COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUILLET 2023
N° 2023/305
N° RG 21/10169
N° Portalis DBVB-V-B7F-BHYDO
Société MUTUELLE ASSURANCE DES INSTITUTEURS DE FRANCE (MAIF)
C/
[Y] [I]
[U] [E] [I]
CPAM DU VAR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE
-Me Elsa VALENZA
-SELARL VERIGNON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de Nice en date du 15 Juin 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/00487.
APPELANTE
Société MUTUELLE ASSURANCE DES INSTITUTEURS DE FRANCE (MAIF)
Prise en la personne de son représentant légal en exercice,
demeurant [Adresse 1]
représentée et assistée par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
INTIMES
Monsieur [Y] [I]
En qualité d'héritier de [I] [B] père décédé.
né le 12 Avril 1988 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 4]
représenté et assisté par Me Elsa VALENZA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et Me Corinne SERROR, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Paul GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
Madame [U] [E] [I]
En qualité d'héritier de M. [I] [B] père décédé
Intervenante volontaire
née le 24 Avril 1990 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée par Me Elsa VALENZA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et Me Corinne SERROR, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Paul GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
CPAM DU VAR
Agissant au nom et pour le compte de la CPAM DES ALPES-MARITIMES
Pris en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Benoît VERIGNON de la SELARL VERIGNON, avocat au barreau de GRASSE.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
Le 25 décembre 2018, alors qu'il faisait du ski à Sain Etienne de Tinée, station d'Auron, M. [B] [I] a été victime d'une chute en bas de piste au croisement des pistes bleu et verte.
Il a souffert, à la suite de cette chute, d'une tétraplégie complète haute C4 C6.
Soutenant que sa chute a été provoquée par [H] [D], mineur alors âgé de 7 ans, M. [I] a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 12 septembre 2019, a désigné en qualité d'expert, au contradictoire de la société Filia MAIF, assureur des parents de ce dernier, le docteur [A] [W]. En revanche, sa demande de provision a été rejetée motif pris du caractère sérieusement contestable de la créance d'indemnisation.
L'expert a déposé son rapport le 28 avril 2021.
Par actes des 20 et 24 janvier 2020, M. [I] a fait assigner la société Filia MAIF, aux droits de laquelle vient la société MAIF, devant le tribunal de grande instance de Nice, afin d'obtenir, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var l'indemnisation de son préjudice corporel.
Par jugement du 15 juin 2021, cette juridiction a notamment :
- dit que la responsabilité civile de [H] [D] est engagée et que la société MAIF doit indemniser M. [I] des conséquences dommageables de la collision survenue le 25 décembre 2018 ;
- sursis à statuer sur la liquidation du préjudice et renvoyé la procédure et les parties à la mise en état ;
- condamné la société MAIF à payer à M. [I] une somme de 250 000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation des intérêts ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société MAIF à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à M. [I] une indemnité de 2 000 € et à la CPAM du Var une indemnité de 800 € ainsi que les dépens.
Pour statuer ainsi, il a, en substance, considéré que les différents éléments produits établissent la réalité d'une chute consécutive à une collision avec les skis de [H] [D], assuré de la société MAIF.
M. [I] est décédé le 7 juin 2021.
Par acte du 6 juillet 2021, dirigé contre toutes les parties appelées en première instance, et dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la société MAIF a interjeté appel de cette décision en visant expressément chacun des chefs de son dispositif.
Le décès de M. [I] a été notifié le 9 août 2021.
M. [Y] [I] et Mme [U] [I], ayants droit de M. [B] [I], ont repris l'instance par conclusions du 9 août 2021.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 9 mai 2023.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 5 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société MAIF demande à la cour de :
' infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
' recevoir Mme et M. [I] en leur intervention volontaire en qualité d'ayants droit de M. [B] [I] ;
' les débouter de leurs demandes ;
' débouter la CPAM de ses demandes ;
' condamner Mme et M. [I] à lui payer une indemnité de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Subsidiairement,
' réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande de production d'un justificatif de souscription par la victime d'une assurance susceptible de prendre en charge tout ou partie du sinistre ;
Statuant à nouveau, avant dire droit sur la demande de provision,
' enjoindre à Mme et M. [I], ès qualités, de verser aux débats les justificatifs de la souscription, ou de l'absence de souscription d'une assurance qui aura pu être contractée via les moyens de paiement des remontées mécaniques ou une carte neige, et susceptible de couvrir tout ou partie des conséquences dommageables de l'accident, ainsi que les réclamations qui ont été adressées aux sociétés d'assurance concernées ;
' surseoir à statuer sur la demande de provision ;
' réserver les dépens.
Elle fait valoir que :
Sur les circonstances de la chute :
- les secours et les gendarmes étant arrivés après celle-ci, la mention d'une collision dans le rapport d'intervention et le procès verbal de gendarmerie procède de supputations ;
- la seule présence de l'enfant à proximité du lieu de chute de M. [I] ne signifie pas nécessairement qu'il est entré en collision avec celui-ci mais seulement qu'il a également chuté au même moment sans que les deux chutes aient nécessairement de rapport entre elles ;
- ni Mme [U] [I] ni M. [R], père de l'enfant n'ont assisté à une collision puisqu'ils expliquent tout au plus avoir vu M. [I] et l'enfant tomber à basse vitesse sans fournir la moindre information sur l'origine de leur chute ;
- les gendarmes ont eux même conclu qu'il n'était pas possible de retenir la moindre responsabilité ;
- les éléments médicaux font état d'un traumatisme de la face qu'un enfant mesurant 1 mètre 22 ne peut avoir provoqué à lui seul, en bas des pistes sur une surface quasi plane, de sorte qu'il est plus probable que l'accident soit dû à une faute de carre de M. [I] ;
Sur la responsabilité de son assuré :
- dès lors qu'il n'est démontré par aucun élément que les skis de l'enfant, chose mobile, sont entrés en contact avec le siège du dommage, sa responsabilité de ce dernier n'est pas engagée ;
- la responsabilité des parents de l'enfant n'est pas davantage engagée sur le fondement de l'article 1242 al 4 puisqu'aucun élément objectif ne démontre un fait fautif de l'enfant à l'origine du dommage subi par M. [I].
S'agissant de la demande de provision, dès lors qu'une assurance a pu être contractée par la victime à l'occasion de sa journée de ski, le dommage subi a vocation à être pris en charge en tout ou partie par l'assureur concerné et il appartient aux intimés d'en justifier.
Dans leurs dernières conclusions d'intimés régulièrement notifiées le 9 décembre 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, Mme et M. [I], ès qualités, demandent à la cour de :
' confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
' débouter la société MAIF de son appel ;
' renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins d'évaluation des préjudices à la suite du dépôt du rapport d'expertise ;
' condamner la société MAIF à leur payer une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la société MAIF aux dépens.
Ils font valoir que :
Sur les circonstances de la chute :
- l'existence d'une collision entre skieurs est établie par les déclarations de M. [I] qui, avant son décès a expliqué avoir ressenti un violent choc au visage et entendu un bruit de skis qui s'entrechoquent, par le rapport d'intervention des secours qui mentionne expressément une collision entre skieurs ainsi que le nom de l'enfant impliqué et les coordonnées de son père qui, en acceptant de fournir son identité et ses coordonnées téléphoniques, n'a manifestement pas considéré que son fils était étranger à la chute et par les déclarations de Mme [U] [I] et son compagnon qui, s'ils n'ont pas vu la collision, attestent que les secouristes, à leur arrivée, se sont occupés de l'enfant qu'ils ont installé sur une civière puis remonté en moto neige jusqu'au parking où une ambulance l'a conduit chez le médecin de la station qui a constaté un large hématome sur le côté gauche de son visage ;
- les allégations de la société MAIF procèdent de pures supputations qui ne sont étayées par aucun élément objectif, alors que le rapport des secouristes, les déclarations de la victime, celles de Mme [I] et son compagnon, le comportement de M. [R] et la blessure dont l'enfant a souffert, consacrent un faisceau d'indices concordants ;
Sur la garantie de la société MAIF,
- le contrat d'assurance qui lie les époux [R] à la société MAIF couvre leur responsabilité civile sur le fondement des articles 1242 al 1 et 1242 al 4 du code civil ;
- l'enfant était gardien de ses skis, chose mobile qui est entrée en contact avec le siège du dommage, de sorte que sa responsabilité de plein droit est engagée ;
- les parents d'un enfant mineur sont responsables des dommages causés par celui-ci et il s'agit d'une responsabilité objective, de plein droit qui est engagée dès lors que le dommage invoqué par la victime a été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ;
- M. [I] était titulaire d'une part d'un contrat d'assurance 'accident et famille' auprès de la société GMF mais, après un examen par le docteur [Z] [S] le 2 septembre 2019, cette garantie n'a pas été mobilisée, d'autre part d'un contrat d'asusrance lié au forfait de remontée mécanique et à sa carte bleue mais il a essuyé un refus de prise en charge au motif que son forfait n'était valable que sur une demi journée.
Dans ses dernières conclusions d'intimée régulièrement notifiées le 22 décembre 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour un plus ample exposé des moyens, la CPAM du Var demande à la cour de :
' confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. [R] et réservé ses droits ;
En conséquence,
' dire et juger M. [R] entièrement responsable dans la survenance de l'accident dont M. [I] a été victime le 25 décembre 2018 ;
' réserver son droit à remboursement des débours jusqu'à fixation du préjudice subi, y compris pour tous débours actuels et futurs servis sur le compte de la victime ;
' condamner la société MAIF à lui payer une somme de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel et aux dépens distraits au profit de son avocat.
Elle fait valoir que :
- la responsabilité de M. [R] est engagée sur le fondement de l'article 1242 du code civil selon les termes retenus par le tribunal en qualité de père du mineur, gardien des skis qui sont entrés en contact avec la victime et qui sont à l'origine de la chute dommageable ;
- elle est subrogée dans les droits de la victime et justifie avoir engagé des débours définitivement évalués à 381 608,28 € au titre de prestations en nature et 31 658,76 € au titre d'indemnités journalières.
*****
L'arrêt sera contradictoire conformément aux dispositions de l'article 467 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la responsabilité de [H] [D]
En application de l'article 1242 du code civil, on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des choses que l'on a sous sa garde.
Le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées trouve son fondement dans la notion de garde, indépendamment du caractère intrinsèque de la chose et de toute faute personnelle du gardien. Cette responsabilité objective est liée à l'usage qui est fait de la chose ainsi qu'aux pouvoirs de surveillance et de contrôle exercés sur elle, qui caractérisent la garde.
Elle pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, sauf à prouver qu'il n'a fait que subir l'action d'une cause étrangère, le fait d'un tiers imprévisible et irrésistible ou la faute de la victime.
Si en présence d'un dommage provoqué par une chose inerte, il appartient à la victime de démontrer le rôle causal de la chose dans l'accident, en revanche, lorsque la chose est en mouvement et qu'elle est entrée en contact avec le siège du dommage, la victime bénéficie d'une présomption de causalité entre le fait de la chose et le dommage.
En l'espèce, il résulte d'un document intitulé 'reconnaissance d'intervention de la régie des secours d'Auron' que les secours sont intervenus le 25 décembre 2018 pour 'un accident de ski avec traumatisme de la face'. Les circonstances rapportées dans ce rapport sont les suivantes : 'collision entre personnes ; tiers impliqué [H] [D] ; père [V] [R]' suivi du numéro de téléphone de ce dernier.
Une procédure a été dressée par les services de gendarmerie. Le procès verbal rapporte une collision entre deux skieurs au pied des pistes verte et bleu, précisant qu'à cet endroit la piste est plate, sans possibilité de vitesse. Il fait état de deux protagonistes, [H] [D] et [B] [I] et de deux témoins, Mme [U] [I] et M. [V] [R], père de [H] [D].
Selon les termes de cette procédure, les deux témoins ont été incapables d'expliquer la collision, déclarant avoir vu leur proche tomber à basse vitesse sans pouvoir donner d'élément sur l'origine de cette chute.
Les enquêteurs concluent que leurs investigations 'n'ont pas permis d'établir la moindre responsabilité dans cet accident de ski, tant au niveau de la station que des deux protagonistes'.
Ni les services de secours ni les gendarmes n'ont assisté à la chute de M. [I].
Cependant, la conclusion du procès verbal de gendarmerie doit être appréciée à l'aune de la nature de la mission des gendarmes, qui consiste à déterminer si des infractions sont susceptibles d'être relevées. Elle n'a aucune autorité à l'égard d'une juridiction civile chargée d'analyser par elle-même les éléments soumis à son appréciation pour déterminer si la responsabilité du fait des choses, qui est une responsabilité de plein droit, de [H] [D] est susceptible d'être engagée.
Il résulte des déclarations de M. [R], qui skiait derrière son fils, qu'à son arrivée sur les lieux, en bas de la piste, celui-ci était allongé dans la neige et qu'un homme était allongé à environ 2/3 mètres de distance.
Avant son décès, M. [B] [I] a lui-même rédigé une attestation dans laquelle il indique qu'il se dirigeait vers le télésiège à une vitesse modérée pour aller chercher le télésiège, que sa visibilité était bonne, qu'il n'y avait ni personne ni obstacle dans son champs de vision, la piste étant dégagée, que 'tout à coup' il a ressenti un choc très violent au visage puis entendu des bruits de ski qui s'entrechoquent et qu'il s'est retrouvé sur le dos, dans l'impossibilité de bouger les jambes et les bras. Il ajoute 'je n'ai pas vu le petit garçon qui m'a percuté'.
Le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n'est pas applicable à la preuve d'un fait juridique.
Mme [X] [I], fille de la victime, dans une première attestation, explique que son père skiait devant elle à 50-100 mètres à allure modérée, qu'elle l'a perdu de vue quelques secondes avant de l'apercevoir allongé au sol au centre la piste tout en remarquant 'très vite' un second skieur allongé, jeune, en amont de sa position. Elle ajoute avoir alors 'compris qu'ils s'étaient percutés', et que tous deux avaient perdu leurs skis.
Son témoignage est confirmé dans les mêmes termes par son compagnon M. [M] qui skiait avec elle.
Dans une deuxième attestation, Mme [I] indique que l'enfant a été conduit chez le médecin et qu'elle était présente au cabinet quand il en est reparti avec ses parents.
Son compagnon, M. [M] le confirme, qui précise en outre que l'enfant est reparti du cabinet médical avec un important bleu au visage.
L'attestation rédigée par M. [I] fait ressortir que sa chute est due à une collision puisqu'il a ressenti au moment où celle-ci s'est produite un choc très violent au visage puis entendu des bruits de ski qui s'entrechoquent.
Or, au même moment, selon les déclarations de Mme [I] et M. [M], [H] [D] a lui-même chuté.
Les témoins précisent que les deux skieurs ont déchaussé.
Selon M. [R], à son arrivée sur les lieux, son fils était allongé dans la neige et un homme était allongé à environ 2/3 m de distance.
C'est au regard de ces éléments que, tant les services de secours que les gendarmes, ont retenu l'hypothèse d'une collision entre M. [I] et [H] [D].
D'ailleurs, ce dernier a lui-même été transporté au cabinet du médecin de la station, et M. [M] qui l'a vu en repartir, atteste qu'il présentait un bleu sur le visage.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que M. [I] a ressenti un choc très violent et entendu un bruit de skis qui s'entrechoquent avant de chuter et que dans le même trait de temps, l'enfant s'est lui-même retrouvé au sol, déchaussé et blessé.
Il existe donc un faisceau d'éléments précis et concordants permettant de conclure que la chute de M. [I] est due à une collision avec l'enfant, même si elle s'est produite à vitesse modérée puisque la piste à cet endroit présentait une très faible déclivité et que M. [I] a déclaré qu'il skiait à allure très modérée pour rejoindre le télésiège.
La gravité des blessures ne peut suffire pour exclure toute collision avec l'enfant motif pris de la petite stature de celui-ci et de la vitesse à laquelle les deux protagonistes skiaient.
En effet, les chutes de ski, par le choc entre personnes mais également avec le matériel, peuvent avoir, même à faible cinétique, des conséquences délétères.
Lorsqu'ils sont utilisés pour descendre une piste, les skis correspondent à une chose en mouvement. En cas d'accident, le skieur qui exerce un pouvoir de contrôle et de direction sur ceux-ci forme avec eux un ensemble, de sorte que la collision entre lui et un autre skieur implique que ses skis ont été l'instrument du dommage.
La responsabilité de plein droit de l'enfant [H] [T] est donc engagée et le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a dit que la société MAIF, assureur responsabilité civile, doit indemniser M. [I] des dommages que cette collision lui a causés.
Sur la demande de provision
Le certificat médical de premières constatations, dressé après la chute, fait état d'un traumatisme facial et de troubles neurologiques, de plaies multiples de la face et d'un déficit moteur distal des membres inférieurs ainsi que d'un déficit moteur proximal des membres supérieurs.
Le juge peut accorder à la victime d'un dommage une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, à condition que la créance ne soit pas sérieusement contestable.
En l'espèce, la société MAIF, assureur responsabilité civile de [H] [D], demande qu'avant toute condamnation à son encontre, les consorts [I] produisent un justificatif de souscription par la victime d'une assurance susceptible de prendre en charge tout ou partie de son indemnisation.
Cependant, dès lors que la société MAIF ne conteste pas avoir conclu avec les parents de [H] [D] un contrat garantissant leur responsabilité civile, laquelle inclut celle des mineurs vivant sous leur toit, elle est débitrice de l'indemnisation due à la victime du dommage sans pouvoir exiger de cette dernière ou de ses ayants droits qu'ils mobilisent au préalable une autre garantie.
En l'espèce, les consorts [I] justifient qu'aucune garantie attachée au forfait de remontée mécanique n'a été mobilisée.
Quant à l'assurance 'accident et famille'souscrite auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (société GMF), si une expertise a été diligentée par cet assureur, la société MAIF ne démontre pas qu'une quelconque indemnisation a déjà été versée à ce titre à M. [I].
L'existence de cette garantie ne suffit donc pas à rendre la créance des consorts [I] à l'égard de la société MAIF sérieusement contestable dans son principe, même s'il appartiendra au juge chargé d'indemniser, afin de prévenir une double indemnisation, de prendre en compte les indemnités versées par tout assureur en réparation du préjudice causé par cet accident de ski.
S'agissant du montant de la provision, le premier juge a alloué à M. [I] une somme de 250 000 € au regard de l'importance des séquelles, à savoir une tétraplégie niveau C5.
Le docteur [W], expert, dans son rapport déposé le 28 avril 2021, soit un peu plus d'un mois avant le décès, a conclu à la nécessité d'une assistance par tierce personne à raison de dix heures par jour d'aide active et une surveillance passive la nuit, étant précisé que M. [I] est rentré à son domicile le 4 septembre 2019.
La consolidation a été fixée au 25 décembre 2020, soit deux ans après le fait dommageable.
Au moment de l'accident, M. [I], âgé de 61 ans, était retraité. Il n'existe donc pas de préjudice professionnel.
L'expert a retenu des périodes de déficit fonctionnel temporaire total du 25 décembre 2018 au 4 septembre 2019, puis du 3 février 2020 au 7 février 2020, du 18 août 2020 au 11 septembre 2020 et du 23 septembre 2020 au 25 septembre 2020 avec, entre ces périodes un déficit fonctionnel temporaire partiel à 90 %
Les souffrances endurées ont été évaluées à 6/7, le préjudice esthétique temporaire à 5/7 pendant deux ans, le déficit fonctionnel permanent à 90 %, le préjudice esthétique permanent à 5/7, outre un préjudice d'agrément et un préjudice sexuel.
M. [I] est, depuis, décédé. Les préjudices permanents seront donc indemnisés au prorata de la durée de vie de la victime entre la consolidation et le décès.
Au regard de ces éléments qui caractérisent un préjudice corporel très important et même en tenant compte du décès survenu le 7 juin 2021, la créance d'indemnisation des ayants droit ne peut être considérée comme sérieusement contestable en deçà d'une somme de 250 000 €.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a condamné la société MAIF à payer une somme de 250 000 € à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel de M. [I].
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime et à la CPAM sont confirmées.
La société MACIF, qui succombe dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation, supportera la charge des entiers dépens d'appel.
La partie qui doit supporter l'intégralité des dépens n'est pas fondée à obtenir une indemnité pour frais irrépétibles.
L'équité justifie d'allouer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité de 2 500 € à Mme et M. [I] et une indemnité de 1 000 € à la CPAM du Var au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice le 15 juin 2021 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société MAIF à payer à Mme et M. [I] en qualité d'ayants droit de M. [B] [I] une indemnité de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;
Condamne la société MAIF à payer à la CPAM du Var une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;
Déboute la société MAIF de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
Condamne la société MAIF aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT