COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 MAI 2023
N° 2023/148
Rôle N° RG 22/02762
N° Portalis DBVB-V-B7G-
BI5OH
[X] [T]
C/
[D] [W]
PROCUREUR GENERAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Marie BELUCH
Me Romain TAFINI
PROCUREUR GÉNÉRAL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge aux affaires familiales de Grasse en date du 14 décembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 21/02433
APPELANT
Monsieur [X] [T]
né le 06 août 1990 à [Localité 3]
de nationalité française,
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Marie BELUCH de la SELARL CABINET PASSET - BELUCH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Sandra ELMALEH, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Madame [D] [W] Domicile élu au cabinet de Me Romain TAFINI
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/2964 du 08/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
née le 03 mars 1993 à [Localité 5] (TUNISIE),
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain TAFINI, avocat au barreau de GRASSE
PARTIE INTERVENANT
PROCUREUR GÉNÉRAL
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente
Madame Monique RICHARD, Conseillère
Madame Angélique NAKHLEH, Conseillère
qui en ont délibéré.
MINISTERE PUBLIC : Madame Isabelle POUEY, avocat général,
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
Greffier lors des débats : Mme Nathalie BLIN GUYON.
Greffier lors du prononcé : Mme Jessica FREITAS
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023,
Signé par Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente, et Madame Jessica FREITAS, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [X] [T], de nationalité française, et Madame [D] [W], de nationalité tunisienne, ont contracté mariage le 07 mai 2018 à [Localité 4] (TUNISIE) sous le régime de la séparation de bien. L'acte de mariage a été transcrit le 28 juin 2018 sur les actes d'Etat civil français.
Aucun enfant n'est issu de cette union.
Par acte du 20 mai 2021 délivré à l'étude de huissier de justice et dénoncé au Parquet le 17 juin 2021, Monsieur [X] [T] a fait assigner Madame [D] [W] devant le Tribunal Judiciaire de GRASSE aux fins d'obtenir l'annulation du mariage.
Par jugement contradictoire rendu en date du 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a :
- débouté Monsieur [X] [T] de sa demande d'annulation du mariage,
- débouté Monsieur [X] [T] de sa demande de dommages-intérêts,
- débouté Madame [D] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 37-1 de la loi de 1991 et sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Monsieur [X] [T] aux dépens.
Le tribunal a considéré que le demandeur ne rapportait pas la preuve du défaut de consentement de l'épouse qui était prétendue dépourvue d'intention matrimoniale, et dont le but était d'obtenir un titre de séjour en France.
Le 24 février 2022, Monsieur [X] [T] a interjeté appel de ce jugement.
Vu les conclusions notifiées le 17 novembre 2022 par la partie appelante ;
Vu les conclusions notifiées le 23 août 2022 par la partie intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 1er mars 2023 ;
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [X] [T] conclut à la réformation des points critiqués et demande à la Cour statuant à nouveau de :
- constater que l'action nullité a été engagée dans les délais légaux,
- prononcer l'absence d'intention matrimoniale de l'épouse,
- annuler le mariage d'entre les parties,
- ordonner la transcription du dispositif de la décision sur les registres de l'État civil,
- débouter l'intimée de son appel incident,
- condamner Madame [D] [W] à restituer à Monsieur [X] [T], les sommes relatives à la pension alimentaire au titre du devoir de secours, à compter de l'ordonnance de protection du 11 Juin 2020, et à l'ordonnance de non conciliation du 15 Décembre 2020,
- condamner Madame [D] [W] au paiement de la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et patrimonial de Monsieur [X] [T],
- condamner Madame [D] [W] au paiement d'une somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- la condamner aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur [X] [T] conclut que le mariage n'a été contracté par son épouse que dans l'unique intention de venir en France pour obtenir sa carte de séjour.
Le 25 avril 2020, elle a déposé une plainte à l'occasion de laquelle elle a déclaré « nous n'avons pas d'enfant ensemble, le mariage n'a jamais été consommé, nous n'avons jamais couché ensemble ». Il indique que son épouse, bénéficiaire d'un visa familial, n'a vécu avec lui que pendant quatre mois. Le 25 avril 2020 elle a provoqué son époux et des violences réciproques ont eu lieu. Le 28 avril 2020, il a été condamné à huit mois d'emprisonnement dont quatre mois avec sursis probatoire mais n'a pas été placé sous mandat de dépôt. Il n'a pas revu son épouse depuis. En juin 2020, une ordonnance de protection lui a fait interdiction de rencontrer son épouse et a fixé la contribution aux charges du mariage à la somme de 300 euros. Une ordonnance de non conciliation rendue le 15 décembre 2020 a mis à sa charge une pension alimentaire au titre du devoir de secours d'un montant de 130 euros par mois avec indexation. Il a été assigné par son épouse en divorce le 7 janvier 2021. La procédure de divorce est toujours pendante devant le tribunal judiciaire de Grasse. Une nouvelle ordonnance de protection a été rendue le 8 février 2021.
Après avoir conclu à l'application de la loi française, Monsieur [X] [T] demande l'annulation du mariage en remarquant que, malgré la célébration du mariage religieux le 5 octobre 2019, son épouse s'est toujours refusée à avoir avec lui des rapports sexuels. Une altercation s'est également produite entre son épouse et sa mère, cette dernière reprochant son comportement à sa bru.
Il maintient que l'intimée n'était animée d'aucune intention matrimoniale et produit un témoignage en ce sens. Pour sa part, il était de bonne foi et entendait avoir une réelle vie conjugale. Parallèlement à la procédure introduite en France, il a initié une procédure en annulation de mariage devant le tribunal de première instance de Tunis. Un jugement du tribunal de première instance de Tunis a récemment été rendu et a prononcé l'annulation du mariage.
Madame [D] [W] conclut à la confirmation du jugement, hormis en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts. Elle demande la cour statuant à nouveau de :
- condamner Monsieur [X] [T] à lui payer la somme de 5000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l'action en justice abusive,
- le condamner à payer la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle expose qu'elle est venue rejoindre Monsieur [T] en France dans le cadre d'un visa « vie privée et familiale » à compter du 8 avril 2019. Depuis son arrivée en France, elle a toujours été isolée par son mari afin d'accroître sa vulnérabilité et sa dépendance à son égard.
Le 25 avril 2020, elle a été victime de violences conjugales de la part de Monsieur [T] qui a été condamné par le Tribunal correctionnel de Grasse le 28 avril 2020 selon la procédure de comparution immédiate à une peine de 8 mois d'emprisonnement dont 4 mois avec sursis probatoire. Il n'a pas interjeté appel de cette condamnation. Elle a bénéficié d'un hébergement d'urgence en raison des menaces qu'elle subissait. Une ordonnance de protection a été rendue le 11 juin 2020. Elle a ensuite déposé une requête en divorce le 11 mai 2020. Une ordonnance de non-conciliation a été rendue le 15 décembre 2020, et une pension alimentaire au titre du devoir de secours de 130 euros lui a été allouée. Très mécontent, le mari s'est rendu à plusieurs reprises près de son lieu d'hébergement, ce qui l'a conduite à déposer des plaintes et des mains courantes en janvier et février 2021. Une nouvelle ordonnance de protection a été rendue, qui a constaté la caractérisation de la vraisemblance du danger actuel et imminent auquel elle a été exposée.
L'intimée indique qu'elle a cru aux promesses d'une vie de couple heureuse lors de la conclusion du mariage, et qu'elle a immédiatement constaté, dès son arrivée en France, le comportement violent de Monsieur [T], qu'elle a enfin eu le courage de dénoncer au début de l'année 2020. C'est pour cette raison que le mariage n'a jamais été consommé.
Le ministère public conclut à la compétence de la juridiction française et à l'application de la loi française. Sur le fond, il est conclu à la confirmation du jugement, en raison de la carence en preuve de le demandeur.
Par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer aux dernières écritures des parties ci dessus visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions qu'elles ont développés.
DISCUSSION
Sur la compétence de la juridiction française et la loi applicable :
En application de l'article 3-1 du règlement CE 11° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale (dit règlement 'Bruxelles II bis) , sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel se trouve :
- la résidence habituelle des époux, ou - la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure
où l'un d'eux y réside encore, ou ,
- la résidence habituelle du défendeur, ou en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre des époux,
- la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins une année immédiatement
avant l'introduction de la demande, ou
- la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l'introduction de la demande et s'il est soit ressortissant de '°État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, s'il y a son "domicile";
b) de la nationalité-des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, du "domicile" commun.
Les deux époux résidant en France, il convient de confirmer la compétence du juge aux affaires familiales .
En ce qui concerne la loi applicable, il convient de faire application de la règle édictée par l'article 202-1 du code civil selon laquelle « quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180 ».
En conséquence, la validité du consentement à mariage sera examinée au regard de la loi française.
L'appelant évoque l'introduction par ses soins d'une procédure en Tunisie mais n'en tire aucun conséquence, de sorte qu'il convient de statuer au fond.
Sur la validité du mariage :
Selon les dispositions de l'article 146 du code civil, 'Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement'.
La preuve de l'absence de consentement d'un conjoint lors du mariage incombe à celui qui conteste la validité de cet acte.
Pour tenter d'établir le défaut d'intention matrimoniale de l'épouse, Monsieur [T] produit deux attestations selon lesquelles Madame [W] n'était ni séquestrée, ni malheureuse au domicile de son mari et qu'elle projetait de divorcer une fois qu'elle obtiendrait 'ses papiers'. Outre que ces déclarations sont contredites par la condamnation pour violences sur conjoint prononcée par le tribunal correctionnel, elles établissent une vie commune entre les parties. L'absence de consommation du mariage, qui n'est pas contestée, ne suffit pas à caractériser un défaut de consentement et ne légitime pas les violences et menaces imputables au mari qui lui ont valu une condamnation pénale et deux ordonnances de protection.
La preuve de l'absence d'intention matrimoniale n'est pas rapportée, de sorte que le jugement sera confirmé sur le fond.
Sur les dommages et intérêts :
C'est par des motifs que la Cour adopte que le premier juge a débouté Madame [W] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et il convient de confirmer le jugement de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Monsieur [T], qui succombe au principal en son recours, sera condamné aux entiers dépens d'appel.
En raison de la nature de l'affaire, il n'y a pas lieu à application de 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la loi française et dit que la loi française est applicable,
Confirme le surplus des dispositions non contraires de la décision,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [X] [T] aux dépens et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT