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31/05/2023 | FRANCE | N°21/04718

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-8, 31 mai 2023, 21/04718


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2023



N° 2023/ 242







N° RG 21/04718



N° Portalis DBVB-V-B7F-BHGLS







SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE





C/





[H] [C]



[T] [N]







































Copie exécutoire délivrée

le :



à :


r>Me Rachel SARAGA-BROSSAT





Me Sabrina AGOSTINI







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 16 Mars 2021.





APPELANTE



SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]



représentée par Me Rachel SA...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2023

N° 2023/ 242

N° RG 21/04718

N° Portalis DBVB-V-B7F-BHGLS

SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE

C/

[H] [C]

[T] [N]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Rachel SARAGA-BROSSAT

Me Sabrina AGOSTINI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 16 Mars 2021.

APPELANTE

SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

représentée par Me Rachel SARAGA-BROSSAT, membre de la SELARL SARAGA-BROSSAT RACHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Cécile ABRIAL, membre de la SELARL JUDICAL-CLERGUE-ABRIAL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMES

Monsieur [H] [C]

né le 28 Décembre 1990 à [Localité 5] (13), demeurant [Adresse 4]

Madame Madame [T] [N]

née le 23 Mars 1982 à [Localité 7] (29), demeurant [Adresse 2]

représentés par Me Sabrina AGOSTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant Me Jean-Christophe BONFILS, avocat au barreau de DIJON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Février 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2023.

ARRÊT

contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

La société DISTRIBUTION CASINO FRANCE (ci-après la société CASINO) gère deux réseaux de supérettes réparties sur l'ensemble du territoire métropolitain : un réseau dit 'franchisé' exploité dans le cadre de contrats de location-gérance, et un réseau dit 'intégré' faisant appel à des gérants mandataires non salariés, recrutés sur la base d'un contrat type soumis aux dispositions des articles L 7322-1 et suivants du code du travail et à l'accord collectif national du 18 juillet 1963.

Dans le cadre du réseau intégré, les gérants ne sont que dépositaires de la marchandise qui leur est confiée, et l'accord susvisé prévoit la réalisation d'inventaires physiques et contradictoires à différentes étapes de la gestion d'un magasin : inventaires de prise de gestion, de cession temporaire ou de mutation, inventaires dits 'de règlement' (c'est à dire intermédiaires), et inventaire de cession départ société.

C'est dans ces conditions que la société CASINO a d'abord confié à Madame [T] [N] la gestion d'une première supérette à [Localité 8] à compter du 21 mai 2012, puis d'une seconde à [Localité 9] (Ille-et-Villaine). Les époux [T] [N] et [H] [C] ont ensuite pris ensemble la cogérance d'un autre magasin du groupe situé à [Localité 6] à compter du 28 septembre 2012, puis à [Localité 3] à partir du 11 avril 2013.

Le 19 octobre 2015, la société a convoqué les époux [C] à un entretien préalable à une rupture de contrat en raison d'un manquant en marchandises révélé par les derniers inventaires de règlement, cette procédure n'ayant cependant pas été menée jusqu'à son terme.

La rupture du contrat a néanmoins été prononcée le 20 avril 2016, cette fois pour cause d'inaptitude médicale, cette décision ayant été déclarée abusive par un jugement rendu le 19 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Saint Etienne, actuellement frappé d'appel.

Par acte du 17 octobre 2017, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a fait assigner les époux [C] à comparaître devant le tribunal de commerce de Marseille afin de les entendre condamner à lui payer la somme principale de 31.225,52 euros au titre du solde débiteur définitif de leur compte général de dépôt (dit également compte personnel de gestion), établi sur la base du dernier inventaire de règlement réalisé le 1er septembre 2015 avant leur placement en arrêt maladie.

Les défendeurs ont soulevé in limine litis une exception d'incompétence matérielle au profit du conseil de prud'hommes, en soutenant que l'application du statut de gérant mandataire non salarié ne correspondait pas à leurs conditions réelles de travail.

Subsidiairement au fond, ils ont conclu au débouté de l'action en raison de l'existence de nombreuses irrégularités privant l'arrêté de compte de tout caractère probant.

Par jugement rendu le 16 mars 2021, le tribunal de commerce a rejeté l'exception d'incompétence et débouté au fond la société CASINO des fins de son action, au motif qu'en décidant unilatéralement de considérer l'inventaire de règlement établi le 1er septembre 2015, soit plus de sept mois avant la rupture du contrat, comme l'inventaire de cession départ société, alors que les époux [C] n'avaient pas donné leur accord, la requérante avait méconnu les stipulations du contrat et violé l'article 1103 du code civil.

Les premiers juges ont dès lors considéré que le compte général de dépôt arrêté par la société CASINO, non approuvé par les époux [C], ne reflétait pas la situation fidèle des comptes au jour de la rupture et était dépourvu de caractère probant.

La société CASINO a interjeté appel de cette décision le 30 mars 2021.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 20 janvier 2023, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE fait successivement valoir :

- que l'inventaire du 1er septembre 2015 a été réalisé afin de permettre aux époux [C], alors en arrêt de travail, de ne plus avoir la responsabilité du stock, et qu'il lui appartenait, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce, de pourvoir à leur remplacement afin d'assurer le bon fonctionnement du magasin,

- que les intéressés n'ayant pas repris leurs fonctions jusqu'à la rupture du contrat, l'établissement d'un nouvel inventaire s'avérait impossible,

- qu'en vertu de l'article 8 du contrat, les cogérants sont tenus de couvrir le manquant de marchandises et d'espèces provenant des ventes, tel que constaté et porté à leur débit,

- qu'en application de l'article 21 de l'accord collectif national des maisons d'alimentation du 18 juillet 1963, les époux [C] disposaient d'un délai de quinze jours suivant l'établissement des arrêtés de comptes pour formuler toutes contestations, et qu'ils ne sont plus recevables à le faire dans le cadre de la procédure judiciaire,

- qu'ils ont signé sans réserve les attestations d'inventaires réalisés entre le 26 juillet 2014 et le 1er septembre 2015, ainsi que l'arrêté de compte du 4 juillet 2014,

- qu'ils ont également reconnu le 8 octobre 2014 être débiteurs de la somme de 6.355,86 euros, dont ils se sont acquittés par virements mensuels de 500 euros, puis ont procédé à un paiement de 13.200 euros à la suite de l'entretien préalable du 27 octobre 2015.

La société CASINO réfute d'autre part point par point les différentes irrégularités invoquées par la partie adverse.

Elle demande en conséquence à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence matérielle au profit du conseil de prud'hommes, mais de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau de condamner solidairement Monsieur [C] et Madame [N], désormais divorcés, à lui payer la somme principale de 31.225,52 euros majorée des intérêts de droit capitalisés à compter de la mise en demeure du 30 janvier 2017, outre ses entiers dépens et une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 13 décembre 2022, Monsieur [H] [C] et Madame [T] [N] poursuivent la confirmation pure et simple du jugement par adoption de ses motifs, faisant notamment valoir :

- que lorsque le dernier arrêté de compte fondant les demandes n'a pas été expressément accepté par les gérants, comme tel est le cas en l'espèce, il appartient aux tribunaux d'en vérifier la régularité au regard des stipulations du contrat et des accords collectifs,

- qu'en sa qualité de mandataire, le gérant ne peut être tenu responsable d'un déficit de gestion, mais uniquement des manquants de marchandises ou de recettes,

- que l'article 21 de l'accord collectif et les articles 5 et 8.3 du contrat distinguent clairement les inventaires de règlement établis en cours de gestion de l'inventaire de cession départ société, et que seul ce dernier a vocation à clôturer tous les litiges en cours,

- qu'en vertu de l'article L 7322-2 du code du travail, la société CASINO ne pouvait transférer leur stock à un gérant intérimaire alors que le contrat était toujours en cours,

- qu'elle ne pouvait en outre valablement les convoquer à un inventaire le 1er septembre 2015, alors qu'ils étaient tous deux en position de congé maladie,

- et que le taux des intérêts débiteurs porté en compte n'a jamais été contractualisé.

Surabondamment, ils font valoir que de nombreuses autres irrégularités constatées durant le cours de leur gestion doivent conduire à invalider l'arrêté de compte ou à le priver de tout caractère probant.

Ils réclament accessoirement paiement d'une indemnité de 4.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, outre celle qui leur a été allouée en première instance, ainsi que leurs entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 31 janvier 2023.

DISCUSSION

Il convient en premier lieu de relever que le jugement entrepris n'est pas critiqué du chef de la compétence.

Sur le fond, si la preuve d'un déficit imputable aux gérants peut résulter des inventaires établis contradictoirement et non contestés en temps utile, c'est à la condition que ceux-ci aient été réalisés de manière régulière, c'est à dire en conformité avec la loi, les stipulations de l'accord collectif national régissant la profession, et celles du contrat.

Or, c'est par de justes motifs, adoptés par la cour, que les premiers juges ont relevé qu'un simple inventaire de règlement, établi plus de sept mois avant la rupture effective du contrat, ne pouvait tenir lieu d'inventaire de cession départ société, lequel avait seul vocation à clôturer tous les litiges en cours.

La société CASINO ne peut valablement soutenir qu'il lui était impossible d'agir autrement, tant factuellement que juridiquement, en raison du placement en arrêt maladie des époux [C], alors que l'article 21 A de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 prévoit en ce cas la possibilité de réaliser un inventaire dit de 'cession temporaire', et que l'article L 7322-2 du code du travail réserve au gérant non salarié toute latitude pour embaucher des salariés ou se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité.

En désignant de sa seule initiative un gérant intérimaire, et en déchargeant ainsi les époux [C] de la responsabilité du stock sans avoir recueilli leur accord exprès, ce qui rendait par la suite impossible l'établissement d'un inventaire de cession départ société en bonne et due forme, la société CASINO a enfreint les dispositions légales et conventionnelles en vigueur.

Elle a également agi de manière irrégulière en convoquant les époux [C] à assister à l'inventaire du 1er septembre 2015 alors qu'ils étaient tous deux en position d'arrêt maladie, le statut applicable aux gérants non salariés n'étant pas exclusif des droits accordés aux salariés par la législation sociale applicable en la matière. Il lui appartenait en ce cas de procéder à l'inventaire en présence d'un officier ministériel ou de toute autre personne assermentée, conformément aux prévisions de l'article 21 de l'accord collectif national susvisé et de l'article 5.2 du contrat.

Une troisième irrégularité tient encore dans la confusion faite dans le même compte entre les opérations de gestion propres à Madame [N] au titre de l'exploitation des deux premiers magasins qui lui avait été confiée dans le cadre d'une gérance dite de première catégorie (ou gérance d'appoint), et celles relevant de l'exploitation des deux autres magasins confiée aux époux [C]-[N] dans le cadre d'une cogérance de deuxième catégorie (ou gérance normale).

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce a pu considérer que le compte général de dépôt, établi sur la base de l'inventaire du 1er septembre 2015, était affecté d'irrégularités le privant de caractère probant, les paiements effectués par les gérants en cours d'exécution du contrat ne valant pas reconnaissance de la totalité de la dette qui leur est réclamée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant, condamne la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par les intimés.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-8
Numéro d'arrêt : 21/04718
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;21.04718 ?
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