COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 MAI 2023
N° 2023/147
Rôle N° RG 22/01762
N° Portalis DBVB-V-B7G-
BIZ7N
[D] [E]
C/
[S] [X]
Association APERS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Paul-victor BONAN
Me Cécile ALBISSER
PROCUREUR GÉNÉRAL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence en date du 15 novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00074
APPELANTE
Madame [D] [E]
née le 22 août 1977 à [Localité 5] ([Localité 5])
de nationalité française,
demeurant [Adresse 1]
comparante en personne, assistée de Me Paul-victor BONAN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Lydia BOUBENNA, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [S] [X]
assigné le 07.03.2022,
demeurant [Adresse 3]
défaillant
Association APERS
assistant Mademoiselle [I] [O], née le 21.07.2010 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/002808 du 25/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Cécile ALBISSER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Lucie AURAND, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
PARTIE INTERVENANTE
PROCUREUR GÉNÉRAL
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monique RICHARD, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente
Madame Monique RICHARD, Conseillère
Madame Angélique NAKHLEH, Conseillère
qui en ont délibéré.
MINISTERE PUBLIC : Madame Isabelle POUEY, avocat général,
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
Greffier lors des débats : Mme Nathalie BLIN GUYON.
Greffier lors du prononcé : Mme Jessica FREITAS
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023,
Signé par Madame Michelle TORRECILLAS, Présidente, et Madame Jessica FREITAS, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'appel interjeté le 4 février 2022 par Mme [D] [E] à l'encontre du jugement rendu le 15 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence,
Vu les conclusions de Mme [D] [E] en date du 28 mars 2022,
Vu les conclusions déposées pour l'enfant mineure, [I] [O], représentée par l'APERS, en date du 17 mai 2022,
Vu l'absence de conclusions de M. [S] [X] qui, bien que régulièrement assigné par acte du 7 mars 2022, n'a pas constitué avocat,
Vu les réquisitions écrites du ministère public en date du 27 février 2023,
Vu l'ordonnance de clôture du 14 mars 2023 pour l'affaire fixée à l'audience du même jour.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [D] [E] a entretenu une relation sentimentale avec M. [M] [O] et avec M. [S] [X].
Mme [E] a donné naissance le 21 juillet 2010 à [Localité 5] (13) à une enfant prénommée [I].
M. [O] a reconnu cet enfant par déclaration du 26 juin 2010.
En décembre 2018, Mme [E] a engagé une action en contestation de paternité devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, en soutenant que le père biologique de [I] n'était pas M. [M] [O], mais M. [S] [X].
Par ordonnance en date du 6 août 2019, le juge des tutelles mineurs du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a désigné l'APERS en qualité d'administrateur ad'hoc pour représenter la mineure dans la procédure.
Par acte d'huissier en date du 18 septembre 2019, Mme [E] a donc appelé en cause l'APERS.
Parallèlement, M. [O] a saisi le 26 novembre 2019 le juge des enfants en vue d'une mesure de protection.
Par jugement en date du 14 septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :
- déclaré recevable l'action en contestation de paternité engagée par Mme [E] contre M. [O] et l'action en recherche de paternité engagée contre M. [X],
- et ordonné, avant dire droit, une mesure d'expertise génétique de Mme [E], de M. [O], de M. [X] et de l'enfant [I].
En cours de procédure, le juge des enfants a ordonné le 28 décembre 2020 une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert jusqu'au 31 janvier 2022.
M. [S] [X] ne s'est pas soumis à l'expertise ordonnée.
Le 15 juin 2021, le laboratoire commis a rendu son rapport d'expertise génétique concluant à la non paternité de M. [M] [O] à l'égard de [I], de sorte que l'enfant n'a aucun père identifié.
Par jugement du 15 novembre 2021 dont appel, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :
- dit que M. [M] [O] n'était pas le père de [I],
- et débouté Mme [E] de sa demande tendant à voir déclarer M. [S] [X] père de [I].
Le tribunal a par ailleurs décidé :
- que l'autorité parentale serait exercée exclusivement par la mère, chez laquelle l'enfant aura sa résidence habituelle,
- et ordonné qu'il soit fait mention du jugement aux registres de droit de l'état civil et en marge de l'acte de naissance de [I] [O].
Mme [D] [E] a interjeté appel de ce jugement, en intimant une première fois Monsieur [X], puis l'APERS.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de dire que M. [S] [X] est le père biologique de [I].
L'appelante conclut en premier lieu sur la recevabilité de son action en recherche de paternité introduite pendant la minorité de l'enfant.
Sur le fond, elle soutient que M. [S] [X], avec lequel elle a entretenu une relation de plusieurs mois en 2009, soit au moment de la conception de l'enfant, est bien le père biologique de [I] et produit des attestations en ce sens.
Elle précise que l'enfant connaît son père et le considère comme tel. Elle ajoute que [I] a noué des liens affectifs avec son père et qu'il est donc important de régulariser sa filiation.
M. [S] [X], régulièrement assigné par acte du 7 mars 2022, n'a pas constitué avocat et n'a pas fait connaître ses moyens en défense.
L'APERS, désignée pour représenter l'enfant mineure [I] [O], conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
L'association revient sur le vécu de Mme [E] avec M. [O] et M. [X], en rappelant que la mère, qui n'a jamais avoué à M. [O] qu'il n'était pas selon elle le père de son enfant, a révélé à sa fille alors qu'elle avait 5 ans, que M. [O] n'était pas son père, en lui demandant de garder le secret.
A la séparation du couple [E]/[O] en 2015, ce dernier continuera à voir régulièrement l'enfant.
En 2018, Mme [E] expliquera à sa fille qu'elle a deux papas et engagera une action en contestation de paternité devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, alors que M. [X] est revenu dans sa vie et souhaite s'impliquer dans la vie de l'enfant.
L'APERS fait valoir qu'en 2019, [I] a vu ses résultats scolaires chuter et a commencé à adopter un comportement inapproprié à l'école.
L'association observe que la mesure judiciaire d'investigation souligne l'attitude et le langage quelque peu adultisés de l'enfant, qui idéalise M. [X], alors qu'elle décrit M. [O] comme un homme agressif, impulsif et sans doute dangereux pour elle.
L'APERS constate l'absence d'éléments de preuve démontrant la paternité de M. [X] à l'égard de [I]. Aucun acte de naissance, aucune reconnaissance ou aucun acte de notoriété constate la possession d'état de l'enfant. Les attestations produites par la mère sont vagues et inopérantes à démontrer la paternité effective de M. [X], qui a refusé de se soumettre à l'expertise.
L'association invoque ensuite l'intérêt supérieur de l'enfant, qui a besoin d'un cadre familial stable, sans que son état civil ne fasse l'objet de plusieurs modifications.
De plus, M. [X], qui réside en Belgique, est un père absent pour l'enfant qui entretient plus des échanges virtuels avec lui que de vrais rencontres.
Le Parquet général, auquel la procédure a été régulièrement transmise pour avis, requiert la confirmation du jugement déféré, en rappelant que Mme [E] a pendant 8 ans traité M. [O] comme le père de l'enfant, alors qu'elle savait qu'il n'était pas le père biologique de sa fille et en considérant que les pièces communiquées ne permettent pas d'établir des circonstances de fait permettant de considérer le refus de M. [S] [X] de se soumettre à une mesure d'expertise comme un aveu.
Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour entend se référer, pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, à leurs dernières écritures ci-dessus visées.
SUR CE
Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la cour lui permettant de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera donc déclaré recevable.
Sur la jonction sollicitée par l'APERS
Les deux procédures d'appel ont déjà fait l'objet d'une jonction par ordonnance du juge de la mise en état en date du 11 mai 2022.
Sur la demande de déclaration de paternité de M. [X] [S]
L'article 310-3 du code civil dispose que "la filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état, si une action est engagée ... La filiation se prouve et se conteste par tous moyens."
En l'espèce, si la paternité de M. [O], qui avait reconnu l'enfant, a été formellement exclue par l'expertise et consacrée par le jugement querellé, le juge de première instance a estimé que les preuves versées aux débats par Mme [E] étaient insuffisantes pour établir la paternité de M. [S] [X].
Il convient de rappeler que M. [S] [X] a fait le choix délibéré de ne pas se soumettre à l'expertise biologique ordonnée et n'a pas constitué avocat. Il ne s'explique par conséquent pas sur les raisons de son refus.
S'il est de jurisprudence constante que le refus illégitime de se soumettre à une expertise génetique peut constituer un élément d'aveu implicite, encore faut-il qu'il soit corroborré par d'autres éléments de preuve, notamment sur l'existence de relations intimes au moment de la conception.
En l'espèce, l'appelante verse aux débats quelques attestations de personnes ayant rencontré Mme [E] et M. [X] ensemble à des repas au cours de l'années 2009, sans autre élément sur la nature de leur relation et leur degré d'intimité.
Elle verse également des échanges de SMS entre M. [S] [X] et l'enfant [I] [O] par l'intermédiaire du portable de sa mère sur une période d'un an, entre le 1er août 2018 et le 2 août 2019 et dans lesquels tant l'enfant que M. [X] désignaient ce dernier sous le terme de papa.
Cependant, comme le premier juge l'a relevé avec pertinence, Mme [D] [E] avait sciemment fait appeler M. [M] [O] "papa" par sa fille pendant des années, tout en sachant sciemment qu'il n'était pas le père de son enfant. Par conséquent, cette appellation employée envers M. [X] au cours des années 2018 et 2019 n'est pas suffisamment significative pour établir la preuve de la paternité, d'autant que par ailleurs, il n'est pas établi que l'enfant entretienne des liens étroits avec M. [X], qui réside à l'étranger.
Le jugement critiqué sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [D] [E] de voir établir judicairement la paternité de M. [S] [X].
Mme [D] [E] supportera les entiers dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe,
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement entrepris ;
Déboute Mme [D] [E] de ses demandes ;
Condamne Mme [D] [E] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE