COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 10 MAI 2023
N° 2023/0646
Rôle N° RG 23/00646 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLH7O
Copie conforme
délivrée le 10 Mai 2023 par courriel à :
-l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
-le MP
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 09 Mai 2023.
APPELANT
Monsieur [N] [U]
né le 19 Octobre 2002 à [Localité 2] (ALGERIE)
de nationalité Algérienne
comparant en personne, assisté de Me Maeva LAURENS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
INTIME
Monsieur le préfet des Bouches-du-Rhône
Représenté par Monsieur [D] [T]
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté
DEBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 10 Mai 2023 devant Monsieur Nicolas ERNST, Vice-Président placé près le premier président à la cour d'appel délégué par le premier président par ordonnance, assisté de Mme Anaïs DOMINGUEZ, Greffier,
ORDONNANCE
contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2023 à 16h40
Signée par Monsieur Nicolas ERNST, Vice-Président placé près le premier président et Mme Michèle LELONG, Greffier,
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu la décision de placement en rétention prise le 03 mars 2023 par le préfet des Bouches-du-Rhône notifiée le 06 mars 2023 à 10h10;
Vu l'ordonnance du 09 Mai 2023 rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE décidant le maintien de Monsieur [N] [U] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;
Vu l'appel interjeté le le 9 mai 2023 par Monsieur [N] [U] ;
Monsieur [N] [U] a comparu et a été entendu en ses explications ; il déclare : je suis venu en tant que mineur isolé. Mon enfance a été difficile. J'ai vu un médecin hier, le 9/5, au CRA, j'ai été emmené aux urgences. Avant d'être au CRA, je n'ai jamais consulté un psychologue ou un psychiatre. Ce n'est que quand je suis enfermé que j'ai des idées suicidaires, pas quand je suis dehors.
Son avocat a été régulièrement entendu ; il conclut :
- le 6 au soir j'ai eu un message de sa compagne, évoquant des idées suicidaires de M.[U]. Dès le lendemain matin, j'ai demandé qu'il soit conduit devant un médecin. Elle a fait une attestation datée du 7 mai. Je n'ai pas eu de nouvelle. J'ai fait une DML, qui a été rejetée sans audience. Je verse au débat un certificat médical du 9 mai 2023 qui prouve que son état de santé s'est dégradé. Il a été mené aux urgences psychiatriques.
Il est vulnérable : sa situation est incompatible avec la rétention.
En outre, il y a eu atteinte à ses droits car il n'a pas accès à un psychologue, et il a été vu tardivement par un psychiatre. Il a eu accès à un médecin généraliste après 4 jours, ce qui est excessive pour une personne qui a des idées suicidaires.
Pour vous répondre, il n'a pas sollicité l'OFII dans un trop court laps de temps.
Le représentant de la préfecture sollicite :
Quand il a été placé en rétention, nous n'avions aucun élément relatif à une pathologie psychologique. Dès l'admission, il a été présenté, comme tous les retenus, à un infirmier. Comme 80% des retenus, il a des problèmes d'angoisse. Dès lors, il a eu accès à un médecin généraliste, qui l'a vu à plusieurs reprises, qui n'a pas estimé nécessairement de proposer de plus amples soins. Le médecin n'a pas indiqué que son état est incompatible avec la rétention. L'OFII n'a pas été saisie.
Il convient de maintenir l'intéressé en rétention.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Sur l'atteinte aux droits de la personne retenue
Vu les articles 2&3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
L'article R744-14 du CESEDA prévoit que 'Dans les conditions prévues aux articles R. 744-6 et R. 744-11, des locaux et des moyens matériels adaptés permettent au personnel de santé de donner des consultations et de dispenser des soins dans les centres et locaux de rétention.
Les conditions dans lesquelles les établissements de santé interviennent au bénéfice des personnes retenues, en application de l'article L. 6111-1-2 du code de la santé publique, sont précisées par voie de convention passée entre le préfet territorialement compétent et un de ces établissements selon des modalités définies par arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre chargé des affaires sociales et du ministre chargé de la santé. Pour les centres de rétention administrative, cet arrêté précise notamment les conditions de présence et de qualification des personnels de santé ainsi que les dispositions sanitaires applicables en dehors de leurs heures de présence au centre.'
Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 17 novembre 2021, repris dans le mémoire d'appel, chaque unité médicale des centres de rétention administrative comprend des temps de médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues, secrétaires médicaux. (...) L'accès à un psychiatre est assuré y compris en dehors des situations d'urgence.
En l'espèce, la demande de mainlevée de la mesure est présentée comme se fondant sur une attestation datant du 7 mai 2023, aux termes de laquelle Mme [Z] [S] expose que son compagnon, M. [U], lui aurait tenu des propos suicidaires. C'est sur la base de ce pli que, le jour-même, le conseil de l'étranger a sollicité auprès du centre de rétention administrative une consultation en urgence d'un psychiatre.
L'appelant déduit de l'absence de psychologue permanent, de son besoin de suivi psychiatrique, et de la dite attestation, une atteinte à ses droits justifiant la mainlevée de la mesure.
Toutefois, les dispositions ci-dessus rappelées ne commandent pas la présence en permanence d'un psychiatre et d'un psychologue dans les locaux du centre de rétention administrative, disponibles sans délai à la demande des personnes retenues. En outre, M.[U] ne conteste pas qu'il a eu accès à un médecin. Le certificat médical du 9 mai 2023 démontre en effet que l'intéressé a pu voir à plusieurs reprises un médecin depuis le début de la mesure de rétention. Il est en outre constant qu'il a été présenté à un psychiatre au service des urgences psychiatriques de 'lhopital Nord de [Localité 1]. Enfin, il découle des droits afférents à l'arrêté du 3 mars 2023, notifié le 6 mars 2023 à l'intéressé, que celui-ci peut solliciter une évaluation de son état de vulnérabilité auprès de l'OFII, qui assure une permanence au sein du centre de rétention administrative. M. [U] ne conteste pas ne pas avoir sollicité cette évaluation.
Dans ces conditions, les droits de M. [U] n'ont pas été méconnus. Le moyen sera rejeté.
Sur la vulnérabilité de M.[U] et ses effets
Aux termes de l'article L741-4 du CESEDA, 'La décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger.
Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.'
En l'espèce, aux termes d'un certificat médical daté du 9 mai 2023, l'état de santé mentale de la personne retenue se dégrade, en lien avec une pathologie pré-existante. Des idéations suicidaires sont constatées par le médecin généraliste, qui ajoute que 'les conditions de rétention aggravent gravement l'état de santé mentale de M.[U]'.
Il s'en déduit que la vulnérabilité psychiatrique de M.[U] est désormais incompatible avec la mesure de rétention de l'espèce.
Par suite, l'ordonnance déférée sera infirmée et la mainlevée de la mesure ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Infirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 09 Mai 2023.
Statuant à nouveau,
Ordonnons la mainlevée de la mesure de rétention de M.[N] [U] dans des locaux non soumis à la surveillance de l'administration pénitentiaire.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier, Le président,