COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8b
ARRÊT AU FOND
DU 07 MARS 2024
N°2024/172
Rôle N° RG 21/06226 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHLIR
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'EURE-ET-LOIR
C/
Société [3]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- CPAM
- Me Guy de Foresta
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 10 Mars 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 18/10771.
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'EURE-ET-LOIR, demeurant [Adresse 1]
dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience
INTIMEE
Société [3] venant aux droits de la société [4], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Guy DE FORESTA, avocat au barreau de LYON
dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente de chambre
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mars 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mars 2024
Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon déclaration d'accident établie par la société [4] le 23 octobre 2015, M. [P], son salarié, a été victime d'un accident du travail le 21 octobre précédent 'en manipulant un bagage lourd plastifié, (il) aurait ressenti une douleur au niveau de la poitrine, le lendemain il aurait senti une compression l'empêchant de respirer'.
Le certificat médical initial joint, établi le 22 octobre 2015, mentionnait une 'déchirure musculaire hémi-thoracique droite survenue à l'effort en tirant un bagage de 32 kgs datant de 24 heures, et entraînant une impotence fonctionnelle dans le travail'.
La décision de prendre en charge l'accident au titre de la législation professionnelle a été notifiée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir à la SAS [3] venue aux droits de la société [4], par courrier du 4 novembre 2015.
La décision de prendre en charge la nouvelle lésion constatée le 31 juillet 2017, par le docteur [J], sous le terme 'PSH droite', au titre de l'accident, a été notifiée à la société par courrier de la caisse en date du 28 août 2017.
L'état de santé du salarié a été déclaré consolidé au 18 novembre 2017 avec un taux d'incapacité permanente de 15%, le médecin conseil de la caisse concluant à la 'limitation légère de tous les mouvements de l'épaule droite (6 sur 6) côté dominant'. Cette décision a été notifiée à la société par courrier du 29 novembre 2017.
La société employeur a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité de sa contestation du taux.
Après consultation de la doctoresse [X], le tribunal judiciaire de Marseille ayant repris l'instance a, par jugement rendu le 10 mars 2021, déclaré recevable le recours de la société [3] venant aux droits de la société [4], dit que le taux d'incapacité permanente partielle opposable à la société [3] venant aux droits de la société [4] et attribué à M. [P] suite à son accident du travail survenu le 21 octobre 2015 est de 5%, et condamné la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir au paiement des dépens.
Par lettre recommandée expédiée le 22 avril 2021, la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir a interjeté appel du jugement.
Par arrêt avant-dire droit du 16 septembre 2022, la présente cour a ordonné une expertise aux fins de déterminer, après examen des pièces et avis médicaux transmis par les parties, le taux d'incapacité permanente partielle de M. [P] au 19 novembre 2017, date de la consolidation de son état de santé suite à l'accident de travail du 21 octobre 2015, en précisant si les séquelles de cet accident consistent en une simple dolorisation d'un état pathologique antérieure évoluant pour son propre compte, ou si elles consistent en une limitation fonctionnelle d'origine traumatique.
Le docteur [B], désigné en qualité d'expert, a rendu son rapport le 27 mars 2023, en concluant que le taux d'incapacité permanente partielle présenté par M. [P] le 19 novembre 2017 à la suite de son accident du travail du 21 octobre 2015, consistant en une limitation fonctionnelle d'origine traumatique, est de 5%.
A l'audience du 1er février 2024, la caisse appelante, dispensée de comparaître, se réfère aux conclusions déposées au greffe de la cour le 15 mai 2023. Elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- écarter le rapport d'expertise du docteur [B],
- dire que le taux d'incapacité de M. [P] a été correctement évalué à 15%,
- débouté la société employeur.
Au soutien de ses prétentions, la caisse conteste le rapport d'expertise dès lors que la périarthrite scapulo-humérale droite (PSH) déclarée le 31 juillet 2017 a été prise en charge au titre de l'accident du travail du 21 octobre 2015 comme étant une nouvelle lésion, sans que cela ait été contesté, de sorte que les séquelles en résultant doivent être comptées parmi les séquelles de l'accident, contrairement à ce qu'a conclu l'expert en indiquant que 'la pathologie apparue secondairement (périarthrite scapulo-humérale) évolu(e) pour son propre compte'.
Elle ajoute qu'en accord avec l'expert, aucun état antérieur n'est démontré de sorte que les séquelles de la tendinopathie de l'épaule (synonyme de PSH) sont totalement indemnisables.
Elle fait remarquer que l'expert ne se fonde sur aucun chapitre du barème en visant l'article R.434-32 du code de la sécurité sociale et une 'algie thoracique', alors que le chapitre des limitations articulaires de l'épaule droite sont définies au chapitre 1.1.2 du barème indicatif. Elle considère que compte tenu des limitations constatées sur les six mouvements de l'épaule, il est indiqué de fixer le taux d'incapacité entre 10 et 15%, auquel il convient d'ajouter 5% au titre de la périarthrite douloureuse, de sorte que le taux de 15% est justifié.
La SAS [3] se réfère aux conclusions d'homologation datée du 13 avril 2023. Elle demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire, dire qu'à la date du 28 novembre 2017, le taux d'incapacité permanente partielle de M. [P] est de 5% et mettre à la charge de la caisse les frais d'expertise.
Au soutien de ses prétentions, la société se fonde sur les conclusions convergentes de la doctoresse [X] consultée en première instance et du docteur [B], désigné en appel, pour démontrer que le taux d'incapacité qui doit lui être opposable est de 5%, conformément à ce qu'avait analysé le docteur [E] le 27 mai 2022.
Elle rappelle les dispositions de l'article L.142-11 du code de la sécurité sociale pour que les frais d'expertise soient mis à la charge de la caisse.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité visé à l'article R.434-32 du même code.
Le taux d'incapacité permanente partielle doit s'apprécier à la date de consolidation du 18 novembre 2017 pour le cas d'espèce, et les situations postérieures ne peuvent être prises en considération.
Seules les séquelles résultant des lésions consécutives à l'accident du travail pris en charge par la caisse primaire doivent être prises en compte pour l'évaluation du taux d'incapacité permanente attribué à la victime en application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise du docteur [B] en date du 27 mars 2023, qu'il a conclu que M. [P] présentait, à la date de consolidation de son état santé à la suite de son accident du travail du 21 octobre 2015, un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, confirmant ainsi l'analyse de la doctoresse [X] consultée en première instance.
Néanmoins, il motive son avis en expliquant que 'la pathologie apparue secondairement (périarthrite scapulo-humérale) évoluant pour son propre compte', les séquelles en résultant ne sont pas prises en compte.
Il précise dans la discussion médico-légale que la position 'du médecin-conseil, qui globalise les lésions en présentant une gêne algo-fonctionnelle de l'épaule droite est contestable', car 'l'origine de la périarthrite scapulo-humérale ne peut être formellement traumatique', les multiples contractures musculaires avec limitation de l'élévation de l'épaule droite et l'augmentation sensible des CPK (enzymes) que l'on retrouve régulièrement dans les souffrances musculaires ayant été constatées dix mois après le fait traumatique.
L'analyse convergente de l'expert et de la médecin consultée en première instance du taux d'incapacité permanente litigieux est ainsi fondée sur leur contestation du lien entre la périarthrite scapulo-humérale du 31 juillet 2017 et l'accident du travail du 21 octobre 2015.
Cependant, comme le fait justement remarquer la caisse dans ses conclusions, sans être contredite, il résulte du courrier daté du 28 août 2017, qu'elle a notifié à la société [3], sa décision de prendre en charge au titre d'une nouvelle lésion de l'accident du travail du 21 octobre 2015, la périarthrite scapulo-humérale (PSH) droite constatée par certificat médical du docteur [J] du 31 juillet 2017 et qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cette décision ait été contestée par la société employeur.
Il s'en suit que les séquelles de la PSH doivent être prises en compte dans l'évaluation du taux d'incapacité permanente résultant de l'accident du travail du 21 octobre 2015 et la fixation du taux d'incapacité permanente par la caisse à hauteur de 15% n'est pas sérieusement contestée.
En effet, le 1.1.2 du barème indicatif d'invalidité, relatif aux atteintes des fonctions articulaires indique que pour le blocage ou les limitations des mouvements des articulations de l'épaule, quelle qu'en soit la cause, 'la mobilité de l'ensemble scapulo-huméro thoracique s'estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d'une main, l'autre main palpant l'omoplate pour en apprécier la mobilité:
- Normalement, élévation latérale : 170° ;
- Adduction : 20° ;
- Antépulsion : 180° ;
- Rétropulsion : 40° ;
- Rotation interne : 80° ;
- Rotation externe : 60°.
La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s'effectuer sans aucune gêne.
Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d'éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d'adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l'amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxilaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.'
Il est également indiqué qu'en cas de limitation légère de tous les mouvements du côté dominant le taux peut être évalué entre 10 et 15% et qu'en cas de périarthrite scapulo-humérale (P.S.H.), il sera ajouté 5 points.
Or, il résulte des mesures sur lesquelles s'accordent les médecins conseils de la caisse et de la société employeur, ainsi que l'experte consultée en première instance, que trois mouvements sur six (antépulsion, abduction et rotation externe) sont limités en deça de la norme indiquée au barème, et que les trois autres mouvements (rotation interne, rétropulsion, adduction) de l'épaule dominante, bien que dans la norme indiquée au barème, sont plus limités que ceux de l'épaule non dominante.
De même, l'écart entre la main d'une part et le vertex, le rachis, les lombes et l'épaule opposée d'autre part, mesuré par le médecin-conseil de la caisse sans qu'il soit remis en cause, démontre que la main ne se porte pas avec aisance ni au-dessus de la tête, ni derrière les lombes.
Il s'en suit que la limitation légère de tous les mouvements sur le côté dominant justifie un taux minimum de 10% et que les séquelles douloureuses traumatiques initiales, évaluées tant par l'expert désigné en appel, que la médecin consultée en première instance, à 5% s'y ajoutent.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, le jugement qui a accueilli la contestation de la société et fixé le taux d'incapacité permanente partielle opposable à 5%, sera infirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
Le taux d'incapacité permanente résultant de l'accident du travail subi par M. [P] le 21 octobre 2015, opposable à la société [3], sera fixé à 15%.
La société, succombant à l'instance, sera condamnée au paiement des dépens en vertu de l'article 696 du code de procédure civile, étant précisé que les frais de l'expertise ordonnée en appel seront laissés à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie, en application des dispositions de l'article L.142-11 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par décision contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Fixe à 15% le taux d'incapacité permanente résultant de l'accident du travail subi par M. [P] le 21 octobre 2015, opposable à la SAS [3],
Condamne la SAS [3] au paiement des dépens de la première instance et de l'appel, étant précisé que les frais de l'expertise ordonnée en appel sont laissés à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie, en application des dispositions de l'article L.142-11 du code de la sécurité sociale.
Le greffier La présidente