COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
SUR RENVOI APRES CASSATION
DU 01 JUIN 2023
N°2023/407
Rôle N° RG 22/10847 N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ2NF
[C] [R]
[X] [L] épouse [R]
C/
S.A. LYONNAISE DE BANQUE
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Sandra JUSTON
Me Hubert ROUSSEL
Décision déférée à la Cour :
sur déclaration de saisine de la Cour suite à un arrêt de la Cour de Cassation en date du 30 Juin 2022 enregistré au répertoire général sous le n° C21-14.714, ayant cassé un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 21 Janvier 2021 lequel avait statué sur appel d'un jugement juge de l'exécution du tribunal de grand instance de Marseille du 28 novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/5143
APPELANTS - DEMANDEURS A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [C] [R]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 3]
Madame [X] [L] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 3]
Tous deux représentés par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Cécile PION de la SCP GOBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE - DÉFENDERESSE A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A. LYONNAISE DE BANQUE,
inscrite au RCS de Lyon sous le n° 954 507 976,
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5] / FRANCE
représentée et plaidant par Me Hubert ROUSSEL de l'ASSOCIATION ROUSSEL-CABAYE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne THOMASSIN, Président, et Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller.
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Agnès DENJOY, Président
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023.
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
Faits, procédure, prétentions des parties :
Le 25 juin 2013, la SA Lyonnaise de Banque diligentait une saisie-attribution à l'égard des époux [R] sur les fonds détenus par la société Odalys, en vertu d'un acte notarié de prêt du 12 octobre 2007.
Un arrêt du 8 juin 2017, statuant sur la contestation des époux [R] :
- infirmait les dispositions du jugement déféré sur la prescription et disait que le prêt consenti aux époux [R] suivant acte du 12 octobre 2007 est soumis à la prescription quinquennale,
- confirmait le jugement déféré pour le surplus, notamment sur le défaut de prescription de la créance et la validation de la saisie contestée.
Le 3 avril 2018, la SA Lyonnaise de Banque prenait une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier des époux [R] situé à [Localité 6], cadastré section AN n°[Cadastre 4], en vertu de l'acte notarié du 12 octobre 2007.
Le 7 mai 2018, les époux [R] faisaient assigner la SA Lyonnaise de Banque devant le juge de l'exécution de Marseille aux fins de sursis à statuer sur le principe de créance allégué et à titre subsidiaire, de mainlevée de l'inscription, faute de menace dans le recouvrement de la créance.
Dans un premier jugement du 28 novembre 2019, le juge de l'exécution de Marseille déboutait la Lyonnaise de Banque de sa demande de condamnation de la société Odalys au paiement des causes de la saisie du 25 juin 2013 pour défaut d'existence juridique du tiers saisi et condamnait la banque à restituer les sommes perçues à hauteur de 54 300,99 €.
Le 17 janvier 2020, la Lyonnaise de Banque saisissait la somme précitée entre les mains de la société Odalys sur le fondement de l'acte notarié du 12 octobre 2007, saisie à laquelle les époux [R] acquiescaient le 24 février suivant.
Par un autre jugement du 28 novembre 2019, le même juge :
- rejetait la demande de sursis à statuer au motif de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 8 juin 2017 sur la validité de l'acte notarié du 12 octobre 2007,
- déboutait les époux [R] de leur demande de mainlevée aux motifs que les revenus de leur patrimoine immobilier ne permettent pas de rembourser leurs différents créanciers, que la valeur des biens immobiliers financés a été surestimée lors de la signature des offres de prêts, que leurs revenus professionnels ne sont pas suffisants pour garantir le recouvrement de la créance, et qu'ils ne peuvent se prévaloir d'une déchéance à hauteur des sommes dues par la société Odalys qui n'avait plus d'existence légale au jour de la saisie.
Sur appel des époux [R], un arrêt du 21 janvier 2021 de la présente cour :
- confirmait le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
- y ajoutant, déboutait les époux [R] de leurs prétentions au débouté de la demande d'inscription judiciaire provisoire de La Lyonnaise de Banque en garantie de la somme de 89 046,64 € au titre des intérêts conventionnels et de leur demande de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire qui en découle.
La cour motivait la confirmation du jugement déféré sur l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 8 juin 2017, et plus particulièrement la concentration des moyens qui en constitue une des composantes, laquelle imposait aux époux [R] de soulever, dès la première procédure, l'ensemble de leurs moyens de contestation. Elle relevait que dans cette première procédure, les époux [R] n'avaient pas opposé de moyen relatif à l'irrégularité du titre mais seulement la prescription.
Sur pourvoi des époux [R], un arrêt du 30 juin 2022 de la Cour de cassation, cassait et annulait l'arrêt du 21 janvier 2021 dans toutes ses dispositions, remettait l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les renvoyait devant la cour d'appel d'Aix en Provence, autrement composée, au motif que le juge d'appel s'était déterminé sans rechercher si le jugement du 28 novembre 2019 prononçant la nullité de la saisie-attribution pour erreur sur le tiers saisi, ne constituait pas un fait juridique nouveau de nature à écarter l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 8 juin 2017.
Par déclaration reçue le 26 juillet 2022 au greffe de la cour d'appel d'Aix en Provence, les époux [R] saisissaient la présente cour désignée comme cour de renvoi.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 27 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, les époux [R] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- prononcer la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire,
- condamner la SA Lyonnaise de Banque au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Ils soutiennent que l'exception tirée de la disqualification de l'acte notarié est recevable en l'absence d'autorité de chose jugée de l'arrêt du 8 juin 2017, lequel valide la saisie-attribution du 25 juin 2013 alors que cette dernière était invalidée par jugement du 28 novembre 2019. Ils considèrent que ce jugement constitue un fait juridique nouveau qui modifie la situation antérieure des parties reconnue en justice.
Ils rappellent que l'estoppel suppose une contradiction dans la même instance de sorte qu'un acquiescement hors procédure, à une saisie-attribution fondée sur l'acte notarié du 12 octobre 2017, est sans effet, ceci d'autant plus qu'ils avaient formé appel du jugement de rejet de leur demande de mainlevée.
Ils affirment que les articles L 511-1 et 2 du code des procédures civiles d'exécution s'appliquent et que le juge de l'exécution doit trancher les contestations même dans le cas où les créanciers disposent d'un titre exécutoire.
Ils fondent leur demande de disqualification en acte sous seing privé de l'acte authentique de prêt sur les dispositions de l'article 1318 ancien et des articles 2 et 41 du décret du 26 novembre 1971 au motif de l'intérêt à l'acte de maître [O], par perte de son indépendance et de son impartialité, face à un client générant un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros. Ils invoquent une relation d'affaires quasi-exclusive pendant six ans avec la société Appolonia, activité partagée avec seulement deux autres notaires, et une étude notariale organisée pour servir ce client.
Ils concluent que la sanction de la disqualification de l'article 1318 est indépendante de celle de l'article 1319 sur l'altération de la vérité par le notaire de ses propres constatations et que l'intérêt du notaire à l'acte doit être apprécié par rapport à l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, de l'arrêt de la chambre disciplinaire du 31 octobre 2013 et du rapport d'expertise [Y].
Ils invoquent l'absence de démonstration par la Lyonnaise de Banque d'une menace de non recouvrement, la banque détenant une hypothèque conventionnelle de premier rang sur le bien financé. Ils relèvent l'absence d'estimation du bien alors que la banque a l'obligation d'évaluer le risque une fois par trimestre. Ils invoquent une estimation de l'immeuble, le 28 mai 2018 se situant entre 220 et 250 000 € alors que l'inscription est prise à hauteur de 260 624 €, montant duquel doit être déduite la somme saisie de 54 300 €, soit 206 324 € et non 278 641 € selon décompte du créancier poursuivant. Ils relèvent que l'appel incident n'est pas accompagné d'une demande d'infirmation du jugement au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles en première instance.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 6 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la Lyonnaise de Banque demande à la cour de :
- débouter les époux [R] de toutes leurs contestations,
- faisant droit à son appel incident,
- condamner solidairement les époux [R] à lui payer une indemnité de 2 000 € pour frais irrépétibles en première instance et une indemnité de 3 000 € pour frais irrépétibles en appel ainsi qu'aux entiers dépens conformément aux articles 695 du code de procédure civile.
La SA Lyonnaise de Banque invoque le caractère inapplicable de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution au motif qu'elle dispose d'un titre exécutoire et que l'autorisation du juge de l'exécution n'est pas nécessaire.
Elle invoque l'irrecevabilité des demandes aux motifs de :
- l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 8 juin 2017. Elle soutient que l'arrêt du 21 janvier 2021 n'a été censuré que pour défaut de réponse à l'argumentation des époux [R] et que le jugement de nullité de la saisie-attribution du 28 novembre 2019 ne résulte que d'une cause extérieure au titre exécutoire, à savoir une erreur sur le tiers saisi, de sorte que le fait juridique nouveau n'a aucune incidence sur le titre exécutoire,
- l'estoppel établi par l'acquiescement des époux [R] à la nouvelle saisie-attribution du 17 janvier 2020 fondée sur le même titre exécutoire.
Elle conteste la perte par l'acte notarié de sa qualification d'acte authentique aux motifs que l'ancien article 1319 du code civil ne vise que le faux en écriture et non la condamnation du notaire pour des faits de complicité d'escroquerie. Elle soutient que seule l'inobservation des formalités de l'article 41 du décret du 26 novembre 1971 est sanctionnée par la perte du caractère authentique et donc exécutoire de l'acte de prêt. Elle considère que l'article 2 vise la situation où un notaire aurait un intérêt personnel à l'acte (prêteur ou vendeur) différent de celui de percevoir un émolument et que, de plus, l'intervention d'un même notaire pour plusieurs actes (vente, prêt, garantie et règlement de copropriété) relève d'une pratique courante.
Elle invoque un péril dans le recouvrement de la créance au motif que dans une assignation du 3 juillet 2010 en responsabilité bancaire, les époux [R] se décrivent comme totalement surendettés à hauteur de 3 308 676 € et propriétaires d'un bien surévalué et surpayé. Elle affirme que le risque de non-recouvrement suffit et qu'il n'est pas nécessaire d'établir que l'inscription du privilège de prêteur de deniers serait insuffisante.
En tout état de cause, elle conteste la valeur probante de l'évaluation du bien immobilier entre 220 et 250 000 € avec la mention qu'elle ne peut être utilisée en justice de sorte qu'elle est complaisante. En outre, elle rappelle l'existence d'un bail de nature à provoquer une dépréciation de 30 % en cas de vente amiable et plus importante en cas de vente forcée et une créance de 278 641,15 € après déduction de la somme saisie de 54 300 €.
L'instruction de la procédure était close par ordonnance du 1er mars 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
Selon les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, la chose jugée constitue une fin de non-recevoir qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d'agir.
- Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée :
Selon les dispositions de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée, soit la même, soit fondée sur la même cause, entre les mêmes parties, et soit formée par elles et contre elles en la même qualité.
L'autorité de chose jugée ne s'attache qu'à la situation juridique à la date de la décision. Il n'y a donc pas identité de cause lorsque la situation juridique a été modifiée depuis la date de la première décision.
En l'espèce, si l'arrêt du 8 juin 2017 de la présente cour a rejeté les contestations des époux [R] et validé une saisie-attribution du 25 juin 2013 délivrée sur le fondement de l'acte notarié du 12 octobre 2007, il n'avait pas autorité de la chose jugée dès lors qu'un premier jugement du 28 novembre 2019 a invalidé la saisie-attribution pour défaut d'existence du tiers saisi. Cette décision constitue un fait nouveau dans la situation juridique des parties depuis l'arrêt du 8 juin 2017 dont la chose jugée n'a plus autorité et ne peut plus constituer la fin de non-recevoir de l'article 122 du code de procédure civile.
Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 8 juin 2017 doit être rejetée.
- sur la fin de non-recevoir tirée de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui:
Selon les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui constitue une fin de non-recevoir ayant pour effet l'irrecevabilité de la demande sous condition que cette contradiction s'opère dans le cadre d'une même instance et porte sur des prétentions.
En l'espèce, si les époux [R] ont acquiescé, le 24 février 2020, à une saisie-attribution du 17 janvier 2020 délivrée sur le fondement de l'acte notarié aujourd'hui contesté du 12 octobre 2017, cet acquiescement n'est pas intervenu dans le cadre d'une instance.
Si l'incohérence entre l'acquiescement précité et la contestation des époux [R] dans la présente instance est légitimement soulevée, la Lyonnaise de Banque n'établit pas une contradiction à son détriment dans une même instance.
Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui n'est pas fondée et doit être rejetée.
- Sur la demande de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire fondée sur l'absence d'autorisation du juge de l'exécution :
Selon les dispositions de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe, peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Selon les dispositions de l'article L 511-2 du même code, une autorisation préalable n'est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas force exécutoire.
Selon les dispositions de l'article L 512-1 du même code, même lorsqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L 511-1 ne sont pas réunies.
Selon les dispositions de l'article 1318 ancien du code civil, dans leur rédaction applicable à l'acte notarié du 12 octobre 2007, l'acte qui n'est point authentique par l'incompétence ou l'incapacité de l'officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écriture privée, s'il a été signé par les parties.
Selon les dispositions de l'article 2 du décret du 26 novembre 1971, les notaires ne peuvent recevoir des actes dans lesquels leurs parents ou alliés, en ligne directe, à tous les degrés, et en ligne collatérale jusqu'au degré d'oncle, ou de neveu inclusivement, sont parties, ou qui contiennent quelque disposition en leur faveur. Les notaires associés d'une société titulaire d'un office notarial ou d'une société de notaires ne peuvent recevoir des actes dans lesquels l'un d'entre eux ou les parents ou alliés de ce dernier au degré prohibé par l'alinéa précédent, sont parties ou intéressés.
Selon les dispositions de l'article 41 du même décret, tout acte fait en contravention de l'article 2 précité ne vaudra que comme écrit sous signature privée sauf, s'il y a lieu, les dommages et intérêts contre le notaire contrevenant.
Dans le silence des textes sur la définition de la notion d'intérêt de l'officier public, l'intérêt est caractérisé lorsque des proches au degré défini à l'article 2 précité sont intéressés à l'acte. De même, l'intérêt personnel, prohibé, du notaire est établi lorsque l'acte contient des dispositions en sa faveur, notamment testament mystique à son profit, ou dans lequel il instrumente pour une société dont il est associé ou actionnaire.
En l'espèce, l'hypothèque judiciaire provisoire contestée a été inscrite sur le fondement de l'acte notarié du 12 octobre 2007 signé par les parties et établi par maître [O] de la SCP dénommée '[P] [W], [V] [H], [E] [O], [G] [I], [J] [A]', dont les époux [R] contestent le caractère authentique et donc exécutoire. Par voie de conséquence, ils invoquent le défaut d'autorisation du juge de l'exécution.
La sanction de la perte d'authenticité d'un acte notarié présente un tel degré de gravité que les dispositions de l'article 1318 ancien, qui ne visent qu'une incapacité par rapport à un acte déterminé, désigné comme ' l'acte qui n'est point authentique ', doivent être interprétées strictement. Ainsi, l'existence d'un intérêt personnel de maître [O] doit être examinée par rapport aux parties à l'acte de prêt du 12 octobre 2017 et non par rapport à une opération globale de promotion immobilière de la société Apollonia et de défiscalisation au profit d'acquéreurs, s'inscrivant dans son exercice professionnel de notaire.
Or, les appelants n'établissent pas l'existence d'un intérêt personnel de maître [O] à recevoir l'acte de prêt consenti par la Lyonnaise de Banque. Ils ne peuvent donc invoquer utilement l'intérêt personnel de maître [O], au sens des dispositions de l'article 1318 ancien, de conserver la clientèle de la société Apollonia, non partie à l'acte et en charge de la commercialisation du bien immobilier acquis par les époux [R] au moyen de l'acte notarié de prêt contesté.
L'incapacité en lien avec l'intérêt de maître [O] à recevoir l'acte de prêt du 12 octobre 2007 entre la Lyonnaise de Banque et les époux [R] ne peut résulter du paiement à la SCP notariale dont il est un associé, des honoraires constitutifs du paiement de sa prestation en qualité d'officier public. En outre, les honoraires du notaire sont réglementés par la puissance publique en conséquence de son statut d'officier public.
A titre superfétatoire, l'intérêt personnel de maître [O] à instrumenter pour les époux [R] analysé dans le cadre plus large de sa relation avec la société Apollonia impose aux appelants d'établir un intérêt personnel de maître [O], sous forme d'un avantage financier occulte ou ostensible mais non autorisé par la réglementation.
Or, l'arrêt du 31 octobre 2013 de la cour d'appel d'Aix en Provence, statuant en chambre disciplinaire, fonde l'interdiction temporaire d'exercer pour une durée d'un an prononcée à l'égard de maître [O], sur le recours systématique à la procuration pour favoriser les intérêts du promoteur par rapport à ceux des clients, sur des déplacements, l'établissement de procurations à la chaîne sans vérification de la situation individuelle des clients, ses déplacements pour les recueillir au domicile des clients, du commercialisateur, dans des hôtels ou aéroports, de nature à porter atteinte à la dignité de la fonction.
De même, maître [O] est renvoyé devant le tribunal correctionnel par l'ordonnance du magistrat instructeur du 15 avril 2022 pour le recours systématique aux procurations, le manquement à ses devoirs d'information et de conseil à l'égard des clients acquéreurs, signataires des procurations notariales, et l'absence de suspension des opérations notariées, ce suivant les conditions imposées par la société Appolonia.
Il s'en déduit que la sanction disciplinaire prononcée à l'égard de maître [O] et la poursuite pénale exercée à son encontre sont sans lien avec un avantage personnel indu obtenu par ce dernier à l'occasion des actes reçus dans le cadre des opérations immobilières de la société Apollonia. ( pièce n°15 cf ORTC pages 181, 312 et 313)
Aucun élément produit par les époux [R] ne permet d'établir que maître [O] percevait, à titre personnel, et même sous couvert de la SCP dont il était associé, un intéressement sous la forme d'un pourcentage d'une base financière inconnue au titre de chaque opération conclue par son office. Dans sa 7ème déposition, maître [O] rappelle avoir appliqué le tarif légal des notaires et n'avoir pas 'perçu d'argent ou d'avantage en nature quel qu'il soit, supplémentaire' (pièce n°16).
Monsieur [U], dirigeant de la société Apollonia, a déclaré croire que les notaires 'ont un pourcentage sur les financements' (déclaration reprise en page 266 de l'ORTC), mais cette déclaration d'un tiers constitue une simple allégation non étayée ni par des faits précis et objectifs, ni par une instruction pénale de plusieurs années.
Le rapport de l'expert [Y] et l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction évoquent 'la docilité' de maître [O] à l'égard de sa cliente, la société Apollonia, pour avoir notamment accepté de parcourir un territoire important afin de recueillir les procurations des investisseurs. Ce comportement ne suffit pas à caractériser un intérêt personnel du notaire précité à la signature de l'acte authentique de prêt des époux [R].
Si ce même rapport confirme (page 184) que la grande disponibilité des notaires était la contrepartie de la réalisation d'un nombre important d'actes et donc d'un montant important d'honoraires et émoluments, l'intérêt de maître [O] et de sa SCP était, comme celui de tout professionnel libéral, de travailler pour le compte de clients qualifiés 'd'institutionnels' dont l'activité génère par nature, des prestations régulières, donc un chiffre d'affaires assuré.
De même, si les époux [R] mettent en évidence une activité importante de maître [O] pour le compte de la société Apollonia, cette dernière désignait aussi maîtres [T] et [B]. Maître [O] déclare (pièce n°16 ), sans être contredit par le dossier d'instruction, avoir perçu de l'activité au service de la seule société Apollonia, un bénéfice personnel d'1 000 000 € sur 6 ans (soit 13 888 € par mois en moyenne) alors qu'il déclarait notamment des bénéfices non commerciaux de 46 666 € par mois pendant l'année 2007 (560 000 €). De même, le chiffre d'affaires réalisé par maître [B], autre notaire désigné par la société Apollonia, ne représentait que 8,5 % de son chiffre d'affaires sur six ans. Ainsi, le lien allégué de dépendance économique de maître [O] à l'égard de la société Apollonia, n'est pas démontré par les époux [R].
Il s'en déduit que les époux [R] n'établissent pas un intérêt personnel de maître [O] à la réception de l'acte notarié de prêt du 12 octobre 2017 de nature à constituer l'incapacité visée par l'article 1318 ancien du code civil de sorte que l'acte authentique n'a pas dégénéré en acte sous seing privé.
Par conséquent, la demande de mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire n'est pas fondée de ce chef.
- Sur la demande de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire fondée sur l'absence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance :
La Lyonnaise de Banque justifie d'une créance d'un montant de 278 641,15 € après déduction des sommes attribuées par la saisie du 17 janvier 2020 (cf pièce n° 28 décompte du 5 novembre 2020), et la menace de non-recouvrement doit s'apprécier par rapport au montant de la créance pour laquelle l'hypothèque a été inscrite, soit 260 624 €. Elle établit utilement le péril dans le recouvrement de la créance en lien avec l'action en responsabilité en cours et les déclarations des époux [R] sur leur situation financière qu'ils qualifient eux-même de surendettement avec un passif évalué à 3 308 676 €.
La Lyonnaise de Banque conteste à juste titre que l'inscription de privilège de deniers sur le bien situé à [Localité 8], financé par l'acte de prêt notarié du 12 octobre 2007 comporte une garantie suffisante de recouvrement de la créance, dès lors que les époux [R] soutiennent eux-même dans le cadre de l'action en responsabilité bancaire que ce bien a été surévalué et serait invendable, selon avis des experts [S] et [F]. L'estimation du bien entre 220 et 250 000 € établie en mai 2018 avec la mention qu'elle n'est pas destinée à être produite en justice ne peut donc avoir de valeur probante. De plus, l'existence d'un bail en cours portant sur ledit logement, dont le loyer est saisi, a pour effet de réduire dans une proportion importante le prix de vente du bien.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé par substitution de motifs en ce qu'il a rejeté la demande de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire contestée.
- Sur les demandes accessoires :
Les époux [R], partie perdante, supporteront les dépens d'appel.
La demande de la Lyonnaise de Banque de réformation du jugement déféré sur le montant de l'indemnité pour frais irrépétibles allouée par le premier juge est constitutive d'un appel incident. Cependant, le dispositif de ses dernières écritures ne demande pas à la cour l'infirmation du jugement déféré sur le montant de l'indemnité allouée pour frais irrrépétibles et de statuer à nouveau, conformément à l'article 954 du code de procédure civile. La cour n'est donc pas valablement saisie de cette demande de sorte que le jugement doit aussi être confirmé sur le montant de l'indemnité octroyée.
L'équité commande d'allouer à la Lyonnaise de Banque, contrainte d'engager des frais irrépétibles pour assurer la défense de ses intérêts devant la cour de renvoi, une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après débats en audience publique et après en avoir délibéré, conformément à la loi, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum monsieur [C] [R] et madame [X] [R] au paiement d'une indemnité de 3 000 € à la SA Lyonnaise de Banque au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum monsieur [C] [R] et madame [X] [R] aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE