COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 16 MAI 2023
N° 2023/ 361
Rôle N° RG 22/02727 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI5HL
[L] [K]
C/
S.A. SA D'HLM 3 F SUD RÉ
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Eve MORI-CERRO
Me Lucile PALITTA
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de proximité de MARTIGUES en date du 25 Janvier 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-21-000571.
APPELANT
Monsieur [L] [K]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/3260 du 15/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 9] (MAROC), demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Eve MORI-CERRO de la SELEURL MORI-CERRO AVOCAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assisté de Me Nadia EL BOUROUMI de la SELAS PRAETEOM AVOCATS, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMEE
SA D'HLM 3F SUD
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 6]
représentée par Me Lucile PALITTA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 mars 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La société anonyme (SA) 3F SUD, qui vient aux droits de la SA d'Habitation à Loyer Modéré Méditerranée, est propriétaire d'une grande maison avec jardin de type 5 située [Adresse 1], à [Localité 8].
Cette maison avait été donnée à bail à monsieur [V] [N] selon contrat en date du 25 juin 1982.
Ce dernier est décédé et la maison a été reprise par la SA 3F SUD le 30 septembre 2021.
Un de ses salariés, chargé de tournées de patrimoine, s'étant aperçu qu'un couple s'y était installé sans autorisation, une plainte a été déposée le 25 octobre 2021.
Un huissier de justice, commis à cet effet, s'est ensuite rendu sur place, a constaté la réalite de l'occupation et appris d'un voisin que l'installation de la famille en question était intervenue le 22 octobre précédent.
Par acte d'huissier en date du 24 novembre 2021, la SA 3F SUD a fait assigner M. [L] [K] devant le juge de référés du tribunal de proximité de Martigues aux fins d'entendre ordonner son expulsion, fixer à 900 euros l'indemnité mensuelle d'occupation et de se voir allouer une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire en date du 25 janvier 2022, ce magistrat a :
- dit que M. [L] [K] était occupant sans droit ni titre de la maison située [Adresse 1], à [Localité 8] ;
- ordonné son expulsion et celle de tous occupants de son chef, avec l'assistance de la force publique si besoin ;
- condamné M. [L] [K] au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation et ce, à compter du 23 octobre 2021 et jusqu'à libération des lieux ;
- condamné M. [L] [K] à payer à la SA 3F SUD la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [L] [K] aux entiers dépens.
Selon déclaration reçue au greffe le 23 février 2022, M. [L] [K] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par dernières conclusions transmises le 28 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il sollicite de la cour qu'elle réforme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
- fixe à 12 mois le délai qui lui sera accordé ainsi qu'aux occupants de son chef pour quitter le logement situé [Adresse 1], propriété de la SA HLM 3F SUD ;
- déboute la SA HLM 3F SUD de sa demande tendant à déterminer l'indemnité d'occupation à mettre à sa charge à la somme de 900 euros par mois et ce, à compter du 23 octobre 2021 et jusqu'à libération des lieux ;
- fixe le montant de l'indemnité d'occupation à mettre à sa charge à la somme de 500 euros ;
- réserve les frais de justice et les dépens.
Par dernières conclusions transmises le 25 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SA 3F SUD sollicite de la cour qu'elle confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, déboute M. [K] de l'ensemble de ses demande et le condamne aux dépens d'appel ainsi qu'à lui verser une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 14 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[Adresse 4] France
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.
Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
L'article 545 du même code dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.
En application des dispositions de ces textes, le droit de propriété revêt un caractère absolu de sorte que toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite. Il n'en va autrement que si le droit de propriété invoqué est sérieusement contesté. Dans ce cas, en effet, l'illicéité du trouble allégué perd son caractère manifeste.
M. [L] [K] ne conteste pas que, sans prévenir et, a fortiori, sans obtenir une quelconque autorisation de la société 3F Sud, il a pris possession des lieux, le vendredi 22 octobre 2021, et s'y est installé avec sa famille. Il s'en est d'ailleurs expliqué et excusé dans le courrier qu'il a envoyé 24 novembre suivant à l'intimée.
L'ordonnance entreprise ne peut donc qu'être confirmée en ce qu'elle a dit que M. [L] [K] était occupant sans droit ni titre.
Elle le sera également en ce qu'elle a, à défaut de départ volontaire, ordonné son expulsion pour faire cesser le trouble manifestement illicite ainsi caractérisé, une telle mesure étant justifiée par la nécessité de faire respecter le droit de propriété, auquel ne peut, en l'espèce, être opposé le droit au logement puisqu'il résulte de pièces versées aux débats que la famille de M. [K] bénéficiait d'un bail d'habitation, consenti par la société Famille Provence et portant sur un appartement de type 3, au moment où elle a pris la décision de prendre possession de la maison située[Adresse 1], à [Localité 8].
Enfin au vu des photographies jointes au procès-verbal de constat dressé par Maître [Y] [F] le 25 octobre 2021, rapprochées de celles intégrée au 'constat contradictoire' de sortie des lieux daté du 30 septembre précédent, la valeur locative du bien peut, sans conteste, être évaluée à 900 euros. M. [K] ne verse d'ailleurs aux débats aucun élément objectif permettant de constester cette évaluation.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné M. [L] [K] à payer à la société 3F Sud une indemnité mensuelle d'occupation de 900 euros à compter du 23 octobre 2021 et jusqu'à libération des lieux.
[Localité 7] France
Sur la demande de délais
Aux termes de l'article L 412-1 alinéa 1 du code des procédure civile d'exécution, si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7 : toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. Ce texte ajoute que le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque le juge qui ordonne l'expulsion constate que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.
L'article L 412-2 du même code dispose que lorsque l'expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d'une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l'année considérée ou des circonstances atmosphériques, le délai prévu à l'article L. 412-1 peut être prorogé par le juge pour une durée n'excédant pas trois mois.
L'article L 412-3 du même code énonce que le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.
Le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions.
L'article L 412-4 dispose que la durée des délais prévus à l'article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.
Aux termes de l'article 613-1 du code de la construction et de l'habitation, le sursis à l'exécution des décisions d'expulsion est régi par les articles L. 412-3, L. 412-4, L. 412-6 à L. 412-8 du code des procédures civiles d'exécution.
En l'espèce, il s'évince de deux attestations du docteur [W] [R], pédopsychiatre, en date des 18 juin 2020 et 21 octobre 2021, ainsi que d'un courrier de Mme [E] [P] du 10 novembre 2020, que le précédent logement de M. et Mme [K] situé au 4ème étage d'un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 8] présentait des risques de chûte pour leur fille [O], née le [Date naissance 5] 2017 et suivie en hôpital de jour pour des 'troubles du développement'. Il n'est en outre pas contesté que, dès le mois de septembre 2020, ils avaient formalisé une demande de relogement auprès de leur bailleur, la société Famile Provence.
Il n'en reste pas moins qu'alors que 18 mois se sont écoulés depuis leur entrée dans les lieux et 14 depuis que l'ordonnance entreprise a été rendue, ils ne justifient d'aucune nouvelle démarche pour obtenir un relogement baillé. Au demeurant, comme indiqué supra, ils n'ont pas actualisé leurs conclusions déposées le 25 avril 2022.
Ayant dès lors bénéficié de 14 mois de délais imputables au déroulé de la procédure d'appel et aux délais d'audiencement, ils ne sauraient en solliciter davantage.
La demande de délais formulée par M. [K] sera donc rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné M. [L] [K] aux dépens et à payer à la SA 3F SUD la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 600 euros en cause d'appel.
M. [L] [K] supportera en outre les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute M. [L] [K] de sa demande de délais ;
Condamne M. [L] [K] à payer à la SA 3F Sud la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [L] [K] aux dépens d'appel.
La greffière Le président