La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/05/2023 | FRANCE | N°18/12266

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 11 mai 2023, 18/12266


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 11 MAI 2023



N° 2023/





Rôle N° RG 18/12266 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC2IE







Compagnie d'assurances AXA FRANCE





C/



[X] [V] [T]

[N] [C] épouse [T]

[P] [T]

[G] [T]

[V] [A]















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Julie DE VALKENAERE





Me Layla TEBIEL

<

br>
















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 19 Juin 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 15/01267.





APPELANTE



Compagnie d'assurances AXA FRANCE

, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Julie DE VA...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 11 MAI 2023

N° 2023/

Rôle N° RG 18/12266 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC2IE

Compagnie d'assurances AXA FRANCE

C/

[X] [V] [T]

[N] [C] épouse [T]

[P] [T]

[G] [T]

[V] [A]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie DE VALKENAERE

Me Layla TEBIEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 19 Juin 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 15/01267.

APPELANTE

Compagnie d'assurances AXA FRANCE

, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Julie DE VALKENAERE, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Monsieur [X] [V] [T]

né le 04 Août 1950 à [Localité 9] ([Localité 1]), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Layla TEBIEL de la SCP BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Alexa PECCIARINI, avocat au barreau de NICE

Madame [N] [C] épouse [T]

, demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Layla TEBIEL de la SCP BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Alexa PECCIARINI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [P] [T]

né le 11 Décembre 1978 à [Localité 7] ([Localité 6]), demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Layla TEBIEL de la SCP BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Alexa PECCIARINI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [G] [T]

né le 09 Octobre 1981 à [Localité 8] ([Localité 1]), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Layla TEBIEL de la SCP BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Alexa PECCIARINI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [V] [A]

, demeurant [Adresse 2]

défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Inès BONAFOS, Présidente, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Madame Angélique NAKHLEH, Conseillère

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023.

ARRÊT

EXPOSÉ DES FAITS

Selon marché de travaux en date du 17 décembre 1985 monsieur [X] [T] et madame [N] [C] épouse [T] ont confié à monsieur [V] [A] des travaux de gros 'uvre et de maçonnerie afin d'édifier une villa et la réalisation d'une piscine.

Les travaux ont été achevés à la fin de l'année 1986 ;

Des fissures sont apparues dans la piscine ainsi que sur les murs de la maison ;

Une déclaration de sinistre a été effectuée auprès de la compagnie AXA le 11 mai 1995 ;

La compagnie AXA refusant d'indemniser les époux [T], un expert a été désigné par ordonnance de référé en date du 24 juillet 1996 ;

Par acte en date du 15 mai et 6 août 2001, monsieur [X] [T] et Madame [N] [C] épouse [T] ont fait citer devant le Tribunal de Grande Instance Grasse Monsieur [V] [A] et la compagnie AXA ASSURANCES aux fins d'être indemnisés de leurs différents préjudices;

Par jugement du Tribunal de Grande Instance de Grasse en date du 17 septembre 2004, le juge du fond a jugé que les désordres constatés par l'expert monsieur [F] dans son rapport relevaient de la garantie décennale et étaient imputables à l'entreprise [A].

Monsieur [A] et la compagnie d'assurance AXA ont été condamnés in solidum à verser aux requérants une somme de 219.503,26 euros HT, indépendamment des frais avancés en cours d'expertise et des préjudices de jouissance.

Suite à la réalisation des travaux de reprise préconisés par l'expert, les époux [T] ont fait état de nouvelles fissures affectant la piscine et la maison et ont obtenu par ordonnance de référé en date 10 mars 2010 la désignation d'un expert judiciaire en la personne de monsieur [J] au contradictoire de monsieur [V] [A] et de la compagnie d'assurances AXA FRANCE ;

L'expert judiciaire a rendu son rapport en date du 14 octobre 2014 ;

 

Par actes du 12 février 2015, les époux [T] ont assigné monsieur [V] [A] et  la compagnie d'assurances AXA France pour obtenir réparation de ces nouveaux désordres.

 

Par jugement en date du 19 juin 2018, le Tribunal de Grande instance de Grasse :

 

Vu les articles 1792 et suivants du Code Civil,

 

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD à verser à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] les sommes suivantes :

-                   18 423,19 euros pour faire réaliser la campagne de reconnaissance de sol préconisée par l 'expert,

-                   27 866,92 euros pour faire procéder à une étude technique de structure et à l'établissement des préconisations,

-                   583 301,7 euros TTC, correspondant au montant des travaux nécessaires pour la réalisation des travaux de reprise de gros 'uvre et de fondation,

-                   148 994,84 euros correspondant au montant des travaux de remise en état des dommages causés aux embellissements de la villa,

-                   40 000 euros pour le préjudice de jouissance et le préjudice moral ;

 

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD à verser à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

 

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD aux entiers dépens de la présente instance avec distractions au profit de Maître Florence BENSA en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

 

En substance le juge du fond a estimé qu'il apparaît à la lecture du rapport d' expertise de monsieur [J] que les désordres qu'il a constatés s' analysent en des désordres évolutifs constitutifs d'une aggravation des désordres initiaux, à savoir des fissures ayant affecté les façades de la villa, désordres initiaux dont le caractère décennal a été constaté judiciairement par jugement du 17 septembre 2004 ; cette aggravation des désordres a pour origine les mêmes défauts de conception de l' ouvrage et pour cause l'insuffisance des travaux de reprise préconisés dans le premier rapport d' expertise de monsieur [F] ;  ce dernier nuançait d' ailleurs en page 34 de ses conclusions en indiquant que « toutefois , si de nouveaux désordres plus importants devaient apparaître, il faudrait alors envisager des travaux de reprise plus conséquents.

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe le 20 juillet 2018, la Compagnie d'assurances AXA FRANCE a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD à verser à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] les sommes suivantes :

18 423,19 euros pour faire réaliser la campagne reconnaissance de sol préconisée par l 'expert,

27 866,92 euros pour faire procéder à une étude technique de structure et à l'établissement des préconisations,

583 301,7 euros TTC, correspondant au montant des travaux nécessaires pour la réalisation des travaux de reprise de gros 'uvre et de fondation,

148 994,84 euros correspondant au montant des travaux de remise en état des dommages causés aux embellissements de la villa,

40 000 euros pour le préjudice de jouissance et le préjudice moral ;

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD à verser à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T],monsieur [G] [T] une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

CONDAMNE in solidum monsieur [V] [A] et la compagnie AXA France IARD aux entiers dépens de la présente instance.

Par conclusions du 13 janvier 2023 la Compagnie d'assurances AXA France IARD, appelante sollicite voir :

La compagnie d'assurance AXA France IARD conclut à l'infirmation du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Grasse le 19 juin 2018. Elle soutient que les désordres dont il est fait état sont exclusivement de nature esthétique et ne relèvent pas en conséquence des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil, ayant été dénoncés de surcroit plus de 10 ans après l'achèvement des travaux.

En effet, si l'expert dit qu'à terme l'immeuble est impropre à sa destination, il n'en demeure pas moins que les désordres constatés sont d'ordre esthétique, que la preuve de leur manifestation sous une forme rendant l'ouvrage impropre à sa destination dans le délai de la garantie décennale n'est pas rapportée.

Vu les dispositions des articles 1792 et suivants du Code Civil,

Vu le rapport d'expertise déposé par Monsieur [E] [J] le 14 octobre 2014,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la 2ème Chambre Civile du Tribunal de Grande Instance de Grasse en date du 19 juin 2018,

Ce faisant,

JUGER qu'à dire d'expert, 32 ans après la réception, les désordres allégués et objet de sa mission sont d'ordre exclusivement esthétiques et ne sont donc pas de la nature de ceux relevant des dispositions des articles 1792 et suivants du Code Civil,

JUGER que les désordres en cause ne sont donc pas susceptibles de mobiliser la garantie décennale, le délai de dix ans étant un délai d'épreuve, étant rappelé que les travaux d'origine ont été achevés en fin d'année 1986,

JUGER que les désordres en cause ne s'analysent pas en une aggravation, remplissant les conditions de gravité exigées par les dispositions de l'article 1792 du Code Civil, d'un précédent désordre de nature décennale judiciairement dénoncé à l'intérieur du délai d'épreuve de 10 ans, mais en une nouvelle manifestation d'un précédent désordre de nature décennale judiciairement dénoncé à l'intérieur dudit délai d'épreuve relevant de la catégorie des désordres dits esthétiques et partant non susceptibles de rendre l'ouvrage impropre à sa destination ou de le compromettre dans sa solidité

JUGER que les désordres en cause ne relèvent donc pas de la catégorie des désordres dits évolutifs,

En conséquence,

DEBOUTER les époux [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

LES CONDAMNER au paiement de la somme de 4000 € en cause d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens

Monsieur [X] [V] [T], madame [N] [D] [C], monsieur [P] [W] [T] (conclusions du 13 Janvier 2023) sollicitent voir :

Les consorts [T] sollicitent la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a condamné solidairement Monsieur [V] [A] et la compagnie d'assurances AXA à les indemniser du coût des travaux de reprise des désordres. En ce sens ils font valoir que les nouveaux désordres constatés par l'expert judiciaire monsieur [J] ne sont que la continuation du vice de construction initial qui s'est manifesté et a été dénoncé dans le délai d'épreuve décennale

Les consorts [T] forment également appel incident à l'encontre du jugement du 19 juin 2018 en cela qu'il a fixé à une somme de 40.000 euros le préjudice de jouissance et le préjudice moral reconnu au profit des concluants.

Par ailleurs, pour tenir compte de l'impact de la durée de la procédure d'appel sur les montants définis au titre des multiples et conséquents travaux à entreprendre, il sera demandé à la Cour leur réévaluation au regard de l'indice de la construction comme demande accessoire à leur confirmation

Vu le rapport d'expertise déposé par Monsieur [E] [J] le 14 octobre 2014,

Vu l'article 1792 du code civil,

Subsidiairement, vu les articles 1147 anciens et suivants du code civil,

- Débouter la compagnie d'assurances AXA et tous concluants adverses de toutes se demandes, fins et conclusions.

Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de ce qu'il a fixé à la somme de 40.000 euros le préjudice de jouissance et le préjudice moral des concluants.

Réformer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme de 40.000 euros le préjudice de jouissance et le préjudice moral des concluants, et statuant de nouveau à cet égard, condamner solidairement monsieur [V] [A] et la compagnie d'assurances AXA à payer aux concluants :

la somme de 5.000 euros au titre du trouble de jouissance résultant des dommages affectant la villa,

la somme de 60.000 euros au titre du trouble de jouissance qui résultera de la réalisation de travaux de reprise (inhabitabilité de la villa pendant la réalisation des travaux, nuisances engendrées par les travaux de remise en état de la villa),

la somme de 20.000 euros au titre de leur préjudice moral.

Juger que compte tenu de la durée de la procédure, les sommes allouées par les dispositions confirmées du jugement déféré au titre des travaux de reprise seront à réévaluer au jour de l'arrêt selon l'indice BT01 des prix du bâtiments, l'indice de référence étant celui applicable au mois d'octobre 2014 (105).

Condamner encore solidairement la compagnie AXA et monsieur [A], à payer d'ores et déjà aux intimés la somme de 13.139,57 €, montant acquitter des frais d'expertise de l'expert judiciaire [J].

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire le jugement déféré devait être infirmé sur les motivations critiquées, juger que monsieur [V] [A] a commis une faute lourde dans la conception des travaux qui l'oblige à réparer le préjudice subi par les concluants du chef des nouveaux désordres qui en sont la cause, et le condamner à ce titre, ainsi que solidairement son assureur AXA, à les en indemniser à hauteur des sommes définies dans le rapport d'expertise de monsieur [J] du 14 octobre 2014.

Préciser que les intérêts qui seront dus au moins pour une année entière des causes du présent arrêt se capitaliseront en application de l'article 1343-2 du Code civil.

Condamner solidairement monsieur [V] [A] et la compagnie d'assurances AXA à payer aux requérants la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner solidairement monsieur [V] [A] et la compagnie d'assurances AXA aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Layla TEBIEL selon son affirmation de droit.

Monsieur [V] [A] n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifié par acte en date du 27 Septembre 2018. Les conclusions des appelants incidents consorts [T] et [C] lui ont été signifiées par acte en date du 18 Janvier 2019.

L'affaire a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 janvier 2023 et fixée à l'audience du 15 Février 2023.

MOTIVATION

Il ressort d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Grasse du 17 septembre 2004 que les époux [T] ont conclu le 17/12/1985 un marché de travaux avec l'entreprise [V] [A] portant sur des travaux de maçonnerie et gros 'uvre d'édification d'une villa pour un prix de 926 142,40 francs outre la réalisation d'une piscine pour un prix de 195 392 francs et des travaux divers pour un prix de 98614,40 francs.

Ayant retenu la responsabilité de l'entreprise [V] [A] sur le fondement de l'article 1792 du code civil du fait de désordres constatés par l'expert monsieur [F], le tribunal l'a condamné in solidum avec son assureur AXA ASSURANCE principalement à verser une somme de 219503,26 euros HT réévaluée en réparation des dits désordres.

Désigné par ordonnance de référé du 10 mars 2010 suite à la survenance de nouveaux désordres, monsieur [E] [J] a déposé son rapport le 14 octobre 2014.

Sur la base de ce rapport, le jugement du TGI de Grasse du 19 juin 2018 contesté dans le cadre de la présente instance a condamné in solidum l'entreprise et son assureur à indemniser les consorts [T] des préjudices subis du fait des nouveaux désordres.

L'appel principal

L'assureur critique ce jugement qualifiant les désordres mis en évidence par monsieur [J] comme désordres évolutifs en lien avec les désordres relevés par monsieur [F] dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement du TGI de Grasse du 17 septembre 2004.

Selon l'assureur, il s'agit de désordres futurs.

Les désordres futurs sont des désordres susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou son usage conformément à sa destination qui apparaissent postérieurement à l'expiration du délai de la garantie décennale et qui procèdent d'une causalité différente de celle de désordres survenus sur le même ouvrage avant l'expiration du délai de la garantie décennale ayant fait l'objet d'une action judiciaire.

Les désordres évolutifs sont des désordres susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou son usage conformément à sa destination qui apparaissent également postérieurement à l'expiration du délai d'action au titre de la garantie décennale mais qui ne sont que la suite de l'aggravation de désordres de même nature apparus pendant le délai de la garantie décennale et qui ont fait l'objet d'une dénonciation judiciaire dans le délai de ladite garantie ;

Le jugement du 17 septembre 2004 qualifie les désordres relevés par l'expert monsieur [F] de décennales et condamne in solidum l'entreprise [A] et son assureur AXA à indemniser le maître d'ouvrage notamment à hauteur de 219 503,26 euros HT au titre des travaux de reprise.

Le rapport [F] en date du 25 mai 1999 est versé aux débats par les consorts [T].

Cet expert dont la mission portée sur l'examen de fissures affectant les murs de la maison et la piscine indique :

.Abri voiture : le mur en amont du garage n'est plus vertical, bascule vers l'extérieur et se désolidarise de la maison avec des fissures importantes dans le mur et dans une partie du sol ; le mur est posé sur un mauvais sol , sans fondation valable

.Patio : plusieurs fissures dans le dallage et dans le radier posé sans joint de dilatation

.Maison : plusieurs fissures évolutives en façade, côté aval , en particulier sur le gros pilier à l'aplomb du 1er étage- les fondations sont posées sur un sol douteux, sans tenir compte de la présence d'argile , pourtant certainement visible lors des terrassements.

Il précise que l'ensemble des désordres concerne des problèmes de sol et de malfaçons dans la mise en 'uvre en particulier des fondations (il n'a été effectué aucune étude de sol à l'origine).

Monsieur [E] [J] qui a déposé son rapport le 14 octobre 2014 dans le cadre de la présente procédure a pu constater :

*Sur la façade Sud de la villa de l'Ouest vers l'Est :

-joint de dilatation entre le coin repas et le salon fermé à la base ouvert en partie haute avec basculement vers l'aval de la partie haute droite

-au même endroit, la réouverture d'une fissure oblique en partie haute de la voûte porte-fenêtre du salon et nouvelle fissure à 30 cm de la précédente

-fissures verticales filiformes nouvelles en partie supérieure des voûtes au-dessus des portes fenêtres du salon remontant en s'ouvrant en partie haute au niveau de la gênoise

-dans le trumeau entre les portes fenêtres du salon et de la bibliothèque réouverture d'une fissure oblique en partie haute de la voûte de la porte-fenêtre du salon

* à l'intérieur de la villa

-angle intérieur sud-est du salon fissure millimétrique verticale dans l'angle du trumeau de façade et du refend entre le salon et la bibliothèque se retournant en sous-face du plafond d'une ouverture de 3 à 4 mm et traversant toute la pièce sensiblement au droit du mur pignon Ouest du 1er étage

-fissure filiforme du carrelage en partie centrale du salon qui traverse la pièce de part en part

-angle intérieur nord-ouest du salon fissure filiforme oblique puis horizontale en partie supérieure de la voûte au-dessus de la fenêtre nord donnant sur la cour intérieure

-fissures filiformes dans le mur de refend longitudinal du coin repas et à la base de la voûte entre le coin repas et le salon

*façade Nord de la villa côté cour intérieure :

-fissure verticale millimétrique dans la hauteur de l'allège de la fenêtre du salon, à gauche de la fenêtre,

-fissure horizontale filiforme en partie haute de la voûte de la fenêtre du salon à droite de la fenêtre

*jonction de l'abri de voiture et de l'office :

-à l'intérieur de l'office lézarde verticale d'une ouverture de l'ordre du cm dans l'angle nord-ouest de la pièce à gauche de la porte donnant accès à l'abri voiture

-côté abri voiture, lézarde verticale d'une ouverture de l'ordre du cm dans l'angle sud-ouest à la jonction avec le mur pignon nord de l'office. Le mur ouest en arc de cercle de l'abri voiture est désolidarisé du corps de la villa-aucun chaînage ou raidisseur transversal ne maintient ce mur en partie haute qui a tendance à basculer vers l'extérieur sous l'action des poussées de la charpente bois de la toiture

-dans l'abri voiture fissure ouverte de plusieurs millimètres dans le dallage du sol avec affaissement de la partie aval côté escalier et fissure d'une ouverture de plusieurs millimètres dans un joint de dallage du sol le long du mur pignon nord de l'office

*pergola fermant au nord la cour intérieure :

joint de dilatation fermé en partie basse et ouvert de plus d'un centimètre en partie haute

Selon monsieur [K], sapiteur, les mouvements de sol à l'origine des désordres sont constitués de variations de volume du sol d'assise des fondations constitué d'argiles vertes qui gonflent ou se rétractent sous l'effet des variations hygrométriques.

Visibles dans le vide sanitaire lors de la visite technique, les argiles vertes étaient dans un état de fracturation superficielle important.

Ainsi, l'expert relève que les désordres résultent de l'inadéquation des fondations à la nature du sol constitué pour l'essentiel d'argiles vertes gonflantes, vice du sol visible lors de l'ouverture des fouilles et qui ne pouvait être ignoré par le constructeur.

Les désordres initiaux et les désordres nouveaux ont une origine identique, l'inadéquation des fondations de la villa au sol dont le vice pourtant visible n'a pas été suffisamment pris en compte.

Il s'agit d'une erreur de conception commise lors de la détermination du mode de fondation de la construction sachant que ce chantier a été réalisé sans maîtrise d''uvre de direction générale et d'exécution malgré son importance et n'a pas fait l'objet d'une réception expresse.

Il résulte ainsi de la comparaison des conclusions des deux experts que les désordres initiaux et les désordres actuels ont pour origine la même cause, un vice du sol non pris en considération de manière suffisante lors de la conception des fondations de la villa et de l'exécution de l'ouvrage et sont la conséquence d'une seule et même faute de l'entreprise [A].

Il en résulte également de la comparaison des conclusions des deux experts que les désordres constatés par monsieur [J] affectent l'ouvrage dans la partie où des fissures, désordres de même nature avaient été constatées, sensiblement aux mêmes endroits.

Cet élément est confirmé par les constatations de l'ingénieur structure consulté en 2016 par les maîtres d'ouvrage.

En outre monsieur [J] a relevé que des fissures initiales se sont ouvertes à nouveau.

C'est également en ce sens que conclut monsieur [J] puisqu'il indique que les travaux réalisés suite au rapport de monsieur [F] ayant consisté dans une reprise en sous-'uvre ponctuelle limitée aux fondations d'un trumeau de la façade Sud de la villa était totalement insuffisant pour mettre fin aux effets du vice du sol cause des désordres et constituait d'ailleurs un point dure de nature à favoriser les tassements différentiels sans en être la cause.

L'expert indique que les travaux de reprise qui ont pour objet de stabiliser la structure de la villa en supprimant les influences résultant des mouvements du sol nécessitent de réaliser préalablement une campagne de reconnaissance de sols.

Il ajoute que du fait de l'absence de joint entre la partie R+1et la partie à simple rez-de-chaussée qui constitue un grave vice de conception celle-ci restera soumise aux effets de dilation retrait mais avec pour conséquence des micros fissures inesthétiques ne mettant pas en péril la structure.

Ainsi, l'expertise permet d'opérer une distinction entre les désordres évolutifs qui constituent une aggravation des désordres initiaux de nature décennale objet du précédent litige ayant pour origine le vice du sol et les désordres ayant une source autre qui restent purement esthétiques et ne relèvent pas de la garantie décennale.

Par voie de conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il qualifie les désordres objet de la présente procédure de désordres évolutifs.

L'appel incident des maîtres d'ouvrage

Les maîtres d'ouvrage contestent l'évaluation faite par le tribunal du préjudice de jouissance et du préjudice moral.

Sur le préjudice de jouissance, il convient de rappeler que l'évaluation du préjudice n'est pas le même selon que le bien est occupé par le maître d'ouvrage ou est destiné à la location ;

Dans le premier cas il s'agit d'indemniser une gêne occasionnée dans la jouissance des lieux.

Dans le deuxième cas il s'agit d'un préjudice financier.

La référence à la valeur locative est significative dans le deuxième cas et pour la période de relogement en vue de la réalisation des travaux.

Elle est nettement moins pertinente dans le premier cas où le critère est l'habitabilité du bien, les inconvénients résultant de l'impact sur le cadre de vie des occupants.

L'expert reprend les propositions des consorts [T] sans faire état de références particulières.

Les consorts [T] ne produisent aucun justificatif particulier.

Par voie de conséquence, la décision du premier juge sera confirmée en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice de jouissance résultant des dommages affectant la villa et l'indemnisation du préjudice résultant de la réalisation des travaux soit 40 000 euros.

Sur le préjudice moral c'est à juste titre qu'il est indiqué que la période de référence est à compter de l'année 2010.

Il s'agit là d'indemniser le préjudice résultant de l'impact moral de voir le bien se dégrader progressivement depuis plus de douze ans.

Il sera alloué de ce chef 1200€ x12 ans et 5 mois soit 14 900€.

Les époux [T] sollicitent la réévaluation du préjudice depuis la date de l'expertise compte tenu de la durée de la procédure ;

Cette demande est bien fondée et la somme allouée en fonction de l'expertise de monsieur [J] doit être indexée sur l'indice BT01 du bâtiment.

Les frais d'expertise sont inclus dans les dépens qui sont mis à la charge de l'appelante, partie perdante.

L'équité commande d'allouer aux intimés une somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,  

 

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Grasse sauf s'agissant de l'évaluation du préjudice moral

 

CONDAMNE in solidum la société AXA France IARD à payer à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] la somme de 14900 euros en réparation du préjudice moral.

Y ajoutant,

Dit que seront indexées sur l'indice BT01du bâtiment, l'indice de référence étant le dernier publié à la date du 14 octobre 2014, les sommes suivantes allouées à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] :

- 18 423,19 euros pour faire réaliser la campagne de reconnaissance de sol préconisée par l 'expert,

- 27 866,92 euros pour faire procéder à une étude technique de structure et à l'établissement des préconisations,

- 583 301,7 euros TTC, correspondant au montant des travaux nécessaires pour la réalisation des travaux de reprise de gros 'uvre et de fondation,

- 148 994,84 euros correspondant au montant des travaux de remise en état des dommages causés aux embellissements de la villa,

CONDAMNE la société AXA France IARD à payer à monsieur [X] [T], madame [N] [C] épouse [T], monsieur [P] [T], monsieur [G] [T] la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;CONDAMNE la société AXA France IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel qui incluent les frais d'expertise.

DIT que les dépens seront distraits au profit de maître Layla TEBIEL, avocate.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 18/12266
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;18.12266 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award