ; que cette procédure visait à dissimuler les propres carences de l'employeur, dans la mesure où les techniciens n'étaient pas équipés d'outils adaptés et des moyens utiles et que les procédures de contrôle nécessaires n'étaient pas mises en place,

- l'employeur a fait dresser un constat d'huissier le 8 juin 2015 sur l'état de son véhicule, alors qu'il avait été mis à pied le 2 juin 2015 et que le recours à un huissier est inhabituel, et que lors de sa réintégration dans l'entreprise, il a subi un contrôle disproportionné et vexatoire de son véhicule, des remarques désobligeantes et une forte pression de son employeur.

M. [W] produit :

- le courrier adressé le 26 juin 2015 par les syndicats CGT et CFE CGC à l'inspecteur du travail, - la décision de l'inspecteur du travail du 24 juillet 2015,

- l'attestation sur l'honneur délivrée par M. [S] [A] le 29 avril 2017, sécrétaire du CHSTC province de ThyssenKrupp ascenseurs France,

- l'enquête réalisée par les membres CGT du CHSTC TKAF province sur le 'presque accident' du 30 mai 2015,

- le rapport n°27 réalisé par M. [D] et daté du 4 juin 2015,

- le rapport d'intervention sur le site de la résidence des chênes le 8 juin 2015,

- le compte-rendu du comité d'entreprise extraordinaire du 12 juin 2015,

- l'attestation sur l'honneur délivrée par M. [F] [I], membre du comité d'entreprise,

- l'attestation sur l'honneur délivrée par M. [O] [V] le 30 septembre 2019,

- l'attestation sur l'honneur délivrée par M. [N] [Y] le 2 octobre 2019,

- une attestation de M. [I] du 2 décembre 2022.

En réplique, la société TK Elevator France produit en complément :

- le rapport interne n°28,

- le procès-verbal de constat d'huissier du 8 juin 2015,

- l'évaluation annuelle de M. [W] de janvier 2014,

- l'attestation de M. [U] [B], directeur d'agence, du 13 mai 2019,

- le carnet de maintenance de mai 2005,

- le carnet de maintenance préventive de septembre 2014,

- la procédure visite longue 1 de septembre 2014,

- la procédure visite longue 2 de septembre 2014,

- la note du 5 novembre 2015,

- le livre de sécurité des techniciens.

** sur le manquement lié à la procédure de licenciement engagée pour faute grave

M. [W] reproche à son employeur d'avoir poursuivi de manière abusive la procédure de licenciement à son encontre, malgré l'avis défavorable du comité d'entreprise, considérant que cette procédure visait à dissimuler ses propres carences en termes de sécurité. En réplique, la société TK Elevator France soutient que la procédure de licenciement a été légitimement engagée.

Il est constant que la société TK Elevator France a pris la décision d'une mise à pied conservatoire et de l'engagement d'une procédure de licenciement, dès le rapport interne préliminaire réalisé par M. [D], assistant technique régional, suite à l'intervention du 1er juin 2015 consécutif au 'presque accident' de la veille. Dans l'entretien préalable du 9 juin 2015, l'employeur explique ainsi que 'la VS2 a été effectuée par vos soins en date du 16/01/2015. Si elle avait été faite dans les règles de l'art, cet incident qui aurait pu avoir des conséquenes graves ne se serait pas produit. De plus, la vérification des câbles n'a pas été effectuée puisqu'il ressort du rapport de M. [D] que les câbles sont de diamètre 11 au lieu de 10, comme indiqué sur la plaque signalétique de l'arcade et la poulie de traction'.

Il n'est nullement contesté par le salarié que la dernière visite de contrôle a été effectuée par ses soins le 16 janvier 2015, ni que les câbles s'avéraient être de 11 mm au lieu de 10 mm.

En revanche, l'analyse selon laquelle l'incident trouve son origine dans les manquements de M. [W] lors de cette visite de contrôle s'est trouvée contredite par le rapport diligenté par le CHSTC et par les échanges intervenus lors de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise le 12 juin 2015, qui s'est conclu unanimement par un avis défavorable à la mesure de licenciement.

Au contraire, les enquêtes réalisées suite à l'incident du 30 mai 2015 développaient des préconisations à l'attention de l'employeur, pour améliorer les procédures de sécurité et la dotation en matériel à disposition des techniciens.

Ainsi, le rapport interne complet finalisé le 4 juin 2015 par M. [D], assistant technique régional, note :

'L'incident est dû à des câbles de tractions (11 mm) non adaptés pour la poulie de traction (gorges de 10 mm) sur le moteur de levage et des serre-câbles (10 mm) plus petit que le diamètre de ceux-ci, fait par le prestataire précédent qui a remplacé le groupe de levage et les câbles de traction, à une défaillance d'entretien et des vérifications des câbles de tractions et des attaches'

et conclut :

'- les visites de sécurité 1 et 2 qui doivent être effectuées 2 fois par an n'ont pas été effectuées correctement depuis plusieurs années,

- l'état général de l'appareil montre que l'entretien et le nettoyage n'ont pas été faits depuis longtemps. (Cela fait partie de nos obligations contractuelles)

- l'état de la machinerie n'est pas sécurisant pour les intervenants (risque de chute),

- le coffret de manoeuvre n'est pas fermé (risque d'électrisation)

' Faire un audit de qualité sur les appareils des tournées des techniciens'.

Le rapport d'enquête du CHSTC conclut pour sa part : 'Afin d'éviter un accident grave d'intervenants TKAF ou d'usagers, le CHSTC demande à la direction de l'entreprise ThyssenKrupp ascenseurs de prendre les mesures de prévention suivantes :

- rechercher la réglementation ascenseurs concernant :

le calcul des espaces entre serre-câbles

le nombre de serre-câbles en fonction du diamètre du câble

le couple de serrage des écrous des serre-câbles

- intégrer dans nos procédures montage, modernisation, travaux TXR et SAV ascenseurs cette réglementation,

- réaliser une campagne de vérifications sur le parc ascenseur TKAF avec la pose d'une affichette proche de la fixation des câbles (si fixation à base de serre-câble) indiquant la date et le nom du vérificateur'.

Lors de la réunion du comité d'entreprise, plusieurs représentants du personnel appelaient l'attention de l'employeur sur l'absence de procédures adaptées et sur l'absence d'outils nécessaires pour procéder avec précision à toutes les mesures. Ainsi M. [A] indiquait : 'la procédure standard : celle-ci prévoit de vérifier uniquement la présence et l'état des serre-câbles. Il n'est inscrit nulle part qu'il faille vérifier le serrage, ni même l'écart entre les serre-câbles. C'est l'un des points expliquant la chute de la cabinet.. (...) De plus, si la procédure prévoyait de tels contrôles, il faudrait alors équiper les techniciens d'outils adaptés : tout écrou doit être serré à un couple précis, qu'il faut donc connaître et pour vérifier ce couple de serrage, il faut une clé dynamométrique dont ne disposent pas les techniciens, ne sachant pas répondre ni retrouver l'information par lui-même et à ce jour le CHSTC n'a toujours pas reçu une réponse officielle de l'entreprise. (...) Ces contrôles de serrage et d'écarts entre les serre-câbles n'étaient pas non plus mentionnés dans l'ancienne méthode SAV, pas plus qu'au montage ou à la réparation'.

Lors de son audition devant le comité d'entreprise, M. [W] faisait lui-même valoir : 'Cela fait 12 ans que je suis chez Thyssen. Je n'ai pas à me prononcer sur mon propre sort, mais je souhaiterais que cet accident serve à ce que les procédures de contrôle des câbles soient complétées et que les techniciens disposent d'outils adaptés. A ma connaissance, la plupart des concurrents ne disposent pas non plus de procédures de ce type. Nous faisons régulièrement des demandes de travaux qui ne sont pas effectués. Je voudrais que les procédures de contrôle soient revues et que les responsables effectuent davantage de contrôle'.

Ces éléments sont corroborés par les attestations de M. [I], membre du comité d'entreprise : 'Dans l'outillage des techniciens, il n'y a pas de clé dynamométrique permettant d'exécuter ce type d'opération. Il est à noter que suite à cet incident grave, la procédure interne TKAF a été modifiée' et 'la procédure sur les faits reprochés n'existait pas à l'époque telle qu'elle a été modifiée après le presque accident. Pour répondre aux questionnements du client sur cet incident, ThyssenKrupp ascenseurs (à l'époque) a vite trouvé 2 boucs émissaires avec les techniciens qui intervenaient principalement (ils n'étaient pas les seuls) sur le parc. Ce qui est factuel, c'est qu'à ce jour, les techniciens de maintenance de TKE ne sont toujours pas en possession de clé dynamométrique nécessaire à la vérification du couple de serrage sur ce type d'installation malgré la modification et la mise à jour de la procédure de maintenance' et l'attestation de M. [A], sécrétaire du CHSTC : 'nous avions constaté un manquement dans les procédures de l'entreprise. (...) J'ai exposé le risque de danger grave pour l'entreprise s'il n'y avait pas de modification immédiate des procédures de contrôle des terminaisons de câble de traction des ascenseurs, avec un risque important pour les usagers et aussi pour les techniciens intervenant sur les toits des cabines et dans les cuvettes d'ascenseurs', 'l'entreprise, contrairement à notre démonstration du risque, n'a pas agi en prévention', 'face à l'absence de réaction de l'entreprise, le CHSTC TKAF province a émis un danger grave et imminent sur le risque pour les intervenants du fait que les contrôles de terminaisons n'étaient pas correctement effectués en suivant la procédure TKAF, lors de la réunion trimestrielle du 7 juillet 2017. Dans ce courrier, le CHSTC demandait de ne plus intervenir sur et sous la cabine sans avoir revérifié le serrage des terminaisons et de modifier les procédures de maintenance afin de prévenir du risque'.

Pour expliquer la poursuite, par l'employeur, de la procédure de licenciement, malgré ces échanges et l'avis défavorable unanimement rendu par le comité d'entreprise, M. [W] verse les attestations suivantes :

- les attestations de M. [I] : 'j'ai bien compris que les dés étaient pipés avant même le début de la procédure. TKAF avait besoin d'un bouc émissaire afin de dégager sa responsabilité engagée dans le 'presque accident' incriminé, alors même que la procédure interne TKAF ne prévoyait pas de contrôler l'assemblage des serres câbles.', 'pendant toute la durée du CE, est à nouveau apparue la volonté farouche de la direction de licencier M. [W] afin de 'protéger ses arrières sur un plan strictement réglementaire et judiciaire',

'Par la suite, au cours d'une de mes venues à [Localité 8], à ma demande 'pourquoi autant d'acharnement envers M. [W] alors même que sa responsabilité n'a pas à être engagé', M. [B], directeur de l'agence, m'a avoué que la demande de licenciement pour l'exemple venait de sa hiérarchie (DR) et que lui voulait à l'origine partir sur une mise à pied disciplinaire de 3 ou 5 jours', 'la société ThyssenKrupp Ascenseurs France a été impitoyable et surtout INJUSTE et MALVEILLANTE dans la façon dont elle a traité M. [W]'

- l'attestation de M. [V] : 'Je confirme par la présente que les dires de M. [I] concernant le dossier de M. [W] sont exacts. En effet, lors d'un repas auquel nous avions été conviés après une réunion des délégués du personnel à [Localité 8], M. [B] nous a confié que la demande de licenciement pour l'exemple venait de sa hiérarchie et lui voulait à l'origine partir sur une mise à pied disciplinaire de 3 à 5 jours'.

La société TK Elevator France se contente de contester les dires de M. [I] et de M. [V] sur le motif du licenciement, en fournissant une attestation de M. [B], ancien directeur d'agence : 'réfute la totalité des propos rapportés précisant un prétendu aveu de ma part sur le licenciement de M. [W]. La demande de mise à pied et de licenciement a été faite par moi-même, sans aucune demande de quiconque. Cette demande faisait suite à des manquements professionnels graves et non contestables', et ne justifie nullement avoir mis en oeuvre les préconisations élaborées, notamment en mettant à disposition des techniciens les outils nécessaires, pour prévenir les risques à l'avenir tant pour les usagers que pour ses salariés, conformément à son obligation de sécurité. A la lecture des pièces produites, la seule démarche alors réalisée a été la poursuite de la procédure de licenciement notamment à l'encontre de M. [W].

La saisine de l'inspecteur du travail, pour autoriser le licenciement de M. [W], salarié protégé, s'est conclue par une décision rejetant la demande de l'employeur en ces termes, s'agissant de l'ascenseur qui a chuté :

'Considérant que rien de spécifique n'est indiqué dans le rapport concernant l'appareil AM90451V où l'incident s'est produit, hormis une appréciation générale sur les cinq appareils : 'J'ai constaté des défaillances de contrôle des câbles de suspension, poulies tendeuses des organes de sécurité principale des appareils' ;

Considérant que cette description n'est pas assez exhaustive pour déterminer avc exactitude l'origine de l'incident sur l'appareil AM90451V ;

(...)

Considérant à ce propos que le CHSTC a fait un droit d'alerte le 7 juillet 2015, en demandant au président du CHSTC province : 'que les procédures de vérification des serres câbles soient écrites dans le détail des opérations demandées aux techniciens de maintenance' ;

Considérant qu'à propos du serrage des câbles, la direction ne nie pas que ce contrôle ne figure pas dans les gammes de maintenance de ThyssenKrupp Ascenseurs mais indique que ce n'était pas ce qui était demandé, dans le cas d'espèce, à M. [W], l'important étant la vérification de l'état des câbles (notamment leur diamètre) car ceux-ci ont glissé et n'étaient pas dans la gaine ;

(...)

Considérant que d'après les explications communiquées, le cale fourche est un instrument de contrôle des câbles mais pas un instrument de mesurage exhaustif du diamètre des câbles ; que dans ce cadre un technicien pourrait ne pas détecter la présence d'une installation d'un câble de 11 mm ou d'une installation d'un câble de 10 mm (même lors d'une visite VS2), le seul but de ce contrôle étant de vérifier à quel 'niveau' le câble est distendu ;

Considérant que la direction a transmis une copie du rapport de l'expert du client qui indique, dans la partie '3. Cause probable' : (...)

Considérant que ce rapport ne précise pas avec exactitude l'origine de l'accident, même s'il est indiqué que le serrage des câbles doit faire partie des vérifications périodiques ;

(...)

Considérant dès lors que l'absence du document (VPCT), il est difficile pour un technicien d'avoir un aperçu sur l'existant, d'identifier notamment les non conformités de l'appareil nécessitant d'être levées;

(...)

Considérant au regard de l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus : rapport interne et rapport de l'expert du client non exhaustifs, incertitudes sur l'origine exacte de l'incident (mauvais diamètre des câbles, non serrage des serres câbles) défaut de transmission de la VPCT, nombreuses interventions sur un appareil soumis à des actes de vandalisme, que les faits sont insuffisamment étayés pour établir l'entière responsabilité de M. [W] dans la survenance de l'accident ;

Considérant dès lors que ces éléments insuffisamment circonstanciés sont insuffisants pour justifier le licenciement pour faute grave de M. [W] ;

(...)'

Il s'ensuit que l'employeur a reproché à son salarié une faute grave, alors même qu'il avait connaissance des rapports établis, en interne, par le CHSTC mais également par l'expert du client qui n'établissaient pas formellement l'origine de l'accident et donc la responsabilité de M. [W], et alors même que les rapports et échanges particulièrement fournis lors du comité d'entreprise l'alertaient sur l'absence de faute de celui-ci, de procédure adéquate et d'outils appropriés au sein de l'entreprise. La société TK Elevator France a pourtant poursuivi la procédure de licenciement, au lieu de prendre en considération les préconisations élaborées dans un souci de sécurité des usagers et des salariés. Ce faisant, la société TK Elevator France a commis un manquement à ses obligations contractuelles de loyauté et de sécurité à l'égard de son salarié.

** sur le recours à un constat d'huissier le 9 juin 2015

M. [W] soutient ensuite que le recours à un constat d'huissier, pour prouver des manquements de sa part, s'apparente à un acharnement de la part de l'employeur, cette procédure étant inédite.

M. [A] atteste ainsi : 'j'ai appris que le directeur de l'agence Côte d'Azur (M. [B]) avait fait intervenir un huissier afin de constater l'état du véhicule de M. [W]. Ce fait est totalement inédit dans notre entreprise à ma connaissance et révélateur d'un acharnement afin de trouver des griefs pour seul but de justifier le licenciement de M. [W]. D'autant que ce constat d'huissier a été réalisé plusieurs jours après la mise à pied conservatoire de M. [W], sans que celui-ci n'ait accès à son véhicule de service'.

Si le constat d'huissier établit d'ailleurs que le véhicule se trouve dans un grand état de désordre, ce grief sera évoqué en ces termes lors du comité d'entreprise extraordinaire du 12 juin 2015: 'M. [I] CGT : le véhicule de M. [W] fait fonction de lieu de stockage pour le peu de stock tampon dont disposent les techniciens pour la maintenance de ce site.'

M. [A] CGT : 'il faut savoir que le véhicule de M. [W] sert de véhicule de stockage pour un autre collègue' , 'Vous n'êtes pas sans ignorer que certains techniciens de votre agence n'ont pas de véhicule de service. Il faut bien que toutes les pièces soient transportées, surtout dans ces quartiers où les techniciens doivent souvent remplacer des pièces. De plus, il faut du temps pour ranger son véhicule, ce qui est rarement possible avec une moyenne de 6 interventions de dépannage à effectuer par jour et un parc de près de 120 ascenseurs situé dans des quartiers sensibles'.

La décision de l'inspecteur du travail reconnaît que ces faits constituent 'un manquement professionnel de M. [W] mais que ces faits sont insuffisants pour justifier le licenciement pour faute grave de M. [W]'.

Malgré le contexte déjà évoqué et les circonstances dans lesquelles la procédure de licenciement a été poursuivie avec détermination par l'employeur, nonobstant les oppositions et les alertes, le recours par la société TK Elevator France à un constat d'huissier peut s'entendre et se justifier pour asseoir des preuves et ne revêt pas en soi un caractère déloyal.

** sur le contrôle effectué sur le véhicule et les circonstances de la réintégration de M. [W] le 30 juillet 2015

M. [W] reproche enfin à la société TK Elevator France les circonstances de sa réintégration au sein de l'entreprise le 30 juillet 2015, suite à la décision de l'inspecteur du travail de ne pas autoriser son licenciement, et notamment d'avoir fait procéder à un contrôle poussé de son véhicule et d'avoir exercé une pression sur sa personne. En réplique, l'employeur rétorque que le livret 'check list d'audit sécurité' prévoyait une partie sur l'état du véhicule.

Ce document comporte en effet deux questions relatives à l'état du véhicule :

'Le véhicule est-il en bon état général ' (propre, bon état des pneux, rétroviseurs, phares, pare brise, triangle et gilet jaune...)

Le rangement intérieur (habitacle, coffre) est-il correct ''.

Les attestations produites par M. [W] décrivent ainsi les conditions de la réintégration du salarié :

- attestation de M. [A]: 'Le jour de sa reprise, le 30 juillet 2015, M. [W] a subi un audit de son véhicule (qu'il récupérait après plusieurs mois de procédure) effectué par le responsable maintenance ascenseur, M. [K], et il a récupéré sa tournée d'entretien dans le même état que laissé le 2 juin !!!'

- attestation de M. [I] : 'lors de sa reprise le 30 juillet 2015, il a été accueilli très froidement par M. [K] [M] (éminence grise de l'agence) qui a effectué un audit de véhicule et d'outillage en tenant des propos blessants pouvant s'apparenter à des menaces', 'Cette pression étant insupportable, lors de la visite de reprise auprès du médecin du travail, ce dernier ne l'a pas autorisé à reprendre le travail dans ces conditions. L'entêtement de TKAF à vouloir se séparer de M. [W] a eu pour effet de le détruire psychologiquement'.

- attestation de M. [Y] : 'Le 31 juillet 2015 à 9h30, à sa demande, j'ai assisté M. [W] pour sa reprise de travail à la suite de sa mise à pied conservatoire en tant que délégué du personnel de l'agence de [Localité 9].

M. [B] ne nous a pas reçu malgré la longue absence de M. [W] et sa demande par mail, ainsi que ma demande de nous voir.

C'est M. [K], responsable maintenance ascenseur, qui nous a reçu. Il a bien pris note du retour de M. [W] et lui a rendu son téléhone, son PDA, et les clefs de son véhicule de service. Il nous a informé qu'il allait faire un contrôle du véhicule.

Pendant près de deux heures, M. [W] a subi un contôle poussé (...)

Au cours de ces contrôles, M. [W] a dû supporter les remarques désobligeantes de M. [K] qui lui a bien fait comprendre, par sous-entendus, qu'il serait à partir de ce jour, sous surveillance renforcée. (...)'

Or, ce véhicule avait déjà fait l'objet d'une vérification de son état par l'employeur suite à la mise à pied conservatoire du 2 juin 2015 et notamment par constat d'huissier du 8 juin 2015. Il n'est pas contesté qu'entre-temps, le véhicule n'a pas été utilisé, ni son état modifié, de telle sorte que le contrôle du véhicule, son caractère minutieux et sa durée, n'étaient nullement nécessaires.

Deux attestations font également état de la pression exercée par la hiérarchie de l'entreprise à cette occasion par des propos 'blessants', 'désobligeants' évoquant des 'menaces' et une 'surveillance renforcée'.

Il ressort des pièces produites qu'en exerçant une pression sur son salarié, à l'occasion de sa réintégration, la société TK Elevator France a manqué à son obligation de loyauté et de sécurité lui imposant notamment de préserver la santé psychique de ses salariés.

Il s'ensuit que plusieurs manquements de la société TK Elevator France sont établis.

* Sur l'imputabilité de l'inaptitude de M. [W] à la société TK Elevator France

Le licenciement pour inaptitude d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

Il incombe au salarié de démontrer que les manquements de l'employeur sont à l'origine de son inaptitude.

M. [W] produit, pour établir le lien de causalité entre le comportement fautif de l'employeur et la dégradation de son état de santé :

- l'attestation de M. [I] : 'Cette pression étant insupportable, lors de la visite de reprise auprès du médecin du travail, ce dernier ne l'a pas autorisé à reprendre le travail dans ces conditions. L'entêtement de TKAF à vouloir se séparer de M. [W] a eu pour effet de le détruire psychologiquement. Ce dernier a donc été contraint de consulter des médecins (travail, traitant et psychiatre) qui lui ont prescrit des arrêts de travail renouvelés ayant conduit nM. [W] à se retrouver en situation de longue maladie. (...) Il était impossible à M. [W] de réintégrer son poste sans se mettre en danger vu que l'environnement professionnel était exactement le même que celui qui l'avait fait craquer le 30/07/2015',

- l'arrêt de travail du 31 juillet 2015 pour syndrome anxio-dépressif, celui du 4 août 2015 pour 'troubles anxiodépressifs réactionnels', le certificat du Dr [P] [G] du 28 août 2015 certifiant 'que l'état de santé de M. [X] [W] nécessite un arrêt de travail pour cause de maladie du 28/08 au 1/10/2015. Il est nécessaire vu son état de santé qu'il puisse séjourner pendant cette période d'arrêt maladie en famille au Maroc du 3/09 au 24/09/2015', et les arrêts de travail des 18 août 2015, 28 août 2015, 28 septembre 2015, 28 octobre 2015, 3 décembre 2015, le certificat du Dr [P] [G] qui atteste avoir 'suivi et traité M. [X] [W] du 13/08/2015 au 12/02/2016',

- des ordonnances du Dr [P] [G], psychiatre, des 28 octobre 2015, 24 novembre 2015, 10 octobre 2017,

- les avis d'inaptitude des 2 décembre 2015 et 16 décembre 2015.

Il ressort des pièces médicales produites par M. [W] que ce dernier s'est trouvé en arrêt de travail pour 'syndrome anxiodépressif réactionnel' dès le lendemain de sa réintégration au sein de l'entreprise, imposée par le refus émis par l'inspection du travail d'autoriser son licenciement. La lecture du relevé de ses absences pour l'année 2015 laisse apparaître que M. [W] n'avait bénéficié d'aucun arrêt maladie auparavant, entre le 1er janvier 2015 et le 31 juillet 2015.

Ces éléments, corroborés par les attestations produites, démontrent que l'arrêt de travail de M. [W] dès le 31 juillet 2015 est directement lié à la durée de sa mise à pied conservatoire, à la procédure de licenciement poursuivie par l'employeur et aux circonstances de son retour au sein de la société.

Les arrêts de travail ont par la suite été renouvelés sans discontinuité jusqu'au prononcé de son inaptitude 'à son poste de technicien de maintenance ainsi qu'à tout poste au sein de l'entreprise'. Le médecin du travail note cependant que M. [W] demeure apte à exercer un poste équivalent 'dans un autre contexte organisationnel'. L'inaptitude de M. [W] est ainsi en lien direct avec le contexte organisationnel de la société TK Elevator France.

En conséquence M. [W] parvient à démontrer un lien de causalité entre les comportements fautifs de TK Elevator France et la dégradation de son état de santé, cause de son inaptitude, établissant ainsi que l'inaptitude à l'origine du licenciement est consécutive aux manquements préalables de l'employeur à son obligation de sécurité et de loyauté.

Par conséquent, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2- Sur les conséquences indemnitaires de la rupture

* Sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité compensatrice de préavis

Selon l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.

M. [W] justifie de 13 ans d'ancienneté dans une entreprise qui emploie habituellement au moins 11 salariés.

En application de l'article susvisé, M. [W] est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

M. [W], âgé de 52 ans au moment de la rupture de son contrat de travail, justifie de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'au 2 novembre 2018, date à laquelle il a été embauché en qualité d'agent de maîtrise au sein d'un EHPAD [5].

Eu égard, à son âge, à son ancienneté dans l'entreprise, au montant de sa rémunération, aux circonstances de la rupture et à ce qu'il justifie de sa situation postérieure à la rupture, la cour confirme le jugement qui lui a alloué la somme de 35 000 euros au titre de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 4 888 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 488,80 euros au titre des congés payés afférents.

* Sur la demande de dommages et intérêts au motif d'une inaptitude consécutive aux agissements fautifs de l'employeur

Lorsque le comportement fautif de l'employeur est à l'origine d'une dégradation de l'état de santé du salarié et de l'inaptitude de celui-ci, l'intéressé peut se prévaloir d'un préjudice distinct de celui indemnisé au titre du licenciement (Soc., 2 mars 2011, n°08-44.977).

Faisant valoir la dégradation de son état de santé, ainsi que la situation financière délicate liée à la durée de la mise à pied conservatoire et à la perte de son emploi, M. [W] justifie d'un préjudice qui a été justement évalué par le jugement entrepris à hauteur de 15 000 euros.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société TK Elevator France sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 3 000 euros.

Par conséquent, la société TK Elevator France sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société TK Elevator France aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la société TK Elevator France à payer à M. [W] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société TK Elevator France de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-5
Numéro d'arrêt : 21/10630
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;21.10630 ?
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