COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 08 MARS 2024
N°2023/043
Rôle N° RG 19/19443 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKQH
[R] [C]
C/
SAS AIRBUS HELICOPTERS
Association LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISE MITISME LICRA MARSEILLE METROPOLE
Association LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
Copie exécutoire délivrée
le : 08 Mars 2024
à :
Me Muriel DROUET, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Hanna REZAIGUIA, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Laure DAVIAU, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARTIGUES en date du 13 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00072.
APPELANT
Monsieur [R] [C], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Muriel DROUET, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
SAS AIRBUS HELICOPTERS, demeurant ARIBUS HELICOPTERS MARSEILLE PROVENCE - [Localité 4]
représentée par Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
Association LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISE MITISME LICRA MARSEILLE METROPOLE, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Hanna REZAIGUIA, avocat au barreau de MARSEILLE
Association LIGUE DES DROITS DE L'HOMME prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Laure DAVIAU, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, et Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante.
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2024, délibéré prorogé au 08 Mars 2024
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2024.
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [R] [C] a été embauché le 1er juillet 2008, avec reprise d'ancienneté au 1er avril 2008, par la société AIRBUS HELICOPTERS, en qualité de technicien d'atelier dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
La société AIRBUS HELICOPTERS compte plus de 10 salariés et relève de la convention collective régionale des industries métallurgiques des Bouches-du-Rhône et des Alpes-de-Haute-Provence.
Le 10 juin 2014 Monsieur [R] [C] a adressé au directeur des ressources humaines d'Airbus Group un courriel aux termes duquel il se plaignait d'injures à caractère raciste et islamophobe de la part de ses collègues de travail.
Monsieur [C] a été placé en arrêt de travail pour maladie (dépression) à compter du 12 juin 2014.
Le 13 juin 2014, Monsieur [R] [C] a déposé une plainte auprès des services de police pour : " injure publique envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine par parole, image, écrit ou moyen de communication par voie électronique ".
Il a réitéré une plainte le 18 octobre 2014 après classement de sa plainte antérieure pour défaut d'identification des auteurs.
Monsieur [C] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement disciplinaire fixé au 4 septembre 2014.
Monsieur [R] [C] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec AR en date du 2 octobre 2014.
En dernier état de la relation contractuelle, Monsieur [C] occupait le poste de technicien d'atelier, niveau IV, échelon 1, coefficient 255 de la convention collective des industries métallurgiques des Bouches du Rhône et des Alpes de Hautes Provence (entreprises de plus de 10 salariés) et bénéficiait d'une rémunération mensuelle brute de base d'un montant de 2 572 € pour un horaire mensuel de 151,67 heures.
Estimant que son licenciement est nul en raison des faits de harcèlement moral qu'il a subis et que la société AIRBUS HELICOPTERS a manqué à son obligation de prévention des faits de harcèlement moral, Monsieur [R] [C] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 août 2015 de demandes indemnitaires outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; subsidiairement il sollicitait de voir le licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse, les griefs retenus par l'employeur n'étant pas établis.
La ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (ci-après la LICRA) et la ligue des droits de l'Homme (ci après LDH) sont intervenues volontairement à l'instance.
Par jugement en date du 13 septembre 2019, dont la date de notifiation à M [C] est ignorée, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Martigues a :
Dit que le licenciement de Monsieur [R] [C] par la AIRBUS HELICOPTERS est fondé sur une cause réelle et sérieuse
Débouté Monsieur [R] [C] de l'ensemble de ses demandes .
Débouté l'association Ligue des droits de l'Homme de l'ensemble de ses demandes .
Débouté l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme de l'ensemble de ses demandes ;
Débouté la société AIRBUS HELICOPTERS de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;
DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Condamné in solidum M. [C], la ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et la ligue des droits de l'homme à payer à la société AIRBUS HELICOPTERS la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné in solidum les défenderesses aux entiers dépens
Par déclaration enregistrée au RPVA le 20 décembre 2019 M [C] a interjeté apppel du jugement dont il sollicite l'infirmation dans chacun des chefs de son dispositif.
Aux terme de ses ultimes conclusions déposées et notifiées par RPVA le 7 septembre 2020 il demande à la cour de
Réformer le jugement de départage du Conseil de prud'hommes de MARTIGUES en date du 13 septembre 2019, en ce qu'il a notamment :
- Dit que le licenciement de Monsieur [R] [C] par la société AIRBUS HELOCOPTERS est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
- Débouté Monsieur [R] [C] de l'ensemble de ses demandes ;
- Débouté l'association Ligue des droits de l'homme de l'ensemble de ses demandes ;
- Débouté l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme de l'ensemble de ses demandes ;
- Débouté la société AIRBUS HELICOPTERS de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;
- Condamné in solidum Monsieur [C], l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et l'association Ligue des droits de l'homme à payer à la société AIRBUS HELICOPTERS la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné in solidum les défenderesse aux entiers dépens ;
Déclarer la société AIRBUS HELICOPTERS recevable mais mal fondée en son appel incident,
L'en débouter,
En conséquence,
Débouter la société AIRBUS HELICOPTERS de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau,
À titre principal :
Dire et juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Monsieur [R] [C] est nul .
Condamner la société AIRBUS HELICOPTERS à verser à Monsieur [R] [C] unesomme de 100.000,00 euros, nets de CSG/CRDS, à titre d'indemnité pour licenciement nul .
À titre subsidiaire :
Dire et juger que le licenciement Monsieur [R] [C] est sans cause réelle et sérieuse
Condamner la société AIRBUS HELICOPTERS à verser à Monsieur [R] [C] une somme de 100.000,00 euros, nets de CSG/CRDS, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause :
Dire et juger que la société AIRBUS HELICOPTERS a manqué à son obligation de prévention des faits de harcèlement moral.
Condamner la société AIRBUS HELICOPTERS à verser à Monsieur [R] [C] une somme de 35.000,00 euros, nets de CSG /CRDS, à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention des faits de harcèlement moral ;
Condamner la société AIRBUS HELICOPTERS au paiement de la somme de 4.000,00 euros,au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société AIRBUS HELICOPTERS aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par Maître DROUET, avocat au Barreau de MARSEILLE,conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes il expose
'Qu'il a été victime de harcèlement moral à caractère racial discriminatoire au sein de l'entreprise de la part de ses collègues de travail se matérialisant par des inscriptions racistes sur les murs des sanitaires, son vestiaire ou sa boite à outils sans que l'employeur, alerté par courrier en date du 10 juin 2014, n'intervienne.
Que les faits sont matériellement établis par les photographies versées aux débats et les attestations de MM [T], [L] et [I] et ont porté atteinte à sa santé ainsi que le démontre l'arrêt maladie.
' Que l'enquête menée par l'employeur suite à la dénonciation des faits n'est pas probante dès lors qu'il n'a pas été procédé à son audition ce qui explique la lettre d'exaspération adressée à l'employeur le 28 aout 2017. Que l'employeur n'a pris aucune mesure pour faire cesser le harcèlement subi.
' Que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse car
- le grief lié à l'altercation du 4 juin 2014 est prescrit et en toute hypothèse inexistant en l'absence de menace physique ou verbale
- le grief lié à l'altercation du 10 juin 2014 n'est pas établi à défaut d'identification du collègue avec lequel elle aurait eu lieu
- l'imputation d'une dissimulation d'un perçage mal positionné effectué en février 2014 est constestée en ce qu'elle aurait été constatée 4 mois après la réalisation en dépit des contrôles qualité
- que si il a adressé ses arrêts maladie avec retard en raison de son état dépressif il a néanmoins pris soin de prévenir sans délai ses supérieurs.
- l'utilisation de son ' tag médical ' n'est pas de son fait mais imputable à son collègue avec lequel il covoiturait, lequel l'a utilisé pendant son arrêt maladie.
' Que la demande de l'employeur au titre de l'article 700 vise en réalité à sanctionner le droit d'ester en justice qui est un droit fondamental.
Par conclusions d'intimée N°2 déposées et notifiées par RPVA le 29 juin 2020 la société AIRBUS HELICOPTERES demande à la cour de
DIRE ET JUGER que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Monsieur [C] est justifié,
DIRE ET JUGER que Monsieur [C] n'a jamais été victime de harcèlement moral ou de discrimination,
DIRE ET JUGER qu'en tout état de cause, la Société AIRBUS HELICOPTERS n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
DEBOUTER Monsieur [C] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul d'un montant de 100.000 €
DEBOUTER Monsieur [C] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 100.000 €
DEBOUTER Monsieur [C] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention des faits de harcèlement moral d'un montant de 35.000 €
DEBOUTER Monsieur [C] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile d'un montant de 4.000 €
DEBOUTER Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions.
CONFIRMER la condamnation solidaire de Monsieur [C], la LICRA et la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME à la somme de 1000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la première instance,
Y AJOUTER
LES CONDAMNER solidairement à hauteur de Cour, à la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Les condamner aux dépens
Elle fait valoir que
'Les griefs invoqués dans la lettre de licenciement sont fondés
- que M [C] a eu deux altercations successives avec des collègues de travail ( M [G] et M [B]) les 4 et 10 juin 2014 en violation de l'article 5.3 du règlement intérieur
Qu'au cours de l'altercation du 4 juin il a insulté M [G] qu'il a ensuite menacé par SMS de sorte que M [G] est allé déposer une main courante.
Que le 10 juin les chefs d'équipe ont du intervenir pour faire cesser des propos agressifs adressés à M [B]
- Que le salarié n'a pas respecté les procédures de fabrication
Qu'en effet un inspecteur qualité a découvert le 5 juin 2014 des trous parasites volontairement dissimulés par du mastic et des rivets sur la pièce LIT 001 dont l'opérateur d'assemblage était M. [C] ainsi qu'il ressort d'un ordre de fabrication du 6 février 2014 portant le tampon d'autocontrôle du salarié et des témoignages de collègues de travail. Qu'ainsi M [C] a manqué à son obligation de loyauté.
- Que c'est postérieurement à ce constat que le salarié à dénoncé un harcèlement à caractère raciste.
- Que le salarié a justifié tardivement ses absences et omis de justifier son absence au delà du 31 aout 2014 contrairement aux dispositions de l'article 12.1 du règlement intérieur.
- Qu'il n'a pas prévenu la société et a ainsi désorganisé le service
- Que le salarié s'est rendu complice d'une utilisation frauduleuse de son tag médical lui permettant d'accéder au site avec son véhicule en contravention aux articles 9 et 10 du règlement intérieur
' Que le harcèlement moral, la discrimination et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ne sont pas établis.
- que les photos produites aux débats ne sont pas datées et ne permettent pas d'affirmer qu'elles ont été prises dans les locaux de l'entreprise dont les vestiaires ne comportent pas de carrelage blanc ; que l'enquête menée a conclu au doute sur les propos de l'appelant.
- que les dépôts de plainte ont fait l'objet d'un classement sans suite ; que M [C] ne démontre pas que ses multiples démarches auprès des autorités judicaires ont abouti
- que les attestations produites, qui datent de l'époque de la dénonciation, n'ont jamais été communiquées en temps utile à l'employeur et comité ethics and compliance ayant investigué sur les faits ; qu'elles sont en toute hypothèse imprécises (pas de nom, pas de date, pas de lieu, pas de circonstances détaillées)
- que l'employeur a immédiatement réagi aux faits dénoncés
En faisant recevoir M [C] par le directeur des ressources humaines, en procédant à une enquête dont les conclusions lui ont été adressées. Qu'il a également saisi le médecin du travail qui a délivré un avis d'aptitude le 2 juin 2014 de sorte que le lien entre l'état dépressif et l'environnement de travail n'est pas établi.
En organisant des réunions de sensibilisation.
'qu'il mène une politique active de prévention en matière de harcèlement et de RPS ainsi que le démontre l'adoption d'un code éthique, et l'adhésion à l'accord collectif EADS pour la prévention du stress au travail
- que M [C] n'a jamais saisi les diverses instances en charge de la prévention (médecin du travail, CHSCT, assistante sociale, psychologue)
- qu'il n'a jamais fait état des faits dénoncés à l'occasion de ses évaluations professionnelles dans lesquelles il louait une hiérarchie à l'écoute.
'Le comportement violent et manipulateur de M [C], démontré par le mail adressé à M [Z] le 11 septembre 2017, ne permet pas d'accorder crédit à ses propos.
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 21 juin 2020 la ligue des droits de l'homme demande à la cour de
. DIRE et JUGER recevable l'intervention volontaire de la Ligue des Droits de l'Homme aux côtés de Monsieur [R] [C] ;
. INFIRMER le jugement en sa totalité sauf en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande ,
. STATUER à nouveau,
. FAIRE DROIT aux demandes de Monsieur [C] ;
. DEBOUTER la société AIRBUS HELICOPTERS de l'ensemble de ses demandes ;
. CONDAMNER la société AIRBUS HELICOPTERS à verser à la Ligue des Droits de l'Hommes la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
. CONDAMNER la société AIRBUS HELICOPTERS aux entiers dépens
Elle considère que conformément aux dispositions des articles 1131-1 et 1134-1 M [C] établit des faits laissant présumer l'existence d'une discrimination raciale que la direction d'Airbus Helicopter a laissé perdurer.
Par conclusions d'intimée déposée et notifiées par RPVA le 16 juin 2020 La LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME (LICRA MARSEILLE METROPOLE), demande à la cour de
CONSTATER la recevabilité de la constitution et intervention de la LICRA
REFORMER le jugement rendu par le Conseil des Prud'hommes de Martigues du 13 septembre 2019
DIRE ET JUGER que Monsieur [R] [C] a été victime d'une discrimination en raison de son origine
CONDAMNER la société AIRBUS HELICOPETERS à verser à la LICRA la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice.
DEBOUTER la société AIRBUS HELICOPTERS de toutes ses demandes fins et conclusions contraires.
A titre subsidiaire, si le jugement déféré à censure était confirmé
DIRE ET JUGER que l'equité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure Civile, et ainsi de ne pas condamner la LICRA au paiement d'une somme in solidum sur ce fondement.
SUR L'APPEL INCIDENT
CONSTATER la recevabilité de l'appel incident de la LICRA ;
INFIRMER le jugement déféré à censure en ce qu'il l'a condamné solidairement au paiement de la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile
INFIRMER le jugement déféré à censure en ce qu'il l'a condamné solidairement au paiement des dépens.
Et, statuant à nouveau :
DIRE ET JUGER que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure Civile
DEBOUTER la société AIRBUS HELICOPTERS de toutes ses demandes fines et conclusions contraires.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
CONDAMNER la société AIRBUS HELICOPTERS à payer à la LICRA la somme de 2.500,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
DIRE que l'inteìgralité des sommes allouées produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice, avec capitalisation, en application des articles 1153-1 et 1154 du Code civil ;
CONDAMNER la Société AIRBUS HELICOPTERS aux entiers dépens sur le fondement des dis-positions de l'article 696 du Code de procédure civile et DIRE qu'ils pourront être recouvrés par Maître Hanna REZAIGUIA, dans les conditions de l'article 699 dudit code.
Elle soutient qu'en l'espèce les éléments de preuves permettent de retenir que Monsieur [C] a été victime d'une discrimination en raison de ses origines, aucun autre élément objectif ne pouvant justifier les distorsions d'égalité dans son évolution de carrière au regard de celle de ses collègues placés dans une situation identique.
Que par ailleurs il apparaît que de nombreux propos objectivement racistes ont été tenus à l'endroit de Monsieur [C] en raison de ses origines, et ce sans qu'à aucun moment la Direction bien qu'informée n'intervienne afin de faire cesser ces agissements.
Elle considère dès lors qu' en dépit de son adhésion à la charte de la Diversité en entreprise depuis 2004 la Société AIRBUS HELICOPTERS A, failli dans l'application des principes qu'elle prétend respecter et promouvoir et que la démarche « diversité »n'est que pur outil de promotion en vue d'une certification AFNOR, sans réel adéquation avec la pratique
Enfin elle souligne qu'un juriste est employé à temps plein par la LICRA afin de traiter l'ensemble des problématiques qui lui sont soumises ; qu'elle investit également d'importantes sommes dans l'achat de la documentation utile à la défense des valeurs correspondant à son objet social. Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne serait pas équitable de lui laisser la charge des frais de justice qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette procédure.
L'ordonnance de clôture est en date du 20 novembre 2023
Motifs de la décision
I - Sur la demande principale de nullité du licenciement
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016 applicable en l'espèce , le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A/ Les faits invoqués par le salarié.
1/ M [C] produit aux débats en pièce 11 de son dossier des photographies d'inscription à caractère raciste le visant nommément ; il indique que ces inscriptions ont été portées sur les murs des sanitaires de l'entreprise, sur son vestiaire et sa boite à outil.
2/ M [C] produit aux débats des dénonciations antérieures et postérieures à son licenciement (pour des faits antérieurs à celui-ci) de faits de racisme
- (pièce 12) un courriel adressé à son employeur le 10 juin 2014 pour dénoncer les inscriptions susvisées dans les sanitaires, qu'il dit avoir rapporté à sa hiérachie dès le 1er avril 2014 sans suite
- une plainte déposée le 13 juin 2014 (pièce 13) se rapportant notamment à une inscription sur son vestiaire le 1 avril 2014 ; plainte classée le 3 octobre 2014 pour auteur non identifié ( pièce 18)
- une plainte du 30 juin 2014 (pièce 14) se référant à des enregistrements audio et video de personnels nommément désignés tenant des propos racistes (M [W]) ou admettant l'existence de discours racistes au sein de l'entreprise (M [X]).
- son audition du 18 octobre 2014 par la police mettant nomément en cause M [A], M [W] ainsi que M [E] à l'encontre desquels il dépose plainte pour lui avoir tenu des propos racistes en janvier 2012
- un courrier adressé le 20 octobre 2014 (pièce 16) au procureur général dans lequel il se plaint de l'absence de réaction de son employeur et manifeste le désir de déposer une plainte avec constitution de partie civile et la réponse apportée ( pièce 19 courrier du procureur général en date du 15 février 2015 annonçant des investigations complémentaires)
- un courrier adressé au procureur de la république le 12 décembre ( année inconnue ) faisant état de propos racistes et menace de M [E] et [U] via facebook et liant son licenciement à la dénonciation des faits.
3/ des attestations d'anciens employés confirmant ses dires
- Pièce 20 M [T] faisant état d'inscriptions racistes et de l'absence de réaction de la hiérarchie pourtant informée
- Pièce 21 l'attestation de M [L] confirmant les propos tenu par M [W] le 7 avril 2014 :'Ici c'est Bleu blanc Rouge'
- Pièce 22 l'attestation de M [I] confirmant avoir été témoin de propos racistes sur son lieu de travail AIRBUS HELICOPTERES à [Localité 4] chaine de production du Dauphin.
4/ Des certificats médicaux en date du 23 novembre 2015 et 21 janvier 2016 ( pièce 30 ) faisant état d'un état dépressif en relation avec un conflit du travail ainsi que ses arrêts de travail ( pièce 31)
***
La cour considère qu'en l'absence de production aux débats de l'intégralité des procès verbaux d'enquête consécutifs aux plaintes déposées notamment contre personnes dénommées, l'existence de propos racistes imputés par l'appelant à MM [W], [X] , [A], [E] ou [U] n'est pas matériellement établie.
Elle retient surabondamment que l'appelant ne justifie pas avoir porté la mise en cause des personnes visées dans ses plaintes à la connaissance de l'employeur.
Elle juge par ailleurs que l'attestation de M [L] ne permet pas de retenir le caractère indiscutablement raciste des propos imputés à M [W] dès lors que les propos lui étaient également adressés.
En revanche les photographies des inscriptions dénoncées, leur dénonciation à l'employeur, les attestations de MM [T] et [I] et les certificats médicaux produits font présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Il appartient donc à l'employeur de renverser la présomption en démontrant que les agissements dénoncés n'existent pas ou ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
B/ Les justifications de l'employeur
L'employeur produit essentiellement aux débats le rapport d'enquête du comité Ethics et Compliance (Pièces 18 et 34 ) daté du mois de juillet 2014 ;
La cour retient que ce rapport s'ouvre sur une chronologie qui permet d'affirmer que, contrairement à ce que soutient l'employeur, l'appelant n'a pas dénoncé les propos racistes qu'il invoque uniquement après les altercations des 4 et 10 juin et la découverte le 5 juin 2014 de trous parasites volontairement dissimulés par du mastic et des rivets sur la pièce LIT 001 qui lui sont reprochées dans la lettre de licenciement.
En effet la chronologie démontre, bien qu'il ne l'invoque pas à l'appui de sa demande de nullité, que l'appelant a alerté son employeur sur des propos racistes inscrits sur la porte de son vestiaire le 1er mars 2014.
La cour retient que le jour même l'employeur provoquait la réunion des équipes afin de ' passer les messages appropriés'.
Le rapport d'enquête établit ( pièce 34) que s'agissant des faits ultérieurement dénoncés par mail du 10 juin 2014, étant précisé que l'appelant ne justifie pas d'une alerte le 1er avril 2014, l'employeur a le jour même diligenté une enquête et entendu l'appelant dès le 11juin 2014 contrairement à ce qu'il affirme dans ses écritures (pièce 13 de l'appelant, pièce 18 de l'intimée). L'employeur a dûment avisé l'appelant des résultat de l'enquête par LRAR en date du 30 juillet 2014.
L'enquête a démontré que les inscriptions photographiées ne peuvent avoir été inscrites sur le carrelage des vestiaires de l'entreprise, ainsi que le soutien l'appelant, en ce que les vestiaires ne comporte pas de carrelage blanc ce que l'appelant ne consteste pas.
Menée spécifiquement dans l'environnement de travail de l'appelant sur la chaîne Dauphin à laquelle il était affecté, l'enquête a recueilli les auditions des salariés d'origine étrangère s'agissant tant des incriptions à caractère raciste dans les sanitaires que plus généralement sur la tenue habituelle de propos racistes dans l'entreprise, aucun n'a confirmé les faits dénoncés par M [C].
De ce fait l'attestation de M [T], imprécise quant au lieu des inscriptions qu'il dit avoir constatées est écartée par la cour, de même que l'attestation non circonstanciée de M [I].
En conséquence le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa demande de nullité pour harcèlement moral et de sa demande subséquente de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
L'employeur justifie des mesures de prévention des risques psychsociaux mise en oeuvre au sein de la société, ainsi compte tenu de cette justification et en l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre les arrêts maladie et les conditions de travail de l'appelant et donc d'un préjudice, le jugement est également confimé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa demande pour manquement de l'employeur à l'obligation de prévention liée à l'obligation de sécurité.
La Licra qui soutient l'existence une distorsion d'égalité dans l'évolution de la carrière de l'appelant, qui ne formule lui même aucune demande de ce chef , ne verse aucune pièce de nature à démontrer l'existence d'une différence de traitement.
Pour les motifs susvisés le jugement est confirmé en ce qu'il a déboutées la LICRA et la ligue des droits de l'homme de leurs demandes de dommages intérêts.
II Sur la demande subsidiaire tendant à voir juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse .
Une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu'en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l'employeur, qui a la charge de fournir les éléments retenus pour prendre la sanction par application de l'article L.1333-1 du code du travail, le salarié fournissant pour sa part les éléments à l'appui de ses allégations.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Les dispositions de cet article ne font pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur à 2 mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans le temps.
La lettre de licenciement en date du 2 octobre 2014, qui fixe les termes du litige, se place clairement sur le terrain disciplinaire pour reprocher à l'appelant :
- une altercation et des insultes le 4 juin 2014 avec un collègue de travail
- une altercation le 10 juin 2014 avec un autre collègue
- la découverte le 5 juin 2014 de la dissimulation volontaire de trous parasites sur une pièce LIT 001 attribuée à M [C]
- la justification de l'absence du 12 au 18 juin 2014 par l'envoi d'un arrêt maladie le 19 juin suivant
- la justification de la prolongation pour la période du 4 au 31 aout 2014 le 12 août 2014
- le défaut de justification de l'absence du 31 aout au 4 septembre 2014
- le fait d'avoir permis l'utilisation de son tag médical le 25 juin 2014 par une tierce personne pendant son arrêts maladie
Le tout en contravention aux dispositions des articles 5, 12-1, 9 et 10 du règlement intérieur.
Toutefois la cour relève qu'alors que le salarié soulève la prescription et de manière explicite l'absence d'engagement de la procédure disciplinaire par convocation dans le délai de deux mois des faits reprochés, l'employeur ne justifie ni de l'envoi, ni de la réception de la lettre de convocation à l'entretien préalable datée du 31 juillet 2014 qu'il verse aux débats ( pièce 3de l'intimée) à défaut de production de l'avis de dépôt daté ou de l'accusé réception de la lettre.
Dès lors que l'entretien préalable s'est tenu le 4 septembre 2014, la cour constate en conséquence qu'hormis les faits de défaut de justification de l'absence du 1er au 4 septembre 2014, qui autorise l'employeur à faire valoir le défaut de justification des absences dans le délai de 48 heures fixé par l'article 12.1 du règlement intérieur depuis le 12 aout 2014, l'ensemble des griefs est prescrit.
En l'espèce le salarié, sur lequel pèse la charge de la preuve, ne justifie pas avoir communiqué à l'employeur dans les 48 heures les justificatifs de ses arrêts maladie, il ne justifie pas avoir adressé le justificatif de la prolongation de son arrêt maladie à compter du 1er septembre 2014. Ainsi l'appelant a méconnu de manière réitérée les obligations du contrat de travail dont il se trouvait tenu jusqu'à la date du licenciement.
De ce seul chef l'employeur justifie que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence le jugement est confirmé de ce chef ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
L'appelant, la LICRA et l'association ligue des droits de l'Homme qui succombent en cause d'appel sont déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer à la société AIRBUS HELICOPTERS la somme de 2500 euros in solidum au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M [C] est condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement
Confirme le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant :
Déboute M [C] , la LICRA MARSEILLE METROPOLE et l'association LIGUE DES DROITS DE L'HOMME de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les condame in solidum à payer à la SAS AIRBUS HELICOPTERS la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M [C] aux dépens.
Le greffier Le président