COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 21 JUIN 2023
N° 2023/ 294
N° RG 21/16500
N° Portalis DBVB-V-B7F-BIN3U
S.C.I. GRAMA
C/
S.C.I. RESIDENCE PALMOSA
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Vincent CUISINIER
Me Paul GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal judiciaire de GRASSE en date du 02 Septembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/00043.
APPELANTE
S.C.I. GRAMA
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège sis [Adresse 2]
représentée par Me Vincent CUISINIER, membre de la SELARL DU PARC - CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, ayant pour avocat plaidant Me Rosanna LENDOM, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
S.C.I. Résidence PALMOSA
poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Me Paul GUEDJ, membre de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Florence PUJOL, membre de la SELARL PIERRI DE MONTLOVIER ROYNAC - PUJOL, avocat au barreau de GRASSE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 04 Avril 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Aux termes de ses statuts, la société civile dénommée RESIDENCE PALMOSA a pour objet social l'administration et la gestion d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 3] utilisé comme résidence avec services pour personnes âgées.
Le capital social est divisé en 244 parts réparties entre les associés en fonction de leurs apports respectifs, donnant chacune droit à la jouissance privative d'un appartement, avec faculté de le mettre en location. Les articles 10 et 12 prévoient cependant que les baux ne peuvent être consentis qu'au profit de personnes retraitées.
Par acte du 30 décembre 2016, la SCI GRAMA, les époux [D] et les époux [W], tous porteurs de parts, ont assigné la société RESIDENCE PALMOSA à comparaître devant le tribunal de grande instance de Grasse pour entendre juger non écrite la clause emportant restriction à la liberté de louer, comme étant d'une part contraire au principe de non discrimination édicté en matière de droit au logement, et d'autre part attentatoire à leurs droits d'associés. Ils demandaient également qu'elle soit condamnée à modifier ses statuts en conséquence.
La défenderesse a invoqué avant toute défense au fond la prescription de l'action en application de l'article 2224 du code civil.
Par jugement rendu le 2 septembre 2021, la juridiction saisie a fait droit à cette fin de non recevoir, en retenant que le délai quinquennal de prescription avait commencé à courir soit à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ayant introduit le principe de non discrimination dans l'article 1er de la loi du 6 juillet 1989 régissant les rapports locatifs, soit à compter de l'acquisition par les demandeurs de leurs parts sociales.
La SCI GRAMA, qui a reçu signification de cette décision le 28 octobre 2021, a interjeté appel par déclaration adressée le 24 novembre au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 19 août 2022, la SCI GRAMA soutient en premier lieu que son action n'est pas prescrite, dans la mesure où la loi du 17 janvier 2002 précitée ne faisait pas expressément référence à l'âge du locataire comme facteur de discrimination, et que le point de départ du délai pour agir se situait en réalité au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 (dite loi ALUR) ayant renvoyé aux motifs discriminatoires énoncés par l'article 225-1 du code pénal.
Elle soutient d'autre part qu'elle a qualité et intérêt à agir en tant que bailleresse pour faire cesser une atteinte au droit d'accès au logement.
Sur le fond, elle fait valoir que la société RESIDENCE PALMOSA n'est pas reconnue comme un établissement médico-social et qu'elle ne peut donc déroger au droit commun, de sorte que son objet social doit être considéré comme illicite.
Elle fait valoir d'autre part qu'en restreignant leur droit de jouissance, et plus encore en les contraignant à mettre en oeuvre une pratique discriminatoire, la clause litigieuse porte atteinte à l'intérêt commun des associés.
Elle fonde son action sur l'article 1844-10 du code civil, suivant lequel toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre troisième dudit code dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société doit être réputée non écrite.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
- de déclarer son action recevable,
- de déclarer non écrite la clause n° 12 des statuts,
- de juger en conséquence que les associés sont libres de louer à toute personne de leur choix,
- d'ordonner sous peine d'astreinte à la société RESIDENCE PALMOSA de convoquer une assemblée générale à l'effet de prendre acte de la décision judiciaire,
- et de condamner l'intimée aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures notifiées le 20 mai 2022, la société RESIDENCE PALMOSA conclut principalement à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action prescrite, tout en considérant que la prohibition de toute discrimination fondée sur l'âge aurait été introduite dans notre droit par la loi de portée générale n° 2008-496 du 27 mai 2008, et que le délai pour agir aurait commencé à courir à compter du 17 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la réforme du régime de la prescription en matière civile.
Elle soutient également que la SCI GRAMA a nécessairement eu connaissance de la clause litigieuse à compter de l'acquisition de ses parts sociales, intervenue au cours des années 2005 et 2007, et qu'elle aurait dû exercer son action au plus tard le 17 juin 2013.
Subsidiairement, elle invoque une autre fin de non recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir, aux motifs qu'elle n'est pas liée à ses associés par un contrat de location, et que seul un locataire évincé aurait qualité à se prévaloir du caractère discriminatoire de la condition d'âge.
Plus subsidiairement encore, elle conclut au rejet de l'action au fond, faisant valoir que la clause litigieuse ne contrevient à aucune disposition du titre IX du livre troisième du code civil relatif au contrat de société, que son objet social est parfaitement licite, et que le droit de jouissance des associés ne peut s'exercer que dans le respect du pacte statutaire.
Elle réclame en sus paiement d'une somme de 8.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, outre ses dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.
DISCUSSION
Les développements contenus dans les conclusions de l'appelante relatifs au caractère illicite de l'objet social ou à l'atteinte portée à l'intérêt commun des associés sont inopérants dans la mesure où la cour, comme le tribunal, n'est pas saisie d'une action en nullité de la société, mais d'une demande visant à déclarer non écrite une clause de ses statuts.
La SCI GRAMA fonde en effet expressément son action sur l'article 1844-10 alinéa 2 du code civil, suivant lequel toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre troisième dudit code dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite.
Au contraire d'une action en nullité, l'action visant à faire déclarer une clause non écrite n'est pas soumise à la prescription, de sorte que le premier juge ne pouvait faire droit à cette fin de non recevoir.
En revanche, l'appelante ne précise pas en quoi la clause litigieuse des statuts serait contraire à une disposition impérative du droit des sociétés, et son argumentation repose principalement sur la violation du principe de non discrimination édicté par l'article 1er de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
Or il s'agit là d'un texte instaurant un ordre public de protection au profit des locataires, qui ont seuls qualité et intérêt à agir pour se plaindre d'un refus de location d'un logement fondé sur une considération d'âge, la société GRAMA ne pouvant en revanche s'en prévaloir pour voir modifier l'étendue de ses droits d'associé.
D'autre part, il ne peut être soutenu que la clause porterait atteinte au droit de jouissance des associés, lequel ne peut s'exercer que dans le respect du pacte statutaire auquel la SCI GRAMA a librement adhéré en faisant l'acquisition de ses parts sociales.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action irrecevable pour cause de prescription,
Statuant à nouveau,
Ecarte la fin de non recevoir tirée de la prescription,
Déboute la SCI GRAMA des fins de son action,
La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société RESIDENCE PALMOSA la somme de 4.000 euros au titre de l'ensemble de ses frais irrépétibles.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT