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08/03/2024 | FRANCE | N°23/02985

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 08 mars 2024, 23/02985


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND

-RENVOI APRES CASSATION-



DU 08 MARS 2024



N°2024/ 48





RG 23/02985

N° Portalis DBVB-V-B7H-BK3GC







[S] [M] veuve [H]





C/



S.A.R.L. SUD PRESSING

















Copie exécutoire délivrée

le 8 Mars 2024 à :



-Me Laure DAVIAU, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Martine PANOSSIAN, avocat au bar

reau de MARSEILLE











Décisions déférées à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Marseille en date du 06 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00472.

Arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence en date ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

-RENVOI APRES CASSATION-

DU 08 MARS 2024

N°2024/ 48

RG 23/02985

N° Portalis DBVB-V-B7H-BK3GC

[S] [M] veuve [H]

C/

S.A.R.L. SUD PRESSING

Copie exécutoire délivrée

le 8 Mars 2024 à :

-Me Laure DAVIAU, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Martine PANOSSIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décisions déférées à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Marseille en date du 06 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00472.

Arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 14 Février 2020

Arrêt de la Cour de cassation en date du 14 Septembre 2022

APPELANTE

Madame [S] [M] veuve [H], agissant en qualité d'ayant droit de feu M. [I] [H], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Laure DAVIAU, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.R.L. SUD PRESSING, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Martine PANOSSIAN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Aziza OUSSMOU, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Décembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère, chargéEs du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2024.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

M. [I] [H] a été engagé par la société Sud Pressing à compter du 2 janvier 2003 en qualité de chauffeur livreur d'abord à temps partiel puis à compter du mois de mars 2005 à temps complet.

En arrêt de travail pour maladie depuis février 2012, il a été déclaré inapte à son poste de travail par deux avis du médecin du travail des 30 avril et 17 mai 2013.

Le salarié, convoqué en entretien préalable à un éventuel licenciement, n'a pu s'y rendre

pour raison de santé et est décédé le 9 juillet 2013.

En sa qualité d'ayant droit de son défunt époux, Mme [S] [M] veuve [H] a saisi

la juridiction prud'homale le 26 décembre 2013 de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 6 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Marseille a statué ainsi :

Déclare recevable la demande de Mme [H], ayant droit de M. [I] [H],

Déclare prescrites les demandes antérieures au 26 décembre 2010 quant au paiement de salaires ou rappels de salaires,

Condamne la société SUDPRE à verser à Mme [H], ayant droit de M. [H], décédé, les sommes suivantes :

- 66 € à titre de rappel de salaire correspondant à la rémunération de repos compensateur pour les heures effectuées en 2011,

- 1492,70 euros au titre de l'indemnité de panier pour la période du 26 décembre 2010 à février 2012,

- 800 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société à verser à Mme [H], ayant droit de M. [H], les salaires des mois de mai, juin et juillet 2013, ainsi que les indemnités de congés payés afférentes, en deniers et quittances, avec la remise des bulletins de salaire correspondants ;

Ordonne que tous ces versements soient régularisés sur un bulletin de salaire rectificatif qui sera remis à l'ayant droit,

Déboute Mme [H] de toutes ses autres demandes,

Déboute l'employeur de toutes ses demandes,

Condamne la partie défenderesse aux dépens.

Par arrêt du 14 février 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant sur l'appel de ce jugement formé par Mme [H], a :

- confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Sud pressing à payer à Mme [S] [M] veuve [H] aux sommes suivantes :

- 66 euros au titre de rappel de salaires correspondant à la rémunération du repos compensateur 2011,

- 1492.70 euros au titre de l'indemnité de panier pour la période du 26 décembre 2010 à Février 2012

- 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- déclaré irrecevables les demandes de Mme [H] fondées sur le non-respect de la procédure de licenciement, la demande de dommages et intérêts pour violation des dispositions légales au titre du temps partiel, la demande de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à la durée du travail et repos compensateur, lesquelles étant des demandes nouvelles en cause d'appel;

- débouté Mme [H] de sa demande au titre de l'indemnité de panier et de sa demande au titre de rappel de salaires correspondant à la rémunération du repos compensateur,

- condamné la société Sud pressing à payer Mme [H] la somme de 164 euros au titre des congés payés non pris en 2011 par Monsieur [I] [H] au titre du fractionnement ;

- débouté la société Sud Pressing de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Mme [H];

- condamné Mme [H] à payer à la société Sud pressing la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour de cassation a été saisie d'un pourvoi principal de Mme [H], ès qualités, et d'un pourvoi incident de la société, dont elle s'est désistée.

Selon arrêt du 14 septembre 2022, la Cour de cassation a statué ainsi :

« CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [H] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies par son mari en qualité de livreur, d'une indemnité pour repos compensateur non pris et d'une indemnité pour travail dissimulé, en ce qu'il déclare irrecevables comme nouvelles les demandes de Mme [H] en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, de dommages-intérêts pour violation des dispositions légales au titre du temps partiel et de dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives à la durée du travail et au repos compensateur, et en ce qu'il condamne Mme [H] aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 14 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société Sud pressing aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sud pressing et la condamne à payer à Mme [H], ès qualités, la somme de 3 000 euros .»

La cour de renvoi a été saisie par déclaration du 22 février 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 28 février 2023, Mme [H] demande à la cour de :

« CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 6 juin 2017 sous le numéro de RG 16/00472 en ce qu'il a :

- déclaré recevable la demande de Madame [S] [H], ayant droit de Monsieur [I] [H], décédé ;

- condamné la SARL SUDPRE sous l'enseigne SUD PRESSING, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à verser à Madame [S] [H], ayant-droit de Monsieur [I] [H], décédé, les sommes suivantes :

- 66 € au titre du rappel de salaires correspondant à la rémunération du repos compensateur pour les heures effectuées en 2011.

- 800 € au titre des dispositions telles que prévues à l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné la SARL SUDPRE sous l'enseigne SUD PRESSING, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [S] [H], ayant-droit de Monsieur [I] [H] les salaires des mois de mai, juin et juillet 2013, ainsi que les indemnités de congés payés afférentes, en deniers et quittances, avec la remise des bulletins de salaire correspondants.

- ordonné que tous ces versements soient régularisés sur un bulletin de salaire rectificatif qui sera remis à Mme [S] [H], ayant-droit de Monsieur [I] [H].

- débouté la SARL SUDPRE de toutes ses demandes.

- condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 6 juin 2017 sous le numéro de RG 16/00472 en ce qu'il a :

- déclaré prescrites les demandes antérieures au 26 décembre 2010 quant au paiement de salaires ou rappels de salaire.

- débouté Madame [S] [H], ayant-droit de Monsieur [I] [H] de toutes ses autres demandes.

STATUER à nouveau :

CONDAMNER la société SUD PRESSING à payer à Madame [S] [H] les sommes suivantes:

- Rappel d'heures supplémentaires du 31 octobre 2011 au 19 février 2012 : 394,35 € bruts

- Congés payés y afférent : 39,43 € bruts

- Rappel d'indemnités pour perte de repos compensateurs obligatoires du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011 : 4.433,97 € nets

- Indemnité pour travail dissimulé (6 mois) : 9.240,00 € nets

- Dommages et intérêts pour violation des dispositions légales sur le temps partiel : 5.000,00 € nets

- Dommages et intérêts pour violation des dispositions sur la durée du travail et les jours de repos : 5.000,00 € nets

CONDAMNER la société SUD PRESSING à payer à Madame [S] la somme de 2.500 € à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure.

CONDAMNER la société SUD PRESSING aux entiers dépens. »

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 13 avril 2023, la société demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement du CPH de Marseille du 6 juin 2017 en ce qu'il a :

- CONDAMNER la société SUD PRESSING à payer à Madame [H] les sommes de 66 € au titre du repos compensateur pour les heures effectuées en 2011 et de 800 € au titre de l'article 700 du CPC;

- CONDAMNER la société SUD PRESSING à verser à Madame [H] les salaires des mois mai, et juillet 2013, ainsi que les indemnités de congés payés afférentes, en derniers et quittances, avec la remise des bulletins de salaire correspondants ;

- ORDONNER que tous ces versements soient régularisés sur un bulletin de salaire rectificatif qui sera remis à Mme [H] ;

- DEBOUTER la Sociéte SUD PRESSING de toutes ses demandes;

- CONDAMNER la société SUD PRESSING aux entiers dépens.

CONFIRMER le jugement du CPH de Marseille du 6 juin 2017 en ce qu'il a :

- Déclaré prescrites les demandes antérieures au 26 décembre 2010 quant au paiement de salaires ou rappels de salaire ;

- Débouté Madame [H] de toutes ses autres demandes ;

Et statuant à nouveau,

A TITRE PRINCIPAL,

- JUGER que Madame [H] ne rapporte pas la preuve de l'accomplissement, par Monsieur [H], d'heures supplémentaires ;

- JUGER prescrite, pour la période antérieure au 26 décembre 2008, la demande de rappel de repos compensateur ;

- JUGER prescrite la demande relative au non-respect du temps partiel portant sur une période antérieure à mars 2005 ;

- JUGER que Madame [H] ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur [H] n'a pas été mis en mesure de formuler des demandes de repos compensateurs ;

- JUGER que Madame [H] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ;

- JUGER que Monsieur [H] a été rempli de ses droits au titre des rémunérations de mai, juin et juillet 2013 ;

En conséquence,

- DEBOUTER Madame [H] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et du repos compensateur, et de ses demandes indemnitaires y afférentes ;

- DEBOUTER Madame [H] de ses demandes de versement, en deniers ou en quittance, des salaires de mai, juin et juillet 2013, congés payés afférents, et de remise de bulletins de paie correspondants

- DEBOUTER Madame [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER Madame [H] au versement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

- LAISSER les entiers dépens à la charge de Madame [H] ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

- JUGER erronés les calculs relatifs aux heures supplémentaires ;

- JUGER partiellement prescrite, pour la période antérieure au 26 décembre 2008, la demande de rappel de repos compensateur ;

- JUGER erronés, les calculs opérés au titre du repos compensateur ,

- JUGER l'absence de caractérisation de l'élément intentionnel au titre de travail dissimulé ;

- JUGER que la réalité et l'ampleur des préjudices allégués ne sont pas démontrés ;

En conséquence,

- DEBOUTER Madame [H] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et, en tout état de cause DEDUIRE les heures au titre de la semaine du 31 octobre 2011 au 6 novembre 2011,

- REDUIRE la demande Madame [H] au titre du repos compensateur à hauteur de 3.014,55 €;

- DEBOUTER Madame [H] de sa demande de dommages et intérèts au titre du travail dissimulé ;

- DEBOUTER Madame [H] de ses demandes de dommages et intérèts pour violation des dispositions légales sur le temps partiel, la durée du travail et les jours de repos, et en tout état de cause, LES REDUIRE à de plus justes proportions ;

- LAISSER les dépens à la charge de chacune des parties pour les dépens qu'elles ont déjà engagés.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur la saisine de la cour de renvoi

Il y a lieu de rappeler que si l'intérêt à agir de Mme [H] en sa qualité d'ayant-droit a été contesté par la société tant devant le conseil de prud'hommes que devant la cour, celle-ci a rendu un arrêt confirmatif sur la recevabilité de l'action, et l'arrêt de cassation n'a pas remis en cause ces dispositions, de sorte que la demande de confirmation du jugement à ce titre, est sans objet.

S'agissant des demandes soumises à la cour de renvoi, il y a lieu de constater que :

- Mme [H] a renoncé dans les écritures présentées à la cour de renvoi, à sa demande pour non respect de la procédure de licenciement,

- les demandes relatives à la prime de panier et à l'obligation de reclassement sont définitivement jugées, la décision du conseil de prud'hommes ayant été infirmée par la présente cour et ces dispositions n'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi,

- pour le harcèlement moral, les moyens du pourvoi de Mme [H] ont été rejetés.

Concernant le paiement des salaires de mai, juin et juillet 2013, il n'y a lieu ni d'infirmer ni de confirmer le jugement déféré, comme le demandent les parties, puisque la condamnation prononcée par le jugement n'a pas été remise en cause par la présente cour (cf page 8 de l'arrêt du 14/02/2020) qui a confirmé le jugement sur ce point, arrêt non atteint par un moyen de cassation sur ce point.

Sur la demande indemnitaire relative au temps partiel

Cette demande doit être déclarée recevable en application du principe de l'unicité de l'instance.

En revanche, comme l'invoque la société, une telle demande fondée sur l'absence d'indication d'un horaire précis dans le contrat, est atteinte par la prescription, puisque le temps partiel a pris fin en mars 2005, marquant le point de départ du délai de prescription et la Loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 ayant fixé celui-ci à 5 ans.

En conséquence, l'action introduite par Mme [H] le 26 décembre 2013 est prescrite.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1 , du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

En vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

L'ayant-droit de M.[H] verse aux débats :

- la lettre du 16/11/2011 dans laquelle le salarié réclamait à la suite de son avocat une copie de l'avenant au contrat de travail, précisant : « Depuis plusieurs mois, vous organisez chaque jour et heure à votre convenance, sans vous soucier des règles qui régissent le droit du travail.

Mon but n'est pas dans la recherche d'un conflit inutile, mais plutôt dans une meilleure organisation de mon travail, qui me permettrait de connaître à l'avance mes jours et horaires quotidiens que je devrais effectuer, et ce dans un respect de l'employeur et du salarié.

Je suis à votre disposition de 8 h à 19 h et ignore à chaque jour de travail, si je vais devoir effectuer 7-8-9 ou 10 heures. La journée est coupée par une pause vraiment aléatoire (1-2 ou 3 heures), ce qui m'empêche de m'organiser » (pièce 10),

- la lettre du 24/03/2012 aux termes de laquelle il réclamait des heures supplémentaires du mois de novembre 2011 au mois de février 2012 (pièce 13),

- un tableau détaillé des heures de travail effectuées par ce dernier de novembre 2011 à février 2012, comportant, pour chaque mois, les mentions de l'amplitude de ses horaires, jour par jour, des heures travaillées (pièce 45) et comptabilisant pour novembre 2011 : 6h10 d'heures supplémentaires , janvier 2012 : 9h15 et février : 9h30,

- des graphiques récapitulant les heures supplémentaires effectuées de 2008 à 2012 (pièce 49 &50) mentionnant que depuis qu'il a demandé une copie de l'avenant de son contrat, il n'est plus payé pour les heures supplémentaires,

- une copie d'agenda non lisible (pièce 51),

- des bons de livraison du linge dans les hôtels sur lesquels le salarié a mentionné ses horaires de fin de journée (pièce 47),

- des notes non datées établies par le salarié sur ses conditions de travail (pièces 20-29-46)

- ses bulletins de salaire des années 2011, 2010 et 2009 (pièces 42-43-44).

L'employeur fait valoir qu'il n'y a pas de droit acquis à l'accomplissement d'heures supplémentaires, que l'activité avait baissé et que le salarié n'était pas le seul chauffeur livreur.

Il conteste le décompte du mois de novembre 2011 ayant inclut à tort 7h au 1er novembre alors qu'il s'agissait d'un jour férié où M.[H] n'a pas travaillé.

Il dénonce des incohérences entre les allégations de l'ayant-droit et les pièces versées aux débats, soulignant qu'elle se contente de faire masse entre les heures d'arrivée et de départ en déduisant seulement les heures de déjeuner mais non les autres temps de pause.

Il produit :

- des attestations de salariées indiquant qu'elles n'avaient pas à se plaindre du comportement de Mme [K] qui a toujours payé les heures supplémentaires (pièces 14 & 15),

- une attestation d'une proche (pièce 16).

La cour relève que le tableau est détaillé et confirme les écrits de M.[H] qui indiquait ne pas savoir combien d'heures il devait effectuer chaque jour, son travail consistant selon la fiche de poste dressée par la médecine du travail (pièce 30) à ramasser le linge à nettoyer et à livrer le linge propre dans 23 hôtels situés sur [Localité 3] et ce, de 8h30 à 19h.

Il est manifeste que l'amplitude horaire était importante et que dans son tableau, le salarié a tenu compte de temps de pause supplémentaires à la pause déjeuner, alors que l'employeur est totalement défaillant dans la précision de leur fréquence et durée.

La cour relève que sur les années 2009 et 2010, le salarié a été rémunéré tous les mois a minima pour 17 heures supplémentaires, culminant à plus de 32 heures certains mois et qu'il en a été de même en 2011 jusqu'à fin octobre, de sorte que l'explication de la gérante sur la réduction de l'activité - au demeurant non étayée- n'est pas convaincante ; s'il y avait deux autres chauffeurs-livreurs à compter de novembre 2011, la cour observe qu'il s'agit de proches des dirigeants, embauchés tous deux à temps partiel.

En considération de l'ensemble de ces éléments, et en soulignant l'absence manifeste d'outils utilisés par l'employeur pour comptabiliser les heures de travail de ses salariés, et l'absence de tout élément permettant de contredire utilement les pièces présentées par le salarié, la cour a la conviction que M.[H] a effectué des heures supplémentaires dont la réalisation était rendue nécessaire par les tâches qui lui étaient confiées, qui n'ont pas été rémunérées.

Toutefois, pour la 1ère semaine de novembre, c'est à tort qu'ont été comptabilisées 7h de travail le 01/11/2011, s'agissant d'un jour férié chômé qui ne peut être assimilé à du temps de travail effectif, de sorte qu'il n'est dû aucune somme sur le mois de novembre 2011, s'établissant à 41,10 - 7 = 34h10.

En conséquence, il convient de fixer la créance, conformément au tableau figurant pages 11 & 12 des conclusions de l'ayant-droit, pour la période du 26/12/2011 au 19/02/2012, à la somme de 316,17 euros outre l'incidence de congés payés.

Sur le travail dissimulé

L'article L.8221-5-2° du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, si l'employeur a démontré sa négligence dans le suivi de la charge de travail du salarié sur la courte période de moins de trois mois sus-visée, il ne peut en être déduit qu'il a entendu dissimuler son activité.

Dès lors, la demande indemnitaire forfaitaire formée sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail doit être rejetée.

Sur l'indemnité pour repos compensateur non pris

Au visa des articles L.3121-30, L.3121-38 et D.3171-11 du code du travail et de l'accord du 29 juin 1999 annexé à la convention collective applicable, il est sollicité une indemnité pour dépassement du contingent de 110 heures, M.[H] n'ayant jamais été informé de son droit à des jours de repos compensateurs et s'étant trouvé dans l'impossibilité d'en bénéficier.

L'employeur invoque la prescription s'agissant de la demande portant sur les heures effectuées avant le 26 décembre 2008 et indique que les calculs opérés sont faux, le contingent de 130 heures devant être retenu, l'entreprise n'appliquant pas d'accord de modulation.

L'article 2224 du Code civil fixe le délai de prescription de droit commun des actions réelles et immobilières à 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; ce délai s'applique à toutes les actions qui ne relèvent d'aucun texte spécial.

En conséquence, l'année 2008 doit être exclue du calcul tel que présenté page 13 des conclusions de l'ayant-droit.

Dans la mesure où il n'est pas démontré que l'entreprise - au demeurant composée de moins de 11 salariés - pratiquait un accord de modulation, le contingent annuel d'heures supplémentaires s'établit à 130 heures et non 110 heures, comme sollicité par Mme [H].

La cour ajoute que cette dernière ne peut demander la confirmation du jugement entrepris, lui ayant alloué 66 € au titre d'un rappel de salaire correspondant à la rémunération du repos compensateur pour les heures effectuées en 2011, alors qu'elle inclut l'année 2011 dans son décompte global, étant relevé en outre que le calcul des premiers juges basé sur un contingent de 220 heures, était erroné.

Le salarié qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur en temps utile, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; celle-ci comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents.

En l'espèce, il est manifeste que l'employeur qui a régulièrement payé sur les années concernées, un nombre important d'heures supplémentaires, ne s'est pas conformé à son obligation d'information devant figurer sur le bulletin de salaire, de sorte que M.[H] n'a pas été mis en mesure durant l'exécution du contrat de travail, de faire sa demande en temps utile, avant son décès en février 2012, et en conséquence, l'action est fondée.

L'employeur, à titre subsidiaire, a repris les données chiffrées par Mme [H] sur les années non prescrites soit 2009-2010-2011, aboutissant, compte tenu du contingent, à 297 heures au taux horaire de 10,1536 € de sorte qu'il revient à l'ayant-droit, la somme de 3 015,62 + 301,56 = 3'317,18 euros.

Sur la demande indemnitaire pour violation des dispositions relatives à la durée du travail et au repos compensateur

Au visa des articles L.3132-1 & suivants du code du travail, il est reproché à l'employeur de n'avoir respecté ni la durée hebdomadaire de travail, ni la durée minimale de repos hebdomadaire, ni le repos dominical, ni le jour de repos contractuel, ni le repos compensateur obligatoire.

L'ayant-droit fait valoir que :

-entre 2008 et 2011, le temps de travail de M.[H] pouvait varier de 40 à 56 heures par semaine, produisant à l'appui des graphiques (pièces 49 & 50),

- le tableau en pièce 45 établit pour la période du 31 octobre 2011 au 28 février 2012, une fluctuation du temps de pause, des horaires, du temps de travail comme des amplitudes de travail et des jours de repos,

- la répartition des horaires était faite au jour le jour, sans délai de prévenance, et le temps de pause était également extrêmement variable (entre une et quatre heures par jour), ce qu'avait dénoncé le salarié, par écrit.

Elle produit à l'appui des certificats médicaux faisant état d'un syndrome anxio-dépressif dont son défunt époux souffrait du fait de ses problèmes professionnels (pièces 14 à 19).

L'employeur estime que que ces écritures sont en désaccord avec les revendications que M.[H] avaient formulées alors qu'il était encore en vie, que les juges du fond ont écarté l'existence d'une situation de harcèlement moral, relevant en outre l'absence d'automaticité du préjudice.

La cour relève, contrairement aux allégations de l'employeur, que M.[H] dans sa lettre du 16 novembre 2011, avait souhaité «une meilleure organisation de mon travail qui me permettrait de connaître à l'avance mes jours et horaires quotidiens que je devrais effectuer», et se plaignait d'être à disposition de 8 à 19h, ainsi que du manque de clarté sur la durée des pauses.

Outre le fait que la société n'a pas fait une réponse adéquate à ces préoccupations, les éléments déjà visés par la cour démontrent que M.[H] était soumis à des horaires tardifs et aucun élément n'est produit par l'employeur pour expliquer l'organisation mise en place, notamment quant aux temps de pause, de sorte qu'il n'établit pas que le salarié pouvait vaquer à ses occupations sur des plages horaires précises.

Il résulte des pièces médicales produites que dès le mois d'août 2011 (pièce 19), le salarié a consulté un psychiatre pour un état anxieux s'étant aggravé depuis novembre 2011 et pour lequel il a subi un traitement spécifique, distinct de celui nécessité par la découverte de sa maladie en février 2012.

Dès lors, il est démontré que les manquements avérés de l'employeur quant au respect de la durée du travail ont eu un retentissement sur sa santé et sa vie privée, générant un préjudice qui doit être fixé à la somme de 4 000 euros.

Sur les frais et dépens

L'employeur succombant même partiellement doit s'acquitter des dépens de l'entière procédure, être débouté de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à Mme [H] la somme supplémentaire de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2022,

Infirme, dans ses dispositions soumises à la cour, le jugement déféré SAUF en ce qu'il a rejeté la demande au titre du travail dissimulé, dans ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Déclare irrecevable comme atteinte par la prescription, la demande indemnitaire pour violation des dispositions légales au titre du temps partiel,

Déclare irrecevable comme atteinte par la prescription, la demande au titre des repos compensateurs, pour l'année 2008,

Condamne la société Sud Pressing à payer à Mme [S] [M] veuve [H], les sommes suivantes :

- 316,17 euros bruts au titre des heures supplémentaires pour la période du 26/12/2011 au 19/02/2012,

-31,62 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 3'317,18 euros nets au titre du préjudice subi au titre des repos compensateurs non pris,

- 4 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions sur la durée du travail et des jours de repos,

- 2 500 euros nets sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sud Pressing aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 23/02985
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;23.02985 ?
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