COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Indemnisation de la détention provisoire
DECISION AU FOND
DU 05 JUILLET 2023
N° 2023/ 28
N° RG 22/00033 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJQ4B
[Y] [E]
C/
LE PROCUREUR GENERAL
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
copie exécutoire délivrée
le 5 juillet 2023
à Me D'ARRIGO
Décision déférée à la Cour :
Décision en matière de réparation du préjudice subi à raison d'une détention provisoire rendue le 05 juillet 2023 prononcée sur requête déposée le 9 juin 2022.
DEMANDERESSE A LA REQUÊTE
Madame [Y] [E]
née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 3], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Christine D'ARRIGO, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDEUR A LA REQUÊTE
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Clémence AUBRUN de la SELARL BREU-AUBRUN-GOMBERT et associés, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
En présence de madame la procureure générale, en la personne de madame Martine ASSONION, substitut général, laquelle a été entendue en ses réquisitions.
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DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 19 juin 2023 en audience publique devant Anne SEGOND, présidente decChambre déléguée par ordonnance de monsieur le premier président.
En présence de madame la procureure générale à laquelle l'affaire a été régulièrement communiquée, en la personne de madame Martine ASSONION, substitut général, laquelle a été entendue en ses réquisitions.
Greffier lors des débats : Florence CHUPIN faisant fonction et assermentée
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2023.
DECISION
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2023,
Signée par Anne SEGOND, présidente de chambre et Florence CHUPIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Par requête réceptionnée le 9 juin 2022, [Y] [E] a sollicité la réparation du préjudice subi à la suite d'une détention provisoire d'une durée de 6 mois 4 jours, du 22 décembre 2017 au 12 janvier 2018, date à laquelle elle a été placée sous contrôle judiciaire, puis du 15 mars 2018 au 29 août 2018.
Elle sollicite la somme de 416 160 € se décomposant comme suit :
- 200 000 € au titre du préjudice moral
- 97 909 € au titre du préjudice matériel lié à la perte de gains professionnels
- 75 000 € au titre du préjudice matériel lié à l'atteinte à sa réputation professionnelle et à la perte de chance de conclure de futurs contrats
- 31 251 € au titre du préjudice matériel correspondant à la perte de chance liée à l'exonération dont sa société aurait pu bénéficier dans le règlement de sa dette auprès de la MSA
- 8 400 € au titre des frais d'avocat
- 3 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat en date du 15 février 2023 proposant d'allouer à la requérante la somme de 15 000 € au titre du préjudice moral , la somme de 8 400 € au titre des frais d'avocat, de rejeter les autres demandes et de diminuer la demande au titre de l'article 700;
Vu les conclusions du procureur général en date du 6 avril 2023 tendant à la réduction de la somme réclamée au titre du préjudice moral et de l'article 700, à ce qu'il soit fait droit à la demande au titre des frais d'avocat et au rejet des autres demandes ;
Vu les conclusions en réponse et pièces adressées le 11 mai 2023 par le conseil de [Y] [E] ;
Vu les conclusions en réplique déposées le 16 juin par l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les observations des parties à l'audience du 19 juin 2023 ;
EN LA FORME
Formulée dans le délai légal, la requête est recevable en application des articles R 26 et 149-2 du code de procédure pénale.
AU FOND
Ayant subi une détention provisoire à l'occasion d'une procédure pénale des chefs d'extorsions et tentatives d'extorsions en bande organisée, association de mallfaiteurs en vue de la préparation de crimes et délits punis de 10 ans d'emprisonnement et blanchiment en bande organisée, la requérante qui a bénéficié d'une décision de relaxe rendue le 15 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille, est bien fondée à solliciter la réparation du préjudice directement causé par cette privation de liberté d'une durée de 6 mois 4 jours.
Préjudice matériel
Elle sollicite :
- 97 909 € au titre du préjudice matériel lié à la perte de gains professionnels
- 75 000 € au titre du préjudice matériel lié à l'atteinte à sa réputation professionnelle et à la perte de chance de conclure de futurs contrats
- 31 251 € au titre du préjudice matériel correspondant à la perte de chance liée à l'exonération dont sa société aurait pu bénéficier dans le règlement de sa dette auprès de la MSA
- 8 400 € au titre des frais d'avocat
Préjudice moral
[Y] [E] fait valoir au titre de son préjudice moral les éléments suivants:
- les conditions de détention aux [4]: Est produit un communiqué de l'OIPconcomitant à l'incarcération de [Y] [E] faisant état d'une prison low cost très dégradée et d'une surpopulation pénale.
- les conséquences sommatiques et psychologiques résultant de cette détention provisoire sont justifiées par le certificat médical du Dr [S] en date du 11 mai 2022.
- sa situation familiale particulière: [Y] [E] a deux fils jumeaux qui ont eu 20 ans pendant qu'elle était en détention et dont l'un est atteint d'une maladie rare qui entraine des interventions chirurgicales régulières pour reconstruire son visage. Une opération était programmée et a été repoussée en raison de sa détention.
Ces chefs d'aggravation seront retenus.
- L'évocation de son patronyme comme ayant aggravé ses conditions de détention: la déclaration selon laquelle il n'est pas sérieusement contestable que du fait de son patronyme elle a été la cible de pressions et menaces réitérérées d'autres détenues, est insuffisante pour caractériser et justifier la réalité de ces pressions.
- des menaces de mort pesant sur sa vie: Les menaces de mort alléguées résulteraient principalement de sa mise en examen, aucun élément ne permettant d'en caractériser certaines comme imputables à sa détention. Les événement de novembre et décembre 2018 visés dans sa plainte du 7 décembre 2018, se sont en effet déroulés alors qu'elle avait été libérée depuis le mois d'août 2018.
Ces deux chefs d'aggravation ne seront pas retenus.
Au regard de ces éléments, de l'âge de [Y] [E] et de son casier judiciaire qui ne porte trace d'aucune condamnation, son préjudice moral sera justement réparé par l'allocation de la somme de 35.000 €.
Préjudice matériel
- perte de chiffre d'affaires de la société
Le préjudice subi par la société dont elle était la gérante, ne saurait donner lieu à indemnisation à son profit.
- perte de gains professionnels résultant de la prise de congés payés :
[Y] [E] fait valoir qu'elle disposait d'un revenu journalier de 203 € et sollicite la somme de 38.164 € correspondant aux salaires qui auraient dû être perçus, précisant qu'elle a utilisé 177 jours de congés payés pour s'assurer un maintien de salaires pendant sa détention provisoire , et n'a pas été rémunérée en août 2018, n'ayant plus de congés payés.
Il convient de lui allouer la somme de 4263 € ( soit 21 jours x 203) au titre du salaire non perçu en août 2018.
En ce qui concerne les autres mois, le préjudice subi résulte non d'une perte de gains, mais d'une perte de chance d'utiliser ses congés payés dans d'autres circonstances.
Une somme de 10.000 € lui sera allouée de ce chef.
- atteinte à sa réputation professionnelle et perte de chance de conclure de futurs contrats
Il résulte des explications de [Y] [E] que c'est principalement en raison de la nature des infractions pour lesquelles elle a été mise en examen qu'elle aurait subi un préjudice de ce chef.
En outre, les répercussions en terme de contrats à venir ont affecté la société [6] et non [Y] [E] personnellement.
La demande de ce chef sera rejetée.
- préjudice lié au retard dans le règlement de la dette auprès de la MSA
le préjudice allégué de ce chef impacte également la société et non [Y] [E] en personne.
Au surplus une date de médiation fixée au 22 février 2018, date à laquelle [Y] [E] était en liberté, avait été proposée.
- frais d'avocat:
ces frais, acceptés par l'agent judiciaire de l'Etat seront pris en considération.( 8400 € )
Frais irrépétibles
Il est inéquitable de laisser à la charge de [Y] [E] le montant des frais irrépétibles qu'il a dû exposer dans la présente procédure et qui seront évalués à la somme de 1.500 €
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PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort;
Déclare la requête en réparation du préjudice causé suite à la détention provisoire subie par [Y] [E] , recevable.
Fixe à la somme de 35 000 € (trente cinq mille euros) le préjudice moral subi par [Y] [E]
Fixe à la somme de 14 263 € (quatorze mille deux cent soixante trois euros) le préjudice matériel subi par [Y] [E]
Fixe à la somme de 8 400 € (huit mille quatre cents euros) le préjudice subi au titre des frais d'avocat engagés.
Fixe à la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) l'indemnité de procédure
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
Le greffier, La présidente,