COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 22 JUIN 2023
N° 2023/218
Rôle N° RG 22/16461 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKO2I
[L] [P]
C/
PROCUREUR GENERAL
[Z] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Valérie CARDONA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d'Antibes en date du 01 Septembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 20/000695.
APPELANTE
Madame [L] [U] [P]
née le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 8] (75), de nationalité française, Gérante de la SARL [L] CONSTRUCTION, demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Maître Didier CARDON
Es qualités de Liquidateur judiciaire de la SARL [L] CONSTRUCTION, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Valérie CARDONA, avocat au barreau de GRASSE substituée par Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame LA PROCUREURE GENERALE,
demeurant [Adresse 7]
défaillante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Avril 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre, magistrate rapporteur
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Madame Agnès VADROT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.R.L. [L] Construction exerçant une activité de 'bâtiment, construction, réalisation d'études et de projets immobiliers' a été placée en redressement judiciaire suivant jugement du 20 juillet 2012 du tribunal de commerce d'Antibes, ayant donné lieu à l'adoption d'un plan de redressement par jugement du 24 janvier 2014, Me [Z] [J] ayant été désigné mandataire judiciaire puis commissaire à l'exécution du plan.
Par jugement du 22 juillet 2016, le tribunal de commerce a modifié le plan en reportant le règlement du deuxième dividende en fin de plan, étant rappelé que la première annuité a été réglée avec 9 mois de retard, soit le 8 octobre 2015 au lieu du 24 janvier 2015. La société devait en contrepartie provisionner mensuellement l'annuité du 24 janvier 2017 entre les mains du commissaire à l'exécution du plan, lequel n'ayant plus perçu de fonds à compter du 10 juin 2016 a demandé la résolution du plan. Celle-ci a été prononcée par le tribunal de commerce le 5 mai 2017 avec l'ouverture concomitante d'une procédure de liquidation judiciaire. Me Didier Cardon a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Ayant relevé des plusieurs manquements à l'encontre de Mme [L] [P], le liquidateur judiciaire a adressé au procureur de la République de Nice un rapport daté du 16 janvier 2019 dans lequel il était relevé :
- l'absence de coopération avec les organes de la procédure,
- l'absence de comptabilité,
- l'absence de remise des renseignements obligatoires,
- l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.
Le tribunal de commerce d'Antibes a été saisi par requête du procureur de la République aux fins de sanction et en particulier de faillite personnelle à l'encontre de Mme [L] [P], alors convoquée à l'adresse figurant sur l'extrait Kbis de la société.
Par jugement réputé contradictoire du 1er septembre 2020, le tribunal a prononcé à l'encontre de celle-ci une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans ; ce jugement, après recherche de la nouvelle adresse de Mme [P] par le greffe, a été signifié à sa nouvelle adresse, [Adresse 4]), le 11 septembre 2020 et celle-ci en a fait appel par déclaration du 06 janvier 2021.
Le liquidateur judiciaire a saisi le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel d'un incident d'irrecevabilité de l'appel formé par Mme [P] et concommittament, Mme [P] a saisi le même magistrat de conclusions aux fins de nullité du procès-verbal de signification du jugement, les deux incidents ayant donné lieu à une ordonnance d'incident du 03 février 2022, qui a été frappée d'un déféré.
La chambre 3-3 de cette cour a, par un arrêt du 1er décembre 2022 infirmé l'ordonnance critiquée, et dit qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du magistrat délégué de statuer sur l'irrecevabilité de l'appel, la cour étant seule comptétente pour en connaître.
***
Aux termes de ses conclusions notifées et déposées au RPVA, Mme [L] [P] demande à la cour, au visa des articles 562, 654 et 114 du code de procédure civile, de:
- déclarer nulle l'acte de signification du jugement du 1er septembre 2020 ;
- déclarer son appel recevable,
- annuler le jugement entrepris,
- déclarer que la cour ne peut évoquer le fond du dossier
A titre subsidiaire, de réformer le jugement entrepris et débouter Me [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [L] Construction, de ses demandes ;
En tout état de cause, de condamner Me [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [L] Construction, à payer à Mme [L] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait valoir qu'elle a été convoquée par le greffe du tribunal de commerce à une adresse à laquelle elle ne résidait plus depuis plusieurs années ([Adresse 9]) alors que sa nouvelle adresse, [Adresse 4], était connue du greffe qui lui a notifié le 7 février 2019 un jugement du 5 février 2019 prorogeant le terme de la procédure judiciaire de la Sarl [L] Conctruction.
Elle considère que l'huissier de justice qui a effectué la signification du jugement, n'a pas accompli les diligences requises la privant ainsi de la possibilité de faire appel dans le délai de 10 jours. A défaut de signification valable, le délai d'appel n'a pu courir et elle doit être déclarée recevable.
Sur la nullité du jugement, Mme [P] soutient qu'elle a été convoquée à une adresse qui n'était pas la sienne alors que le greffe du tribunal de commerce connaissait sa dernière adresse (pour lui avoir notifié un jugement rendu le 5 février 2019)
Elle considère que le tribunal n'ayant pas été valablement saisi, le jugement est nul sans possibilité pour la cour d'évoquer.
Subsidiairement, si les convocations des organes de la procédure collective ont été adressées à la mauvaise adresse, Mme [P] ne les a pas reçues et n'a pu se rendre aux différentes convocations. Elle produit en cause d'appel sa comptabilité.
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Aux termes des conclusions d'intimé n°2 déposées et signifiées par RPVA le 15 décembre 2022, Me [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [L] Construction, demande à la cour :
- de déclarer régulier l'acte de signification du jugement en date du 11 septembre 2020,
- de débouter Mme [P] de sa demande de nullité de la convocation et de nullité du jugement dont appel ;
- de retenir que le délai d'appel a couru à compter de la signification du 11 septembre 2020 ;
- de prononcer l'irrecevabilité de l'appel comme ayant été formé hors délai ;
A titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement de 1ère instance prononçant la faillite personnelle de Mme [P] en toutes ses dispositions ;
- de débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes ;
- de la condamner à verser entre les maisn du liquidateur judiciaire ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux dépens.
La partie intimée soutient que Mme [P] n'ayant pas été relevée de la forclusion par le premier président de la cour qu'elle a saisi en référé (ordonnance du 18 décembre 2020) n'a pas été autorisée en conséquence à interjeter appel ; son appel est irrecevable car hors délai.
Il soutient que le procès-verbal de signification du jugement dommages et intérêts 11 septembre 2019 est parfaitement régulier et que le délai d'appel a courru.
Sur la nullité alléguée du jugement, il considère que Mme [P] a été convoquée à l'adresse [Adresse 9], adresse qui était celle figurant sur l'extrait Kbis de la société [L] Construction, aucune modification n'ayant été apportée sur le Kbis à la suite du changement d'adresse de la gérante ; le jugement n'est pas nul dès lors que l'adresse à laquelle la convocation a été adressée était celle figurant dans l'extrait Kbis de la société et qu'il incombait à Mme [P] de procéder à toute modification d'adresse au RCS. Il souligne que ce n'est que par la suite et en raison de sa non comparution à l'audience que le greffe a procédé à la signification du jugement à l'adresse [Adresse 4].
Mme [P] reconnait avoir reçu le courrier RAR adressé par l'huissier conformément à l'article 659 du code de procédure civile dans le délai d'appel et a mis du temps à récupérer ce courrier à la poste, peu avant l'expiration du délai d'appel ; elle disposait encore de 24 heures pour faire appel. Elle a par ailleurs reçu le courrier par simple envoyé par l'huissier dans le délai d'appel, ce qu'elle n'a jamais contesté.
Elle n'a interjeté appel que le 6 janvier 2021, manifestement hors délai.
Sur le fond le liquidateur judiciaire confirme
- qu'elle n'a pas coopéré avec les organes de la procédure, alors qu'il disposait de son adresse à [Adresse 4]
- qu'elle n'a pas communiqué sa comptabilité postérieurement à l'adoption du plan ;
- qu'elle n'a pas communiqué la liste de ses créanciers, des principaux contrats en cours et éventuelles instances en cours,
- elle a omis de déposer le bilan dans les 45 jours de la constatation de l'état de cessation des paiements
Elle s'est manifestement désintéressée du sort de la société et des créanciers durant la procédure collective et ne fournit aucune explications sur les fautes invoquées.
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Par un avis écrit déposé le 8 mars 2023, le ministère public a requis l'irrecevabilité de l'appel formé hors délai et subsidiairement, à la confirmation du jugement du tribunal de commerce d'Antibes du 1er septembre 2020.
Un avis de fixation de l'affaire à bref délai pour le 5 avril 2023 à 8h40 a été adressé aux conseils des parties le 5 décembre 2022 et l'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2023.
Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.
MOTIFS
En application de l'article R 661-3 du code de commerce, le délai d'appel des parties est de dix jours à compter de la notification qui leur est faite des décisions rendues en matière de faillite personnelle ou d'interdiction prévue à l'article L 653-8 du code de commerce.
En l'espèce, la déclaration d'appel de Mme [L] [P] a été faite le 06 janvier 2021.
Le procès verbal établi par Me Rague le 11 septembre 2021 dressé en application de l'article 659 du code de procédure civile, mentionne qu'à l'adresse à laquelle il s'est transporté, soit au [Adresse 4] à [Localité 5],'le nom ne figure pas sur les boites aux lettres de l'impasse et les voisins ne le connaissent pas. Nonobstant un message laissé sur le répondeur téléphonique du [XXXXXXXX01]. Trouvé sur le site 'pages blanches' la requise n'a pas contacter l'étude. Nous sommes également transportés à [Adresse 6] : sur place, nous n'avons pas été en mesure de localiser la requise', précise les diligences accomplies par l'huissier pour retrouver Mme [P].
Celle-ci ne conteste pas qu'une première tentative de remise de la lettre recommandée adressée par l'huissier par les services postaux est intervenue le 15 septembre 2021 et qu'il s'est passé plusieurs jours avant qu'elle ne se rende à la poste pour récupérer le pli recommandé le 21 septembre 2020. Elle reconnaît par ailleurs avoir réceptionné la lettre simple que l'huissier lui a adressée et n'invoque -si ce n'est qu'elle a une activité professionnelle prenante- aucun obstacle l'ayant empêchée d'exercer son droit d'appel avant l'expiration du délai, le 21 septembre 2021.
Mme [P] a saisi en référé le premier président de cette cour le 7 octobre 2020, aux fins de se voir autorisée à interjeter appel du jugement rendu le 1er septembre 2020 au visa de l'article 540 du code de procédure civile, qui a, par ordonnance rendue le 18 décembre 2020, rejeté sa demande.
En conséquence, il y a lieu de déclarer l'appel interjeté par Mme [L] [P] irrecevable car tardif.
Au vu des circonstances de la cause, il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; la demande de Me [Z] [J] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [L] Construction, sur ce chef sera par conséquent rejetée.
Mme [L] [P] sera condamnée aux dépens d'appel conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevable l'appel formé par Mme [L] [P] contre le jugement rendu le 1er septembre 2020 (n° 41017107) par le tribunal de commerce d'Antibes ;
Dit n'y avoir lieu à prononcer de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboute Me [Z] [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [L] Construction, de sa demande sur ce chef ;
Condamne Mme [L] [P] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE