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26/05/2023 | FRANCE | N°19/07866

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 26 mai 2023, 19/07866


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 26 MAI 2023



N° 2023/ 103



RG 19/07866

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEITP







SARL HOTEL LUTETIA





C/



[E] [V]

























Copie exécutoire délivrée le 26 Mai 2023

à :



-Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

V311



-Mme [P] [J] (Délégué syndical ou

vrier) par LRAR





























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 25 Avril 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01220.





APPELANTE



SARL HOTEL LUTETIA, demeurant [Adresse 1]...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 26 MAI 2023

N° 2023/ 103

RG 19/07866

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEITP

SARL HOTEL LUTETIA

C/

[E] [V]

Copie exécutoire délivrée le 26 Mai 2023

à :

-Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

V311

-Mme [P] [J] (Délégué syndical ouvrier) par LRAR

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 25 Avril 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01220.

APPELANTE

SARL HOTEL LUTETIA, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [E] [V], demeurant [Adresse 2]

représentée par Mme [P] [J] (Délégué syndical ouvrier)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2023, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 26 Mai 2023.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [E] [V] a été engagée selon contrat à durée indéterminée à compter du 21 octobre 1991 en qualité d'employée, par la société Hôtel Lutétia.

Par avenant du 1er octobre 2002, son contrat de travail prévoyait une durée de travail de 41 heures en qualité de femme de ménage.

À compter du 1er mars 2004 elle occupait le poste de gouvernante niveau II échelon 1, à raison de 39 heures de travail hebdomadaire.

La convention collective nationale applicable était celle des Hôtels, Cafés et Restaurants (HCR).

Au dernier état de la relation contractuelle, ell percevait une rémunération brute mensuelle de 1.516 euros.

Le 12 avril 2016, la société proposait à Mme [V] une réduction de son temps de travail de moitié, en raison de difficultés économiques, ce que refusait la salariée.

Convoquée le 20 mai 2016 à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 30 mai 2016, la salariée était licenciée pour motif économique par courrier du 16 juin 2016.

Mme [V] saisissait le 17 mai 2017 le conseil de prud'hommes de Marseille en contestation de son licenciement et en paiement d'indemnités.

Par jugement du 25 avril 2019 le conseil de prud'hommes en sa formation de départage, a statué comme suit :

« Dit que le licenciement pour motif économique de [E] [V] prononcé le 16 juin 2016 par la SARL Hôtel Lutétia est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SARL Hôtel Lutétia à verser à [E] [V] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement, et ce, jusqu'à parfait paiement ;

Déboute [E] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chance ;

Condamne la SARL Hôtel Lutétia à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage perçues par [E] [V] dans la limite des trois premiers mois indemnisés ;

Dit que le présent jugement sera notifié, à la diligence du Greffe de cette juridiction, à Pôle Emploi ;

Ordonne à la SARL Hôtel Lutétia de remettre à [E] [V] l'attestation Pôle Emploi et un reçu pour solde de tout compte conformes à la présente décision ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la SARL Hôtel Lutétia à verser à [E] [V] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la SARL Hôtel Lutétia aux entiers dépens de la présente procédure ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne sont pas de plein droit exécutoires par application de l'article R 1454-28 du Code du travail;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires. »

Par acte du 14 mai 2019, le conseil de la société Hôtel Lutétia a interjeté appel de cette décision.

Elle a signifié par acte d'huissier du 26 juillet 2019 la déclaration d'appel et les conclusions à Mme [V] (remise en étude) et le 2 août 2019 au défenseur syndical s'étant constitué aux intérêts de la salariée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions du 25 juillet 2019 communiquées au greffe par voie électronique, la société Hôtel Lutétia demande à la cour de :

« Dire et Juger que le licenciement pour motifs économiques de Madame [V] bien fondé ;

En conséquence,

Débouter Madame [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner Madame [V] au versement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens».

Mme [J], défenseur syndical FO 13 est intervenue à la procédure le 31 juillet 2019 et aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe le 12 janvier 2023, elle demande à la cour :

« Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Marseille du 25 avril 2019 en ce qu'il a :

indiqué que le licenciement pour motif économique de Mme [V] en date du 16 juin 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse

condamné la SARL Hôtel Lutétia à verser à Mme [V] des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamné la SARL Hôtel Lutétia au versement à Mme [V] d'un article 700 du code de procédure civile

Infirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Marseille du 25 avril 2019 en ce qu'il a débouté Mme [V] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance

Condamner la SARL Hôtel Lutétia à payer à Mme [V] les sommes suivantes assorties des intérêts de droit

- 30'719,34 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 10'000 € au titre des dommages intérêts pour préjudice subi et perte de chance

- 3 000 € au titre d'indemnité en vertu de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonner la délivrance du reçu pour solde de tout compte et l'attestation destinée à pôle emploi dûment rectifié sous astreinte de 50 € par jour de retard ».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
 

La lettre de licenciement donnée pour motif économique doit mentionner les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi et le contrat de travail.

En l'espèce, la lettre de licenciement était libellée dans les termes suivants :

Nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, une mesure de licenciement pour motif économique pour les raisons que nous vous avons exposées lors de notre entretien préalable du lundi 30 mai 2016 à 10H00 durant lequel vous vous êtes présentée seule, et que nous reprenons ci-après.

En effet, notre entreprise connaît des difficultés économiques liées à une baisse de fréquentation de l'hôtel par les touristes et qui nous ont conduites à vous proposer une transformation de votre poste, entraînant la modification de votre contrat de travail.

Les difficultés économiques sont telles que nous sommes contraints de réduire notre masse salariale et d'adapter notre besoin en heures de travail à la réalité actuelle en ce qui concerne votre poste.

Par courrier en date du 12 avril 2015, nous vous avons proposé de conserver votre poste de gouvernante, classification employé niveau II échelon 1, tout en portant votre contrat de travail à mi- temps, soit 3 heures et demi par jour, pour un montant salarial de 758 €.

Par courrier en date du 22 avril 2016, vous avez expressément refusé ce poste.

En l'absence de toute autre solution de reclassement, nous sommes donc contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique, pour les difficultés économiques susmentionnées qui nous conduisent à la suppression de votre poste.

Le 30 mai 2016, à l'occasion de l'entretien préalable, nous vous avons remis les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle. Nous vous les joignons à nouveau avec la présente lettre (...).

La société soutient que le motif économique est clairement énoncé dans la lettre de licenciement. Elle précise que le chiffre d'affaires de l'hôtel du 30 juin 2013 et 30 juin 2016 est passé de 515K€ à 385 K€, avec un résultat d'exploitation de 9 656 € à 8 774 € et un résultat net de 9 324 € à 7 107 € avec pour l'année 2015 des résultats négatifs et que seule la baisse des charges de personnel a permis le retour au bénéfice. Elle précise que pour l'exercice 2016/2017 les difficultés ont perduré puisque le chiffre d'affaires a baissé à 329'086 € avec une perte nette comptable de -6 658 € et que le licenciement doit également être examiné au regard de la réorganisation pour sauver la compétitivité de l'entreprise du secteur d'activité.

La salariée fait valoir que la lettre de licenciement économique est floue puisqu'aucun chiffre n'est avancé par l'employeur pour justifier des difficultés économiques, ni en termes de pourcentage, de courbe ou de date, de sorte qu'elle était dans l'incapacité de connaître la réalité des difficultés économiques.

Elle estime qu'aucun élément ne vient permettre de soutenir la baisse de fréquentation de l'hôtel par les touristes et s'interroge sur cette prétendue baisse de fréquentation puisque les chiffres avancés par la mairie de [Localité 4] pour l'année 2016 était de 7 millions de touristes, que son licenciement est intervenu en plein Euro de football qui a permis de favoriser le tourisme et l'industrie hôtelière, que [Localité 4] est présentée par le New York Times la deuxième destination préférée au monde mais aussi la cinquième plus belle ville côtière pour le national géographique ou la destination la plus branchée de 2016 par le Figaro et que des travaux importants ont été réalisés au sein de l'hôtel le 23 avril 2016 avec notamment la construction d'un sauna, d'un hammam et d'une salle de sport (pièce 42 à 44).

En application de l'article .L1233-3 du code du travail dans sa version antérieure au 1er décembre 2016, « est constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; Lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national » ;

Une réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié licencié.

L'exactitude des motifs mentionnés dans la lettre de licenciement pour justifier les difficultés économiques ayant motivé la modification du contrat de travail refusé par la salariée doit être appréciée à la date de la rupture du contrat de travail.

Au vu des pièces comptables produites par l'appelante, il est établi que la société a vu ses ventes diminuer progressivement à partir de l'année 2013. Toutefois, comme l'a relevé le premier juge la baisse des charges de personnel intervenue lors des exercices 2014/2015 et 2015/2016 a permis à la société hôtel Lutétia d'atteindre un résultat bénéficiaire au 30 juin 2016. À cette date, le total des ventes s'élevait à 385 142 contre 392 813 pour l'exercice 2015, soit une variation de moins de 2 %, ne représentant pas une perte significative de clients.

Si le compte de résultat de l'exercice 2017 présente un résultat négatif, les fluctuations relevées les années précédentes ne permettent pas d'attester de l'existence de difficultés économiques mettant la pérennité de l'hôtel en danger.

La société ne produit par ailleurs aucun élément relatif à la durée de la compétitivité de l'entreprise au regard du secteur d'activité, qui à la date du licenciement apparaissait florissant en l'état des pièces produites par l'intimée (pièces 39 à 41).

C'est donc par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le conseil des prud'hommes a considéré que la société Hôtel Lutétia n'apportait pas la preuve de la réalité de ses difficultés économiques justifiant la suppression de l'emploi occupé par [E] [V] au moment de son licenciement dans la mesure où l'activité de la société, qui avait baissé entre le 30 juin 2014 et le 30 juin 2015 avait connu un bénéfice de plus de 7 000 € pour l'exercice 2015- 2016 et qu'au vu des pièces produites par la salariée, la réalité de la diminution de la fréquentation de l'hôtel n'était pas rapportée par l'employeur à la date du licenciement.

La cour, par voie de confirmation, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

Mme [V] âgée de 50 ans à la date de la rupture, comptait plus de 25 ans d'ancienneté et percevait un salaire mensuel moyen de référence de 1 516 € brut, non discuté par les parties.

Eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, c'est par une juste appréciation de la cause que le premier juge a évalué son préjudice à 30'000 euros.

La salariée réclame une indemnité pour la perte de chance chance quant à son évolution de carrière qui s'est trouvée brutalement interrompue du fait du licenciement illicite prononcé par l'employeur et pour le préjudice moral résultant du choc de l'annonce de la mise en place de la procédure après tant d'années passées au service de son employeur et la nécessité d'un suivi psychologique pendant une année dans le cadre du plan local d'insertion [Localité 3].

Toutefois, la salariée ne produit aucun élément relatif à une possible évolution de carrière du statut de gouvernante et le certificat du psychologue clinicien M. [G] mentionne un suivi de 2018 à 2019, soit plus de 2 années après le licenciement.

La salariée ne justifie pas d'un préjudice distinct qui ne soit couvert par l'indemnité attribuée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et doit être déboutée par voie de confirmation de ce chef de demande.

Sur les frais et dépens

La société qui succombe doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamnée à payer à Mme [V] la somme de 1 500 € en sus de celle allouée par le premiers juges.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Hôtel Lutétia à payer à Mme [E] [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Hôtel Lutétia aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/07866
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;19.07866 ?
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