COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT
DU 12 MARS 2024
N° 2024/ 109
Rôle N° RG 23/13271 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMCBG
[W] [R]
L'ASSIM
C/
[I] [F]
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Me Laurence SPORTES
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état de GRASSE en date du 29 Septembre 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 22/00412.
APPELANTS
Monsieur [W] [R], placé sous le régime de sauvegarde de justice par décision du Juge des Contentieux de la protection du Tribunal de proximité de Cagnes-sur-Mer du 26 janvier 2023
né le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 8] - [Localité 3]
Association ASSIM, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, désignée à la sauvegarde de Monsieur [W] [R],
domiciliée [Adresse 7] - [Localité 1]
tous deux représentés par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE,
INTIMÉE
Madame [I] [F]
née le [Date naissance 5] 1953 à [Localité 10] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 6] - [Localité 2]
représentée par Me Laurence SPORTES , avocate au barreau de GRASSE substitué par Me Marie-monique CASTELNAU, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 6 Février 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Nicolas FAVARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2024,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par jugement rendu le 22 janvier 2015, le tribunal correctionnel de Grasse a condamné solidairement M.[W] [R] et Mme [I] [F] à payer à Mme [J] [O] [D] la somme de 98'917 €, outre celle de 1500 €, en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé cette décision par arrêt du 27 octobre 2015.
Une inscription hypothécaire a été pratiquée sur le bien immobilier de Mme [I] [F] le 5 mai 2015, pour un montant de 101'000 €, en exécution d'une ordonnance de référé du 3 avril 2015, suspendant l'exécution provisoire sous cette condition.
Sur saisie immobilière, par jugement d'adjudication du 6 juin 2019, le bien appartenant à Mme [I] [F] a été vendu au prix de 95 000 €.
Par assignation du 17 janvier 2022, Mme [I] [F] a fait citer M. [W] [R], devant le tribunal judiciaire de Grasse, afin d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de :
- 46'491,50 €, au titre de sa créance subrogatoire
- 54'008,48 €, à titre de dommages-intérêts correspondant la moitié des frais réglés par elle
- 5000 €, de dommages et intérêts pour préjudice moral
- 10'000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile
ainsi qu'aux dépens.
L'ASSIM est intervenue volontairement à la procédure en sa qualité de mandataire spécial.
Par conclusions transmises le 21 septembre 2022 au juge de la mise en état, M. [W] [R] a soulevé la prescription entraînant l'irrecevabilité des demandes.
Par ordonnance rendue le 29 septembre 2023, ce magistrat a:
- Dit que l'action engagée par Mme [I] [F] au titre du recours subrogatoire est irrecevable comme prescrite,
- Rejeté pour le surplus les fins de non-recevoir opposées par M.[W] [R] et son mandataire, l'ASSIM,
- Dit que l'action personnelle de Mme [I] [F] dirigée contre M.[W] [R] est recevable,
- Condamné M.[W] [R] représenté par l'ASSIM à payer à Mme [I] [F] la somme de 1 500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration transmise au greffe le 23 octobre 2023, M.[W] [R] a relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions transmises le 30 janvier 2024, par l'appelant.
Il considère sur la prescription de l'action subrogatoire que :
- le point de départ de la prescription de l'action subogatoire doit être fixé à l'inscription d'hypothèque du 5 mai 2015 qui a consacré l'immobilisation du patrimoine immobilier de Mme [F] au-delà de sa quote-part au titre des condamnations solidaires.
- l'action de la personne subrogée dans les droits de la victime est soumise à la prescription
applicable à l'action de la victime et que le point de départ de l'action du subrogé est donc identique à celui qu'aurait utilisé le créancier.
- la cour de cassation a donc refusé de fixer le point de départ de la prescription à la date du paiement subrogatoire, en raison de l'effet translatif consubstantiel à la subrogation.
- le paiement intervenu au profit de Mme [D] au moyen du prix d'adjudication, ne l'a pas desinteressée de l'intégralité de sa créance.
- si elle se prétend subrogée dans les droits de la victime, il lui appartient de demander directement l'exécution du jugement correctionnel qui est possible pendant dix ans.
M.[W] [R] fait valoir sur la prescription de l'action personnelle que:
- le point de départ de la prescription quinquennale d'une action en responsabilité délictuelle
se situe à la date de l'assignation délivrée à l'encontre du demandeur et non à la date du dommage réalisé par sa condamnation.
- le dommage dont Mme [F] demande réparation, s'est manifesté au moins dès l'inscription hypothécaire du 5 mai 2015
Il ajoute que les frais d'avocat sont prescrits et que Mme [I] [F] n'a pas qualité pour réclamer le solde restant dû à la victime qu'elle ne justifie pas avoir payé et qu'elle ne justifie, dès lors, d'aucun interêt à agir à son encontre pour les conséquences d'une condamnation prononcée contre elle-même.
Vu les conclusions transmises le 31 janvier 2024, par Mme [I] [F].
Elle soutient que :
-la prescription de l'action fondée sur la subrogation ne peut commencer à courir avant le paiement subrogatoire intervenu en l'espèce le 6 juin 2019, date du jugement d'adjudication.
- la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu'il a payé, la créance et ses accessoires. Elle précise ne pouvoir mettre à exécution la décision rendue par la cour d'appel le 27 octobre 2015, dont le dispositif ne mentionne que la victime comme bénéficiaire.
- préalablement à la vente de son bien, elle s'était déjà acquittée d'une somme de 3.950,00 €, de sorte que Madame [D] a donc été totalement désintéressée de la somme totale de de 98.950€ (95 000€ + 3.950€).
-le recours subrogatoire prévu par l'article 1317 du code civil n'exige pas le paiement intégral de la dette du créancier et demeure parfaitement recevable, dès lors qu'un codébiteur solidaire justifie avoir payé au-delà de sa part.
Mme [I] [F] rappelle que le coauteur qui a payé l'intégralité de l'indemnité due à la victime dispose, aussi d'une action personnelle contre son coauteur et souligne sur ce point
que :
-Le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité extracontractuelle est la manifestation du dommage, soit en l'espèce au jour du jugement d'adjudication le 6 juin 2019.
- selon l'article 2234 du code civil , la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure et qu'en l'espèce, la subrogation n'a transmis la créance au subrogé qu'à la date du paiement qu'elle implique.
- le jugement d'orientation ayant ordonné l'adjudication a été rendu le 4 octobre 2018.
Elle expose que :
- M.[R] soulève, pour la première fois en cause d'appel, la prescription des frais de procédure.
- elle justifie disposer d'un intérêt à agir sur le préjudice financier lié à la saisie de son bien immobilier et sur le montant résiduel réclamé par la victime.
- l'appréciation de son préjudice est une condition du succès de son action mais non une condition de sa recevabilité.
SUR CE
Aux termes de l'article 2224 du Code civil les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Mme [I] [F] réclame en premier lieu à M.[R] de lui payer sa part sur la dette issue de leur condamnation solidaire par le tribunal correctionnel, en application des dispositions de l'article 1317 du code civil.
Ce texte édicte que celui qui a payé au-delà de sa part dispose d'un recours contre les autres à proportion de leur propre part.
La possibilité d'exercer le recours apparaît donc bien lié au paiement par l'un des débiteurs solidaires au-delà de sa part sans que soit exigé que le créancier ait été entièrement désintéressé.
La date de l'inscription d'hypothèque judiciaire le 5 mai 2015 qui constitue seulement une prise de garantie et ne permet pas de présumer du montant susceptible d'être réglé dans le cadre d'une vente forcée ne peut être retenu en l'espèce comme point de départ du délai de prescription.
L'arrêt rendu le 2 février 2022 par la Cour de cassation, dans le cadre de l'action de l'assureur subrogé dans les droits de la victime, n'est pas transposable à l'action spécifique, ouverte au bénéfice d'un des débiteurs solidaires à l'égard des autres prévue par l'article 1317 du Code civil.
Le point de départ du délai de prescription pour exercer le recours contre le codébiteur solidaire doit être fixé à la date du paiement effectivement réalisé qui est intervenu du fait du jugement d'adjudication du 6 juin 2019, ayant fixé le prix de vente du bien.
Le recours en remboursement fondée sur l'article1317 du Code civil, exercée par une assignation du 17 janvier 2022 doit en conséquence être déclaré recevable.
Mme [I] [F] réclame en second lieu sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, la condamnation de M.[W] [R] à des dommages et intérêts;
Le point de départ du délai de prescription d'une action en responsabilité courte à compter de la manifestation du dommage qui est également en l'espèce la date du jugement d'adjudication du bien immobilier appartenant à Mme [I] [F].
Il en résulte que l'action fondée sur la responsabilité civile délictuelle engagée par l'assignation susvisée doit être déclarée recevable.
Il résulte des dispositions des articles 122 et 123 du code de procédure civile que la fin de non-recevoir tirée de la prescription peut-être soulevée en tout état de cause.
Les justificatifs relatifs aux honoraires d'avocats communiqués par Mme [I] [F] étant tous antérieurs à l'année 2017, les demandes formées à ce titre doivent être déclarées prescrites.
Les fins de non recevoir fondées sur le défaut de qualité ou d'intérêt à agir soulevées par M.[W] [R] et motivées par l'absence de justificatif de paîement ou de lien avec lui relèvent de l'appréciation du fond de l'affaire échappant aux compétences du magistrat de la mise en état.
Il y a lieu d'observer sur ce point que Mme [I] [F] justifie de la vente aux enchères forcée de son bien immobilier et soutient que celle-ci aurait pu être évitée si M.[W] [R] avait déféré pour sa part à la condamnation tribunal correctionnel.
L'autorité de la chose jugée ne peut être invoquée à partir de condamnations aux frais irrépétibles.
L'ordonnance est infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable le recours subrogatoire et confirmée pour le surplus.
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance déférée, en ce qu'elle a déclaré irrecevable le recours subrogatoire,
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare recevable l'action engagée par Mme [I] [F] sur le fondement des dispositions de l'article 1317du Code civil,
La confirme pour le surplus.
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de Mme [I] [F] relatives aux honoraires d'avocats.
Condamne M.[W] [R] à payer à Mme [I] [F], la somme de 2 500 €, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne M.[W] [R] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT