COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 13 MARS 2024
N° 2024/ 138
N° RG 21/00879
N° Portalis DBVB-V-B7F-BGZ35
[Y] [G]
C/
Syndicat des copropriétaires de la communauté immobilière
LE ROCHECLAIR
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Michèle BARALE
Me Guillaume ROVERE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Décembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/03293.
APPELANTE
Madame [Y] [G]
née le 22 Juillet 1935 à [Localité 2] (41), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Michèle BARALE, avocat au barreau de NICE
INTIME
Syndicat des copropriétaires de la communauté immobilière LE ROCHECLAIR sis à [Localité 5]
représenté par son syndic en exercice, la SARL cabinet CERUTTI GESTION IMMOBILIERE, dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]
représenté et assisté par Me Guillaume ROVERE, membre de la SELARL CABINET ROVERE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Priscilla BOSIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2024.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2024, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Madame [Y] [G] est propriétaire occupante d'un appartement situé en rez-de-chaussée d'un immeuble en copropriété dénommé [Adresse 4], édifié [Adresse 1] à [Localité 5].
Dans le courant de l'année 2008, un inspecteur du service communal d'hygiène et de santé s'est déplacé à son domicile et a constaté que les aérations basses et hautes desservant les pièces de service donnaient directement dans le parc de stationnement couvert de l'immeuble, en violation des prescriptions du règlement sanitaire départemental. Une mise en demeure a ensuite été adressée au syndic aux fins de mise en conformité du logement.
Aucune suite n'ayant été donnée, Madame [G] a obtenu en référé la désignation d'un expert qui, aux termes d'un rapport rendu le 8 novembre 2010, a confirmé l'existence d'un vice de construction entraînant un risque d'inhalation de gaz toxiques de monoxyde de carbone et prescrit l'installation d'une ventilation mécanique débouchant en façade nord-est de l'immeuble.
Par jugement du 25 avril 2014, le tribunal de grande instance de Nice a condamné le syndicat des copropriétaires à réaliser les travaux préconisés par l'expert sous peine d'une astreinte provisoire courant pour une durée de six mois, ainsi qu'à verser à la requérante une somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice, outre 1.500 euros pour résistance abusive.
Le syndicat a mis en oeuvre une solution technique différente qui n'a pas donné satisfaction à Madame [G]. Un diagnostic commandé par l'intéressée auprès de la société RB DIAG courant mai 2016 a en effet conclu que le nouveau collecteur occasionnait encore un reflux des gaz d'échappement vers l'appartement, ainsi que l'accumulation de poussières chargées en métaux lourds au droit des aspirations de la VMC.
Par arrêt rendu le 31 mai 2018, la cour de céans a liquidé l'astreinte à la somme de 10.000 euros pour la période écoulée entre le 29 novembre 2014 et le 29 mai 2015 et prononcé une nouvelle astreinte provisoire pour une période de trois mois.
De nouveaux travaux ont alors été entrepris par le syndicat et réceptionnés le 28 septembre 2018, qui ont cette fois permis de remédier définitivement au problème.
Par acte du 15 juillet 2019, Madame [G] a saisi le tribunal judiciaire de Nice pour entendre condamner le syndicat des copropriétaires à lui payer la somme totale de 30.000 euros en réparation de ses préjudices, outre celle de 1.158 euros en remboursement de la facture de la société RB DIAG.
Le syndicat a opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de chose jugée. Subsidiairement au fond, il a conclu au rejet de l'ensemble des prétentions adverses.
Par jugement rendu le 15 décembre 2020, le tribunal a écarté la fin de non-recevoir au motif que la requérante était en droit de poursuivre la réparation des préjudices nés postérieurement à sa précédente décision du 25 avril 2014, et condamné le syndicat des copropriétaires à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de son préjudice de jouissance, outre celle de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance. Le premier juge a rejeté en revanche le surplus de ses prétentions en considérant que les autres préjudices allégués n'étaient pas établis.
Madame [G] a interjeté appel principal de cette décision, le syndicat des copropriétaires formant pour sa part appel incident.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 29 décembre 2023, Madame [Y] [G] fonde ses demandes sur l'article 1240 du code civil et rappelle que l'astreinte est indépendante des dommages-intérêts.
Elle soutient que le premier juge n'a pas fait application du principe de réparation intégrale du préjudice, dès lors que les premiers travaux réalisés par le syndicat n'étaient pas conformes au jugement rendu le 25 avril 2014 et n'ont pas fait disparaître les risques d'intoxication au monoxyde de carbone mis en évidence par l'expert judiciaire, mais ont au contraire créé un nouveau risque lié à l'accumulation de poussières chargées en métaux lourds ainsi qu'il résulte du diagnostic de la société RB DIAG, dont les conclusions ont été admises par la cour de céans dans son précédent arrêt du 31 mai 2018.
Elle précise qu'elle a été de ce fait contrainte de quitter son appartement pour être hébergée chez un ami résidant en Normandie entre le 3 décembre 2016 et le 18 septembre 2018.
Elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré son action recevable et retenu le principe de la responsabilité du syndicat, mais de l'infirmer pour le surplus en condamnant l'intimé à lui verser :
- 10.000 euros au titre de son préjudice d'anxiété,
- 12.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et de l'atteinte à ses conditions de vie,
- 10.000 euros au titre de son préjudice moral,
- 1.158 euros en remboursement de la facture de la société RB DIAG.
Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel en sus de l'indemnité allouée en première instance, outre ses entiers dépens.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 30 novembre 2023, le syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic en exercice la société CERUTTI GESTION IMMOBILIÈRE, fait valoir que le retard pris dans la réalisation des travaux ne procède pas d'une mauvaise volonté de sa part, mais du refus du copropriétaire voisin de laisser passer les gaines de ventilation par sa cave, alors que l'intéressé avait donné son accord de principe au cours des opérations d'expertise.
Il considère d'autre part que les conclusions de la société RB DIAG ne lui sont pas opposables en raison de leur caractère non contradictoire et sont en outre contestables d'un point de vue technique.
Il soutient enfin que l'appelante ne démontre pas la réalité des préjudices qu'elle invoque, ni leur lien de causalité avec la faute alléguée.
Il forme appel incident et demande à la cour de débouter l'appelante de l'ensemble de ses prétentions, ainsi que de la condamner à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2024.
DISCUSSION
L'intimé ne conteste plus en cause d'appel la recevabilité de l'action, le premier juge ayant justement retenu à cet égard que l'autorité de chose jugée attachée au précédent jugement rendu le 25 avril 2014 ne faisait pas obstacle à l'exercice d'une nouvelle action tendant à la réparation des préjudices nés postérieurement à cette décision.
Madame [G] reproche en effet au syndicat des copropriétaires de ne pas avoir installé une ventilation mécanique conforme aux prescriptions de l'expert judiciaire, homologuées par ledit jugement, mais d'avoir au contraire aggravé son préjudice ainsi qu'il résulte du diagnostic technique émis par la société RB DIAG. En effet, selon ce document, les premiers travaux réalisés par le syndicat n'ont pas fait disparaître les risques d'intoxication au monoxyde de carbone, mais ont au contraire créé un nouveau risque lié à l'accumulation de poussières chargées en métaux lourds.
L'intimé considère pour sa part que ce rapport ne lui est pas opposable en raison de son caractère non contradictoire.
La cour ne peut cependant refuser de le prendre en considération dès lors qu'il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion des parties. Ses conclusions sont en outre confirmées par un constat d'huissier dressé le 7 janvier 2016, faisant état de l'accumulation d'une poussière constituée de particules fines sur le sol et les meubles de l'appartement malgré un nettoyage quotidien.
Il convient d'autre part de relever que le syndicat n'a jamais répondu aux demandes du service d'hygiène et de santé de la Ville de [Localité 5] lui réclamant une attestation de conformité des travaux de la part d'un organisme indépendant.
En outre la cour de céans, précédemment saisie du contentieux de la liquidation de l'astreinte, a retenu la force probante du rapport RB DIAG en considérant que le syndicat des copropriétaires n'avait pas satisfait à l'injonction judiciaire, et l'intimé en a tiré les conséquences en procédant à de nouveaux travaux qui ont mis cette fois un terme aux désordres.
Il convient donc de considérer que le syndicat a commis une faute ayant occasionné à Madame [G] un préjudice qui s'est perpétué jusqu'à la réception de l'installation définitive intervenue le 28 septembre 2018.
L'intéressée a d'abord subi un préjudice de jouissance lié au caractère insalubre du logement, ainsi qu'un préjudice d'anxiété en raison du risque d'intoxication au monoxyde de carbone clairement mis en évidence par l'expert judiciaire.
Puis elle a dû être hébergée chez un ami résidant à l'autre bout de la France entre le 24 septembre 2016 et le 11 septembre 2018, subissant ainsi une atteinte incontestable à ses conditions de vie alors qu'elle était déjà âgée de plus de 80 ans (cf attestations de [P] et [B] [F]).
Le préjudice moral invoqué en sus par l'appelante est une composante des préjudices ci-dessus analysés et n'appelle pas une indemnisation distincte.
Enfin, la demande en remboursement de la facture de la société RB DIAG a déjà été formulée dans le cadre du contentieux de la liquidation de l'astreinte et l'arrêt précédemment rendu par la cour, revêtu de l'autorité de chose jugée, a décidé de la prendre en compte au titre des frais irrépétibles de l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné le syndicat des copropriétaires à verser à Madame [Y] [G] une somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance, outre les dépens de l'instance et une indemnité de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Condamne en outre le syndicat des copropriétaires à verser à Madame [G] la somme de 4.000 euros en réparation de l'atteinte portée à ses conditions de vie et celle de 2.000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété,
Déboute l'appelante du surplus de ses prétentions,
Y ajoutant, condamne le syndicat des copropriétaires aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT