COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2023
N° 2023/297
N° RG 21/16968
N° Portalis DBVB-V-B7F-BIPLG
[G] [F]
C/
Compagnie d'assurance MUTUELLE DES MOTARDS
Caisse CAMIEG
S.A.S. EDF ASSURANCES - GROUPE EDF
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Karine TOUBOUL-ELBEZ
-Me Etienne ABEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MARSEILLE en date du 07 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/09082.
APPELANTE
Madame [G] [F]
née le [Date naissance 3] 1978 à [Localité 10],
demeurant [Adresse 6] - [Localité 2]
représentée et assistée par Me Karine TOUBOUL-ELBEZ, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Fanny LAVAILL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Compagnie d'assurance MUTUELLE DES MOTARDS,
demeurant [Adresse 4] - [Localité 5]
représentée et assistée par Me Etienne ABEILLE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
Caisse CAMIEG,
demeurant [Adresse 1] - [Localité 9]
Défaillante.
S.A.S. EDF ASSURANCES (GROUPE EDF),
demeurant [Adresse 7] - [Localité 8]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 17 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anne-Marie BLANCO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
Mme [G] [F] expose que le 10 septembre 2011 elle a été victime d'un accident de la circulation, alors qu'elle était passagère d'une moto conduite par M. [J] [R], assuré auprès de la mutuelle des motards.
Elle a perçu une première provision de 7000€ puis une seconde de 7000€.
La mutuelle des motards a organisé une expertise amiable et contradictoire confiée au docteur [I] qui a déposé un pré-rapport de non-consolidation, puis son rapport définitif le 17 février 2016 après avoir recueilli l'avis d'un sapiteur en stomatologie et en lésions dentaires.
Mme [F] a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 25 mai 2018 a condamné l'assureur à lui payer une provision complémentaire de 7500€.
Par actes du 24 juillet 2019, Mme [F] a fait assigner la mutuelle des motards devant le tribunal de grande instance de Marseille, pour la voir condamner à l'indemniser de ses préjudices corporels et ce, au contradictoire de la société EDF assurance-groupe EDF, et de la CAMIEG en leur qualité de tiers payeur.
La mutuelle des motards qui ne conteste pas le droit à indemnisation intégrale de la victime a présenté des offres chiffrées d'indemnisation
Par jugement du 7 septembre 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire a :
- donné acte à la mutuelle des motards qu'elle ne conteste pas devoir indemniser Mme [F] des conséquences dommageables de l'accident du 10 septembre 2011 ;
- évalué le préjudice corporel de Mme [F] après déduction des débours des tiers payeurs à la somme de 103'247,52€ ;
- condamné en conséquence la mutuelle des motards à payer avec intérêts au taux légal à compter du jugement à Mme [F] la somme de 81'747,52€ en réparation de son préjudice corporel, et ce, déduction faite de la provision précédemment allouée, outre la somme de 1300€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que la somme de 95'298,57€ portera intérêts au double du taux légal entre le 8 août 2016 et le 29 avril 2020 ;
- déclaré le jugement commun et opposable à la CAMIEG et à la société EDF assurances ;
- condamné la mutuelle des motards aux entiers dépens.
Le droit à indemnisation intégrale de la victime n'étant pas contesté, le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
- dépenses de santé : 23'470,39€ pris en charge par la CAMIEG et de 1863,02€ revenant à la victime,
- frais d'assistance à expertise : 3600€
- frais de coiffeur et de stationnement : 28,50€
- assistance par tierce personne temporaire : 1368€ en fonction d'un coût horaire de 18€,
- perte de gains professionnels actuels : 15'355,15€ au titre d'un maintien de salaire versé par la société EDF assurances,
- dépenses de santé futures : 1185,49€ pris en charge par la CAMIEG,
- incidence professionnelle : 10'000€ au titre d'une pénibilité accrue dans son exercice professionnel d'ingénieur-étude dans le domaine du nucléaire au sein de la société EDF,
- déficit fonctionnel temporaire : 9288€ sur une base mensuelle de 810€
- souffrances endurées 4,5/7 : 18'500€
- préjudice esthétique temporaire 3,5/7 pendant deux mois : 3000€
- déficit fonctionnel permanent 20 % : 46'600€
- préjudice esthétique permanent 3/7 : 6000€
- préjudice d'agrément : 2000€ au titre d'une gêne dans la pratique de la natation.
Il a condamné la mutuelle des motards au paiement du doublement de l'intérêt légal entre le 8 août 2016 et le 29 avril 2020 date à laquelle l'assureur a formulé une offre complète et sur la somme de 55'287,54€ correspondant au montant de l'offre, augmentée des créances des tiers payeurs soit au total la somme de 95'298,57€.
Par acte du 2 décembre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme [F] a interjeté appel de cette décision qui a :
- fixé à la somme de 10'000€ l'indemnisation de l'incidence professionnelle,
- fixé à la somme de 46'600€ l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent,
- condamné la mutuelle des motards aux intérêts au double du taux légal sur la somme de 95'298,57€ à compter du 8 août 2016 et jusqu'au 29 avril 2020.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2023.
En cour de délibéré la cour a sollicité la production des conclusions signifiées le 29 avril 2020 devant le premier juge, par la Mutuelle des motards. Son conseil a transmis la pièce demandée le 12 juin 2023.
Prétentions et moyens des parties
En l'état de ses dernières conclusions signifiées le 20 février 2023, Mme [G] [F] demande à la cour de :
' juger son appel recevable et bien fondé ;
' réformer le jugement dans les termes de son acte d'appel ;
' lui allouer la somme de 251'431,33€ en réparation de l'incidence professionnelle, et celle de 108'593,58€ venant indemniser son déficit fonctionnel permanent ;
' lui allouer à titre subsidiaire la somme de 51'200€ au titre du déficit fonctionnel permanent ;
' condamner la mutuelle des motards au paiement des intérêts au double du taux légal sur la totalité de l'indemnité allouée avant imputation des créances des tiers payeurs à compter du 27 juillet 2016 soit cinq mois après le dépôt du rapport d'expertise et dix jours pour tenir compte des délais d'envois postaux, et jusqu'au jour de la condamnation définitive ;
' débouter la mutuelle des motards de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
' la condamner à lui payer la somme de 2500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Elle explique qu'elle exerce la profession d'ingénieur études dans le nucléaire au sein de la société EDF, consistant à piloter des projets d'ingénierie, à rédiger des spécifications techniques à la recette en usine des équipements, ce qui implique un usage récurrent de l'outil informatique et du travail en atelier et sur le terrain. Ses séquelles se situent essentiellement au niveau du membre supérieur droit alors qu'elle est droitière ce qui signifie qu'elle souffre d'une pénibilité accrue dans son exercice professionnel quotidien et ce qui induit une fatigabilité dont elle s'est plainte à l'expert. Elle était âgée de 36 ans à la date de la consolidation. Elle souligne le fait que le premier juge ait employé le mot forfaitaire pour indemniser l'incidence professionnelle à hauteur de la seule somme de 10'000€. L'emploi de ce terme révèle l'inconfort des juges à évaluer monétairement ce poste en faisant abstraction des données chiffrées et concrètes. Elle souligne que cette pénibilité accrue est majeure et affecte son exercice professionnel au quotidien et que dans le monde du travail, une pénibilité particulière est indemnisée par une prime de pénibilité. Elle demande à la cour de retenir pour l'évaluation de ce préjudice une méthode tenant compte de l'importance des séquelles c'est-à-dire du taux de déficit fonctionnel permanent, de l'âge de la victime, et de sa rémunération, ce qui a été consacré par plusieurs juridictions. Elle demande par conséquent de chiffrer ce poste en retenant 20 % de son salaire annuel soit la somme de 8330,23€ et de procéder par capitalisation en fonction du barème de la Gazette du Palais 2018 soit la somme de 251'431,33€ allouée en réparation de ce poste.
Elle critique la méthode 'barémisée' employée pour évaluer le déficit fonctionnel permanent qui se détermine par trois composantes à savoir, l'incapacité physique ou psychique, les souffrances permanentes et atteinte à la qualité de vie, et les troubles dans les conditions de l'existence. Elle demande l'indemnisation de la période échue par l'affectation du taux d'incapacité retenue par l'expert a une base d'indemnités journalières qu'elle chiffre à 30€ par jour, et pour la période à échoir, elle sollicite une capitalisation viagère et donc au total la somme de 93'473,58€. À titre subsidiaire elle demande la majoration de la somme qui lui a été allouée à 51'200€.
Elle conclut à la confirmation du jugement qui a condamné la mutuelle des motards au paiement du doublement des intérêts. Ce n'est que par conclusions du 29 avril 2020 qu'elle a formulé une offre d'indemnisation complète. Par ailleurs la jurisprudence assimile une offre insuffisante à une absence d'offres et elle demande la condamnation au paiement du double taux jusqu'au jour de la décision devenue définitive.
En l'état de ses dernières conclusions signifiées le 19 avril 2023, la société d'assurance mutuelle des motards demande à la cour de :
' confirmer le jugement qui a alloué à Mme [F] la somme de 46'600€ au titre du déficit fonctionnel permanent ;
' le réformer en ce qu'il a alloué une somme de 10'000€ au titre de l'incidence professionnelle et en ce qu'il a ordonné le doublement de l'intérêt légal et juger que les demandes formulées au titre l'incidence professionnelle et le doublement du taux d'intérêt légal seront rejetées ;
à titre subsidiaire
' confirmer le jugement qui a alloué la somme de 10'000€ au titre de l'incidence professionnelle et qui a ordonné le doublement de l'intérêt légal entre le 8 août 2016 le 29 avril 2020 ;
en tout état de cause
' débouter Mme [F] du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;
' la débouter de sa demande de condamnation titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
' laisser les dépens à la charge de Mme [F].
Elle présente les observations suivantes :
- l'expert [I] n'a pas retenu le poste d'incidence professionnelle,
- si ce poste recouvre différents aspects il vient seulement compléter l'indemnisation obtenue au titre d'une perte de gains professionnels, sans pour autant aboutir à une double indemnisation du même préjudice. Par conséquent cette définition n'est pas compatible avec la méthode de calcul proposé par Mme [F] qui procède à un calcul fondé sur une capitalisation à partir du salaire annuel et tenant compte du taux de déficit fonctionnel permanent retenu,
- il n'est pas possible de comparer l'incidence professionnelle à une rente accident du travail qui est une indemnité versée pour compenser une perte de salaire,
- cette méthode s'apparente à un calcul d'une perte de gains professionnels futurs.
Elle ajoute qu'en l'espèce bien que le déficit fonctionnel a été fixé à 20 % les séquelles retenues n'ont pas d'impact sur la sphère professionnelle puisque la gêne nasale ne pose aucune difficulté quant à l'exécution des tâches professionnelles. Les limitations du poignet ne gênent pas l'écriture et l'utilisation des outils informatiques.
Aucune composante de l'incidence professionnelle n'a été objectivée par l'expert et les prétendues répercussions sur l'activité professionnelle de la victime sont purement déclaratives et non étayées médicalement. Elle a repris son activité professionnelle au même poste et sans aucune restriction démontrée. La demande d'indemnisation de cette incidence professionnelle sera rejetée et ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle conclut à la confirmation du jugement.
Elle s'oppose également à l'évaluation du déficit fonctionnel permanent selon la méthode retenue par Mme [F], qui n'a pas été consacrée par la Cour de cassation. L'ensemble des composantes de ce poste est pris en compte par les experts dans l'évaluation du déficit fonctionnel permanent. Contrairement à ce que prétend la victime les déficits fonctionnels permanents et temporaires n'ont pas vocation à indemniser les mêmes séquelles. Il n'y a aucune raison de distinguer un déficit fonctionnel échu et à échoir, alors qu'à la date de la consolidation ce déficit fonctionnel permanent existera pour le restant de la vie de la victime. Par conséquent le montant alloué par le premier juge sera confirmé
S'agissant du doublement de l'intérêt au taux légal elle fait valoir que pour respecter le délai légal de l'article L. 211-9 du code des assurances, elle n'avait pas d'autre choix que de réserver le poste de déficit fonctionnel permanent dans l'attente de la créance définitive de l'organisme social. Le jugement sera réformé de ce chef. À titre subsidiaire si la cour devait retenir la sanction du double taux, elle fait état de conclusions signifiées le 29 avril 2020 et comportant une offre complète.
La caisse d'assurance-maladie des industries électriques et gazières, assignée par Mme [F], par acte d'huissier du 20 janvier 2022, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 19 janvier 2022 elle a fait savoir que sa créance définitive a été réglée par l'assureur du tiers responsable.
Cette créance d'un montant total de 24.655,88€ correspond à :
- des prestations en nature pour 23.470,39€
- des frais futurs pour 1185,49€.
La société EDF assurances, assignée par Mme [F], par acte d'huissier du 17 janvier 2022, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 13 octobre 2022 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 23.155,66 19€, correspondant au salaire et charges maintenues pendant la période d'arrêt de travail imputable à l'accident.
L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'appel porte sur l'indemnisation de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel permanent, et sur la sanction du double taux.
Sur le préjudice corporel
L'expert, le docteur [I], a indiqué que Mme [F] a présenté un traumatisme du membre supérieur droit chez une droitière avec une fracture tubérositaire du col chirurgical de l'humérus droit, une fracture comminutive du poignet droit, une fracture de la styloïde cubitale, un traumatisme maxillo-facial avec fracture des incisives supérieures droites médiales, une fracture des os propres du nez, une fracture para symphysaire droite verticale, et une réaction émotionnelle intense et qu'elle conserve des séquelles orthopédiques et stomatologiques outre une réaction émotionnelle.
Il a conclu à :
- un arrêt temporaire des activités professionnelles avec une reprise à mi-temps thérapeutique le 16 octobre 2011 et à plein temps depuis le 1er avril 2012, suivi d'un nouvel arrêt du 20 avril 2012 au 4 mai 2012 puis du 8 mai 2012 au 15 juin 2012,
- un déficit fonctionnel temporaire total du 10 septembre 2011 au 13 septembre 2011, puis du 9 novembre 2011 au 7 février 2012 et le 20 avril 2012
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % jusqu'au 15 octobre 2011 puis du 20 avril 2012 au 15 juin 2012
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 15 octobre 2011 au 20 avril 2012 puis du 16 juin 2012 au 2 avril 2015
- une consolidation au 2 avril 2015
- des souffrances endurées de 4,5/7
- un déficit fonctionnel permanent de 20 %
- un préjudice esthétique permanent de 3/7
- une absence de répercussions sur les activités professionnelles mais la victime signale qu'elle se considère comme moins performante et moins concentrée dans son activité professionnelle,
- un préjudice d'agrément signalé pour les activités de loisirs centrées sur l'entretien physique avec limitation par une gêne fonctionnelle du membre supérieur droit,
- un besoin en aide humaine à raison de quatre heures par semaine pendant la période de gêne temporaire partielle à 50 %.
Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 3] 1978, de son activité d'ingénieure au sein de l'entreprise EDF, âgée de 36 ans à la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
Préjudices patrimoniaux
permanents (après consolidation)
- Incidence professionnelle 40.000€
Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap.
La méthode de calcul proposée par Mme [F] est fondée sur une corrélation entre le salaire et l'état séquellaire, prenant pour postulat que la rémunération est le seul instrument objectif de mesure des paramètres bouleversés par l'accident.
La pénibilité, les chances d'évolution professionnelles et l'intérêt porté aux tâches professionnelles ont indiscutablement une valeur économique au sein de la relation de travail qui existe avant un accident. Pour autant, le coût de l'atteinte portée à ces composantes, outre à la dévalorisation sur le marché du travail et à l'abandon d'une profession, en cas de séquelles en partie ou totalement invalidantes, ne peut être mesurée à l'aune de la rémunération, parfois sensiblement différente d'une victime à une autre, et elle-même corrélée à un pourcentage d'inaptitude séquellaire se référant au taux de déficit fonctionnel permanent ou à un autre taux d'invalidité.
Par ailleurs, l'impact des séquelles sur la rémunération relève du poste perte de gains, l'incidence professionnelle ayant pour vocation d'indemniser de façon distincte par leur nature, les incidences périphériques du dommage dans la sphère professionnelle, excluant toute référence liée à la rémunération.
Retenant que toute évaluation forfaitaire est proscrite et que le juge doit s'attacher à rechercher de manière concrète l'incidence du dommage, dans la sphère professionnelle, afin de réparer tout le préjudice mais seulement celui-ci, le taux du déficit fonctionnel permanent ne peut être la mesure mathématique de l'impact des séquelles dans la sphère professionnelle.
Il en résulte que pour déterminer leur impact dans la sphère professionnelle, si le juge doit tenir compte des restrictions physiologiques et psychologiques médico-légales, il ne saurait les corréler directement aux gains perçus, manqués ou espérés.
Mme [F] était âgée de 36 ans à la consolidation et les séquelles qu'elle présente affectent majoritairement son bras droit dominant. S'il est exact qu'elle exerce un métier plus intellectuel que manuel il n'en demeure pas moins qu'elles ont une incidence sur la pénibilité et la fatigabilité qu'elle ressent dans les actes de vie quotidienne et donc dans ses activités professionnelles et il est inexact de dire comme le fait le tiers responsable que l'usage d'un clavier informatique exclut toute pénibilité ou fatigabilité du corps.
Ces données conduisent la cour à allouer à Mme [F] une somme de 40.000€ venant réparer ce poste de préjudice.
permanents (après consolidation)
- Déficit fonctionnel permanent 51.200€
Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.
Mme [F] n'est donc pas fondée à soutenir que l'indemnisation allouée au titre de ce poste de préjudice devrait distinguer l'indemnisation au titre des séquelles, au titre des souffrances endurées et des gênes réparées avant consolidation par le déficit fonctionnel temporaire.
En l'occurrence, il est caractérisé par des séquelles orthopédiques et stomatologiques outre une réaction émotionnelle, ce qui conduit à un taux de 20 % justifiant une indemnité de 51.200€ pour une femme âgée de 36 ans à la consolidation.
Le préjudice corporel subi par Mme [F], sur les postes d'incidence professionnelle et de déficit fonctionnel permanent s'établit ainsi à la somme de 91.200€ lui revenant qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 7 septembre 2021 à hauteur de 56.600€ et du prononcé du présent arrêt soit le 29 juin 2023 à hauteur de 34.600€.
Sur le double taux
Dans le dispositif de ses conclusions, Mme [F] demande à la cour de dire que les sommes lui revenant porteront intérêts au double du taux légal à compter du 27 juillet 2016, soit cinq mois après le dépôt du rapport plus dix jours, jusqu'au jour de la condamnation définitive sur la totalité de l'indemnité allouée à la victime avant imputation des créances des tiers payeurs.
En vertu de l'article L 211-9 du code des assurances, l'assureur est tenu de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne une offre d'indemnité, qui comprend tous les éléments indemnisables du préjudice dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident, laquelle peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime ; l'offre définitive doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.
La sanction de l'inobservation de ces délais, prévue par l'article L 211-13 du même code, réside dans l'octroi des intérêts au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.
Le docteur [I], expert, a établi son rapport le 17 février 2016. Il n'est pas indiqué dans ce document à quelle date cette pièce a été transmise aux parties. Donc en appliquant les dispositions de l'article R.211-44 du code des assurances qui prévoit que dans un délai de vingt jours à compter de l'examen médical, le médecin adresse un exemplaire de son rapport à l'assureur, à la victime et, le cas échéant au médecin qui a assisté celle-ci, il convient de considérer que ce rapport a été transmis aux parties au plus tard le 9 mars 2016, de telle sorte que la mutuelle des motards se devait de formuler une offre avant le 9 août 2016.
Or il s'avère que l'assureur a adressé une première offre d'indemnisation le 30 juin 2016 qui ne comportait pas d'offre de réparation du déficit fonctionnel permanent au motif qu'il était dans l'ignorance de la créance de l'organisme social et qu'il devait tenir compte d'une éventuelle imputation de la pension d'invalidité. Cet argument ne peut valoir et quel que soit le montant de la créance des tiers payeurs il n'était pas dispensé de chiffrer une offre de ce chef, montant qui aurait servi de base à l'imputation des dites créances alors non absorbées par les postes de perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle. Par conséquent cette proposition d'indemnisation incomplète est assimilée à une absence d'offre.
La mutuelle des motards a formulé une deuxième proposition par voie de conclusions signifiées le 29 avril 2020, ce que ne conteste pas Mme [F]. Elle a offert d'indemniser les frais médicaux restés à charge pour 21€, les frais d'assistance à expertise pour 3600€, les frais divers pour 28,50€, les frais d'assistance par tierce personne avant consolidation pour 520€, le déficit fonctionnel temporaire pour 7055€, les souffrances endurées pour 10.000€, le déficit fonctionnel permanent pour 30.000€ et le préjudice esthétique permanent pour 4000€.
Pour interrompre le cours du doublement des intérêts au taux légal, cette offre doit d'une part être complète, c'est à dire contenir des offres sur chacun des postes de préjudice retenu par l'expert et d'autre part contenir des propositions d'indemnisation qui ne soient pas manifestement insuffisantes, c'est à dire ne pas représenter moins du tiers des montants alloués.
L'offre d'indemnisation de l'assureur ne peut porter sur des chefs de préjudice qu'il ignore. Cependant, cette circonstance doit être appréciée à la date à laquelle cette offre a été formulée par l'assureur et au vu des informations alors portées à sa connaissance.
En l'espèce la Mutuelle des motards n'a pas formulé de proposition d'indemnisation des postes :
- d'incidence professionnelle, alors que l'expert a retenu une absence de répercussions sur les activités professionnelles mais il a relevé que la victime signale qu'elle se considère comme moins performante et moins concentrée dans son activité professionnelle, ce qui s'analyse pour être une pénibilité accrue au travail ou une dévalorisation sur le marché de l'emploi, ce qui aurait dû conduire l'assureur à formuler une offre
- du préjudice esthétique temporaire, alors que l'assureur avait les moyens de l'évaluer, l'expert ayant retenu un préjudice esthétique permanent de 3/7 qui était déjà constitué avant la consolidation,
- du préjudice d'agrément alors que l'expert a considéré que Mme [F] a signalé un préjudice d'agrément pour les activités de loisirs centrés sur l'entretien physique avec limitation par une gêne fonctionnelle du membre supérieur droit.
En l'état de ses dernières conclusions signifiées devant la cour le 19 avril 2023, la Mutuelle des motards a conclu au rejet de la demande d'indemnisation du poste d'incidence professionnelle.
En conséquence, la sanction du doublement des intérêts au taux légal est justifiée au titre de la tardiveté et du caractère incomplet des offres formulées. La Mutuelle des motards est donc condamnée au doublement de cet intérêt au taux légal sur la période du 9 août 2016 jusqu'au présent arrêt devenu définitif sur le montant de l'indemnisation revenant à la victime ventilé de la façon suivante :
- dépenses de santé : 1863,02€,
- frais d'assistance à expertise : 3600€
- frais de coiffeur et de stationnement : 28,50€
- assistance par tierce personne temporaire : 1368€,
- perte de gains professionnels actuels : 15'355,15€,
- incidence professionnelle : 40.000€,
- déficit fonctionnel temporaire : 9288€
- souffrances endurées 4,5/7 : 18'500€
- préjudice esthétique temporaire 3,5/7 : 3000€
- déficit fonctionnel permanent 20 % : 51.200€
- préjudice esthétique permanent 3/7 : 6000€
- préjudice d'agrément : 2000€,
soit la somme de 152.202,67€
augmentée de la créance de la CAMIEG ventilée de la façon suivante :
- dépenses de santé : 23'470,39€
- dépenses de santé futures : 1185,49€,
soit la somme de 24.655,88€,
et donc au total celle de 176.858,55€.
Sur les demandes annexes
La mutuelle des motards qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d'appel.
L'équité justifie d'allouer à Mme [F] une indemnité de 2000€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
Dans les limites de sa saisine,
- Confirme le jugement,
hormis sur les sommes revenant à la victime en réparation des préjudices d'incidence professionnelle et de déficit fonctionnel permanent et sur l'assiette du doublement de l'intérêt au taux légal,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
- Fixe le préjudice corporel Mme [F] sur les postes de déficit fonctionnel permanent et incidence professionnelle à la somme de 91.200€ ;
- Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit 91.200€ ;
- Condamne la mutuelle des motards à payer à Mme [F] les sommes de :
* 91.200€, répartie comme suit :
- déficit fonctionnel permanent : 51.200€
- incidence professionnelle : 40.000€
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 7 septembre 2021 à hauteur de 56.600€ et du prononcé du présent arrêt soit le 29 juin 2023 à hauteur de 34.600€,
* 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
- Condamne l'assureur au paiement des intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur la somme de 152.202,67€ augmentée de la créance de la CAMIEG pour 24.655,88€, soit au total 176.858,55€ à compter du 9 août 2016 et jusqu'au présent arrêt devenu définitif ;
- Condamne la Mutuelle des motards aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT