COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 07 MARS 2024
N° 2024/143
Rôle N° RG 23/10915 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLZF7
[Y] [W]
C/
[R] [K] épouse [H]
LE COMPTABLE PUBLIC
LE TRESOR PUBLIC
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Frédéric KIEFFER
Me Renaud ESSNER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution de GRASSE en date du 20 Juillet 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 22/00091.
APPELANT
Monsieur [Y] [W]
né le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 6] (ROUMANIE),
de nationalité suisse
demeurant [Adresse 13]
représenté et assisté par Me Frédéric KIEFFER de la SELARL KIEFFER - MONASSE & ASSOCIES, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Madame [R] [K] épouse [H]
née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 8] (SUISSE),
de nationalité suisse
demeurant [Adresse 11]
assignée à jour fixe le 14/09/23 à sa personne
représentée et assisté par Me Renaud ESSNER de la SELARL CABINET ESSNER, avocat au barreau de GRASSE, substitué par Me Muriel Manent, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
Monsieur LE COMPTABLE PUBLIC
demeurant [Adresse 1]
assigné à jour fixe le 15/09/23 à personne habilitée
défaillant
LE TRÉSOR PUBLIC - SIP de [Localité 7]
siège [Adresse 2]
assigné à jour fixe le 11/09/23 à personne habilitée
défaillant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 31 Janvier 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Pascale POCHIC, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mars 2024.
ARRÊT
Réputé Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mars 2024,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure et prétentions des parties :
En vertu d'un jugement d'exequatur rendu le 17 décembre 2013 par le tribunal de grande instance de Grasse, signifié le 17 décembre 2013, Mme [R] [K] épouse [H] a fait délivrer à M. [Y] [W], par acte de commissaire de justice du 29 avril 2022, un commandement de payer la somme de 793 139,42 euros en principal, intérêts et accessoires, emportant saisie des biens et droits immobiliers lui appartenant, affectés hypothécairement à sa garantie, consistant dans une propriété située à [Adresse 10] (Alpes-Maritimes), comprenant une maison d'habitation dénommée [Adresse 13], cadastrée section AV numéro [Cadastre 5].
Ce commandement dénoncé au conjoint par acte du 29 avril 2022 et publié le 25 mai suivant étant demeuré infructueux, Mme [K] a fait assigner le débiteur à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Grasse, qui par jugement du 20 juillet 2023, a pour l'essentiel :
' dit que les conditions des articles les articles L.311-2, L.311-4 et L.311-6 du code des procédures civiles d'exécution sont réunies et que le créancier poursuivant a satisfait au respect des dispositions susvisées ;
' débouté M. [W] de sa demande tendant à prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière du 29 avril 2022 et des actes subséquents, à juger la procédure de saisie immobilière mise en oeuvre irrecevable en raison de la prescription affectant son action et de sa demande subsidiaire tendant à voir juger que la créance sera réduite à la somme de 180 000 Fr., en raison de la prescription affectant les pensionnés plus de 5 ans avant la délivrance du commandement ;
' dit que Mme [K] poursuit la saisie immobilière pour une créance liquide et exigible, d'un montant de 793 139,42 euros, en principal, intérêts, arrêtée au 29 avril 2022, sans préjudice des intérêts calculés sur son principal de 538 132 euros au taux de 5% sur une année de 360 jours qui continueront à courir jusqu'à la distribution du prix de vente à intervenir et au plus tard à la date prévue par l'article R. 334-3 du code des procédures civiles d'exécution ;
' débouté la partie saisie de sa demande de délais de paiement ;
' ordonné la vente forcée des biens et droits immobiliers saisis sur la mise à prix fixée dans le cahier des conditions de vente.
M .[W] auquel ce jugement a été signifié le 7 août 2023 en a relevé appel par déclaration du 16 août 2023.
Par ordonnance sur requête du 18 août 2023 il a été autorisé à assigner à jour fixe et les copies des assignations délivrées à cette fin ont été remises au greffe avant la date fixée pour l'audience, conformément aux dispositions de l'article 922 alinéa 2 du code de procédure civile.
Aux termes de ses écritures notifiées le 29 août 2023 et signifiées aux intimés les 11,14 et 15 septembre 2023, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, il demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu le 20 juillet 2023,
Statuant à nouveau,
- de prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie du 29 avril 2022 et des actes subséquents,
- de juger la procédure de saisie-immobilière mise en 'uvre par Mme [K] irrecevable en raison de la prescription affectant son action,
A titre subsidiaire,
- de juger que la créance sera réduite en raison de la prescription affectant les pensions nées plus de cinq années avant la délivrance du commandement.
- de lui octroyer un moratoire de vingt-quatre mois,
- de statuer ce que de droit quant aux dépens.
A l'appui de sa demande de nullité du commandement de payer valant saisie immobilière fondé sur un jugement d'exequatur du jugement de divorce avec Mme [K] rendu le 13 mai 1993 par le tribunal de Genève, il fait valoir que le bien saisi est la propriété de sa seconde épouse, Mme [M] [T], la cour de justice de Genève par arrêt du 3 novembre 2008 ayant prononcé leur séparation de corps et dit que la propriété de la villa la Madone serait attribuée à l'épouse. Il précise que cette décision est opposable aux tiers en application de l'article 262 du code civil.
Il soutient par ailleurs qu'en application de la prescription applicable en Suisse (article 125 G), toute action était prescrite dix ans après le prononcé du jugement de divorce du 17 mai 1993.
Plus subsidiairement après rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient que depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, un créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution d'un jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, mais ne peut, en vertu
de l'article 2224 du code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande, et non encore exigibles à la date à laquelle le jugement avait été obtenu, il indique que les pensions alimentaires échues pour la période de 1996 (date du dernier paiement) à 2008 , puis pour la période du 18 décembre 2013 au 29 avril 2017 sont prescrites.
Enfin il sollicite un moratoire de 24 mois pour régler la somme qui serait retenue par la cour.
En réponse, et par écritures notifiées le 13 décembre 2023, auxquelles il est référé pour l'exposé exhaustif de ses moyens, Mme [K] conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet des demandes de l'appelant dont elle réclame la condamnation au paiement de la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la propriété du bien saisi l'intimée fait valoir que faute de justification de la publication au service de publicité foncière la modification du changement de régime matrimonial des époux [W] et l'attribution de l'immeuble en cause à la seule épouse lui sont inopposables.
Elle ajoute que les dispositions de l'article 262 du code civil dont se prévaut l'appelant et qui visent le divorce, ne sont pas applicables.
Elle rappelle qu'elle a été autorisée par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grasse en date du 30 octobre 2012 à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur cette villa appartenant à M. [W] et Mme [T], qui a été inscrite le 7 décembre 2012 et qu'à la suite du jugement d'exequatur du 17 décembre 2013, une inscription d'hypothèque judiciaire définitive est intervenue le 18 avril 2014.
Sur la prescription du titre exécutoire, elle indique qu'à la date du jugement de divorce, la prescription du jugement de divorce était de trente ans en France, réduit à dix ans en 2008, qu'ainsi la procédure d'exequatur a bien été menée et obtenue dans ce délai et a interrompu la prescription faisant courir un nouveau délai de dix ans qui expirait le 17 décembre 2023, en sorte qu'à la date de la délivrance du commandement, le 9 avril 2022, la prescription n'était pas acquise.
Elle rappelle que c'est le jugement d'exéquatur qui concrétise le titre exécutoire obtenu à l'issue d'une procédure contradictoire.
Par ailleurs elle estime qu'il n'y a pas prescription de la créance . Elle rappelle sur ce point que selon avis de la Cour de cassation du 4 juillet 2016, si le créancier peut poursuivre pendant 10 ans l'exécution d'un jugement portant condamnation d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut en vertu de l'article 2224 du code civil obtenir le recouvrement des sommes échues plus de 5 ans avant la date de la demande et non encore exigible à la date à laquelle le jugement a été rendu. Or en l'espèce à la date du jugement d'exequatur la créance constituée des pensions alimentaires courues jusqu'à sa date était « exigible à la date à laquelle le jugement a été rendu », c'est donc la prescription du titre exécutoire qui doit être retenue et elle se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2015 n°14-11.881, qui a considéré que l'exécution d'un jugement rendu en Allemagne pouvait être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L111-4 du code des procédures civiles d'exécution à compter de la décision d'exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date.
Le Trésor public SIP [Localité 7] et le comptable public de la recette des non résidents à [Localité 12], cités les 11 et 15 septembre 2023 par actes remis à personne de déclarant habilitée, n'ont pas constitué avocat. Dans ces conditions et en application de l'article 474 alinéa 1er du code de procédure civile, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* Sur la contestation relative à la propriété de l'immeuble saisi dénommé [Adresse 13]' à [Localité 9] :
Si l'arrêt de la cour d'appel de Genève rendu le 3 novembre 2008, entérinant l'accord des parties, a prononcé la séparation de corps entre M. [W] et sa seconde épouse Mme [T] et dit que la propriété de la villa 'la Madone' est attribué à cette dernière, M. [W] condamné à transférer cette propriété à sa conjointe ne justifie pas y avoir procédé. Il se domicilie d'ailleurs à cette adresse dans sa déclaration et ses écritures d'appel ;
Il se prévaut des dispositions de l'article 262 du code civil, applicable en matière de séparation de corps conformément à l'article 302 du même code, qui dispose que le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies, sans toutefois justifier de l'accomplissement de ces formalités de publicité ;
Le rejet du moyen sera en conséquence confirmé.
* Sur la prescription du titre exécutoire fondant la saisie immobilière :
La mesure d'exécution mise en oeuvre par Mme [K] tendant au recouvrement des arrérages d'une pension alimentaire due en vertu d'une décision judiciaire de divorce rendue le 13 mai 1993 par le tribunal de première instance de Genève déclarée exécutoire en France par jugement du tribunal de grande instance de Grasse en date du 17 décembre 2013 ;
Selon l'article L.111-3, 2° constituent des titres exécutoires les jugements étrangers déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution ;
L'appelant oppose la prescription devenue décennale du jugement de divorce du 13 mai 1993, en application des dispositions de L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution et des règles applicables en Suisse ;
En premier lieu il est jugé que le litige né de l'exécution en France d'une décision étrangère déclarée exécutoire et, comme telle, soumise à la loi française quant à la prescription (2e Civ., 19 novembre 2009, n° 08-20.501) ;
Or Mme [K] a demandé l'exequatur du jugement de divorce, dans le délai réduit à dix ans par la loi n° 208-561 du 17 juin 2008, de son prononcé et le délai de prescription de dix ans prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution n'a commencé à courir qu'à compter de cette décision d'exequatur rendue le 17 décembre 2013, de sorte qu'aucune prescription du titre n'était acquise à la date du commandement de payer valant saisie immobilière délivré le 9 avril 2022, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.
* Sur la prescription partielle de la créance :
L'appelant invoque la prescription de cinq ans prévue par l'article 128 chiffre 2 du code des obligations suisse et l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction alors applicable pour prétendre que sont prescrites les pensions alimentaires réclamées pour la période de 1996 à 2008 puis pour la période du 18 décembre 2013 au 29 avril 2017 ;
Toutefois la prescription quinquennale prévue par la loi française applicable, ne peut s'appliquer qu'à partir du moment où les créances ont été reconnues par l'Etat français, soit uniquement pour les créances postérieures à la décision d'exequatur français ;
En effet ainsi qu'exactement rappelé par le premier juge, la Cour de cassation considère que l'exécution d'un jugement étranger déclaré exécutoire peut être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L.'111-4 du Code des procédures civiles d'exécution courant à compter de la décision d'exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date (Civ. 1re, 4 nov. 2015, n° 14-11.881) ;
Enfin les poursuites concernent les arrérages échus et impayés jusqu'au mois de septembre 2010 et l'intimée indique que M .[W] n'est plus débiteur de pension alimentaire à compter du 17 décembre 2012 ;
Le rejet du moyen sera en conséquence confirmé.
* Sur les délais de paiement :
La demande qui n'est soutenue par aucun moyen ni aucune pièce justifiant de la situation personnelle et financière de M. [W], a été à juste titre rejetée.
Il s'ensuit la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions appelées.
* Sur les dépens et frais irrépétibles :
Les dépens d'appel seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.
Succombant en son recours l'appelant sera tenu de verser à Mme [S] une indemnité de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après en voir délibéré conformément à la loi, par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions appelées ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [Y] [W] à payer à Mme [R] [K] la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les dépens d'appel seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE