COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 30 JUIN 2023
N° 2023/232
Rôle N° RG 20/02245 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFTBC
[C] [G] - [I]
C/
Association ENTRAIDE
Copie exécutoire délivrée le :
30 JUIN 2023
à :
Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Johan DADOUN, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 22 Janvier 2020 enregistré au répertoire général sous le n° F19/01773.
APPELANTE
Madame [C] [G] - [I], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Association ENTRAIDE prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Johan DADOUN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Madame [C] [G]-[I] a été engagée par l'association ENTRAIDE suivant contrat à durée indéterminée du 29 juillet 2003 en qualité d'aide-soignante.
Madame [G]- [I] a été en arrêt de travail pour cause de maladie à compter du 23 mai 2014, a été reconnue travailleuse handicapée à compter du 18 septembre 2015 et a bénéficié d'une pension d'invalidité catégorie 2 à compter du 1er mai 2017.
A l'issue de la visite médicale de reprise du 2 mai 2017, le médecin du travail a rendu l'avis suivant: « Mme [I] est inapte à son poste de travail. Mme [I] ne peut en effet pas assurer un poste à temps complet et d'autant s'il nécessite une activité physique régulière. Elle peut par contre assurer un poste administratif à temps partiel (50%) même si cela implique un déplacement dans le département ».
Par courrier du 19 juin 2017, Madame [G] - [I] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement et, par courrier du 6 juillet 2017, elle a été licenciée pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, Madame [G]-[I] a saisi, le 16 novembre 2017, le conseil de prud'hommes de Marseille, lequel, par jugement du 22 janvier 2020, a :
- dit et jugé que la mesure de licenciement prise à l'encontre de Madame [G]-[I] est fondée sur une cause réelle et sérieuse.
- en conséquence, débouté Madame [G]-[I] de l'ensemble de ses demandes.
- débouté l'association ENTRAIDE de sa demande reconventionnelle.
- condamné la partie demanderesse aux entiers dépens.
Madame [G]-[I] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 17 juillet 2020, elle demande à la cour de :
- réformer dans sa totalité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 22 janvier 2020.
En conséquence,
- dire et juger que l'employeur n'a pas valablement et régulièrement consulté les délégués du personnel.
- dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation loyale de reclassement.
- dire et juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Madame [G]-[I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- constater le préjudice Madame [G] - [I].
En conséquence,
- condamner l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :
* 3.827,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis.
* 34.443,72 € à titre de dommages -intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (violation de l'obligation de reclassement).
- condamner l'employeur à verser une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- ordonner les intérêts légaux à compter du jour de la demande en justice et leur capitalisation.
- condamner aux entiers dépens.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 1er octobre 2020, l'association ENTRAIDE demande à la cour de :
- constater que l'association ENTRAIDE a respecté loyalement et en toute bonne foi son obligation de reclassement.
- constater le caractère exorbitant des demandes formulées par Madame [G]-[I] qui ne justifie d'ailleurs d'aucun préjudice ou encore de sa situation professionnelle actuelle.
En conséquence :
A titre principal :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 22 janvier 2020 en toutes ses dispositions.
- dire et juger la mesure de licenciement prononcée à l'encontre de Madame [G]-[I] fondée sur une cause réelle et sérieuse.
- débouter purement et simplement Madame [G]-[I] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
A titre subsidiaire :
- ramener à de plus justes proportions les indemnités pouvant être allouées à la personne de Madame [G]-[I].
En toutes hypothèses :
- condamner Madame [G]-[I] au paiement de la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner Madame [G]-[I] aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la consultation des délégués du personnel
Sur le fondement de l'article L.1226-2 du code du travail, Madame [G]-[I] invoque une irrégularité objective de la procédure de licenciement en ce que la seule lecture du procès-verbal de consultation des délégués du personnel produit par l'employeur permet de constater que ce dernier n'a pas régulièrement recueilli l'avis des délégués du personnel puisqu'il n'est fait mention d'aucun avis sur les propositions de postes adressées par l'employeur. Elle invoque également l'affirmation mensongère de l'employeur qui a cru pouvoir lui indiquer, dans son courrier du 15 juin 2017, que les délégués du personnel ont conclu que les postes disponibles ne pouvaient être retenus et n'ont pu faire aucune autre proposition. Elle relève également que la forme d'un tel procès-verbal est particulièrement troublante puisque elle est intégralement dactylographiée, à l'exception de parties laissées en blanc et la partie dactylographiée ne mentionne nullement les personnes prétendument présentes lors de la réunion (seul Monsieur [L] [D] [A] est - difficilement - signataire du procès-verbal du 8 juin 2017 et la mention laissée en blanc pour un second signataire reste vide).
L'association ENTRAIDE fait valoir qu'elle s'est parfaitement acquittée de ses obligations légales en ce que les délégués du personnel ne doivent être consultés que si une proposition de reclassement peut être formulée au bénéfice de la salariée. Or, en l'espèce, aucune proposition conforme aux préconisations de la médecine du travail n'a été formulée au bénéfice de Madame [G]-[I]. L'établissement d'affectation de la salariée (au Roy d'Espagne) ne comportait qu'un seul délégué titulaire, en la personne de Monsieur [L] [D] [A], et un délégué suppléant de sorte que c'est à bon droit que le procès-verbal produit aux débats ne comporte qu'une seule signature, celle de Monsieur [L] [D] [A]. C'est d'ailleurs parce qu'il n'avait aucune proposition à formuler, aucune possibilité de reclassement, que celui-ci a laissé en blanc la partie de ce procès-verbal relative aux propositions éventuelles. De plus, Monsieur [L] [D] [A] a assisté Madame [G]-[I] et si une irrégularité avait été commise par l'association ENTRAIDE, non seulement Monsieur [L] [D] [A] n'aurait pas manqué de l'indiquer lors de l'entretien préalable mais encore celui-ci l'aurait fait apparaître dans le cadre d'un compte rendu de l'entretien préalable. L'association ENTRAIDE demande donc de constater que la consultation des délégués du personnel a été sincère et légitime.
*
Il ressort de la fiche du 2 mai 2017 que le médecin du travail a renseigné une 'fiche d'aptitude médicale' en décidant que Madame [G]-[I] était 'inapte à son poste de travail. Mme [I] ne peut en effet assurer un poste à temps complet et d'autant s'il nécessite une activité physique régulière.
Elle peut par contre assurer un poste administratif à temps partiel (50%) même si cela implique un déplacement dans le département'.
L'article L.1226-2 du code du travail (dans sa version du applicable du 1er janvier 2017 au 24 septembre 2017) précise : « Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L.4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ».
Lorsqu'un salarié est déclaré inapte à l'issue d'une période de suspension du contrat de travail, il appartient à l'employeur de consulter les représentants du personnel sur les possibilités de reclassement avant d'engager la procédure de licenciement, même en l'absence de proposition de reclassement.
La consultation préalable des délégués du personnel constitue une formalité substantielle à défaut de laquelle le licenciement est considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Si la loi n'impose aucune forme particulière, l'employeur doit procéder à une consultation et recueillir l'avis des représentants du personnel quant au reclassement d'un salarié déclaré inapte. Il appartient également à l'employeur de rapporter la preuve que les délégués du personnel ont bien donné leur avis.
L'association ENTRAIDE produit un document intitulé 'consultation des délégués du personnel dans le cadre de l'article L.1226-2 du code du travail' qui est signé de Monsieur [L] [D] [A]. Il ne s'agit pas d'un procès-verbal et ce document ne constate ni ne comporte d'indication quant à un avis qui aurait été rendu par Monsieur [L] [D] [A], délégué du personnel. Ce document ne permet donc pas de justifier que le délégué du personnel a été consulté régulièrement et a émis un avis. L'association ENTRAIDE ne produisant pas d'autre élément, il convient de dire que le licenciement de Madame [G]-[I] est sans cause réelle et sérieuse.
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (51 ans), de son ancienneté (13 ans), de sa qualification, de sa rémunération (1.913,54 € ), des circonstances de la rupture et de la période de chômage qui s'en est suivie et qui est justifiée jusqu'au 4 février 2019, il convient d'accorder à Madame [G]-[I] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 20.000 €.
Il convient également d'accorder à Madame [G]-[I] la somme de 3.827,08 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
Sur les intérêts
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 21 novembre 2017, et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu'elle est demandée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées. Il est équitable de condamner l'association ENTRAIDE à payer à Madame [G]-[I] la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en première instance et en cause d'appel.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de l'association ENTRAIDE, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Madame [C] [G]-[I] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association ENTRAIDE à payer à Madame [C] [G]-[I] les sommes de :
- 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.827,08 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2017 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne l'association ENTRAIDE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction