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01/06/2023 | FRANCE | N°21/13804

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 01 juin 2023, 21/13804


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2023



N° 2023/235













N° RG 21/13804



N° Portalis DBVB-V-B7F-BIEU3







[T] [Y]





C/



CPAM 13

société MATMUT











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-Me Marc-David TOUBOUL



-Me Etienne DE VILLEPIN



























Décision déférée à la Cour :



Jugement du tribunal judiciaire d'Aix en Provence en date du 29 Avril 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/05186.



APPELANT



Monsieur [T] [Y]

né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 4]



représenté et assisté par Me Marc-David ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2023

N° 2023/235

N° RG 21/13804

N° Portalis DBVB-V-B7F-BIEU3

[T] [Y]

C/

CPAM 13

société MATMUT

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Marc-David TOUBOUL

-Me Etienne DE VILLEPIN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire d'Aix en Provence en date du 29 Avril 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/05186.

APPELANT

Monsieur [T] [Y]

né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 4]

représenté et assisté par Me Marc-David TOUBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE.

INTIMEES

Société CPAM 13,

signification en date du 02/12/2021 à personne habilitée,

demeurant [Adresse 2]

Défaillante.

Société MATMUT,

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Etienne DE VILLEPIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023, prorogé au 01 Juin 2023.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et de la procédure

Le 29 août 2016, alors qu'il conduisait un véhicule automobile, M. [T] [Y] a été victime d'un accident de la circulation impliquant plusieurs véhicules, dont un assuré auprès de la société mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (société MATMUT).

Il a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 19 juin 2018, a désigné le docteur [K] en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 6 mai 2019.

Par acte du 11 octobre 2919, M. [Y] a fait assigner la société MATMUT devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence, afin d'obtenir, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches du Rhône, l'indemnisation de son préjudice corporel.

Par jugement du 29 avril 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire d'Aix en Provence, après avoir dit que le droit à indemnisation de M. [Y] est entier, a :

- fixé à la somme de 8 656,80 € les dommages-intérêts qui lui sont dus en réparation de son préjudice corporel ;

- condamné la société MATMUT à lui payer la somme de 8 556,80 € avant déduction des provisions reçues ainsi qu'une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société MATMUT aux dépens.

Le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime :

- frais divers : 840 €

- déficit fonctionnel temporaire (840 €/mois) : 730,80 €

- souffrances endurées 2,5/7 : 4 086 €

- déficit fonctionnel permanent 2 % : 3 000 €.

Par acte du 29 septembre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [Y] a interjeté appel de cette décision en ce que le tribunal n'a fait que partiellement droit à sa demande au titre des souffrances endurées et afin de solliciter l'indemnisation d'une incidence professionnelle, d'une perte de gains professionnels actuels et d'une perte de gains professionnels futurs.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 14 mars 2023.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 10 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [Y] demande à la cour de :

' dire et juger que ses demandes au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs, de l'incidence professionnelle et du doublement des intérêts légaux sont recevables ;

' réformer le jugement en ce qu'il n'a pas suffisamment fait droit à ses demandes au titre des souffrances endurées et le confirmer pour le surplus ;

' condamner la société MATMUT à lui verser 6 000 € titre des souffrances endurées, 1 517,17 € au titre de la perte de gains professionnels actuels, 30 000 € au titre de l'incidence professionnelle et 52 845,99 € au titre de la perte de gains professionnels futurs échue ;

' condamner la société MATMUT à lui payer des intérêts au double du taux légal ;

' condamner la société MATMUT à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il ventile son préjudice corporel comme suit :

- frais divers : 840 €

- perte de gains professionnels actuels : 1 517,17 €

- perte de gains professionnels futurs : 52 845,99 €

- incidence professionnelle : 30 000 €

- déficit fonctionnel temporaire (840 €/mois) : 730,80 €

- souffrances endurées 2,5/7 : 6 000 €

- déficit fonctionnel permanent 2 % : 3 000 €.

Au soutien de son appel et de ses prétentions, il fait valoir que ses demandes au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs et de l'incidence professionnelle ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins d'indemnisation de son préjudice que celles présentées devant le premier juge.

Par ailleurs, il soutient que :

Sur la perte de gains professionnels actuels : avant l'accident, il était préparateur de commandes en intérim depuis 2012 ; il a été en arrêt de travail jusqu'au 2 août 2017 et, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste, de sorte que son employeur n'a pas reconduit ses contrats d'intérim ; l'indemnisation de la perte de gains doit être totale jusqu'à la consolidation nonobstant les conclusions du docteur [K] qui a limité la période d'arrêt de travail à celle écoulée entre l'accident et le 29 novembre 2016 puisqu'il n'a pas pu reprendre le travail jusqu'à la déclaration d'inaptitude ; l'état antérieur mis en exergue par le docteur [K] ne saurait limiter son indemnisation dès lors qu'il n'a été révélé que par l'accident, étant observé qu'il a travaillé sans discontinuer entre 2012 et 2016 sans que l'affection dont il était atteint ne l'en empêche ; son salaire net mensuel moyen avant l'accident s'élevait à 1 947, 73 € ;

Sur la perte de gains professionnels futurs : les séquelles de l'accident étant à l'origine de son inaptitude, les gains perdus entre la consolidation et la date à laquelle il a de nouveau été rémunéré doivent être indemnisés, étant précisé qu'il est demeuré près de trois ans au chômage ;

Sur l'incidence professionnelle : le taux de déficit fonctionnel permanent ne peut préjuger de la répercussion des séquelles dans la sphère professionnelle ; en l'espèce, bien qu'atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 2 %, il a été déclaré inapte au poste de travail qu'il occupait avant l'accident, ce qui l'a contraint à renoncer au métier de préparateur de commandes et à se reclasser ; bien qu'ayant retrouvé un emploi, il subit, du fait des séquelles, une pénibilité accrue d'exécution des tâches professionnelles et une dévalorisation sur le marché du travail qui est acquise dès lors qu'il ne bénéficie plus de toutes ses capacités physiques ;

Sur le doublement du taux de l'intérêt légal : la première offre présentée par l'assureur était incomplète puisqu'aucune indemnité n'a été proposée au titre de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle alors que l'existence de ces préjudices se déduit du rapport d'expertise.

La société MATMUT a constitué avocat par acte remis au greffe de la cour par le RPVA le 30 novembre 2021. Elle n'a remis au greffe aucune conclusions dans le délai de trois mois à compter de la remise en greffe des conclusions de l'appelant.

La CPAM des Bouches du Rhône, assignée par M. [Y] par acte d'huissier du 2 décembre 2021, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel et des conclusions, n'a pas constitué avocat.

Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 10 octobre 2022 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 13 793,92 €, correspondant à :

- des prestations en nature : 397,64 €

- des indemnités journalières versées du 30 août 2016 au 29 mars 2017 : 12 176,28 €.

*****

L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Les demandes au titre de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle et du doublement du taux de l'intérêt légal, présentées pour la première fois en cause d'appel par M. [Y] sont recevables.

En effet, elles ne constituent pas des prétentions nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile, comme telles prohibées devant la cour car elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir obtenir l'indemnisation intégrale de l'ensemble des postes de dommage effectivement subis en relation de causalité avec l'accident et étayés par les nouvelles pièces produites, situation expressément autorisée par les articles 563 à 565 du code de procédure civile.

Sur le préjudice corporel

Le docteur [D] [K], expert, indique que M. [Y] a souffert au titre des lésions initiales d'un fléau cervical.

De ces lésions, il conserve comme séquelles un syndrome algo-dysfonctionnel modéré du rachis cervical sans contracture résiduelle ni signe neurologique et un retentissement émotionnel.

L'expert conclut à :

- une période d'arrêt de travail imputable à l'accident du 29 août 2016 au 29 novembre 2016 ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 29 août 2016 au 29 septembre 2016 ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % du 30 septembre 2016 au 29 mars 2017 ;

- une consolidation au 29 mars 2017 ;

- des souffrances endurées de 2,5/7 au titre de douleurs post-traumatiques, du port du collier cervical, de l'anxiété réactionnelle et de la kinésithérapie ;

- un déficit fonctionnel permanent de 2 %.

L'expert fait mention de lésions arthrosiques en C4 C5 et d'une discopathie avec hernie discale en L5 S1, préexistantes à l'accident.

S'agissant de l'arthrose cervicale, elle correspond à une usure prématurée du cartilage très fréquente et qui peut être asymptomatique. En l'espèce, bien que les images réalisées après l'accident révèlent l'existence de lésions arthrosiques en C4 C5, aucun élément médical objectif ne permet de retenir que cette arthrose était symptomatique avant l'accident de la circulation qui est directement à l'origine d'un fléau cervical et d'un torticolis post-traumatique.

Le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est résultée n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

Sous cette réserve, son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi par M. [Y], à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 1] 1974, de son activité de préparateur de commandes et de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

M. [Y] était âgé de 42 ans au moment de l'accident et de la consolidation. Il est à ce jour âgé de 48 ans.

Les parties ne remettent pas en cause l'évaluation par le premier juge des postes suivants :

- frais divers 840 €

- déficit fonctionnel temporaire : 730,80 €

- déficit fonctionnel permanent : 3 000 €.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Dépenses de santé actuelles 397,64 €

Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la CPAM soit 397,64 €, la victime n'invoquant aucun frais de cette nature restés à sa charge.

- Perte de gains professionnels actuels 1 457,85 €

Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.

Il suppose donc de reconstituer le revenu perçu par la victime avant l'accident puis d'évaluer les pertes par comparaison entre les revenus perçus avant et après le fait dommageable sans se référer à des revenus hypothétiques.

A l'époque de l'accident, M. [Y] exerçait la profession de préparateur de commande en intérim.

Il justifie avoir été régulièrement employé par la société d'intérim Adecco en qualité de préparateur de commandes depuis 2012, soit quatre ans avant l'accident.

L'expert retient une période d'arrêt de travail imputable à l'accident du 29 août 2016 au 29 novembre 2016 selon 'les justificatifs fournis'.

Si M. [Y] souffrait avant l'accident d'une prédisposition pathologique sous forme d'arthrose cervicale, celle-ci n'avait aucune incidence sur sa capacité à travailler en qualité de préparateur de commandes, profession qu'il exerçait depuis près de quatre ans lorsque l'accident s'est produit.

Le caractère continu de cette activité professionnelle, même si elle était exercée selon le mode de l'intérim, lui donne droit à l'indemnisation de la perte de gains professionnels que les lésions traumatiques ont entraînée.

L'expert ne s'explique pas sur la raison médico-légale pour laquelle il limite l'arrêt de travail imputable à l'accident de la circulation à la période écoulée entre l'accident et le 29 novembre 2016. M. [Y] justifie qu'arrêté dès le 29 août 2016, il n'a pu reprendre son activité en raison de douleurs cervicales persistantes et que, lors d'une visite de reprise du 22 août 2017, il a été déclaré inapte par le docteur [H] [R], médecin du travail.

Il résulte, par ailleurs, de l'état des débours de la CPAM que celle-ci a versé à M. [Y] des indemnités journalières de maladie sans discontinuer du 30 août 2016 au 29 mars 2017, ce qui confirme qu'il a été en arrêt de travail continu entre ces deux dates.

Dès lors qu'il n'a pu reprendre l'activité professionnelle exercée avant l'accident en raison des lésions causées par celui-ci, M. [Y] a droit à l'indemnisation de la totalité de la perte de gains qui en découle du jour de l'accident à celui de la consolidation, soit jusqu'au 29 mars 2017.

Au vu des bulletins de salaire produits, le salaire net imposable cumulé entre le 1er janvier 2015 et le 31 juillet 2016 s'est élevé à 29 062,21 €. Cette somme totale correspond à 454 jours travaillés en intérim. Le salaire net imposable journalier moyen de M. [Y] au cours de cette période était donc de 64,01 €.

La perte de gains s'établit ainsi à la somme de 13 634,13 € (64,01 € X 213 jours) pour la période

d'arrêt d'activité imputable à l'accident.

Des indemnités journalières ont été versées sur cette même période du 30 août 2016 au 29 mars 2017 par la CPAM pour un montant de 12 116,96 € qui s'imputent sur ce poste de dommage qu'elles ont vocation de réparer de sorte que la somme revenant personnellement à la victime s'établit à 1 517,17 €.

Préjudices patrimoniaux

permanents (après consolidation)

- Perte de gains professionnels futurs 52 845,99 €

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

L'expert ne retient aucune inaptitude à la reprise de l'activité professionnelle exercée avant l'accident. Il estime les séquelles n'entrainent aucune nécessité de cesser celle-ci ou de changer d'activité et qu'elles ne sont à l'origine d'aucune répercussion dans la sphère professionnelle.

Lorsqu'un poste de préjudice n'est pas retenu par l'expert, il appartient à la victime de démontrer que nonobstant cet avis, il souffre d'un bien préjudice indemnisable à ce titre.

En l'espèce, M. [Y] justifie que le médecin du travail, lors d'une visite unique de reprise le 22 août 2017 à l'issue de l'arrêt maladie consécutif à l'accident, l'a déclaré inapte à son poste de préparateur de commandes mais apte à un travail administratif.

La fiche d'aptitude médicale de santé Travail Provence du 22 août 2017 fait état d'une inaptitude au métier de préparateur de commande/manutentionnaire/cariste évaluée après examen médical, échanges avec le salarié et avec l'employeur et examen d'une fiche de poste.

Les séquelles retenues par l'expert consistent en un syndrome algo-dysfonctionnel modéré du rachis cervical sans contracture résiduelle ni signe neurologique et un retentissement émotionnel.

La pathologie arthrosique antérieure à l'accident, révélée par celui-ci, n'avait généré aucun arrêt de travail ni invalidité avant celui-ci.

La faiblesse du taux de déficit fonctionnel permanent ne suffit pas pour écarter toute inaptitude à l'emploi. Dès lors que la victime a perdu son emploi à la suite d'une inaptitude qui est due aux séquelles de l'accident, elle est fondée à obtenir l'indemnisation des conséquences dommageables de cette inaptitude, notamment des pertes de gains professionnels que celle-ci a entraînées.

En conséquence, en l'espèce, M. [Y] a droit à l'indemnisation de la totalité des pertes de gains que l'inaptitude au poste de préparateur de commandes a entraînées, sur la base du revenu antérieur moyen, soit 64,01 € par jour, jusqu'au 3 novembre 2019, date à laquelle il a retrouvé un emploi lui procurant des gains supérieurs à ceux perçus avant l'accident.

Au vu de ces données, la perte s'élève à 60 745,49 €(64,01€ x 949 jours) entre le 21 mars 2017 et le 3 novembre 2019, qui sera ramenée à la somme de 52 845,99 € afin de ne pas méconnaître l'objet du litige.

La CPAM n'ayant servi à M. [Y] aucune prestation susceptible de s'imputer sur ce poste, l'indemnité revient en totalité à M. [Y] par la CPAM.

- Incidence professionnelle 15 000 €

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser, non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de la perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe en raison du dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance du handicap.

L'indemnisation de ce poste est demandée au titre d'un abandon de la profession antérieurement exercée, de la nécessité d'une reconversion, d'une pénibilité d'exécution des tâches professionnelles et d'une dévalorisation sur le marché du travail.

M. [Y] a été déclaré inapte au poste de préparateur de commandes qu'il a dû abandonner en raison des séquelles de l'accident. Cet abandon l'a contraint à une reconversion et à effectuer, dans cette perspective, une formation de technicien de maintenance. Son retour à l'emploi s'est fait dans des conditions salariales plus avantageuses mais M. [Y] a bel et bien été contraint d'abandonner sa profession et de suivre une formation durant plusieurs mois. Il n'aurait pas été contraint à un tel effort si l'accident ne s'était pas produit.

Par ailleurs, les séquelles qui persistent après consolidation sont fonctionnelles et psychiques. Les premières affectent le rachis cervical affecté d'un syndrome algo-dysfonctionnel modéré.

Bien que ce syndrome ne s'accompagne d'aucune contracture résiduelle ni signe neurologique, il rend nécessairement plus pénible l'exercice d'une activité professionnelle de technicien de maintenance.

Par ailleurs, sur un marché de l'emploi concurrentiel, les séquelles, en réduisant son potentiel physique, dévalorisent M. [Y] sur le marché du travail.

Certes, il a retrouvé un emploi mais, dès lors qu'il ne bénéficie d'aucune garantie absolue et inconditionnelle de maintien de l'emploi et que la transition professionnelle et la mobilité géographique sont des données inhérentes aux carrières professionnelles, la dévalorisation induite par les séquelles ne peut être considérée comme purement hypothétique, même si elle doit être relativisée en regard du caractère modéré du syndrome algo dysfonctionnel.

L'évaluation du poste incidence professionnelle implique de prendre en considération la catégorie d'emploi exercée (manuel, sédentaire, fonctionnaire etc.), la nature et l'ampleur de l'incidence (interdiction de port de charge, station debout prohibée, difficultés de déplacement, pénibilité, fatigabilité etc.), les perspectives professionnelles et l'âge de la victime (durée de l'incidence professionnelle).

En l'espèce, avant l'accident, M. [Y] exerçait un emploi physique en intérim qui ne lui est plus accessible. Il s'est formé à un nouveau métier mais ne bénéficie d'aucune garantie absolue de maintien dans cet emploi.

Il était âgé de 42 ans au jour de la consolidation, de sorte qu'il avait encore à cette date au moins 20 ans à travailler avant d'être en mesure de faire valoir ses droits à la retraite.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de lui allouer, au titre de l'incidence professionnelle, une indemnité de 15 000 €.

En l'absence de rente à imputer, la somme revient en totalité à M. [Y].

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Souffrances endurées 5 000 €

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison des douleurs post-traumatiques, du port du collier cervical, de l'anxiété réactionnelle et de la kinésithérapie ; évalué à 2,5/7 par l'expert, il justifie l'octroi d'une indemnité de 5 000 €.

Récapitulatif :

Postes

Préjudice total

Part victime

Part tiers payeur

dépenses de santé actuelles

397,64 €

-

397,64 €

frais divers

840 €

840 €

-

perte de gains professionnels actuels

13 634,13 €

1 517,17 €

12 116,96 €

perte de gains professionnels futurs

52 845,99 €

52 845,99 €

-

incidence professionnelle

15 000 €

15 000 €

-

déficit fonctionnel temporaire

730,80 €

730,80 €

-

souffrances endurées

5 000 €

5 000 €

-

déficit fonctionnel permanent

3 000 €

3 000 €

-

Total

91 448,56 €

78 933,96 €

12 514,60 €

Le préjudice corporel global subi par M. [Y] s'établit ainsi à la somme de 91 448,56 € soit, après imputation des débours de la CPAM (12 514,60 € ), une somme de 78 933,96 € lui revenant qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 29 avril 2021 à hauteur de 8 556,80 € et du prononcé du présent arrêt soit le 1er juin 2023 pour le surplus des sommes dues.

Sur le doublement du taux de l'intérêt légal

L'article L.211-9 du code des assurances impose à l'assureur de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne, une offre d'indemnité, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, dans un délai maximal de huit mois à compter de l'accident, l'offre pouvant avoir un caractère provisionnel si l'assureur n'a pas, dans le délai de trois mois à compter de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. Un nouveau délai de cinq mois, à compter de la date à laquelle l'assureur a été informé de la consolidation est ouvert pour l'offre définitive d'indemnisation.

Ce dispositif est assorti d'une sanction, qui réside dans le paiement d'intérêts au double du taux légal, prévue en ces termes par l'article L. 211-13 du code des assurances : ' lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre où le jugement est devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur '.

M. [Y] ne précise pas la période sur laquelle les intérêts au double du taux légal doivent, selon lui, courir. Dans les motifs de ses conclusions, il évoque l'offre formulée par la société MATMUT après le dépôt du rapport d'expertise.

Le rapport d'expertise a été déposé le 6 mai 2019. Lorsque la date de transmission du rapport d'expertise aux parties, notamment à l'assureur, ne résulte d'aucune des pièces produites par les parties, il convient d'ajouter vingt jours à la date de dépôt du rapport conformément à l'article R 211-44 du code des assurances qui dispose que le médecin adresse son rapport à l'assureur, à la victime et le cas échéant à son médecin conseil, dans un délai de vingt jours à compter de l'examen médical.

L'offre définitive aurait donc dû être présentée au plus tard le 26 octobre 2019.

M. [Y] évoque une offre amiable de la société MATMUT sans préciser la date à laquelle elle a été formulée ni la produire aux débats. La société MATMUT ne la produit pas davantage.

Le doublement du taux de l'intérêt légal est donc dû à compter du 27 octobre 2019.

Le jugement du tribunal judiciaire d'Aix en Provence se réfère à des conclusions de la société MATMUT du 28 février 2020, précisant que celle-ci 'conclut à la réduction significative des sommes à accorder à [T] [Y]'. Ces conclusions ne sont pas produites aux débats.

Il n'est donc justifié d'aucune offre d'indemnisation complète et suffisante postérieure au 27 octobre 2019.

Lorsqu'aucune offre complète et suffisante n'a été formulée, la sanction a pour assiette l'indemnité allouée par le juge avant déduction de la créance des tiers payeurs et des provisions qui ont éventuellement été versées.

En conséquence, la société MATMUT sera condamnée à payer à M. [Y] des intérêts au double du taux légal à compter du 27 octobre 2019 jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif sur la somme de 91 448,56 €.

Sur les demandes annexes

La société MATMUT, qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation, supportera la charge des entiers dépens d'appel.

L'équité justifie d'allouer à M. [Y] une indemnité de 2 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

Déclare recevables les demandes au titre de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle et du doublement du taux de l'intérêt légal ;

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 8 656,80 € les dommages-intérêts dûs à M. [Y] en réparation de son préjudice corporel et condamné la société MATMUT à lui payer la somme de 8 656,80 € avant déduction des provisions reçues ;

Statuant à nouveau sur le point infirmé et y ajoutant,

Condamne la société MATMUT à payer à M. [T] [Y] les sommes suivantes :

- 840 € au titre des frais divers

- 1 517,17 € au titre de la perte de gains professionnels actuels

- 52 845,99 € € au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 15 000 € au titre de l'incidence professionnelle

- 730,80 € au titre du déficit fonctionnel temporaire

- 5 000 € au titre des souffrances endurées

- 3 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent,

le tout sauf à déduire les provisions versées et avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2021 à hauteur de 8 656,80 € et à compter du 1er juin 2023 pour le surplus ;

- une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;

Condamne la société MATMUT à payer à M. [T] [Y] des intérêts au double du taux légal à compter du 27 octobre 2019 jusqu'au jour du présent arrêt devenu définitif sur la somme de 91 448,56 € ;

Condamne la société MATMUT aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 21/13804
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;21.13804 ?
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