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25/05/2023 | FRANCE | N°21/03198

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 25 mai 2023, 21/03198


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 25 MAI 2023



N° 2023/216











N° RG 21/03198



N° Portalis DBVB-V-B7F-BHBMK







S.A. AIG EUROPE





C/



[B] [F]

CPAM DES ALPES MARITIMES









Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-SELARL JURISBELAIR



-SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS















Décision déférée à la Cour :



Jugement du tribunal judiciaire de Grasse en date du 15 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/04155.





APPELANTE



S.A. AIG EUROPE,

demeurant [Adresse 7]



représentée et assistée par Me Patrice BIDAULT de la SELARL JURISBELAIR, avoc...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 25 MAI 2023

N° 2023/216

N° RG 21/03198

N° Portalis DBVB-V-B7F-BHBMK

S.A. AIG EUROPE

C/

[B] [F]

CPAM DES ALPES MARITIMES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-SELARL JURISBELAIR

-SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire de Grasse en date du 15 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/04155.

APPELANTE

S.A. AIG EUROPE,

demeurant [Adresse 7]

représentée et assistée par Me Patrice BIDAULT de la SELARL JURISBELAIR, avocat au barreau de MARSEILLE, postulant et plaidant.

INTIMES

Monsieur [B] [F]

Assuré [XXXXXXXXXXX01]

né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 2]

représenté et assisté par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et par Me Emmanuèle ALBERTINI, avocat au barreau de GRASSE.

CPAM DES ALPES MARITIMES,

Assignée le 19/04/2021 à personne habilitée,

demeurant [Adresse 4]

Défaillante.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2023, prorogé au 25 Mai 2023.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et de la procédure

Le 3 octobre 2014, M. [B] [F] a été victime d'un accident de la circulation impliquant

un véhicule conduit par M. [H] [V] [D] et assuré par la société American International

Group Europe (société AIG Europe).

Par jugement du 9 avril 2015, confirmé en appel le 28 avril 2017, le droit à indemnisation de M. [F] a été reconnu dans son intégralité et une expertise a été ordonnée afin d'évaluer son préjudice corporel. Le tribunal a, par ailleurs, alloué à M. [F] une provision de 10 000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.

Le docteur [O] [W], expert, a déposé son rapport le 21 mars 2016.

Les parties ont ensuite transigé par actes des 2 et 13 septembre 2019, hormis sur les postes perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle.

Par acte du 13 octobre 2020, M. [F] a fait assigner la société AIG Europe devant le tribunal judiciaire de Grasse afin d'obtenir, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes maritimes, l'indemnisation de ces deux postes de préjudice.

Par jugement réputé contradictoire en date du 15 février 2021, ce tribunal a :

- déclaré le jugement commun et opposable à la CPAM des Alpes Maritimes et constaté qu'elle

a fait parvenir l'état de ses débours arrêté à 73 570,79 € n'incluant ni pension d'invalidité ni rente

accident du travail ;

- condamné la société AIG Europe à réparer les préjudices subis par M. [F] du fait de l'accident du 3 octobre 2014 ;

- condamné la société AIG Europe à payer à M. [F] la somme de 1 355 415,40 € à raison de 1 202 528,04 € au titre de la perte de gains professionnels futurs et 152 887,36 € au titre de l'incidence professionnelle, sauf à déduire de ces sommes les provisions versées ;

- dit que le montant des indemnités produira intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt

légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif ;

- condamné la société AIG Europe à payer à M. [F] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société AIG Europe aux entiers dépens de la procédure, distraits au profit de Me Albertini ;

- refusé d'écarter l'exécution provisoire de droit.

Pour statuer ainsi, il a considéré que :

- M. [F], qui était mécanicien, bien que sans emploi à la date de l'accident, bénéficiait de plusieurs promesses d'embauche, dont une de son ex-employeur, à laquelle il a été contraint de renoncer du fait des séquelles de l'accident ; même s'il s'est reconverti, il a perdu les gains professionnels afférents à cette promesse d'embauche à des conditions salariales équivalentes à celles de son précédent contrat de travail, de sorte qu'il est fondé à demander l'indemnisation de cette perte qui, pour le futur, et compte tenu de son jeune âge, doit être capitalisée selon un indice de rente viagère afin de tenir compte de la perte de droits à a retraite ; la perte de son contrat de prévoyance doit également être indemnisée dans la mesure de la part qui était prise en charge par l'employeur ;

- le salaire étant la mesure de l'indemnisation, M. [F] a droit, au titre de l'incidence professionnelle, à une indemnité correspondant à la multiplication de son salaire annuel antérieur à l'accident par un coefficient d'incidence professionnelle de 20 % et par un indice de rente temporaire jusqu'à 65 ans, à laquelle s'ajoutent les frais engagés pour sa reconversion.

S'agissant du doublement du taux de l'intérêt légal, l'offre de l'assureur n'étant pas complète, la sanction est de droit.

Par acte du 3 mars 2021 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la société AIG Europe a interjeté appel de cette décision en visant expressément chacun des chefs de son dispositif, hormis celui relatif à l'exécution provisoire.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 mars 2023.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 27 mai 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société AIG Europe demande à la cour de :

' réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

' débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes ;

' le condamner à lui payer une somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Très subsidiairement,

' réduire à de plus justes proportions les indemnités susceptibles d'être allouées à M. [F] tant au titre des pertes de gains professionnels futurs que de l'incidence professionnelle ;

' surseoir à statuer dans l'attente de la production par l'intimé d'un relevé de situation individuelle et d'une reconstitution de carrière afin de pouvoir déterminer avec précision sa situation face à la retraite ;

' condamner M. [F] aux entiers dépens.

Au soutien de son appel et de ses prétentions, elle fait valoir que :

- M. [F] a exercé entre 2007 et juin 2014 un emploi de chef d'équipe atelier/ réception au sein du service après vente au sein de la société Gema, qui exploite sur la commune de [Localité 6] une concession Opel/Chevrolet et, quelques mois avant l'accident, le 11 juin 2014, a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique ; s'il justifie qu'il devait être réembauché, il ne démontre pas que l'accident a contrarié cette embauche puisque :

* il n'était pas mécanicien mais chef d'atelier et qu'en cette qualité ses fonctions consistaient à encadrer les mécaniciens, organiser le travail et gérer la clientèle en apportant une expertise technique sans réaliser lui-même des tâches de mécanique,

* l'offre d'embauche à compter du 3 mai 2015 spécifie bien qu'il devait être employé en qualité de cadre avec un descriptif des activités parmi lesquelles ne figure aucune tâche de mécanique, soit un poste que les séquelles de l'accident ne l'empêchent pas d'exercer,

* il ne démontre pas qu'un médecin du travail l'a déclaré inapte à ce poste, ce qui confirme qu'il est employé à des tâches administratives et d'encadrement qui ne sont pas incompatibles avec les séquelles qu'il conserve de l'accident,

* sa décision de changer d'orientation professionnelle pour devenir auto-entrepreneur dans la vente de téléphones résulte d'un choix personnel qui n'a aucun lien avec l'accident et il en va de même de la perte du contrat de prévoyance ;

- subsidiairement, le calcul de la perte de gains doit être opéré à partir d'un revenu de référence 25 461 € par an, dont doivent être déduits les allocations d'aide au retour à l'emploi et les revenus de son activité d'auto-entrepreneur ; pour l'avenir l'inaptitude au travail n'étant pas établie, M. [F] est en mesure de percevoir au moins le SMIC, de sorte que la perte annuelle à capitaliser doit en tenir compte et il n'y a pas lieu d'opérer une capitalisation viagère puisque M. [F] continue à se constituer des droits à la retraite et ne produit aucune reconstitution de sa carrière ;

- l'incidence professionnelle ne saurait être évaluée par référence au salaire, à un taux arbitraire d'incidence professionnelle et en tenant compte d'une poursuite d'activité jusqu'à 65 ans alors que, né en 1983, M. [F] pourra faire valoir ses droits à la retraite à 62 ans.

Dans ses dernières conclusions d'intimé et d'appel incident, régulièrement notifiées le 19 août 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, M. [F] demande à la cour de :

' confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à ses demandes mais l'infirmer en ce qui concerne le calcul des indemnités ;

Statuant à nouveau,

' condamner la société AIG Europe à lui payer la somme de 1 522 983,32 € correspondant à 1 358 376,27 € au titre de la perte de gains professionnels futurs et 164 607,05 € au titre de l'incidence professionnelle ;

' confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le montant des indemnités produira intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif, condamné la société AIG Europe à payer la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les entiers dépens de la procédure et refusé d'écarter l'exécution provisoire de droit ;

' condamner la société AIG Europe à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, distraits au bénéfice de son avocat.

Il fait valoir que :

- l'expert l'a déclaré inapte à son poste de chef d'atelier notamment en raison de séquelles neuro-psychologiques et psychiques importantes ;

- si son licenciement économique est antérieur à l'accident, il justifie qu'il devait être réembauché par son employeur au titre d'une priorité en sa qualité d'ancien employé bénéficiaire d'un contrat de sécurisation professionnelle et bénéficiait même de deux promesses d'embauche qu'il n'a pu honorer en raison des séquelles physiques et psychiques de l'accident ;

- aucun médecin du travail n'est intervenu pour se prononcer sur son aptitude au poste de travail puisqu'au moment de l'accident il était sans emploi ;

- la reconversion professionnelle à laquelle les séquelles l'ont contraint a entrainé une baisse conséquente de revenus ;

- il doit être indemnisé à partir d'un revenu de référence au moins équivalent à celui pris en considération pour la perte de gains professionnels actuels, revalorisé afin de tenir compte de la dépréciation monétaire, sans déduction des allocations d'aide au retour à l'emploi mais incluant la perte de droits à la retraite qui existe nécessairement dès lors qu'il subit une perte de revenus indemnisable et avec un capitalisation selon le barème de la gazette du palais 2020 taux 0 % ;

- il ressort de ses bulletins de salaire qu'il bénéficiait dans le cadre de son emploi et de la convention collective d'un régime de prévoyance, dont une partie des cotisations était supportée par son employeur et il a perdu cet avantage qui correspond au montant des cotisations dont son employeur s'acquittait, soit 4 983,48 € par an, à capitaliser selon un indice de rente temporaire jusqu'à 65 ans ;

- l'incidence professionnelle, qui peut se cumuler avec l'indemnisation totale d'une perte de gains professionnels futurs, ne saurait être évaluée forfaitairement ; en l'espèce, il subit un préjudice de carrière puisque l'indemnité réparant la perte de gains, bien que calculée sur un revenu de référence revalorisé, ne compense pas l'évolution dans le temps des salaires dont il aurait nécessairement bénéficié du fait d'une progression dans sa carrière ; il a été contraint d'abandonner un projet professionnel et une carrière et subit depuis une perte de vie sociale ;

- l'indemnisation doit être calculée selon une méthode fondée sur la corrélation entre salaire et état séquellaire, la rémunération est le seul instrument objectif de mesure des paramètres bouleversés par l'accident.

S'agissant du doublement du taux de l'intérêt légal, il doit s'appliquer sur le montant de l'indemnité totale mis à la charge de l'assureur.

La CPAM des Alpes Maritimes, assignée par la société AIG Europe par acte d'huissier du 19 avril 2021, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel, n'a pas constitué avocat.

Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 23 octobre 2020, elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 73 570,79 €, correspondant à :

- des prestations en nature : 55 992,32 € (55 446,08 € de dépenses de santé actuelles et 546,24 € de dépenses de santé futures )

- des indemnités journalières versées du 6 octobre 2014 au 20 novembre 2015 : 17 578,47 €.

*****

L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

L'appel porte sur tous les chefs du jugement hormis celui relatif à l'exécution provisoire.

Sur le préjudice corporel

Le docteur [W], expert, indique que M. [F] a souffert, au titre des lésions initiales, d'une fracture ouverte tibia-péroné gauches, d'une fracture du cubitus gauche, d'une fracture du scapulum gauche, d'une fracture de l'arc postérieur des dernières côtes, d'une fracture d'apophyses transverses des vertèbres dorsales, de contusions pulmonaires bilatérales prédominant à gauche avec hémopneumothorax, de petits foyers hémorragiques cérébraux frontal droit et pariétal gauche, de bris dentaires et d'une dermabrasion de la cuisse gauche et du coude droit.

Selon lui, M. [F] conserve comme séquelles de ces lésions une diminution de la mobilité de la cheville gauche, de la main gauche et à un degré faible du genou gauche et du coude gauche avec légère diminution de force musculaire, ainsi que des douleurs résiduelles et, sur le plan psychique, une fatigue intellectuelle et des troubles du caractère.

L'expert conclut à :

- un déficit fonctionnel temporaire total du 3 octobre 2014 au 27 octobre 2014, les 16 février 2015 et 3 novembre 2015 ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 28 octobre 2014 au 16 février 2015, du 3 mars 2015 au 30 avril 2015, du 15 juin 2015 au 10 juillet 2015 et pendant les séjours au centre de rééducation fonctionnel ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 40 % du 17 février 2015 au 3 mars 2015 ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 20 % du 4 mars 2015 au 2 décembre 2015 ;

- une consolidation au 3 décembre 2015 ;

- une incidence professionnelle au titre de l'abandon de la mécanique auto et une fatigabilité nerveuse au bruit

- des souffrances endurées de 5/7 ;

- un préjudice esthétique temporaire de /7 du 16 février 2015 au 3 mars 2015 (vision du fixateur externe) ;

- un déficit fonctionnel permanent de 17 % ;

- un préjudice esthétique permanent de 3/7 ;

- un préjudice d'agrément (football, moto et scooter des mers) ;

- un besoin d'assistance de tierce personne de trois heures par jour du 28 octobre 2014 au 16 février 2015, de trois heures par semaine du 17 février 2015 au 3 mars 2015 et d'une heure par semaine du 4 mars 2015 au 3 novembre 2015.

Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi par M. [F], à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 3] 1983, de son activité de chef d'atelier en mécanique automobile au chômage au moment de l'accident et de la date de consolidation, ce afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

M. [F] était âgé de 31 ans au moment de l'accident et de 32 ans au moment de la consolidation. Il est à ce jour âgé de 40 ans.

Préjudices patrimoniaux

permanents (après consolidation)

- Perte de gains professionnels futurs Rejet

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

Cette perte s'apprécie concrètement au regard des revenus perçus par la victime avant l'accident, par comparaison avec ceux perçus après la consolidation.

Au moment de l'accident, M. [F] était sans emploi, à la suite d'un licenciement le 11 juin 2014 par son employeur la société Gema automobiles.

Cette circonstance ne peut à elle seule suffire pour considérer que les séquelles ne sont à l'origine d'aucune perte de gains professionnels après la consolidation si la victime démontre qu'elle a perdu une chance, en raison des séquelles, de concrétiser une promesse d'embauche.

En l'espèce, M. [F] justifie par trois attestations de plusieurs promesses d'embauche :

- une attestation de la société Hyundai du 31 janvier 2020 indiquant que 'conformément à notre courrier du 27 mars 2015 M. [F] devait intégrer notre équipe en qualité de chef d'atelier auto à compter du 1er novembre 2014 à des conditions de rémunération identiques à celles de son précédent poste',

- une attestation de la société Jean Calvin du 27 mars 2015 : 'M. [F] devait intégrer notre équipe le 1er novembre 2014 en qualité de chef d'atelier automobile' ;

- une attestation de la société Gema automobiles 20 avril 2015 indiquant 'nous vous confirmons la reprise de votre poste du 3 mai 2015 (chef d'équipe réceptionnaire après vente) cadre de niveau II position A.

Ces attestations démontrent le caractère sérieux des trois promesses d'embauche dont il se prévaut, dont une de son ex-employeur, sur laquelle il était prioritaire au titre d'un contrat de sécurisation professionnelle conclu le 25 juin 2015.

Cependant, selon l'expert, les séquelles ne sont à l'origine d'aucune perte de gains après consolidation. Tout au plus retient il une incidence professionnelle au titre de 'l'abandon de la mécanique automobile et une fatigabilité nerveuse avec le bruit'.

Le poste offert à M. [F] par son ex-employeur dans le cadre d'une réembauche est décrit comme un poste d'encadrement. Il prévoit un salaire de 2 800 € bruts mensuels auquel s'ajoute la prise en charge de la moitié des cotisations mutuelle (Generali gestion santé).

La nature des séquelles, telles que décrites par l'expert, l'empêche uniquement d'exercer un emploi de mécanicien automobile et/ou un emploi à la faveur duquel il serait exposé au bruit.

Le poste qui lui a été proposé en avril 2015 par son ancien employeur est identique à celui qu'il exerçait avant son licenciement. Il en va de même du poste proposé par la société Hyundai puisqu'il s'agit d'un poste de chef d'atelier.

La fiche métier de Pôle empoi concernant le poste chef d'atelier automobile décrit les tâches professionnelles induites par ce poste comme suit : supervision et contrôle de l'entretien du parc auto, suivi d'une flotte de véhicules professionnels de clients. Savoir faire : planifier l'activité du personnel, affecter le personnel sur des postes de travail, suivi des éléments d'activité et de gestion administrative du personnel, planification des réparations, contrôle des réparations, suivi et contrôle de la conformité réglementaire d'utilisation des véhicules, identification des non conformités, détermination des actions correctives, formation du personnel à des procédures techniques, réalisation de contrôles techniques, identification des besoins de réparation et des interventions nécessaires.

Le chef d'atelier a donc pour tâche de coordonner l'activité de l'atelier automobile et d'assurer l'interface entre les mécaniciens et les clients.

Si ces tâches nécessitent de bonnes connaissances en mécanique et un savoir faire afin d'assurer une supervision du travail de révision et d'entretien des véhicules et de recherche de l'origine de pannes ainsi qu'un contrôle efficace des réparations réalisées par les mécaniciens, elles n'impliquent pas la réalisation de tâches de mécaniques, lesquelles sont assurées par les mécaniciens eux mêmes.

M. [F] ne démontre donc pas en quoi les séquelles dont il est atteint l'empêchent de réaliser les tâches d'un chef d'atelier dans une concession automobile.

Les courriers de M. [T] de la société Hyundai en date des 27 mars 2015 et 31 janvier 2020 ne renseignent pas sur la raison pour laquelle son recrutement sur le poste qui lui était proposé n'a pu être finalisé. Il n'y est pas indiqué que ce sont les séquelles de l'accident qui ont contre-indiqué l'embauche proposée en novembre 2014.

Il n'est justifié par aucune pièce des raisons pour lesquelles son recrutement par son ex-employeur n'a pas été concrétisé.

Dans un document intitulé synthèse du projet professionnel, l'association Handy Job 06, indique que le docteur [G], médecin du travail, rencontré le 21 octobre 2016, a retenu les contre-indications suivantes : port de charges et de manutention répétées, contraintes posturales et de contorsions, travail en position accroupie, contact clientèle de manière répétée, marche prolongée, monter/descendre les escaliers, alterner les positions assis/debout, travail impliquant la force manuelle et des gestes répétitifs, travail les bras en l'air ou avec utilisation de produits irritants, travail devant un écran d'ordinateur, répondre au téléphone.

Ces contre-indications sont reprises dans un courrier que l'association a adressé à M. [F] le 5 janvier 2017.

Cependant, le docteur [G] ne s'est pas prononcé en qualité d'expert mais de médecin du travail, de sorte que sa mission ne consistait pas à déterminer la capacité de travail de M. [F] en regard des seules séquelles de l'accident.

Par ailleurs, outre que ces contre-indications ne sont toutes retenues par l'expert, l'impossibilité dans laquelle M. [F] se trouverait, du fait des séquelles de l'accident, d'assumer un contact avec la clientèle, un travail devant ordinateur ou de répondre au téléphone n'est pas explicitée. Ce document est taisant sur l'origine de cette impossibilité.

Les séquelles de l'accident, dont l'assureur doit indemniser les conséquences dans la sphère professionnelle, consistent d'une part en une limitation des mouvements de la cheville, de la main et à un faible degré du genou, du coude avec une légère diminution de force musculaire, d'autre part en une fatigue intellectuelle avec de légers troubles du caractère.

Les séquelles physiques ne sont pas de nature à contre-indiquer un poste impliquant un contact avec la clientèle, un travail devant ordinateur ou au téléphone.

Quant aux séquelles psychiques, l'expert en a admis la réalité mais n'a pas considéré qu'elles affectaient la capacité de M. [F] à percevoir des gains professionnels puisqu'il retient tout au plus une impossibilité d'exercer la profession de mécanicien automobile et une fatigabilité nerveuse en cas de confrontation à une ambiance bruyante.

Or, le poste de chef d'atelier, compte tenu des tâches ci dessus décrites, est suffisamment polyvalent pour que M. [F] ne soit pas en continu confronté aux contre-indications précitées.

Au demeurant, dans son bilan, l'association Handy 06 retient comme pistes de travail des emplois de gestionnaire de parc automobile (considéré comme envisageable sous réserve que le travail en atelier de mécanique ne soit pas supérieur à trois heures par jour), monteur/câbleur en électronique (envisageable si travail en atelier), électronicien de contrôle et de maintenance (envisageable sous réserve d'un travail en atelier) électronicien de test et développement (envisageable) technicien supérieur électromoticien (envisageable si pas d'installation de matériel), domoticien (adapté physiquement si pas d'installation de matériel).

Ces emplois ne sont pas fondamentalement différents d'un poste de chef d'atelier en concession automobile en ce qui concerne les contraintes physiques et psychiques induites.

Depuis sa reconversion, M. [F] occupe un poste de vendeur en téléphonie, ce qui démontre qu'il est en mesure de se confronter à la clientèle, de travailler sur ordinateur et de répondre au téléphone.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, sur le plan médico-légal, les séquelles de l'accident ne sont pas la cause de la perte de chance alléguée d'être recruté comme chef d'atelier.

Il n'est pas davantage démontré que M. [F], sans emploi à la date de l'accident même s'il se trouvait toujours sur le marché de l'emploi, n'était pas en mesure à compter de la consolidation de rechercher un emploi lui permettant de percevoir des gains professionnels équivalents à ceux qu'il percevait avant d'être licencié.

Dès lors qu'il était en mesure de reprendre son poste au sein de la société Gema, M. [F] ne justifie pas que la perte de prise en charge d'une partie de ses cotisations de mutuelle et/ou de prévoyance, est en relation de causalité avec l'accident et les séquelles qu'il a provoquées. Un retour dans son entreprise lui a d'ailleurs été proposé à compter du 3 mai 2015, date à laquelle il aurait pu de nouveau bénéficier de cette prise en charge s'il avait, comme il le pouvait, favorablement répondu à la promesse d'embauche de son ex-employeur.

En considération de ces éléments, la demande au titre d'une perte de gains professionnels futurs ne saurait prospérer et sera rejetée.

- Incidence professionnelle 45 000 €

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser, non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de la perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe en raison du dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance du handicap.

En l'espèce, M. [F] réclame une indemnisation au titre d'un préjudice de carrière, de l'abandon d'un projet professionnel, du coût de la formation nécessaire pour assurer son reclassement professionnel et d'une perte de vie sociale.

La définition du poste incidence professionnelle a été rappelée ci dessus.

L'évaluation de ce poste implique de prendre en considération la catégorie d'emploi exercée (manuel, sédentaire, fonctionnaire etc.), la nature et l'ampleur de l'incidence (interdiction de port de charge, station debout prohibée, difficultés de déplacement, pénibilité, fatigabilité etc.), les perspectives professionnelles et l'âge de la victime (durée de l'incidence professionnelle).

En l'espèce, avant l'accident, M. [F] exerçait un emploi de chef d'atelier en concession automobile.

Selon l'expert, les séquelles impactent la sphère professionnelle en ce qu'il a été contraint d'abandonner la mécanique automobile et souffre d'une fatigabilité nerveuse à cause du bruit.

Cependant, M. [F] ne démontre pas, au regard des développements afférents au poste perte de gains professionnels futurs, qu'il n'est plus en mesure du fait des séquelles de continuer à exercer le métier de chef d'atelier automobile.

Il n'est donc pas fondé à réclamer une indemnisation au titre de l'abandon de la profession exercée avant l'accident, pas plus que d'une perte de chance de faire carrière dans ce métier et de bénéficier d'une évolution de salaire.

Le coût de la formation entreprise pour se reclasser n'est pas davantage en lien de causalité avec l'accident puisque sur le plan médico-légal, M. [F] était en mesure après consolidation de ses blessures, de reprendre un poste de chef d'atelier tel que le lui proposaient son ex-employeur et d'autres sociétés automobiles.

Enfin la perte de vie sociale alléguée n'est démontrée par aucune pièce probante puisque M. [F] est en mesure de travailler et travaille au demeurant.

En revanche, les séquelles entament son potentiel physique et psychique et, partant, son employabilité et sont à l'origine d'une pénibilité d'exécution des tâches professionnelles puisque s'il ne lui est pas impossible d'occuper des postes en relation avec une clientèle et/ou le confrontant au bruit, la fatigabilité dont il est atteint est de nature à rendre ces tâches plus pénibles pour lui.

Il existe donc, sur un marché de l'emploi concurrentiel, une dévalorisation sur le marché de l'emploi et une pénibilité du travail qui ne peuvent demeurer sans réparation.

M. [F] demande à la cour d'évaluer l'incidence professionnelle des séquelles de l'accident par référence, d'une part au revenu qu'il était en mesure d'espérer, d'autre part à un taux d'incidence professionnelle, le tout corrélé au pourcentage de chance de retrouver un emploi et à un indice de rente viagère compte tenu de son jeune âge et de la perte de droits à la retraite induite.

La prohibition de l'évaluation forfaitaire du préjudice signifie, non que le juge a l'obligation de rendre compte de sa méthode de calcul, mais qu'il doit fonder sa décision à partir des critères expressément évoqués dans la nomenclature, parmi lesquels la pénibilité, la perte de chance professionnelle, l'abandon d'une profession et la dévalorisation sur le marché du travail, sur des éléments concrets et la situation propre de la victime.

La méthode de calcul proposée par M. [F] est fondée sur une corrélation entre le salaire et l'état séquellaire, prenant pour postulat de départ que la rémunération est le seul instrument objectif de mesure des paramètres bouleversés par l'accident. Or, si la pénibilité, les chances d'évolution professionnelles et l'intérêt porté aux tâches professionnelles ont indiscutablement une valeur économique au sein de la relation de travail qui existe avant un accident, il ne peut pour autant être considéré qu'ils constituent la mesure de la rémunération.

En conséquence, le coût de l'atteinte portée à ces paramètres en cas de séquelles en partie ou totalement invalidantes ne peut être mesurée à l'aune de la rémunération elle-même corrélée à un coefficient d'incidence professionnelle, étant rappelé que l'impact des séquelles sur la rémunération relève du poste perte de gains, l'incidence professionnelle ayant pour seule vocation d'indemniser les incidences périphériques du dommage dans la sphère professionnelle, c'est à dire hors perte de gains.

Il résulte de ces éléments que si le juge doit tenir compte de la nature des restrictions physiologiques et psychologiques médico-légales pour déterminer leur impact dans la sphère professionnelle, il ne saurait les corréler directement aux gains perçus, manqués ou espérés.

M. [F] était âgé de 32 ans au jour de la consolidation, de sorte qu'il avait encore à cette date au moins trente ans à travailler avant de faire valoir ses droits à la retraite.

En l'absence de perte de gains professionnels futurs imputable à l'accident, il ne démontre pas en quoi l'accident est à l'origine d'une quelconque perte de droits à la retraite sans qu'il soit nécessaire de surseoir à statuer sur ce point.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de lui allouer, au titre de l'incidence professionnelle, une indemnité de 45 000 € au titre d'une pénibilité accrue d'exécution des tâches professionnelles et d'une dévalorisation sur le marché du travail.

La CPAM ne lui a servi aucune prestation après consolidation. En l'absence de rente à imputer, cette somme lui revient en totalité.

En application de l'article 1231-7 du code civil, l'indemnité portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 15 février 2021.

Sur la demande de doublement du taux de l'intérêt légal

La déclaration d'appel de la société AIG Europe mentionne expressément la disposition du jugement qui a dit que le montant des indemnités produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement définitif.

Cependant, ses conclusions, qui déterminent l'objet du litige, ne contiennent aucune demande relative à cette sanction.

En application de l'article 954 du code de procédure civile la cour ne statue que sur les prétentions figurant au dispositif des conclusions.

En l'espèce, le dispositif des conclusions de la société AIG ne comporte aucune prétention relative à la sanction de l'article L 211-13 du code des assurances, en dépit des termes de la déclaration d'appel saisissant la cour.

M. [F] sollicite quant à lui la confirmation du jugement qui a dit que le montant des indemnités produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement définitif.

L'appel de la société AIG Europe n'étant pas soutenu sur ce point, la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le montant des indemnités produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement définitif.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont confirmées.

La société AIG Europe, qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation, supportera la charge des entiers dépens d'appel. L'équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité justifie d'allouer à M. [F] une indemnité de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société AIG Europe à payer à M. [F] la somme de 1 355 415,40 € à raison de 1 202 528,04 € au titre de la perte de gains professionnels futurs et 152 887,36 € au titre de l'incidence professionnelle, sauf à déduire de ces sommes les provisions versées ;

Le confirme pour le surplus des dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Condamne la société AIG Europe à payer à M. [B] [F] une somme de 45 000 € au titre de l'incidence professionnelle, avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2021 ;

Déboute M. [F] de sa demande au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

Déboute la société AIG Europe de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne la société AIG Europe à payer à M. [B] [F] une indemnité de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;

Condamne la société AIG Europe aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 21/03198
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.03198 ?
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