COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 17 AVRIL 2023
N° 2023/493
Rôle N° RG 23/00493 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLD3J
Copie conforme
délivrée le 17 Avril 2023 par courriel à :
-l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
-le MP
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de NICE en date du 16 Avril 2023 à 12h08.
APPELANT
Monsieur [N] [U]
né le 13 Mars 1991 à [Localité 1] (TURQUIE)
de nationalité Turque
non comparant, représenté par Me Prunelle CEYRAC-AUGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, avocat commis d'office
INTIME
Monsieur le préfet des DES ALPES-MARITIMES
Avisé et non représenté
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté
DEBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 17 Avril 2023 devant Madame Laurence DEPARIS, Conseillère à la cour d'appel déléguée par le premier président par ordonnance, assistée de Mme Elodie BAYLE, Greffière,
ORDONNANCE
Réputée contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2023 à 12h05,
Signée par Madame Laurence DEPARIS, Conseillère et Mme Elodie BAYLE, Greffière,
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu l'interdiction judiciaire du territoire national prononcée le 14 octobre 2022 par le tribunal correctionnel de NICE,
Vu l'arrêté portant exécution d'une interdiction judiciaire du territoire national pris le 13 avril 2023 par le préfet des ALPES-MARITIMES, notifié le même jour à 10h55 ;
Vu la décision de placement en rétention prise le 13 avril 2023 par le préfet des ALPES MARITIMES, notifiée le même jour à 10 h55 ;
Vu l'ordonnance du 16 Avril 2023 rendue par le Juge des libertés et de la détention de NICE décidant le maintien de Monsieur [N] [U] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;
Vu l'appel interjeté le 16 avril 2023 par Monsieur [N] [U] ;
Monsieur [N] [U] est non comparant.
Son avocat a été régulièrement entendu ; il s'en réfère aux écritures d'appel et conclut à la nullité de la procédure en raison de la détention arbitraire entre la levée d'écrou et la rétention, au recours à l'interprétariat par téléphone qui n est pas justifié, à l'insuffisance de diligences de la part de l'administration du fait notamment de l'absence d'envoi du formulaire de réadmission prévu à l'article 8.3 de la convention de réadmission entre l'Union européenne et la Turquie ; il conclut par ailleurs à l'irrégularité de l'arrêté de placement en rétention insuffisamment motivé et erroné et à l'erreur d'appréciation au regard des garanties de représentation. Il demande la mainlevée de la mesure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Sur les nullités de procédure
Sur le moyen tiré de la privation de liberté sans fondement ni titre
L'article L. 743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Il apparaît que la levée d'écrou de Monsieur [N] [U] est intervenue le 13 avril 2023 à 10h44 ainsi qu'il résulte de l'avis établi par l'administration pénitentiaire permettant de fixer l'heure de la fin de la peine privative de liberté et que la mesure de rétention lui a été notifiée à 10h55. Ce délai de 11 minutes nécessaire à la notification de la mesure d'éloignement et de rétention est raisonnable et ne peut être considéré comme ayant porté atteinte aux droits de l'intéressé.
Il convient de rejeter ce moyen de nullité.
Sur le moyen tiré de l'interprétariat par téléphone non justifié
L'article L. 743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
En application de l'article L. 141-3 du CESEDA, lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire.
En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
Il résulte des pièces du dossier que l'arrêté de placement en rétention et les droits de la rétention ont été notifiés à Monsieur [N] [U] le 13 avril 2023 à 10h55 et 11h par le truchement de la plate-forme téléphonique d'interprétariat ISM et que l'interprète est identifiable par ses nom et prénom, et que la langue turque est mentionnée comme ayant été utilisée. Il apparaît également qu'est mentionnée sur le document de notification la mention suivante : ' par état de nécessité, disons prendre contact par téléphone avec un interprète en langue turque....'
Ainsi, la nécessité du recours à l'interprète par téléphone ainsi que prévu par le texte sus-visé est expliquée dans le document de notification quand bien même aucune démarche permettant la présence d'un interprète en personne n'est justifiée.
Cette circonstance ne peut suffire à démontrer une atteinte aux droits de l'étranger. En l'espèce, il n'est pas établi que le recours à un interprétariat par téléphone pour la notification des mesures d'éloignement et de rétention et des droits de rétention ait eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'intéressé qui a eu connaissance de ces mesures et droits dans la langue turque qu'il a déclaré comprendre, la traduction étant effectuée par un organisme agréé par l'administration.
Dans ces conditions, il convient de rejeter ce moyen de nullité.
Sur le moyen tiré du défaut de diligences de l'administration
La directive européenne n°2008-115/CE dite directive 'retour' dispose en son article 15§1 que toute rétention est aussi brève que possible et n'est maintenue qu'aussi longtemps que le dispositif d'éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. La rétention doit reposer sur des circonstances de fait qui la rendent nécessaire et proportionnée ( CJUE 5 juin 2014 M. MAHDI, C-146/14).
Suivant l'article L. 742-1 du CESEDA, quand un délai de quarante-huit heures s'est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Aux termes de l'article 742-3 du CESEDA, si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court pour une période de 28 jours à compter de l'expiration du délai de 48 heures.
Aux termes de l'article L741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet.
Si ce texte impose en effet au préfet d'effectuer sans désemparer les démarches nécessaires à l'exécution, dans les meilleurs délais, de la décision d'éloignement, l'appréciation des diligences qu'il a effectuées doit être faite in concreto en tenant compte des circonstances propres à chaque cas.
S'il est constant qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur la légalité de la décision fixant le pays de retour, il lui incombe d'apprécier les diligences mises en oeuvre pour reconduire l'intéressé dans son pays ou tout autre pays.
En l'espèce, les autorités consulaires turques ont été saisies par courrier en date du 12 avril 2023, la veille du placement en rétention, d'une demande d'audition de Monsieur [N] [U] en vue de son identification et de la délivrance d'un laissez-passer, ce courrier était en outre accompagné d'une copie de la carte nationale d'identité, de photos d'identité et d'empreintes décadactylaires.
S'il résulte de l'article 8 de l'accord en date du 7 mai 2014 entre l'Union européenne et la République de Turquie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, que toute demande de réadmission doit être introduite par écrit en utilisant le formulaire commun figurant à l'annexe 5 du présent accord, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, cette procédure de réadmission prévue par l'article 7 de cet accord s'applique en vertu de l'article 3 du même accord aux individus qui ne remplissent pas ou plus les conditions de présence ou de séjour sur le territoire d'un Etat membre de l'Union et dont il est établi qu'il s'agit d'un ressortissant turc. La détermination de cette nationalité n'est pas établie en l'espèce puisque c'est le premier objet de la demande adressée aux autorités consulaires turques.
Ce moyen ne saurait dès lors être accueilli.
Sur la contestation de l'arrêté de placement en rétention
Sur la motivation de l'arrêté de placement en rétention
Les décisions de placement en rétention doivent être motivées en fait et en droit.
Aux termes de l'article L.741-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, l'autorité administrative peut placer en rétention pour une durée de 48 heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision. Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.
Ce dernier article dispose que le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;
5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ;
7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
Aux termes de l'article L.741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger. Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.
Il ressort de l'examen du dossier que l'arrêté de placement en rétention mentionne que Monsieur [N] [U] ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, n'étant pas en possession de documents de voyage ou d'identité en cours de validité, ne justifiant pas de son adresse à [Localité 2] telle qu'indiquée dans sa fiche pénale ni d'une autre résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale sur le territoire français, ayant vu sa demande d'asile rejetée le 17 mars 2022 par la cour nationale du droit d'asile, se maintenant de façon irrégulière sur le territoire et ayant communiqué des renseignements inexacts concernant son identité.
Ces circonstances correspondent aux éléments dont le préfet disposait au jour de sa décision, étant précisé que le préfet n'est pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments de la situation personnelle de l'étranger, dès lors que les motifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention au regard des critères légaux et que l'administration a procédé à un examen de la situation personnelle de l'intéressé, le préfet n'ayant pas fait état de l'absence de domicile comme allégué par le retenu mais d'un domicile non justifié et Monsieur [N] [U]
ayant indiqué le 13 avril 2023 dans le formulaire écrit prévu à cet effet ne souhaitant pas retourner en Turquie et ayant une demande d'asile en attente de réponse.
Il apparaît dès lors, que le risque de soustraction à la mesure d'éloignement se trouve caractérisé en application de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces circonstances suffisant à justifier le placement en rétention de l'intéressé.
Sur la légalité interne de l'arrêté de placement en rétention
Sur l'appréciation des garanties de représentation
L'administration indique dans l'arrêté de placement en rétention que Monsieur [N] [U]
n'a pu présenter de documents de voyage ou d'identité ni justifié d'un lieu de résidence effectif.
Ainsi, l'étranger a été légitimement considéré comme ne présentant pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire puisqu'il a été considéré par l'administration que son absence de justificatif de domicile et de passeport ne permettaient pas de considérer qu'il présentait des garanties de représentation suffisantes.
C'est donc après avoir apprécié ses garanties de représentation que la décision de placement en rétention a été prise.
Il en résulte que Monsieur [N] [U] pouvait légalement faire l'objet d'un placement en rétention et que le placement en rétention de l'intéressé n'était nullement disproportionné au regard du risque de soustraction à la mesure d'éloignement.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer la décision frappée d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision réputée contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Confirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de NICE en date du 16 Avril 2023.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier, Le président,