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08/03/2024 | FRANCE | N°19/17481

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 08 mars 2024, 19/17481


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 08 MARS 2024



N°2024/ 53





RG 19/17481

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFBQ







SAS SEPAP





C/



[D] [K]





















Copie exécutoire délivrée

le 08 Mars 2024 à :



-Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V59



- Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEI

LLE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 17 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/02774.







APPELANTE



SAS SEPAP, demeurant [Adresse 2]



représentée par Me Ch...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 08 MARS 2024

N°2024/ 53

RG 19/17481

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFBQ

SAS SEPAP

C/

[D] [K]

Copie exécutoire délivrée

le 08 Mars 2024 à :

-Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V59

- Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 17 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/02774.

APPELANTE

SAS SEPAP, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [D] [K], demeurant [Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Christelle SANTIAGO, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2024, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 23 Février 2024, puis au 8 Mars 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2024.

Signé par Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [D] [K] était engagée par la société SEPAP, exerçant sous l'enseigne Atrium, en qualité de vendeuse selon contrat professionnalisation à durée déterminée du 27 octobre 2014 au 30 août 2016 avec une durée hebdomadaire de travail de 35 heures et un salaire brut de 939,50€ en vue de l'obtention d'un BTS management des unités commerciale.

L'organisme de formation principale était la société DSEA Hermes Formation.

La convention collective nationale applicable était celle des succursales de vente au détail d'habillement.

La salariée prenait acte de la rupture de son contrat de professionnalisation aux torts de la société par courrier du 8 juin 2015 après lui avoir adressé deux courriers faisant état de difficultés avec le personnel d'encadrement.

Elle saisissait le 29 juillet 2016 le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de voir produire à sa prise d'acte les effets d'un licenciement abusif et en paiement d'indemnités.

Par jugement du 17 octobre 2019, le conseil de prud'hommes en sa formation de départage a statué comme suit :

« Dit que la prise d'acte intervenu le 8 juin 2015 à l'initiative d'[D] [K] produit les effets d'une rupture anticipée du contrat de professionnalisation aux torts de la SAS SEPAP ;

Condamne la SAS SEPAP à verser à [D] [K] les sommes suivantes :

- 290,29 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires outre 29,03 euros bruts de congés payés y afférents ;

- 5 637 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

- 300 € à titre de dommages-intérêts pour les avertissements des 4 et 18 mars 2015 injustifiés ;

- 1500 € à titre de dommages-intérêts pour absence de formation pratique ;

- 1500 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 12'871,15 € à titre de dommages-intérêts par suite de la prise d'acte produisant les effets d'une rupture anticipée du contrat de professionnalisation aux torts de l'employeur ;

Déboute [D] [K] de sa demande de congés payés afférents dommages-intérêts par suite de la prise d'acte produisant les effets d'une rupture anticipée du contrat de professionnalisation aux torts de l'employeur ;

Ordonne à la SAS SEPAP de remettre à [D] [K] les documents de fin de contrat (attestation pôle emploi, certificat de travail et solde de tout compte) ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la SAS SEPAP à verser à [D] [K] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS SEPAP aux entiers dépens de la procédure ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision, excepté les dispositions qui sont de plein droit exécutoire par application de l'article R 1454 - 28 du code du travail, la moyenne des salaires étant de 939,50 € bruts ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ».

Par acte du 17 octobre 2019, le conseil de la société a interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 juillet 2023, la société demande à la cour de :

« Réformer totalement le jugement rendu en formation de départage par le Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE le 17 octobre 2019 en tout point,

Statuant de nouveau,

Dire et Juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est imputable à Madame [K],

Dire et Juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Madame [K] emportera les effets d'une démission,

Dire et Juger que les heures de travail de Madame [K] ont intégralement été payées,

Dire et Juger l'absence de dissimulation d'emploi salarié,

Dire et Juger l'absence de défaut de formation,

Dire et Juger l'absence de harcèlement moral,

Dire et Juger l'absence de faute et de préjudice quant à la transmission des attestations de salaire,

Confirmer les avertissements délivrés les 4 mars 2015 et 18 mars 2015,

En conséquence,

Débouter Madame [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

La Condamner à la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la première instance et 2 500 € en cause d'appel, outre les dépens ».

Dans ses dernières écritures communiquées au greffe par voie électronique le 15 mai 2020, Mme [K] demande à la cour de :

« Confirmer le Jugement de départage rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le l7 octobre 2019 en ce qu'il a :

Dit et Jugé que la prise d'acte de rupture par Mme [K] de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur était justifiée de sorte qu'elle doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et produire les effets d'une rupture anticipée du contrat de professionnalisation.

Constaté les manquements de la Société SEPAP dans ses obligations essentielles d'employeur vis-à-vis de sa salariée en formation, Mademoiselle [D] [K].

Constaté la nullité des avertissements injustifiés prononcés les 4 et 18 mars 2015.

Constaté l'existence d'un harcèlement moral.

Constaté l'existence d'heures de travail non rémunérées les 24 et 25 octobre 2014.

Constaté l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées.

Constaté la dissimulation d'emploi intentionnelle de l'employeur.

Condamné la Société SEPAP au paiement de la somme de 1.500 € au titre de la première instance en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Réformer le Jugement en ce qu'il a limité le quantum des demandes de Madame [K] ou l'a débouté pour le surplus.

En conséquence,

Condamner la Société SEPAP à payer à Mademoiselle [D] [K] les sommes suivantes :

- l3.84l,97 € au titre de la perte de salaires en raison de la rupture anticipée du contrat de travail a durée déterminée ;

- 1384,10 € au titre du préjudice complémentaire subi du fait de la rupture anticipée du contrat de professionnalisation ayant injustement privé la salariée de son droit au congés payés ;

- 3.000 € au titre du préjudice complémentaire subi du fait du défaut de formation ;

- 1.000 € au titre de la réparation des avertissements injustifiés délivrés les 4 et l8 mars 2015.

- 86,72 € au titres des heures effectuées les 24 et 25 octobre 2014, outre 8,67 € au titre des congés payés y afférents ;

- 290,28 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées, outre 29,03 € au titre des congés payés y afférents ;

- 5.637 € au titre du travail dissimulé;

- 5.637 € au titre du harcèlement moral ;

Condamner la Société SEPAP à délivrer à Mademoiselle [K], sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard à compter de la décision à intervenir :

- Une attestation Pôle emploi rectifiée ;

- Les bulletins de salaires rectifiés jusqu'à la fin du contrat ;

- Le certificat de travail modifié.

Condamner la Société SEPAP à payer à Mademoiselle [D] [K] la somme de 2 500 € en cause d'appel au titre des dispositions de l'Article 700 du Code de procédure civile.

La Condamner également aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Christelle Santiago, Avocat sur son affirmation de droit».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I) Sur l'exécution du contrat de professionnalisation

1) Sur les journées du 24 et 25 octobre 2014

La salariée réclame le paiement de 14 heures de travail pour les deux journées de 10 h à 18 h et soutient qu'elle n'a jamais été rémunérée malgré ses demandes.

La société conteste la prestation de travail et soutient que la salariée n'apporte aucun élément probant. Elle objecte que le contrat de travail précise bien une date d'embauche au 27 octobre 2014 et que le bulletin de salaire précise « absence d'entrée 011014-261014 »

Elle conteste les plannings produits qui selon elle, ont été rédigés pour les besoins de la cause et indique que le planning de la semaine du 20 au 25 octobre 2014 n'est nullement contresigné par les salariés et que l'écriture est différente des autres plannings pour les semaines suivantes.

La salariée produit tous les plannings à compter du 20 octobre 2014 jusqu'au 7 mars 2015 mentionnant le nom des salariés et les horaires effectués pour chacun d'eux.

Si le planning de la semaine litigieuse n'est pas contresigné par ces derniers, il en est de même pour certains autres plannings. Par ailleurs, la différence d'écriture alléguée concernant le planning du 20 octobre n'est pas significative de son manque d'authenticité (pièce intimée 6).

Il est également observé, nonobstant le délai de transmission du contrat dans les deux jours, que la société n'a signé le contrat de professionnalisation que le 29 octobre 2014, soit postérieurement à la date d'embauche indiquée dans le contrat au 27 octobre 2014, ce qui va à l'encontre des prescriptions et qui ne permet pas en application des dispositions de l'article D. 6325-2 du code du Travail à l'organisme collecteur de se prononcer sur la prise en charge financière et vérifier la régularité des stipulations du contrat, au regard des dispositions légales ou conventionnelles.

En tout état de cause, la société ne produit aucun élément concernant la répartition des horaires de travail des salariés sur la période du 20 octobre 2014 au 7 mars 2015.

Il y a lieu de faire droit à la demande de la salariée de paiement des heures effectuées le 24 et 25 octobre 2014 sur la base horaire de 6,1944 €, soit la somme de 86,72 € outre 8,67 € au titre des congés payés y afférents.

2) Sur les heures supplémentaires

Il résulte de l'article L. 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail accomplies n'incombe spécialement à aucune des parties. En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de fournir des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement, à charge pour ce dernier de justifier les heures de travail effectivement réalisées.

La salariée réclame le paiement de 37,5 heures supplémentaires prétendument accomplies et non rémunérées, soit 7 heures supplémentaires pour le mois de novembre 2014, 21,5 heures supplémentaires pour le mois de décembre 2014 et 14,5 heures supplémentaires sur le mois de janvier 2015 desquels il y a lieu de déduire 5,5 heures de récupération obtenues au mois de février 2015.

Elle produit notamment :

- les plannings attestant des heures réalisées du 20 octobre 2016 au 7 mars 2015 ( pièce 6)

- les bulletins de salaire sur la même période (pièce 7)

- la fiche de liaison du mois de décembre 2015 mentionnant le temps de travail de la salariée de 21 heures par semaine et de 21h30 d'heures supplémentaires pour le mois de décembre 2014 (pièce 7)

- son courrier du 10 mars 2015 adressé à la direction de la société : « (...) jusqu'à aujourd'hui je n'ai jamais refusé d'effectuer des heures supplémentaires quand il y avait une forte activité au détriment de mes cours car j'ai à c'ur la réussite et le bon fonctionnement de l'entreprise qui m'emploie. Quel intérêt aurais-je à effectuer des heures supplémentaires (21h30 en décembre et plus de 17 h pendant la période des soldes) non payées et récupérées au coup par coup pendant le temps mort du magasin, si ce n'est une forte implication.(...) (pièce15)

Les éléments apportés par la salariée sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Contestant la valeur probante des plannings, la société soutient que les autres salariés ne faisaient pas d'heures supplémentaires.

La société verse en particulier aux débats :

- le témoignage de Mme [L] ancienne responsable de la boutique : « je certifie sur l'honneur qu'aucun de mes employés y compris Mademoiselle [D] [K] ne réalisait d'heures supplémentaires pendant la durée de mon contrat (...) En tant que responsable, je n'ai jamais eu à faire d'heures supplémentaires chez Atrium et je ne vois pas comment une apprentie pouvait en faire plus que moi, ça n'est jamais arrivé» (pièce appelante11)

Il s'avère que le contrat de professionnalisation prévoit une durée de travail de 35 heures par semaine. En l'état des 1 100 heures de formation prévue sur la période de deux années, la salariée travaillait 21 heures à la boutique Atrium.

Il est mentionné sur le bulletin de paie du mois de novembre 2014, le règlement de 7 heures 'complémentaires'et les plannings démontrent qu'il a été réalisé 34,30 heures supplémentaires sur la période considérée.

Alors que pèse sur la société une obligation en matière de suivi et de contrôle du temps de travail, en l'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif et fiable permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier, le seul témoignage de Mme [L] ne peut contredire utilement les plannings produits attestant des heures supplémentaires réalisées par la salariée.

Dès lors, confrontant les éléments produits de part et d'autre, la cour a la conviction que la salariée a accompli des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées.

La salariée peut prétendre à un volume d'heures de 34,30 heures sur la période considérée.

Le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point.

3) Sur le travail dissimulé

La société conteste le travail dissimulé estimant que la salariée n'apporte aucune preuve d'un contrat de travail le 24 octobre 2015 et des heures supplémentaires, ni de l'intention frauduleuse de l'employeur.

La salariée objecte qu'elle n'a pas fait l'objet d'une déclaration préalable d'embauche pour le 24 et le 25 octobre 2014.

Les dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail indiquent que la dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que si l'employeur, de manière intentionnelle, soit s'est soustrait à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit s'est soustrait à la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie ou a mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heure de travail inférieur à celui réellement effectué.

En cas de rupture de la relation de travail, les dispositions de L.8223-1 du code du travail prévoient à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La société s'est soustraite volontairement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche pour les deux journées du 24 et 25 octobre 2014 et au paiement des heures supplémentaires non rémunérées qui n'apparaissent pas sur les bulletins de salaire, de sorte que c'est à juste titre que le premier juge a alloué à la salariée, une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, soit la somme de 5 637 €.

4) Sur les avertissements

La société explique que l'avertissement du 4 mars 2015 est fondé sur un retard de 15 minutes alors que la ponctualité est une règle de bienséance ainsi que sur l'attitude nonchalante de la salariée, les clients se plaignant de la voir inactive dans le magasin.

S'agissant de l'avertissement du 18 mars 2015, elle indique qu'il est du à des plaintes de clients mécontents de son attitude et des relevés de notes et d'absences pour le semestre écoulé.

Elle estime que la jurisprudence considère que les plaintes de clients peuvent justifier une sanction prise par l'employeur à l'encontre de la salariée.

La société produit :

- le témoignage de Mme [G], cliente de la boutique, indiquant : « (...)Mme [K] [D] qui feignait de ne pas pouvoir et qui ne répondait pas à mes questions (...) »,

- celui de M.[T] qui déclare avoir demandé plusieurs fois à la salariée des renseignements sur les produits de la boutique mais qu'elle n'a pas su répondre et a eu une attitude agressive

- le bulletin scolaire du premier semestre de la salariée mentionnant des absences et un avertissement de travail au conseil de classe (pièce appelante 12,14 et 15).

La salariée conteste les faits reprochés. Elle produit ses courriers du 10 mars 2015 et du 24 mars 2015 où elle explique n'avoir jamais eu de remarques de la part de sa responsable et regrette la communication des plannings deux jours avant ses jours d'activité, ou même parfois la veille. Elle s'interroge également sur le lien entre cet avertissement et son refus de signer la proposition de rupture conventionnelle qui lui a été proposée antérieurement.

Elle indique s'agissant du deuxième avertissement, que la responsable adjointe n'a pas confirmé les dires de la cliente et qu'elle a fait l'objet de graves accusations à son encontre, qu'elle justifie ses absences scolaires par sa présence sur son lieu de travail pendant les semaines de soldes, par son arrêt maladie du 23 janvier 2015 au 1er février 2015 et par sa prise en charge par les pompiers suite à sa blessure à la tête (pièces intimée 15 et 16).

C'est à juste titre que le premier juge a annulé les deux avertissements en considérant que l'employeur n'établissait pas les retards répétés imputés à la salariée et se référait aux mêmes attestations de clients, au surplus imprécises, pour justifier les sanctions intervenues à 15 jours d'intervalle.

La cour rajoute que la société ne saurait reprocher à la salariée ses absences au centre de formation alors même qu'elle lui a demandé de faire de nombreuses heures supplémentaires en particulier pendant la période des soldes et que cette dernière a été en arrêt maladie au cours des mois de janvier et avril 2015.

Il est également relevé que la société n'a pas pris la peine de répondre à ses demandes d'entretien et de transmission des 'savoir-faire et savoir être' nécessaires à sa professionnalisation.

Le jugement entrepris doit être confirmé de ce chef.

5) Sur la non délivrance de l'attestation patronale pour maladie

La salariée fait valoir qu'elle n'a jamais perçu les indemnités journalières auxquelles elle pouvait prétendre du fait de ses arrêts de travail, l'employeur n'ayant jamais adressé les attestations patronales correspondantes.

La société réplique qu'elle a parfaitement rempli son obligation puisqu'elle a adressé cette attestation le 9 février 2015 puis une attestation de salaire le 6 mai 2015 et une attestation rectificative le 4 juin 2015.

Elle estime qu'elle ne peut être tenue responsable des lenteurs de traitement de la CPAM.

La salariée a été en arrêt de travail pour maladie du 23 au 31 janvier 2015, les 24 et 25 février 2015 et du 4 au 11 avril 2015 et à compter du 28 avril 2015.

Il est justifié au vu des pièces produites par la salariée qu'au 30 avril 2015, il manquait l'attestation patronale pour permettre de traiter son dossier, qu'au 8 juin 2015 l'attestation patronale n'avait toujours pas été reçue par les services de la CPAM, et qu'aucune indemnité journalière n'avait été versée pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 (pièces intimée 11, 12 et13).

Si la société produit bien les attestations de salaire pour le paiement des indemnités journalières du 9 février 2015, 6 mai 2015 et 4 juin 2015, elle ne justifie cependant que d'un seul accusé de dépôt transmis le 11 juin 2015 par Internet.

Le jugement entrepris qui a constaté le manquement de la société doit être confirmé.

6) Sur le défaut de formation obligatoire

La société fait valoir que la salariée ne s'est jamais plainte de la formation qui lui a été dispensée si ce n'est postérieurement aux avertissements qui lui ont été notifiés et qu'elle a rempli les missions dévolues à son tuteur.

Elle souligne avoir financé cette formation qui s'est élevée à 10'058 €.

Elle rappelle qu'elle a accueilli plusieurs alternants au fil des années sans aucune difficulté, ce qui est confirmé par la société Hermès Formation et qu'il lui a été fait la proposition d'une autre entreprise d'accueil ce qu'elle a refusé, de sorte qu'elle n'aurait pas eu à régler les frais de scolarité.

La salariée prétend que la société ne lui a jamais délivré la moindre formation et qu'elle s'est retrouvée à occuper un poste de vendeuse, comme tous les autres salariées malgré ses demandes de formation.

L'obligation de formation constitue un élément essentiel du contrat de professionnalisation.

L'article D 6325-11 du code du travail prévoit qu'un document précisant les objectifs, le programme, les modalités d'organisation, d'évaluation et de sanction de la formation est annexé au contrat professionnel de professionnalisation.

Il est également prévu la signature d'une convention entre l'organisme de formation ou l'établissement d'enseignement avec l'entreprise précisant les objectifs, le programme et les modalités d'organisation et d'évaluation de la formation (L.6325-13 et D6325-12).

C'est à l'employeur d'apporter la preuve qu'il a loyalement exécuté son obligation de formation et d'adaptation.

Or, la société ne produit aucun document, pas même les évaluations obligatoires alors qu'elle a adressé des avertissements à la salariée sans avoir pris la peine d'évoquer avec elle les difficultés rencontrées en dépit de ses demandes de conseil (pièce intimée 15) et des dispositions de l'article D.6325 prévoyant pour l'employeur 'd'examiner avec le salariée l'adéquation du programme de formation au regard des acquis du salariée dans les deux mois suivant le début du contrat de professionnalisation'.

Il appartient à l'employeur de prendre l'initiative des actions de formation nécessaires et son obligation de formation concerne le développement des compétences, de sorte que la société ne peut pas se prévaloir de l'absence de demande de la part de la salariée et soutenir utilement que celle-ci s'est montrée réfractaire à tout enseignement et à la formation pratique donnée par l'entreprise.

La salariée justifie par ailleurs d'un préjudice s'agissant de la perte de la chance de terminer sa formation et d'obtenir son BTS en management des unités commerciales et d'évoluer professionnellement.

Le jugement entrepris qui a retenu le défaut de formation doit être confirmé.

7) Sur le harcèlement moral

Selon l'article L1152-1 du code du travail, en sa rédaction applicable aux faits de la cause, aucun salariée ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L1154-1 du même code, en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 (...) le salariée établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La salariée se plaint :

- d'avoir dû faire face à un climat délétère dans ses rapports avec ses collègues de travail puis dans ses rapports avec les responsables de l'entreprise dès lors que le dirigeant a souhaité mettre un terme anticipé au contrat,

- d'avoir été livrée à elle-même sans aucune formation, son contrat d'apprentissage n'ayant manifestement servi qu'à bénéficier d'une main-d''uvre à bas coût,

- d'avoir subi des violences et brimades de l'équipe d'encadrement et notamment des rumeurs odieuses,

- d'avoir été astreinte à l'accomplissement d'heures supplémentaires non rémunérées et soumise à des changements de planning intempestifs,

- d'avoir eu de la part de son tuteur une demande de rupture conventionnelle,

lesdits comportements ayant gravement affecté sa santé.

Elle produit notamment les pièces suivantes :

- sa prise d'acte (pièce 3)

- son courrier du 24 mars 2015 adressé à M. [Y] indiquant « je me vois dans l'obligation de vous informer des faits graves suivants : Mme [C] a informé Mme [J] des soupçons elle aurait à mon encontre. Selon ses dires je devais être surveillée car j'avais émis la volonté de partir en Syrie. Mme [J] en a tout naturellement informé Mme [A] éducatrice spécialisée, chargée de mon accompagnement. Étant donné la gravité de ces accusations et les directives mises en place par les organismes de tutelle, Mme [A] ne peut en rester là. Elle prendra contact avec vous dans les prochains jours afin de rencontrer les personnes concernées. Pour ma part je ne comprends pas cette accusation sans fondement et me réserve le droit de suite » (pièce 18)

- les deux avertissements des 4 et 18 mars 2015 (17 et 18)

- ses arrêts de travail pour maladie et les prolongations du 28 avril 2015 au 6 juin 2015 (pièces 20, 21 et 22).

- l'attestation médicale du Dr [B] du 9 mai 2015 qui : « certifie que l'état de santé de Mlle [K] [D] [U] s'est détérioré depuis cinq mois suite aux mauvaises conditions de travail (réaction dépressive et amaigrissement de 7 kg durant cette période ) » (pièce 23).

Ces faits, pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société fait valoir que la salariée a de la peine à établir la nature des faits évoqués et de nommer ses collègues, de prouver que les responsables scolaires étaient au courant des prétendues rumeurs et de les lui imputer alors qu'elle n'en avait pas connaissance.

Elle estime que les heures supplémentaires ne peuvent être qualifiées de harcèlement moral, tel qu'entendu à l'article L. 1152-1 du code du travail.

Elle indique que les avertissements notifiés par l'employeur même entachés d'irrégularités ou d'erreurs d'appréciations ne peuvent au regard de la jurisprudence constituer des faits de harcèlement moral et estime que de manière générale la salariée n'apporte aucun élément permettant d'établir une dégradation de ses conditions de travail.

Enfin, elle considère que les pièces médicales dont il est fait état sont insuffisantes.

La cour constate que le climat délétère tout comme les violences et brimades de l'équipe d'encadrement, les rumeurs, la rupture conventionnelle, les changements d'horaires intempestifs ne sont pas établis, la prise d'acte et le courrier du 24 mars 2015 rédigés par la salariée ne pouvant à eux seuls établir la matérialité de ces faits.

De même, si la salariée établit avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées, les plannings produits et de la fiche de liaison décembre 2014 permettent de dire que l'ensemble des salariés de la boutique réalisaient également des heures supplémentaires et l'intimée n'établit pas qu'elle aurait été la seule à ne pas être payée.

Les avertissements relèvent de l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire et le fait qu'ils soient injustifiés ne caractérisent pas automatiquement des faits de harcèlement moral en l'absence d'éléments probants d'une dégradation des conditions de travail de la salariée, non démontrée en l'espèce.

À cet égard, l'attestation médicale du Dr [B] ne reprend que les doléances de la salariée sans que ne soit justifié un lien avec ses conditions de travail et les arrêts travail font état d'une angine, de lombalgie et de douleur dorsale avec un syndrome dépressif essentiellement à compter du mois d'avril 2015.

Enfin, il ne peut se déduire de l'absence de formation de la salariée des agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci, de ses pouvoirs d'autorité et de direction.

Il s'ensuit que Mme [K] ne démontre pas l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour par voie d'infirmation déboute la salariée de sa demande de harcèlement moral et de la demande d'indemnité subséquente.

II) Sur la rupture du contrat de professionnalisation

1- sur le bien fondé de la prise d'acte

Lorsque le contrat de professionnalisation est conclu à durée déterminée, il est soumis au droit commun de ces contrats en matière de rupture. Conformément aux dispositions des articles L.1243-1 et 1243-2 du code du travail, celle-ci ne résulte normalement que de l'arrivée du terme et ne peut intervenir avant terme qu'en cas de faute grave, force majeure, inaptitude constatée par le médecin du travail, accord des parties ou à l'initiative du salarié s'il justifie d'une embauche à durée indéterminée.

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Cette rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail et c'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des faits qu'il reproche à son employeur.

Par lettre du 8 juin 2015, Mme [K] a pris acte de la rupture de son contrat de professionnalisation pour des manquements graves de l'employeur à ses obligations essentielles.

Elle invoque l'absence de déclaration et de paiement pour le 24 et 25 octobre 2014, le non paiement d'heures supplémentaires effectuées, le travail dissimulé, la non délivrance de l'attestation patronale pour maladie, l'absence de formation obligatoire et la délivrance d'avertissements injustifiés.

Les manquements fautifs retenus précédemment par la cour sont suffisamment graves pour justifier la rupture anticipée du contrat de professionnalisation aux torts de l'employeur, laquelle produit les effets d'une rupture abusive de contrat de travail à durée déterminée à la date du 8 juin 2015, sans que la démission invoquée par la société puisse être prise en compte.

Le jugement entrepris doit être confirmé.

2- sur les conséquences financières de la rupture

- sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture abusive :

Lorsque le salarié démontre être engagé en vertu d'un contrat à durée déterminée, rompu de manière anticipée, il ne peut être sollicité que l'allocation de dommages et intérêts correspondants au salaire à courir entre la date de fin de contrat et la date de rupture, conformément aux dispositions de l'article L1243-4 du code du travail .

Le contrat de professionnalisation a été rompu le 8 juin 2015 et devait venir à échéance le 30 août 2016, soit 14 mois et 22 jours.

Sur la base d'un salaire de 939,50 €, il y a lieu de condamner la société à verser à la salariée la somme de 13'841,97 euros. Ne s'agissant pas d'un rappel de salaire, la salariée doit être déboutée de sa demande de congés payés y afférents.

Le jugement entrepris doit être infirmé sur le quantum des dommages-intérêts et confirmé sur le rejet de la demande de congés payés.

III) Sur les autres demandes

Il est fait droit à la demande de la salariée de remise des documents sociaux et notamment l'attestation pôle emploi, le solde de tout compte et le certificat de travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à une astreinte laquelle n'est pas justifiée.

Les dépens ne peuvent être distraits, la procédure en matière sociale ne donnant pas l'exclusivité à l'avocat dans la représentation.

La société qui succombe doit s'acquitter des dépens, être déboutée de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamnée à payer à Mme [K], en cause d'appel, la somme de 2 500 € .

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré SAUF s'agissant du harcèlement moral, des dommages-intérêts pour la rupture abusive du contrat de professionnalisation,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute Mme [D] [K] de sa demande relative au harcèlement moral,

Condamne la société SEPAP à payer à Mme [D] [K] les sommes suivantes :

- 86,72 € au titre du paiement des heures du 24 et 25 octobre 2014,

- 8,67 € au titre des congés payés y afférents,

- 13'841,97 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la société SEPAP de remettre à Mme [K] l'attestation pôle emploi, le solde de tout compte, le certificat de travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes au présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société SEPAP aux dépens d'appel.

LE GREFFIER Pour Mme MARTIN empéchée,

Mme MARTI en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/17481
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;19.17481 ?
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