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26/05/2023 | FRANCE | N°18/17477

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 26 mai 2023, 18/17477


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 26 MAI 2023



N°2023/ 99



RG 18/17477

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJJZ







SA CATERING INTERNATIONAL & SERVICES (CIS)





C/



[E] [M]

























Copie exécutoire délivrée

le 26 Mai 2023 à :



-Me Karine GRAVIER, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Cécile HALLIER, avocat au ba

rreau de NICE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 27 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/01413.







APPELANTE



SA CATERING INTERNATIONAL & SERVICES (CIS), ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 26 MAI 2023

N°2023/ 99

RG 18/17477

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJJZ

SA CATERING INTERNATIONAL & SERVICES (CIS)

C/

[E] [M]

Copie exécutoire délivrée

le 26 Mai 2023 à :

-Me Karine GRAVIER, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Cécile HALLIER, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 27 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/01413.

APPELANTE

SA CATERING INTERNATIONAL & SERVICES (CIS), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [E] [M], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Cécile HALLIER, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 26 Mai 2023.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [M] a été engagé à compter du 5 novembre 1998 en qualité de « Camp Boss » par contrat à durée déterminée par la SA Catering International & Services (dite CIS).

La relation contractuelle s'est poursuivie par plusieurs autres contrats à durée déterminée puis le 18 janvier 2007 par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable du développement commercial, statut cadre expatrié au Kazakhstan et en Azerbaïdjan, pour une rémunération fixe mensuelle brute de 4200 €.

Par avenant au contrat du 11 janvier 2010, le salarié était affecté au Turkménistan et le 30 juillet 2010 sa rémunération fixe mensuelle était portée par avenant à la somme de 6 000 €.

Suite à un redressement portant sur des taxes de la part de l'administration d'Azerbaïdjan en 2011 et et alors que M. [M] se trouvait en Turkménistan, ce dernier a fait l'objet d'un mandat d'arrêt international et d'une notice rouge diffusée par Interpol.

Le 11 juin 2014 le salarié réussissait à revenir en France et à la demande de la société prenait ses congés payés en juillet 2014.

La société CIS signifiait à M. [M] de reprendre son travail au siège à [Localité 4].

Le salarié était en arrêt maladie du 29 février 2015 au 30 février 2017.

M. [M] saisissait le 30 mai 2016 le conseil de prud'hommes de Marseille afin d'obtenir la différence entre les salaires et avantages en nature des sommes dues et les sommes effectivement payées par l'employeur en janvier février 2015, puis par la compagnie d'assurances April pendant la période de maladie depuis le mois de mars 2015 jusqu'au mois de mai inclus ainsi que des dommages intérêts pour préjudice moral.

Le médecin du travail déclarait le 5 décembre 2016 le salarié « Inapte définitif au poste de responsable commerciale et des opérations à l'expatriation».

La société faisait une proposition de reclassement au salarié le 22 décembre 2016, proposition qu'il refusait.

Le salarié saisissait à nouveau le 8 juin 2016 le conseil des prud'hommes en paiement de rappel de salaire.

Le 6 février 2017, M [M] était licencié pour inaptitude professionnelle et ce dernier portait devant le conseil des prud'hommes la contestation de ce licenciement pour nullité.

Par jugement du 27 septembre 2018' le conseil de prud'hommes de Marseille en sa formation de départage a statué comme suit :

« Dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [E] [M] est nul,

Condamner la SA Catering International et Services à verser à M. [E] [M] les sommes suivantes:

50'000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;

20'000 € à titre de dommages-intérêts pour des faits de harcèlement moral ;

110'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

18'000 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

8 600 € au titre du de son manque à gagner concernant les primes ;

3 000 € bruts au titre de son manque à gagner concernant le salaire de base ;

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement et ce jusqu'à parfait paiement ;

Déboute M. [E] [M] de ses demandes formées au titre du remboursement des frais de déménagement

Condamne d'office la SA Catering International et Services à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage perçues par M. [E] [M] dans la limite des six premiers mois indemnisés ;

Dit que le présent jugement sera notifié à la diligence du greffe de cette juridiction, à pôle emploi;

Ordonne à la SA Catering International et Services de remettre à M. [E] [M] les documents de fin de contrat rectifiés (attestation pôle emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte) et un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision ;

Dit n'y avoir lieu d'adjoindre à cette obligation de faire une astreinte ;

Ordonne la levée des clauses de non-concurrence et de loyauté contenues dans le contrat de travail de M. [E] [M] à effet au 6 février 2017, date de son licenciement ;

Condamne la la SA Catering International et Services à verser à M. [E] [M] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne seraient pas de plein droit exécutoire par application de l'article R 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'établissant à la somme de 6000 € ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ».

Par acte du 5 novembre 2018, le conseil de la société a interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 15 mars 2022, la société demande à la cour de :

« Infirmer le jugement de départage rendu le 27 septembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Marseille en ce qu'il a :

Déclaré nul le licenciement de M. [E] [M] et condamner la SA Catering International et Services à lui verser les sommes suivantes, avec remise des documents sociaux modifiés et intérêts de droit :

50'000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;

20'000 € à titre de dommages-intérêts pour des faits de harcèlement moral ;

110'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

18'000 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

8600 € au titre du manquement à gagner concernant les primes ;

3000 € bruts au titre de son manque à gagner concernant le salaire de base ;

Condamné la SA Catering International et Services à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage perçu par M. [E] [M] dans la limite des six premiers mois indemnisés

Ordonné la levée de clause de non-concurrence et de loyauté contenue dans le contrat de travail de M. [E] [M] à effet au 6 février 2017, date de son licenciement ;

Condamné la la SA Catering International et Services à verser à M. [E] [M] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Et statuant à nouveau,

Constater que la société CIS ne s'est rendue coupable d'aucun manquement à son obligation de sécurité de résultat et n'a commis aucun acte de harcèlement à l'égard de M. [M] ;

Dire et juger que le licenciement pour inaptitude de M. [M] n'est pas entaché de nullité et est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Dire et juger que M. [M] a été rempli de ses droits et ne saurait prétendre un rappel de salaire au titre de la période du 1er juin 2014 jusqu'à son licenciement ;

Dire et juger que M. [M] ne saurait prétendre à un remboursement de frais ;

Débouter en conséquence M. [M] de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner M. [M] à verser la somme de 5000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures communiquées au greffe par voie électronique le 29 juin 2020, M. [M] demande à la cour de :

« Débouter la société CIS de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Dire que M. [M] est recevable en son appel incident et qu'il est bien fondé à former les demandes suivantes :

Requalifier le licenciement pour inaptitude de M. [M] en licenciement nul ;

Condamner la société CIS au paiement à M. [M] des sommes suivantes :

144'000 € à titre d'indemnité pour licenciement illicite et nul,

18'000 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

Condamner la société CIS au paiement à M. [M] de la somme de 100'000 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité de résultat ;

Condamner la société CIS au paiement à M. [M] de la somme de 30'000 € au titre du harcèlement moral subi ;

Condamner la société CIS au paiement à M. [M] de la somme de 239'872,21 € au titre du manque à gagner subi ;

Condamner la société CIS au paiement à M. [M] de la somme de 2'346,70 € en remboursement des frais de déménagement ;

Ordonner la rectification des documents sociaux ainsi que des fiches de paie de M. [M] sous astreinte de 200 € par jour de retard ;

Ordonner la levée de la clause de non-concurrence et de loyauté de M. [M] ;

Condamner la société CIS au paiement de la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur les manquements de la société CIS

La société CIS conteste l'ensemble des manquements opposés par le salarié et fait valoir que :

- le salarié a déconseillé à l'entreprise de céder au chantage et était partie prenante à la décision de la société CIS de ne pas donner suite de à la tentative d'extorsion de l'administration fiscale Azérie (pièce 60 à 67) et que c'est sur ses conseils que la dette n'a pas été payée.

- elle n'a pas fait preuve de mauvaise volonté puisque le mandat était au nom de M. [M] à titre personnel et qu'il était le seul à pouvoir obtenir les documents auprès d'Interpol,

- elle a effectué de nombreuses démarches menées activement par ses conseils, par le président de la société M.[N] auprès de M. [C] [D] ministre des affaires étrangères, auprès de l'ambassade de France en Azerbaïdjan et du client Bouygues (pièce 71,72, 73,74, 75, 76, 78 et 85) et elle a accepté de régler le coût d'un véritable racket pour assurer la tranquillité de M. [M], ce paiement dont la société devait s'assurer qu'il permettrait de débloquer la situation permettant lever la notice rouge d'Interpol, que le déroulement des événements ne peut lui être imputable.

- S'agissant du harcèlement moral, elle indique que la localisation du poste à [Localité 4] proposé au salarié correspond au seul établissement en France ou la société CIS à une activité, le salarié ne pouvant pas être envoyé à l'étranger, que ce poste est conforme aux préconisations du médecin du travail qu'il l'avait validé et que les désaccords opposant les parties ne sauraient constituer des actes de harcèlement.

M. [M] soutient que la situation dans laquelle il s'est retrouvé est imputable aux agissements de la société en raison :

- du non paiement des taxes fiscales de la filiale ayant causé le lancement du mandat d'arrêt international à son encontre et des man'uvres frauduleuses de la société à l'origine de ses difficultés, de la tentative de l'employeur de lui faire porter la responsabilité des faits reprochés (pièce 27, 30, 31) alors que plusieurs courriers démontrent le contraire (pièce 28, 29 et 37)

- de l'inaction de la société pour faire cesser la situation critique dans laquelle il se trouvait, aucune action concrète ou recours n'ayant été mis en 'uvre par la société, le salarié ayant dû subir un long interrogatoire au mois d'avril 2014 et la confiscation de son passeport (pièce 20, 21 et 22 ) et subir seul le coût financier des frais engendrés pour récupérer l'ensemble des documents concernant sa situation judiciaire (pièces 25, 26, 38 et 51) et que seul le paiement de la dette auprès de l'Azerbaïdjan par la société CIS a permis de lever le 13 mai 2016 le mandat d'arrêt international à son encontre (pièce 23 et 41)

- du harcèlement moral subi ayant entraîné son inaptitude professionnelle, en le tenant pour responsable de cette situation, en suspendant le contrat de travail et le règlement des salaires (pièce 30), en refusant de payer les congés payés et les frais professionnels, en lui proposant à son retour en France un poste au siège de l'entreprise à [Localité 4] en tant que chargé de mission service achats avec une diminution de son salaire et un éloignement de son domicile, ce qui a conduit le salarié à subir une importante détresse morale ayant pour conséquence l'altération de sa santé (pièces 7 à 12 ).

Le code du travail impose à l'employeur une obligation de sécurité par les articles L.4121-1 et suivants, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, en ces termes:

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

- Des actions de prévention des risques professionnels;

- Des actions d'information et de formation ;

- La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

C'est à l'employeur tenu de cette obligation d'établir qu'il y a satisfait.

1- Sur le non-paiement des taxes fiscales et l'inactivité de la société

Les autorités azéries ont réalisé un contrôle fiscal de la filiale CIS située en Azerbaïdjan pour la période de juin 2008 à octobre 2009, contrôle abandonné en avril 2010.

Suite à la décision de mettre en sommeil la filiale, un nouveau contrôle était opéré et l'inspecteur en charge du contrôle a réclamé le paiement d'une somme de 50'000 Manats 'en cash' pour fermer le dossier et ne pas le renvoyer devant le tribunal.

Si M. [M] a alerté la société CIS de cette demande officieuse, la décision de ne pas donner suite au paiement réclamé ne procède pas de son fait.

En effet, le témoignage de M. [Z], contrôleur financier du groupe CIS, indique « (...) Compte tenu des demandes saugrenues nous n'avons pas tenu à donner suite à ces menaces (...) Notre ancienne comptable azérie appelait quelque temps plus tard avec le responsable du contrôle fiscal. Il nous menaçait de transmettre le dossier Interpol (...) J'avais répondu que ces menaces ne nous inquiétaient pas et que les reproches étaient dénués de tout bon sens. Ensuite [E] a reçu notification du redressement officiel à laquelle nous n'avons jamais répondu » (pièce appelante 62).

La position du groupe CIS est également confirmée par le témoignage de M. [H] en charge de la supervision de la filiale en Azerbaïdjan qui indique « au regard de cette situation que nous avons toujours jugé comme illégale, décision a été prise de ne donner aucune suite à ces tentatives d'extorsion». (Pièce appelante 63).

Ces éléments attestent que le groupe CIS s'est positionné de manière concertée pour ne pas payer le montant sollicité et la société ne peut valablement soutenir que M. [M] l'aurait mal conseillé.

Par ailleurs, s'il s'avère que la démarche de l'inspecteur fiscal procédait d'une tentative d'extorsion à son seul bénéfice, il n'en demeure pas moins que la réclamation prenait initialement sa source dans un redressement fiscal en raison du non paiement d'une taxe (TVA) que les autorités reprochaient au groupe CIS.

Ainsi, le groupe CIS a fait l'objet d'un redressement officiel le 26 janvier 2012, décision n° 12007772353902 'relatives à l'engagement des poursuites judiciaires à l'encontre du contribuable pour infraction à la législation fiscale ', portant sur la TVA pour un montant de 26'550,99 Azn au principal et 13'275,5 Azn de pénalités et avait un mois pour payer, sachant qu'à défaut le service des taxes menaçait d'ouvrir au bureau des investigations du département une enquête pour fraude fiscale et de lancer un mandat d'arrêt contre M. [M] via Interpol (pièce 20 intimé).

Cette décision mentionnait l'existence d'un recours adressé au tribunal dans un délai de 30 jours à compter de la notification conformément à l'article 62 du code fiscal.

Une mesure de contrainte a également été prononcée par le tribunal de l'arrondissement deYassamal à l'encontre de M. [M] en tant que représentant de la société avec une durée de détention de 10 jours. La décision indiquait qu'une affaire pénale avait été ouverte et mentionnait qu'un contrôle fiscal sur place avait révélé, qu'après expertise, l'entreprise s'était soustraite au paiement au trésor public de la taxe de la valeur ajoutée d'un montant de 26'550,99 Manats sur la période contrôlée.

Il appartenait au groupe CIS de régler à cette date le montant officiel du redressement engagé à son encontre et si elle entendait contester 'ce racket ' selon ses propres termes, d'intenter des recours (comme elle l'avait déjà fait à l'encontre du département des 'pensions founds' pour les appartements Veolia et CIS), et ce, afin d'éviter à son salarié d'être poursuivi par un mandat d'arrêt international valide jusqu'en 2018 pour évasion fiscale, mandat directement imputable à son refus de régler sa dette.

À cet égard, la cour relève que la société CIS n'a déposé aucun recours à l'encontre des décisions prononcées par les autorités d'Azerbaïdjan et a préféré attendre plusieurs années pour s'acquitter de sa dette.

En effet, contrairement à ce qu'a retenu le conseil des prud'hommes, la société CIS n'a pas fait preuve de réactivité pour mettre un terme à la situation, avec peut-être l'espoir d'une prescription du mandat d'arrêt au vu du mail de M. [B] adressé à M. [M] « je vous demande également de vous assurer qu'il y a lieu de considérer aujourd'hui la prescription » (pièce appelante 70) et malgré le courrier de l'ambassadeur de France à [Localité 3] en juin 2014 en réponse à Me [V] suggérant de payer le redressement fiscal afin de lever les sections pénales à l'encontre de M. [M] (pièce 76 .1 appelante ).

La société CIS a même fait interdiction au salarié de solutionner la dette dans son courrier du 9 juin 2015 « En ce qui concerne les instructions qui vous auraient été demandées par le comptable Turkménistan nous vous rappelons que vous ne devez en aucun cas vous exécutez. D'une part, vous est en arrêt de travail et ne devais effectuer aucune opération durant cette période de suspension de votre contrat. D'autre part, nos services financiers sont seuls à même de répondre à ces questions et de superviser la gestion consécutive à votre départ de ce pays » (pièce 37 intimé).

Il faudra attendre une note interne du 8 janvier 2016 de la conseillère juridique de la société Mme [U] adressée à M. [N] PDG du groupe CIS pour qu'en lien avec le cabinet Grant Thornton basé en Azerbaïdjan soit confirmé l'accord pour procéder au paiement de la somme de 48.727 Azn (28'727 € ) afin de clore définitivement le dossier et permettre la levée de la notification Interpol (pièce 79 appelante).

Le 18 février 2016 le ministère des impôts département des enquêtes préliminaires et des délits fiscaux informait M. [M] 'directeur de la représentation de la société CIS en république d'Azerbaïdjan ' que la procédure pénale relative à la fraude fiscale était close, la notice rouge étant levée par les services d'Interpol au mois de mai 2016.

C'est donc en toute mauvaise foi que la société qui connaissait le fonctionnement des autorités d'Azerbaïdjan pour avoir déjà eu un litige concernant ses affaires et qui était informée des décisions judiciaires la concernant, a cherché à imputer la responsabilité du non paiement de la dette à son salarié et a laissé traîner sciemment la procédure pour éviter d'en payer le montant.

La société CIS n'a en outre pas respecté son obligation d'information à l'égard de son salarié en ne lui transmettant pas les renseignements concernant son dossier et en le contraignant à entreprendre ses propres démarches pour obtenir la levée du mandat d'arrêt pris à son encontre et à se faire représenter en Azerbaïdjan par le cabinet Adalat.

Les deux manquements reprochés à la société sont avérés et doivent être retenus.

La cour considère donc que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas les mesures nécessaires pour protéger son salarié des poursuites pénales engagées par l'Azerbaïdjan du fait du non paiement des taxes tout en lui imputant la responsabilité de son propre comportement et du fait de sa grande passivité quant à la résolution tardive de l'affaire.

Ce manquement a causé un préjudice au salarié et c'est par une juste appréciation de la cause que le conseil des prud'hommes a fixé à la somme de 50'000 € le montant des dommages et intérêts.

La cour confirme la décision entreprise sur ce point.

2- Sur le harcèlement moral

C'est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le premier juge a considéré qu' en l'état des pièces produites le salarié établissait des faits précis et répétés consistant pour l'employeur à remettre en cause systématiquement ses droits en matière de congés payés, de remboursement de frais engagés, d'heures travaillées non rémunérées (pièce 34, à suspendre son contrat de travail à l'issue de ses congés payés sans aucun motif (pièce 30 intimé), à modifier ses conditions de travail sans obtenir au préalable son accord concernant notamment sa rémunération, à insinuer à plusieurs reprises qu'il serait à l'origine du redressement fiscal dont la société CIS a fait l'objet (pièce 41 intimée ) et que le mandat d'arrêt pris à son encontre par les autorités pénales Azerbaïdjan pourrait l'avoir été pour un motif personnel (pièce 27) et en déniant son statut d'expatrié, l'employeur ne démontrant pas que les faits retenus étaient étrangers à tout harcèlement et en rappelant que les suspicions émises par la société n'étaient étayées par aucun élément et n'autorisaient pas la société à suspendre le contrat de travail de son salarié.

Il y lieu d'ajouter que les faits retenus comme constitutifs de harcèlement vont au-delà de ce que la société appelle des 'désaccords 'dans la mesure où la récurrence de ces derniers, sans fondement, la modification de sa rémunération sans son accord et la pression exercée ont placé le salarié en situation de fragilité et de grande détresse morale, que le poste proposé au salarié en février 2015 en tant que chargé de mission au service achats peut s'analyser en une véritable 'rétrogradation' puisque M. [M] exerçait avant son retour en France en 2014 au Turkménistan un poste à haute responsabilité avec une rémunération conséquente, qu'il avait travaillé précédemment en tant que directeur en Mongolie ou responsable commercial au Kazakhstan et qu'il s'est retrouvé dans un service sans grand intérêt avec un salaire très inférieur et un éloignement particulièrement important de son domicile démontrant le peu de considération de la société à son égard.

L'argument de la société selon lequel il n'existait qu'un seul établissement en France n'est étayé par aucune pièce au dossier, au surplus la société disposait manifestement d'autres services plus prestigieux que celui retenu et pouvait envisager, compte tenu de la bonne volonté du salarié de venir travailler au siège, de lui trouver un emploi en relation avec ses compétences.

De même, et contrairement à ce que soutient la société, le reclassement proposé au salarié ne correspond pas aux préconisations du médecin du travail puisque l'avis d'inaptitude définitive du 5 décembre 2016 indique « Pourrait être apte à un poste de responsable des opérations dans une autre entreprise et dans un autre contexte organisationnel » (pièce 53 intimé).

En conséquence, la gestion délétère de la situation par la société CIS a eu pour conséquence d'altérer gravement la santé physique et morale du salarié qui a été en arrêt maladie et a présenté un syndrome anxiodépressif réactionnel à son état professionnel (pièces12, 13,14 et 15 intimé).

La cour considère donc que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité au titre du harcèlement moral et n'a pas préservé la santé de son salarié.

Ce manquement caractérisé a causé un préjudice à M. [M] et c'est par une juste appréciation de la cause que le conseil des prud'hommes a fixé à la somme de 20'000 € le montant des dommages et intérêts.

La cour confirme la décision déférée de ce chef.

Sur le licenciement

Le salarié se fonde sur les agissements de harcèlement moral dont il a fait l'objet estimant que l'inaptitude médicale qui en a résulté rend le licenciement nul.

La société soutient qu'aucun acte de harcèlement moral ne peut lui être reprochée et que cette situation a toujours été prise en compte avec beaucoup de sérieux et qu'elle a déployé tous ses efforts pour parvenir à la levée de la notice rouge et à la réaffectation de son salarié en attendant sur un poste au siège.

La société conteste le nombre de mois de salaire fixé par le conseil des prud'hommes et celui sollicité par l'intimée pour 10 ans d'ancienneté au titre des dommages-intérêts.

C'est à bon droit que le conseil des prud'hommes a retenu en vertu des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement nul pour le salarié victime de harcèlement moral et a pris en compte la rémunération mensuelle brute de 6000 €, non contredite par les parties, soit celle perçue avant la suspension de son contrat de travail, pour évaluer les dommages-intérêts auxquels ce dernier pouvait prétendre.

Compte tenu l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération , de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, des difficultés à retrouver un emploi étant au chômage en 2020 la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être fixée, conformément à la décision des premiers juges, à la somme de 110'000 euros.

Le montant de l'indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire en raison du statut cadre du salarié sur la base d'un salaire de 6 000 €, non sérieusement contesté par l'appelant, soit au total 18'000 €, doit être confirmé.

Sur le rappel de salaire

M. [M] soutient que depuis son retour en France et jusqu'à son arrêt de travail en février 2015 il a vu son salaire, élément essentiel du contrat de travail, diminuer sans son accord, entraînant une modification de son contrat de travail.

Il estime qu'il bénéficiait toujours du statut d'expatrié, qu'il devait percevoir la prime d'expatriation et les frais mentionnés dans son contrat de travail et figurant sur ses bulletins de salaire et qu'il n'a fait l'objet d'aucune modification par avenant à son contrat de travail, les feuilles de remboursement de l'assurance April mais également la médecine du travail pour les salariés expatriés démontrant le maintien de ce statut (pièces 16, 19, 35,36, 43, 46, 48, 49 et 66).

Il produit notamment les pièces suivantes :

- la différence de salaire calculée sur cette base de janvier 2015 jusqu'à janvier 2017 (pièce 67)

- les bulletins de salaire du mois de juin 2014 au mois de février 2015 (pièces 5 et 6)

- l'arrêt de travail initial à compter du 27 février 2015 jusqu'au 15 novembre 2016 (pièces 7 à 11)

- les remboursements April et le certificat d'indemnisation (pièces 16 à 19 et 66 )

La société soutient que le contrat de travail prévoyait expressément d'être exécuté à l'étranger, qu'il n'y avait pas lieu de signer un avenant si le salarié se trouvait en France puisqu'il n'était plus contraint par des sujétions liées à l'expatriation et que dès lors que le salarié n'exerçait plus ses fonctions à l'étranger, la prime ne lui est pas dû, qu' il se trouve en situation de congés payés ou d'arrêt maladie et qu'il en est de même pour la prime spéciale de gestion.

Concernant la prise en charge des frais inclus dans le salaire, à savoir les frais de logement, frais de vie, de véhicule et d'école à hauteur de 3949,71 € par mois, la société les conteste en l'absence de justificatifs et du fait qu'il n'a pas assumé le poste proposé au siège puisqu'il était en arrêt maladie à compter du 27 février 2015.

Concernant les remboursements de frais professionnels, la société indique qu'il s'agissait de frais liés à l'accomplissement du travail à l'étranger qui n'avaient pas à être supportés par l'employeur.

S'agissant des frais professionnels, le contrat de travail du 18 janvier 2007 prévoyait alors que le salarié se trouvait au Kazakhstan que « les frais professionnels que M. [M] exposera pour les besoins de sa fonction lui seront remboursés sur présentation des justificatifs dans la limite fixée par CIS en particulier pour les voyages en avion qui ne pourront être faits en classe économique. En outre, les frais de logement, transports seront pris en charge par la filiale et une compensation de 30 € par jour pour indemnité forfaitaire de nourriture lui sera versée en début de chaque mois pour couvrir l'intégralité des frais de vie sur place ».

L'avenant n °2 au contrat de travail prévoyait que lorsque ce dernier se trouvait au Turkménistan que « le logement de M. [M] et les frais de scolarité de son fils au Turkménistan sont pris en charge par CIS ».

Ces indemnités qui ont pour objet de compenser les coûts liés à l'expatriation ont un caractère de remboursement de frais et le salarié ne peut donc y prétendre s'il ne les a pas engagés.

S'agissant des primes, l'avenant n °2 du 11 janvier 2010 au contrat de travail de M. [M], outre une partie variable, prévoit une partie fixe composée d'un salaire forfaitaire de base brute de 3 000€, d'une indemnité d'expatriation de 2500 € ainsi que d'une indemnité de fin de contrat de 500 €.

La prime d'expatriation contractualisée à 2500 € est destinée à rémunérer les conditions particulières d'un salarié expatrié, de sorte qu'elle a la nature d'un complément de salaire.

Cette prime doit être maintenue au salarié comme celle de fin de contrat, indiquée sur le bulletin de salaire du salarié comme prime spéciale de gestion, tant que le contrat de travail n'est pas modifié où suspendu.

À cet égard, le courrier du groupe CIS du 4 mai 2016 confirme que le statut contractuel de M. [M] était encore à cette date celui d'un expatrié et qu'il était envisagé une nouvelle affectation à l'étranger au terme son arrêt maladie(pièce 43 intimé).

Par contre, le calcul produit par le salarié ne peut être retenu dans la mesure où ce dernier intègre le montant de frais professionnels et des primes en brut à compter du 2 janvier 2015 et tout au long de son arrêt maladie, et qu'au surplus, il n'a pas été déduit les versements d'April.

La cour relève que la prime d'expatriation mensuelle du salarié a été portée à compter d'octobre 2014 à la somme de 1 986,67 € , en novembre 2014 à la somme de 1 542,42 € et en décembre 2014 à la somme de 1 319,99 €, soit une différence totale de 2 650,92 € net, ce qui atteste que sur le principe la société entendait maintenir une prime d'expatriation mais ne la versait qu'à minima.

La prime spéciale n'a pas été réglée pour les mois de juillet 2014 à février 2015 soit la somme de 4 000€.

En conséquence, la société CIS est redevable par voie d'infirmation de la somme de 6 650,92 euros nets au titre du montant des deux primes.

Par ailleurs, le salaire de base du salarié d'un montant de 3 000 € bruts a été porté à la somme de 2 000 € bruts pour les mois de octobre à décembre 2014, soit une différence de 3 000 € bruts, montant retenu par le conseil des prud'hommes qui doit être confirmé.

Un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt devra être délivré au salarié, sans nécessité d'une astreinte.

Sur les frais de déménagement

Le salarié fait valoir que lors de son départ précipité du Turkménistan il a dû régler des frais de déménagement pour rentrer en France et que ses frais ont toujours été pris en charge par la société.

La société réplique qu'aucune disposition contractuelle ne prévoit la prise en charge de ces frais et qu'aucun devis chiffré n'a été soumis à la hiérarchie.

Le conseil des prud'hommes a débouté à juste titre le salarié de cette demande en raison de l'absence de justificatifs des frais engagés.

La cour confirme la décision déférée sur ce point.

Sur les autres demandes

La levée de la clause de non-concurrence de loyauté, non véritablement discutée par l'appelante, doit être confirmée.

Sur les frais et dépens

La société CIS qui succombe doit s'acquitter des dépens, être débouté de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamné à payer à la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré SAUF s'agissant du montant des primes,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la SA Catering International et Services (CIS) à payer à M. [E] [M] les sommes suivantes :

- 6 650,92 euros au titre du rappel des primes pour la période comprise entre le mois d'octobre 2014 et le mois de décembre 2014,

- 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonnela délivrance d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt, sans astreinte,

Condamne la SA Catering International et Services aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 18/17477
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;18.17477 ?
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