COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 01 JUIN 2023
N° 2023/400
Rôle N° RG 22/10674 N° Portalis DBVB-V-B7G-BJZZ2
[F] [P]
C/
Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Régis DURAND
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution de TOULON en date du 05 Juillet 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 20/03130.
APPELANTE
Madame [F] [P]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 4] VIETNAM (99),
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Nathalie BARBIER de la SELARL SAJEF AVOCATS, avocat au barreau de TOULON
INTIMÉE
Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE MÉDITERRANÉE,
immatriculée au RCS de Nice sous le n° 058 801 481,
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Me Régis DURAND de l'AARPI DDA & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON,
assistée de Me Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 29 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Pascale POCHIC, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte notarié du 30 mars 2007 la SA Banque Populaire Cote d'Azur, devenu la Banque Populaire Méditerranée (ci-après, la banque) a consenti un prêt d'un million d'euros remboursable en 240 mois à la SCI [P] en vue de financer l'acquisition d'un bien immobilier situé à [Localité 5]. Mmes [F] [P], [Z] [P], et [R] [P], gérante de la société [P], toutes trois associées de cette société, sont intervenues à l'acte ainsi que la Sarl New Asia, pour se porter cautions solidaires à hauteur de la somme de 1 200 000 euros.
Un second prêt de 340 000 euros a été consenti par la même banque à cette société, par acte authentique du 30 mai 2009 destiné à financer des travaux de démolition et reconstruction d'un bâtiment à usage de restaurant, situé à cette adresse. Par le même acte les mêmes personnes physiques et morale se sont portées cautions solidaires pour la somme de 480 000 euros.
Suite à la défaillance de la débitrice, la déchéance des deux prêts a été prononcée par lettre du 25 janvier 2016 communiquée aux cautions par courrier du même jour.
Par jugement du 21 avril 2016, le tribunal de commerce de Toulon a ouvert une procédure de
redressement judiciaire de la SCI [P] et par jugement du 24 avril 2017 cette juridiction a arrêté un plan de redressement sur une durée de 10 ans.
Les créances déclarées par la banque ont été admises par ordonnances du juge commissaire du 11 mai 2017 pour la somme de 741 408,93 euros au titre du premier prêt et pour 288 194,89 euros au titre du second prêt, à titre privilégié, outre les intérêts contractuels.
La banque a reçu des dividendes au titre de l'exécution partielle du plan de redressement puis en exécution de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire du 14 juin 2019 autorisant un paiement provisionnel global de 900 000 euros.
La liquidation judiciaire de la SCI [P] a été prononcée par un jugement du 7 novembre 2019 après résolution du plan.
***
En vertu des actes authentiques précités contenant engagements de caution, la banque a fait procéder le 12 juin 2020 à la saisie-attribution du compte bancaire de Mme [F] [P] pour le recouvrement de la somme totale de 304 228,98 euros en principal, intérêts et frais. La saisie s'est avérée fructueuse pour un montant de 3 063,79 euros.
Dans le mois de la dénonce et par assignation du 17 juillet 2020 Mme [P] a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon d'une demande de nullité de cette mesure, invoquant la disproportion manifeste de son engagement, le manquement de la banque à son devoir de conseil et de mise en garde, le défaut d'information de la défaillance de la débitrice dans le mois de l'exigibilité du paiement, l'absence d'information annuelle de la caution et elle a sollicité le rejet de l'application par la banque du taux majoré pour les intérêts de retard, la déchéance des intérêts, la réduction du taux d'intérêt majoré, et à titre subsidiaire l'octroi de délais de paiement
La banque a conclu à l'irrecevabilité des demandes de « juger » et « constater » présentées dans le dispositif des conclusions de Mme [P] et en raison de l'incompatibilité de ces demandes tendant à la fois à juger que la banque est déchue de se prévaloir de l'engagement de caution, de rejeter l'application du taux majoré et de prononcer la déchéance des intérêts. Au fond elle a soutenu leur caractère infondé et sollicité la validation de la saisie contestée.
Par jugement du 5 juillet 2022, après réouverture des débats, le juge de l'exécution a :
' rejeté la fin de non recevoir soulevée par la banque ;
' débouté Mme [P] des demandes tendant au prononcé de la déchéance des intérêts pour toute la période contractuelle jusqu'à ce jour, au rejet pour le premier prêt de la majoration du taux d'intérêt de 3 points qui porte à un taux égal à 7,5%, au rejet pour le second prêt de la majoration du taux d'intérêt de 3 points qui porte a un taux égal à 8,15%, et à la demande subsidiaire, de réduction de la majoration du taux d'intérêt de 3 points pour chacun des deux prêts ;
' débouté Mme [P] de sa demande en nullité et en mainlevée de la saisie-attribution ;
' l'a déboutée de sa demande de délais de paiement ;
' rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
' condamné Mme [P] aux entiers dépens.
Celle-ci a interjeté appel de cette décision dans les quinze jours de sa notification, par déclaration du 22 juillet 2022 mentionnant l'ensemble des chefs du dispositif excepté celui relatif au rejet de la fin de non recevoir présentée par la banque.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 17 novembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour plus ample exposé de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, elle demande à la cour de :
- juger l'appel recevable et bien fondé ,
- infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- juger recevable et bien fondée la contestation formée par Mme [P], sur le caractère disproportionné, et sur le non-respect par le banquier dispensateur de crédit de son obligation de conseil et de son devoir de mise en garde et de loyauté,
Vu l'article L.343-4 du Code de la consommation, devenu L.332-1,
- juger que l'engagement de cautionnement de Mme [P] en date du 30 mars 2007 était manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus,
- juger que l'engagement de cautionnement de Mme [P] en date du 30 mai 2009 était manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus,
- juger que la BPMED n'a pas respecté et satisfait à son obligation de conseil et son devoir de mise en garde, de loyauté à l'égard de Mme [P], aussi bien pour l'acte de cautionnement en date du 30 mars 2007 que pour l'acte de cautionnement du 30 mai 2009,
- juger que la BPMED n'apporte pas la preuve, au moment où elle appelle en paiement Mme [P] que celle-ci dispose d'un patrimoine lui permettant désormais de faire face à son engagement,
- juger que Mme [P] n'a pas fait retour à meilleure fortune,
- déchoir la BPMED du droit de se prévaloir de l'engagement de caution souscrit par Mme [P],
Sur la non information de la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement :
Vu l'article L.341-1 du Code de la consommation, devenu L.333-1,
- constater que la BPMED ne justifie pas avoir informé Mme [P] de la défaillance de la SCI [P] dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement,
- rejeter l'application par la BPMED du taux majoré pour les intérêts de retard,
Sur le non-respect de l'information annuelle de la caution prévue à l'article L.313-22 du Code monétaire et financier
Vu l'article L.313-22 du Code monétaire et financier,
- constater que la BPMED ne justifie pas avoir informé annuellement Mme [P] du montant en principal, frais et accessoires de la dette de la SCI [P],
- prononcer la déchéance des intérêts pour toute la période contractuelle, jusqu'à ce jour, pour la caution,
Sur la nécessaire réduction de la majoration du taux d'intérêt
Vu l'article 1152 du code civil, devenu 1231-5,
- rejeter, pour le premier prêt, la majoration du taux d'intérêt de 3 points, qui porte à un taux d'intérêt égal à 7,5 %,
- rejeter, pour le deuxième prêt, la majoration du taux d'intérêt de 3 points, qui porte à un taux d'intérêt égal à 8,15 %,
A titre subsidiaire,
- réduire la majoration du taux d'intérêt de 3 points, pour le premier prêt, et appliquer le taux du contrat soit 4,50 %.
- réduire la majoration du taux d'intérêt de 3 points, pour le deuxième prêt, et appliquer le taux du contrat soit 5,15 %.
En conséquence,
- juger nullet et de nul effet la saisie-attribution diligentée,
En conséquence,
- en ordonner la mainlevée,
Reconventionnellement,
Si par extraordinaire, la cour devait valider la saisie-attribution,
- accorder à Mme [P] un différé de paiement, dans la limite de deux ans, ou un échelonnement de paiement, dans la limite de deux ans, pour s'acquitter du montant des condamnations qui seraient mises à sa charge,
En tout état de cause,
- débouter la Banque Populaire Méditerranée de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en ceux compris ceux de première instance et d'appel, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Cohen Guedj Montero Daval-Guedj, sur son offre de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Sur l'appel incident de l'intimée qui maintient que les demandes qu'elle a présentées en première instance étaient irrecevables en raison de leur incompatibilité, Mme [P] objecte que la banque se fonde sur un arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 2020 qui concerne la procédure d'appel avec représentation obligatoire et n'est donc pas applicable à la procédure suivie devant le juge de l'exécution qu'en outre la Cour de cassation a précisé que la rédaction attendue du dispositif des conclusions de l'appelant, que ce soit à titre principal ou à titre incident, ne s'appliquait pas aux instances introduites avant la date du 17 septembre 2020, or l'assignation en contestation a été délivrée le 17 juillet 2020. Par ailleurs les contestations qu'elle soulève sont compatibles entre elles et ont pour objet de contester l'exigibilité de la créance dont se prévaut la banque.
A l'appui de ses demandes l'appelante fait valoir pour l'essentiel que :
- contrairement à ce qu'indique le premier juge, l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire donne compétence au juge de l'exécution pour connaître à l'occasion de l'exécution forcée, de la contestation portant sur le fond du droit et notamment pour se prononcer sur le caractère disproportionné du cautionnement ;
- de même il ne peut lui être fait reproche de ne pas avoir engagé une procédure devant le juge du fond pour contester le montant des sommes réclamées ou mettre en cause la responsabilité de la banque, alors que la caution peut agir par voie d'action ou par voie d'exception ;
- en application de l'article L.341-4 devenu L.332-1 du code de la consommation, la banque ne peut se prévaloir des cautionnements qu'elle a conclus qui étaient disproportionnés au moment de leur conclusion dès lors que madame [P] percevait en 2007 des revenus annuels net de 22 078 euros et en 2009 , de 14 049 euros, que l'appartement dont elle est propriétaire était grevé d'un emprunt générant des mensualités de remboursement de 623,53 euros, et que la valeur des parts qu'elle détenait dans la SCI [P], constituée au mois de février 2007, doit tenir compte du passif social important résultant des prêts consentis par la banque, d'une décote résultant de la clause d'agrément prévue dans les statuts en cas de vente de ces parts ainsi que de la situation juridique de l'immeuble appartenant à cette SCI qui était loué, outre l'immobilisation de cet actif;
- la société Ena dont elle détient des parts, n'a été constituée qu'au mois de mars 2009 et n'avait que deux mois d'existence lors de la souscription du second cautionnement ;
- aucune fiche de renseignement patrimonial n'a été complétée par la banque lors de ces deux engagements de caution ;
- la banque ne rapporte pas la preuve qu'au jour de la saisie querellée, la caution dispose de revenus et d'un patrimoine lui permettant de faire face à l'engagement, alors qu'à cette date ses revenus annuels s'élevaient à la somme de 10 852 euros, qu'elle poursuit le remboursement de son crédit immobilier et que les cautionnements en cours auprès de la même banque se chiffrent à un total de 2 274 000 euros,
- la banque a manqué à son devoir de mise en garde de loyauté à l'égard d'une caution non avertie, ce manquement étant de nature à la décharger de son engagement ;
- elle ne peut être tenue des intérêts de retard, faute d'avoir été informée de la défaillance de la société cautionnée dès le premier incident de paiement non régularisé, conformément aux dispositions de l'article L.341-1 devenu L.333-1 du code de la consommation, puisque la mise en demeure qui lui a été adressée date du 26 septembre 2019 alors qu'il ressort des décomptes produits aux déclarations de créance effectuées par la banque entre les mains du mandataire judiciaire, que les premiers incidents de paiement au titre des deux prêts sont survenus au mois de juin 2015 ;
- de même la banque ne justifie pas du respect de l'obligation d'information annuelle de la caution ,édicté par l'article L.313-22 du code monétaire et financier et de l'article 2293 alinéa 2 du code civil, en sorte qu'elle est déchue de son droit à poursuivre les intérêts pour toute la période contractuelle ;
- il y a lieu à réduction de la majoration de trois points du taux des intérêts, en application de l'article 1152 devenu 1231-5 du code civil, qui constitue une clause pénale, cette majoration portant les intérêts de retard à un taux très supérieur au taux de refinancement sur les marchés financiers et conduit en outre à une aggravation rapide de la dette ;
- à titre subsidiaire et compte tenu de sa situation financière, l'octroi de délais de paiement est justifié.
Par dernières écritures en réponse notifiées le 28 février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé complet de ses moyens, la Banque Populaire Méditerranée, formant appel incident demande à la cour de :
A titre principal,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SA Banque Populaire Méditerranée ;
Et statuant à nouveau sur ce point ;
- accueillir la fin de non-recevoir soulevée par la banque ;
- infirmer ledit jugement en ce qu'il déboute Mme [P] de sa demande afin de « prononcer la déchéance des intérêts pour toute la période contractuelle jusqu'à ce jour ; rejeter pour le 1er prêt la majoration du taux d'intérêt de 3 qui porte à un taux d'intérêt égal à 7,5 %; rejeter pour le 2nd prêt la majoration du taux d'intérêt de 3 points qui porte à un taux égal à 8,15 % ; à titre subsidiaire, réduire la majoration du taux d'intérêt de 3 points pour le 1er prêt et appliquer le taux du contrat de 4,50 % ; réduire la majoration du taux d'intérêt de 3 points pour le 2nd prêt et appliquer le taux du contrat de 5,15 %. » au lieu de déclarer lesdites demandes irrecevables;
- l'infirmer en ce qu'il « déboute Mme [P] de sa demande en nullité et en mainlevée de la saisie-attribution pratiquée selon procès-verbal dressé le 12 juin 2020 à la demande de la SA Banque Populaire Méditerranée entre les mains de la Caisse d'Epargne Côte d'azur, en vertu de la copie exécutoire d'un acte authentique du 30 mars 2007 reçu par Me [B] [V], notaire associé à [Localité 6], et de la copie exécutoire d'un acte authentique du 30 mai 2009 reçu par Me [V], dénoncé le 22 juin 2020 », au lieu de déclarer lesdites demandes irrecevables;
- infirmer le jugement en ce qu'il « déboute Mme [F] [P] de sa demande de délai», au lieu de la déclarer irrecevable ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés du jugement ;
- déclarer irrecevables les prétentions de Mme [P] ;
- confirmer le jugement en ce qu'il déboute Mme [P] de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il la condamne aux dépens ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement du juge de l'exécution de Toulon du 5 juillet 2022 ;
- débouter Mme [F] [P] de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
- valider la saisie attribution pratiquée le 15 juin 2020 entre les mains du Crédit Agricole au préjudice de Mme [P], pour la somme de 3 063,79 euros ;
- condamner Mme [P] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu' aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Régis Durand du cabinet DDA & Associés dans les conditions de l'article 700 du code de procédure civile.
A cet effet l'intimée fait valoir essentiellement que :
- à supposer même que les demandes de «constater» , «juger» figurant au dispositif de l'assignation et des conclusions de première instance de Mme [P] constituent des prétentions celles-ci sont incompatibles, le juge ne pouvant, à la fois et en même temps, prononcer la déchéance des intérêts et rejeter la majoration du taux d'intérêt ; Et si la déchéance des intérêts est prononcée, il n'est pas possible de rejeter la majoration du taux d'intérêt dont le créancier est déchu,
- les demandes formées par Mme [P] en cause d'appel sont également irrecevables puisque que dans leur dispositif il est demandé de «déchoir la BPMED du droit de se prévaloir de l'engagement de caution souscrit par Madame [P] » (page 37), prétention incompatible avec celles tendant à prononcer la déchéance des intérêts et à rejeter la majoration du taux d'intérêt,
- la règle, rappelée par l'arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 2020, selon laquelle les demandes de «juger» et «constater» ne sont pas des prétentions, s'applique à toutes les procédures, non pas seulement à l'appel, par ailleurs l'arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2021, n°20-10694, concerne l'application d'une règle de la procédure d'appel et ne peut pas remédier à l'incompatibilité des demandes formulées au dispositif de l'assignation devant la juridiction de première instance et l'oralité des débats devant le juge de l'exécution ne régularise pas davantage l'irrecevabilité des demandes de l'appelante, dès lors que le délai de contestation de la saisie-attribution est enfermé dans un délai d'un mois à peine d'irrecevabilité lequel ne peut être interrompu que par l'assignation devant le juge de l'exécution et qu'il n'y a eu aucune régularisation, puisqu'il ressort des énonciations du jugement que les demandes présentées oralement par la demanderesse ne divergeaient pas de celles formulées par écrit,
- subsidiairement au fond, Mme [P] ne rapporte pas la preuve d'une disproportion manifeste et se méprend sur la méthode de valorisation de ses biens. Il n'y a pas lieu à décote ainsi qu'elle le prétend. Mme [P] détient le quart du capital de la SCI [P] qui est propriétaire d'un bien immobilier à usage professionnel situé à [Localité 5] acquis en 2007 moyennant le prix de 1 340 000 euros, financé par la banque, incluant le coût des travaux en 2007 et en 2009 et elle ne fournit aucune évaluation dudit actif net ni la valeur de ses parts. Par ailleurs elle détient un sixième du capital de la Selarl Ena qui exploitait un fonds de commerce de restauration dans les locaux pris en location de la SCI [P] et qui a réalisé en 2012 ,un chiffre d'affaires moyen sur trois exercices de 1 151 062 euros et en appliquant un taux de pourcentage de 75 % du chiffre d'affaires annuel, la valorisation du fonds de commerce de la société Ena est de 863 297 euros. Si cette société a été effectivement constituée après les cautionnements discutés, Mme [P] ne fournit aucune explication sur les éléments d'actifs qu'elle détenait à la date du cautionnement lui ayant permis de financer son investissement dans cette société, qui n'est qu'un remploi.
- par ailleurs il ressort d'une fiche de renseignements de Mme [P] datant du 19 décembre 2012, concernant un autre dossier de prêt, qu'elle percevait des revenus annuels de 24 000 euros outre des allocations pour 3 600 euros et qu'elle est propriétaire d'un appartement d'une valeur de 220 000 euros et elle ne justifie pas ,par les pièces qu'elle produit, que ce bien soit grevé d'un emprunt. En tout état de cause ce bien doit être pris en considération dans l'appréciation de la situation patrimoniale de la caution, or la garantie est limitée à 114 000 euros alors que cet immeuble est évalué à 220 000 euros,
- le moyen tiré du manquement de la banque à son obligation de mise en garde et de vigilance
est irrecevable devant le juge de l'exécution puisqu'en l'espèce sous couvert de fonder un moyen de mainlevée, il se rapporte en réalité à des demandes de dommages intérêts, en outre l'action en responsabilité fondée sur ce manquement, soumise au délai de prescription quinquennale qui court à compter de l'acte ayant engagé la caution, en l'occurrence le 30 mars 2007 et le 30 mai 2009 est prescrite. Par ailleurs le créancier n'est tenu d'aucune obligation de mise en garde à l'égard de cautions averties, or Mme [P] est la gérante et associée de la SCI [P] et associée de la Sarl Ena et de surcroît partie prenante dans l'activité d'une société New Asia pour y travailler en tant que salariée et gérante de la société Les Trois Amis. Elle est ainsi manifestement impliquée dans le monde des affaires et doit être considérée comme « avertie ». En tout état de cause l'obligation de mise en garde s'impose si la caution est exposée à un risque d'endettement né de l'octroi du prêt or l'opération n'appauvrit pas la caution puisqu'en tant qu'associée de la société emprunteuse, son patrimoine s'enrichit de la valeur de l'actif dont l'acquisition est financée par la banque,
- contrairement à ce que soutient l'appelante, celle-ci a été tenue informée dès la défaillance de la débitrice, puis régulièrement, de l'état de la créance de la banque par mises en demeure et lettres des 25 janvier 2016, 21 mars 2018, 26 septembre 2019. Par ailleurs le défaut d'information annuelle de la caution n'est pas une cause de mainlevée de la saisie et entraîne la déchéance des intérêts contractuels depuis la précédente information jusqu'à la date de la communication de la nouvelle information et non la déchéance des intérêts et en cas de défaut d'information, le taux d'intérêt légal s'applique sur le principal à compter de la première mise en demeure.
- s'agissant de la demande de réduction de la clause pénale et de la majoration des taux d'intérêt, le juge commissaire a fixé la clause pénale à un euro et le paiement réclamé à Mme [P] ne porte que sur le principal et les intérêts restant dus,
- le montant de la saisie n'étant que de 3 063,79 euros, la demande de délais de paiement doit être rejetée.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 1er mars 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'irrecevabilité des conclusions de première instance de Mme [P]:
Le premier juge a exactement rappelé que les demandes de constat ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, et qu'il n'y avait donc pas lieu de statuer de ces chefs ;
En revanche les demandes présentées par Mme [P] sous forme de « juger que » , notamment:
-« juger que [ses] engagements de cautionnement du 30 mars 2007 et du 30 mai 2009 sont manifestement disproportionnés par rapport à ses biens et revenus »,
- « juger que la BPMED sera déchue du droit de se prévaloir de l'engagement de caution souscrit ...»,
ne constituent pas une simple reprise de ses moyens, mais une demande, développée oralement devant le premier juge, tendant à la décharge desdits engagements ;
Par ailleurs et en dépit de la rédaction du dispositif, ces conclusions, reprises dans celui des dernières écritures d'appel de Mme [P], qui ne distingue pas entre demandes principales et subsidiaires et tendant, dans l'ordre de leur présentation à :
- en premier lieu la décharge de ces engagements et subsidiaires,
- puis, au rejet de l'application par la banque du taux d'intérêt majoré appliqué par la banque, sur le fondement de l'article L.341-1 devenu L.333-1 du code de la consommation,
- puis au prononcé de la déchéance des intérêts pour la période contractuelle en application de l'article L.313-22 du code monétaire et financier,
- et enfin au rejet de la majoration des taux d'intérêts et « à titre subsidiaire », à leur réduction, en application de l'article 1152 devenu 1231-5 du code civil,
ne les rend pas incompatibles entre elles, malgré l'absence de hiérarchisation de ces prétentions, dès lors ainsi que le relève l'appelante, qu'elles visent à contester l'exigibilité de la créance poursuivie, et que la solution donnée à ces demandes, dans l'ordre de leur présentation, conditionnera celle apportée aux prétentions subséquentes ;
Il s'en suit la confirmation du rejet de la fin de non recevoir soulevée par la banque.
Sur la disproportion des cautionnements souscrits par actes authentiques du 30 mars 2007 et du 30 mai 2009 :
Il sera rappelé en premier lieu que selon l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles
portent sur le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Il résulte de ces dispositions qu'il entre dans ses pouvoirs à l'occasion de la contestation d'une saisie, de se prononcer sur la validité d'un engagement résultant d'un acte notarié et, partant , de statuer sur la possibilité pour la banque de se prévaloir de l'engagement d'une caution consenti aux termes d'un acte authentique, au regard de sa proportionnalité ; le premier juge n'a d'ailleurs pas écarté sa compétence sur ce point ;
Aux termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, devenus les articles L. 332-1 et L. 343-4 du même code abrogés par ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie en prenant en considération d'une part, l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution et, d'autre part, ses biens et revenus, sans tenir compte des revenus escomptés de l'opération garantie ;
C'est à la caution qu'il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue, à la date de la souscription de l'engagement, et au créancier qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement, d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation ;
En l'espèce aucune fiche patrimoniale n'a été établie à l'occasion des deux cautionnements souscrits par Mme [P] le premier le 30 mars 2007 à hauteur de 1 200 000 euros, le second, le 30 mai 2009, pour un montant de 408 000 euros. Il ressort des productions qu'au cours de l'année 2007, cette dernière, employée, célibataire et mère de deux enfants mineurs, avait des revenus mensuels de 1 839,83 euros et pour l'année 2009 de 1 170,45 euros ;
Il n'est pas discuté qu'elle ne disposait pas de placements bancaires et financiers ;
Son patrimoine immobilier était uniquement constitué de sa résidence principale acquise au mois de septembre 2006, financé par deux prêts accordés par le Crédit Agricole Provence Cote d'Azur, l'un dénommé « prêt accession sociale » de 111 500 euros remboursable en 300 échéances mensuelles de 603,62 euros et le second « prêt 0% ministère du logement » d'un montant de 17 200 euros sans intérêt , remboursable sur 264 mois, avec différé d'amortissement au 216ème mois, par échéances mensuelles de 358,33 euros à compter de cette date, ces concours étant garantis par une hypothèque conventionnelle sur l'appartement financé ( confer: offre de prêts et tableaux d'amortissement) ;
S'il est exact que Mme [P] disposait du quart des parts sociales de la SCI [P], au capital social de 2 000 euros, constituée au mois de décembre 2006, leur valeur dépendait de l'activité à venir de cette société, qui s'était endettée à hauteur de 1 000 000 euros le 30 mars 2007 pour l'achat de l'immeuble à usage professionnel, prêt garanti par le cautionnement en cause ;
Compte tenu du passif de cette SCI constitué par le prêt immobilier souscrit, la valeur des parts ne pouvait en conséquence être que modique, étant rappelé qu'il ne doit pas être tenu compte des revenus escomptés de l'opération financée, et que cette SCI a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 21 avril 2016 converti en liquidation judiciaire le 7 novembre 2019 après résolution du plan de redressement , l'immeuble financé ayant été vendu dans le cadre de cette procédure collective ;
Par ailleurs à la date du premier engagement de caution de Mme [P], la Sarl Ena, à laquelle fait référence la banque n'existait pas ;
A la date du second cautionnement consenti par Mme [P] le 30 mai 2009, cette société ayant pour activité l'exploitation d'un restaurant, dont le capital social s'élevait à 6 000 euros dans lequel l'appelante détenait un sixième des parts, venait d'être constituée selon statuts du 6 mars 2009, en sorte que la valeur de ses parts à la date de la conclusion de ce nouvel engagement, et non trois ans plus tard comme le présente la banque, était proche de leur valeur nominale ;
En outre, il ressort des statuts de la Sarl New Asia au capital social de 8 000 euros, créée en 2005 que Mme [P] ne détenait aucune part au sein de cette société, et la Sarl Les Trois Amis dont elle était la gérante, a été immatriculée le 24 décembre 2009, soit postérieurement à ce second cautionnement. Cette société a fait l'objet d'un redressement judiciaire prononcé le 16 décembre 2013, converti en liquidation judiciaire le 5 janvier 2016 ;
Enfin, la fiche de renseignements de caution produite par la banque qui concerne Mme [P] ( pièce 13 de l'intimée) est postérieure aux cautionnements litigieux puisque datée du 19 octobre 2012 et n'apporte d'ailleurs pas de modification significative à la situation financière et patrimoniale antérieure de l'intéressée ;
Ainsi il résulte des développements qui précèdent qu'à la date du premier engagement souscrit par Mme [P] le 30 mars 2007 pour un montant de 1 200 000 euros, ses revenus mensuels s'élevaient 1 839,83 euros et ses charges d'emprunt représentaient un montant de 623,53 euros par mois. Elle disposait d'un patrimoine immobilier constitué de sa résidence principale acquise au prix de 140 886 euros, grevé d'une sûreté et financé à l'aide d'un prêt dont le capital restant dû à cette date était de 127 800 euros ;
A la date du second cautionnement consenti le 30 mai 2009 pour un montant de 408 000 euros, ses revenus avaient diminué pour se chiffrer à la somme mensuelle de 1 170,45 euros, sans accroissement de son patrimoine immobilier dont les charges d'emprunt demeuraient équivalentes et alors que son endettement global s'était accru de la charge du premier cautionnement, portant cet endettement à un total de 1 680 000 euros ;
Il en résulte qu'au jour de leur souscription les engagements de Mme [P] étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus ;
Pour échapper à la sanction prévue par les textes alors applicables, la banque doit établir qu'au jour où la caution est appelée, soit en l'espèce à l'époque de la saisie-attribution querellée mise en oeuvre le 12 juin 2020, le patrimoine de Mme [P] lui permettait de faire face à son obligation, ce que l'intimée ne démontre pas en l'absence de toute pièce sur la situation patrimoniale de la caution à cette date ;
Or à cette époque la somme totale restant due au titre des prêts cautionnés s'élevait à un montant de 302 874,54 euros en principal et intérêts, il ressort de la déclarations de revenus 2020 produite par l'appelante, que ceux-ci s'élevaient à la somme annuelle de 10 852 euros, avec une charge de remboursement d'emprunt immobilier inchangée et un endettement encore augmenté d'un nouveau cautionnement souscrit le 19 octobre 2012 auprès de la même banque pour un montant de 666 000 euros pour garantir un prêt accordé à une Sarl dénommée City Wok ;
Dans ces conditions la banque ne peut se prévaloir des contrats de cautionnement sur lesquels elle fonde sa saisie qui sera en conséquence annulée et dont la mainlevée sera ordonnée ;
Il s'ensuit la réformation du jugement entrepris de ce chef ;
Sur les autres demandes :
Compte tenu de la solution donnée au litige il n'y a pas lieu d'examiner le surplus des contestations soulevées par l'appelante relativement aux contrats de cautionnement en cause ;
Le jugement étant infirmé, la banque partie perdante supportera les dépens de première instance, et d'appel et sera tenue de verser à Mme [P] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'intimée ne pouvant elle même prétendre au bénéfice de ces dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la SA Banque Populaire Méditerranée et rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles ;
STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que les cautionnements souscrits par Mme [F] [P] selon actes authentiques du 30 mars 2007 et du 30 mai 2009 étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus ;
DIT en conséquence que la SA Banque Populaire Méditerranée ne peut s'en prévaloir ;
ANNULE la saisie-attribution mise en oeuvre le 12 juin 2020 par la SA Banque Populaire Méditerranée à l'encontre de Mme [F] [P] en vertu des actes notariés du 30 mars 2007 et du 30 mai 2009 ;
ORDONNE la mainlevée de ladite saisie ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur le surplus des contestations soulevées par Mme [F] [P] ;
DEBOUTE la SA Banque Populaire Méditerranée de ses prétentions ;
CONDAMNE la SA Banque Populaire Méditerranée à payer à Mme [F] [P] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la SA Banque Populaire Méditerranée aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE