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13/04/2023 | FRANCE | N°18/18263

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 13 avril 2023, 18/18263


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2023



N° 2023/













Rôle N° RG 18/18263 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLSN







SCP [U]





C/



Société SENAVILLE











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me [D] [W]



Me Yannick LE MAUX









Décision déférée à la Cour :



Jugement

du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 09 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 14/04071.





APPELANTE



SCP [U] représentée par Maître [N] [U], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL L ET M.

, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Charles TOLLINCHI de ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2023

N° 2023/

Rôle N° RG 18/18263 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLSN

SCP [U]

C/

Société SENAVILLE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me [D] [W]

Me Yannick LE MAUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 09 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 14/04071.

APPELANTE

SCP [U] représentée par Maître [N] [U], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL L ET M.

, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Emmanuel BONNEMAIN de la SELARL CABINET BONNEMAIN, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,

INTIMEE

Société SENAVILLE

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Yannick LE MAUX de la SCP LE MAUX & CAMPESTRINI ASSOCIES, avocat au barreau de NICE, et ayant pour avocat palidant Me André MESSIKA, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 01 Février 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Madame Angélique NAKHLEH, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023.

ARRÊT

FAITS. PROCÉDURE.PRÉTENTIONS DES PARTIES.

 

La société civile de construction vente ( SCCV) SENAVILLE est propriétaire d'un terrain situé [Adresse 3] (Alpes-Maritimes).

 

Le 25 juin 2012, elle a conclu une délégation de maitrise d''uvre et de maitrise d'ouvrage concernant l'opération de démolition construction de la « Propriété MONTOLIVO » avec la Société [Y].

 

Le 7 septembre 2012, la SARL L et M, entreprise exerçant une activité de travaux de charpente a conclu un marché de travaux avec la SARL [Y] pour un montant forfaitaire de 1.004.052,73 euros HT soit 1.200.847,07 euros TTC.

 

La fin de chantier était prévue pour le 31 décembre 2013. Le marché a été résolu par la SARL [Y] le 21 janvier 2013.

 

Par ordonnance de référé du 15 octobre 2013, la SARL [Y] a été condamnée à payer à la société L ET M une indemnité provisionnelle de 20.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

 

Par exploit d'huissier du 15 juillet 2014, la SARL L ET M prise en la personne de ses représentants légaux a fait assigner la SARL [Y] prise en la personne de son représentant légal, la SCCV SENAVILLE prise en la personne de son représentant légal devant le tribunal de Nice aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 120.084,71 euros au titre de l'acompte prévu contractuellement, de les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 1.060.762,36 euros au titre du gain manqué, du fait de la rupture du contrat, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens distraits au profit de maître BARBANCON.

 

LA SARL [Y] a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 14 avril 2016.

 

Par exploits d'huissier des 1er et 2 septembre 2016, la SCCV SENAVILLE a appelé en cause la SELASU [O] [Z] en la personne de [O] [Z] ès qualité d'administrateur judiciaire de la SARL [Y], la compagnie d'assurances AXA FRANCE IARD assureur de la SARL [Y], et la SELAFA MJA en la personne de Maître [D] [I] [C] ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL [Y].

Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état du 9 février 2017.

 

La SARL L et M a été placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 13 Février 2017. Maître [T] [M], de la SCP PELLETIER a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

 

Par exploit d'huissier du 10 juillet 2018, la SARL L et M a appelé en intervention forcée la société MJA SELAFA en la personne de maître [D] [I] [C] ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL [Y] et SELASU [O] [Z] en la personne de [O] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la SARL [Y]. Une ordonnance de jonction des affaires a été rendue le 17 novembre 2016 par le juge de la mise en état.

 

 

Par jugement en date du 9 Octobre 2018, le Tribunal de Grande instance de Nice a :

 

-       DECLARE recevables les demandes de Maître [N] [U] de la SCP [U] agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL L ET M à l'encontre de la SCCV SENAVILLE en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat, aux fins d'obtenir la fixation de la créance d'un montant de 1.060.762,36 euros au passif de la SARL [Y] en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat, au titre de ses frais irrépétibles et de sa demande relative aux dépens,

-       DECLARE recevables les demandes subsidiaires de la SCCV SENAVILLE de se voir garantir par la SARL [Y], de voir fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société [Y] au montant de toutes condamnations prononcées à son encontre,

-       DECLARE irrecevable la demande de la SCCV SENAVILLE aux fins d'obtenir la condamnation de la compagnie d'assurances AXA FRANCE à relever et garantir la SARL [Y] de l'ensemble de ses condamnations,

-       MIS la compagnie AXA FRANCE hors de cause,

-       DIT que la SARL L ET M apparaît comme le sous-traitant de la SARL [Y] dans ce projet de construction, sans aucun lien contractuel avec la SCCV SENAVILLE,

-       MIS hors de cause la SCCV SENAVILLE,

-       DIT que la SARL L ET M a le droit d'être indemnisée de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'elle aurait pu gagner dans cette entreprise, à la charge de la SARL [Y],

-       EVALUE la créance de la SARL L ET M à la somme de 150.000 euros (cent cinquante mille euros) en deniers ou quittances,

-       DIT que cette somme sera fixée au passif de la SARL [Y],

-       DEBOUTE la SARL [Y] assistée par la SELASU [O] [Z] représentée par maître [Z] administrateur judiciaire et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [C] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [Y] de leur demande de restitution de la somme de 20.000 euros allouée par le juge des référés,

-       ORDONNE l'exécution provisoire,

-       DEBOUTE la SCCV SENAVILLE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-       DEBOUTE la SARL [Y] assistée par la SELASU [O] [Z] représentée par maître [Z] administrateur judiciaire et la SELAFA MJA prise en la personne de maître [C] es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [Y] de leur demande de condamnation de la société L ET M et de la société SENAVILLE à payer à Maître [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [Y] la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-       CONDAMNE la SCCV SENAVILLE à payer à la compagnie d'assurances AXA FRANCE la somme de 2.000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

-       CONDAMNE la SARL [Y] assistée par la SELASU [O] [Z] représentée par maître [Z] administrateur judiciaire et la SELAFA MJA prise en la personne de maître [C] es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [Y] à payer à Maître [N] [U] de la SCP [U] agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL L ET M la somme de 3.000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

-       CONDAMNE la SARL [Y] assistée par la SELASU [O] [Z] représentée par Maître [Z] administrateur judiciaire et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [C] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [Y] aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de maître BARBANCON.

 

Pour statuer ainsi, le tribunal s'est fondé sur l'article 1794 du Code civil, aux termes duquel le maître d'ouvrage peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes des dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise. Le tribunal a estimé qu'en l'espèce la SARL L et M disposait d'une créance à l'encontre de la société [Y] ès qualité de maître d'ouvrage, correspondant à la valeur des travaux réalisés, à toutes des dépenses et au préjudice causé par la perte du chantier, et à tout ce qu'elle aurait pu gagner de cette opération et a dit qu'il n'y avait aucun lien contractuel entre la société L et M et la SCCV SENAVILLE.

 

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe le 20 Novembre 2018, la SCP [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL L et M a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

 

-       Rejeté les demandes formées par Madame [U] à l'encontre de la SCCV SENAVILLE, à savoir : « « Vu les articles 1134, 1794 et 1998 et suivants du Code civil ;

-  Dire et Juger que la résiliation du marché de travaux à l'initiative de la SARL [Y] constitue une résiliation unilatérale de contrat au sens des dispositions de l'article 1794 du Code civil ;

- Constater que la responsabilité de la SCCV SENAVILLE est engagée du fait de sa qualité de mandant de la SARL [Y]

-  Condamner la SCCV SENAVILLE à payer à Maître [N] [U] ès qualité de liquidateur de la SARL L ET M la somme de 1.060.762, 36€ en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat

-  Condamner tout succombant à payer à Maître [N] [U] ès qualité de liquidateur de la SARL L ET M la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. »

 

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

La SCP [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL L et M par conclusions notifiées par le RPVA en date du 19 Février 2019 demande à la cour de :

-       Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre de la décision entreprise,

Y faire droit,

-       Dire et Juger que la résiliation du marché de travaux à l'initiative de la SARL [Y] constitue une résiliation unilatérale de contrat au sens des dispositions de l'article 1794 du Code civil,

-       Constater que la responsabilité de la SCCV SENAVILLE est engagée du fait de sa qualité de mandant de la SARL [Y]

-       Condamner la SCCV SENAVILLE à payer à Maître [N] [U] ès qualité de liquidateur de la SARL L ET M la somme de 1.060.762,36 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat.

-       Condamner la SCCV SENAVILLE à payer à Maître [N] [U] ès qualité de liquidateur de la SARL L ET M la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

-       Condamner la SCCV SENAVILLE aux entiers dépens distraits pour ceux d'appel au profit de la SCP [W] PERRET VIGNERON [W], sous ses affirmations de droit.

La SCP [U] soutient que la société [Y] est le mandataire de la société SENAVILLE. Or, en qualité de mandant et de maître d'ouvrage, la SCCV SENAVILLE doit répondre d'une part de l'absence de paiement des sommes dues au titre de l'acompte prévu au marché, d'autre part du préjudice subi par la société L ET M du fait de l'arrêt du chantier dont elle était le maître d'ouvrage sur le fondement de l'article 1794 du code civil.

 

La SCCV SENAVILLE , par conclusions notifiées par RPVA en date du 17 Avril 2019 demande à la cour de :

Vu les pièces produites

Vu l'article 1134 du Code Civil

Vu l'article 15 du Code de procédure civile 

 

A TITRE PRINCIPAL

 

-       Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la Société L et M de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la SCCV SENAVILLE

-       Fixer la créance de la SCCV SENAVILLE dans la liquidation judiciaire de la Société L et M à la somme de 7000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

-       Condamner la Société L et M aux entiers dépens.

 

 

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

-       Dès lors que la Société [Y] doit garantir la Société SENAVILLE de toutes condamnations prononcées à son encontre : fixer la créance de la Société SENAVILLE à la liquidation judiciaire de la Société [Y] au montant de toutes condamnations prononcées à l'encontre de la Société SENAVILLE.

-       Condamner la Compagnie AXA France IARD à relever et garantir la Société [Y] de l'ensemble de ses condamnations

-       Voir déclarer la décision à intervenir opposable à la SELAFA MJA et plus précisément Maître [D] [I] [C], ès qualité de liquidateur de la Société [Y]

A titre principal, la SCCV SENAVILLE sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la Société L et M de ses demandes à son encontre, en constatant l'absence de lien contractuel entre elles. Seule la société [Y] doit être considérée comme étant le maître d'ouvrage.

 

A titre infiniment subsidiaire, et si par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la concluante, elle demande la condamnation de la Société [Y] à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, et ce, conformément à ses engagements, et de fixer la créance de la Société SENAVILLE à la liquidation judiciaire de la Société [Y] au montant de toutes condamnations prononcées à l'encontre de la Société SENAVILLE 

 

L'affaire a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 janvier 2023 pour être fixée à l'audience du  1er Février 2023, date à laquelle elle était retenue pour être plaidée.

II.   MOTIVATION.

 

Sur la demande de condamnation de la SCCV SENAVILLE en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat.

L'appelante estime que c'est à tort que le tribunal a mis la SCCV SENAVILLE hors de cause pour ne retenir que la responsabilité de la SARL [Y]. Elle estime que la SARL [Y] n'a été que le mandataire de la société SENAVILLE et que les travaux ont été exécutés pour son compte. C'est d'ailleurs cette société qui a déposé la déclaration d'ouverture de chantier. La SCCV SENAVILLE a donc agit aussi bien en qualité de maître d''uvre qu'en qualité de mandataire l'entrepreneur qui a été chargé, en sus de la surveillance des travaux, de la conclusion pour le compte du propriétaire des marchés avec les entrepreneurs et du paiement de leurs travaux.

Elle ajoute que le mandant peut être engagé sur le fondement du mandat apparent dès lors que la commande a été faire sur du papier en-tête de la société, ce qui constitue une croyance légitime du tiers sur l'étendue des pouvoirs du mandataire.

Elle estime donc que la SCCV SENAVILLE est bien désignée comme maître d'ouvrage dans le contrat de délégation de maîtrise d''uvre et de maîtrise d'ouvrage et qu'elle doit donc répondre des engagements pris par la SARL [Y] son mandataire, à l'égard de la société L et M.

Elle ajoute que la motivation du tribunal selon laquelle « le contrat passé entre SENAVILLE et [Y] prévoit que celle-ci sera seulement responsable de l'ensemble des opérations tant sur le plan professionnel que sur le plan administratif » est totalement contraire aux dispositions de l'article 1998 du code civil. Elle s'interroge sur la question suivante « comment admettre que [Y] ait eu pouvoir pour contracter le contrat passé au nom de SENAVILLE avec L et M et n'ait plus eu pouvoir pour mettre fin à ce même contrat ' »

Selon elle, le fait que le mandat ait rappelé que la SARL [Y] soit responsable de l'ensemble des opérations ne permet pas à la SCCV SENAVILLE d'échapper à ses responsabilités en qualité de mandant : cette disposition permet uniquement de disposer d'un fondement contractuel à son recours en garantie contre son mandataire. La condamnation de l'intimée au paiement des sommes dues au titre de l'acompte prévu au marché et du préjudice subi par L et M du fait de l'arrêt du chantier doit donc être prononcée.

L'intimé conclut au rejet de cette demande et réplique qu'elle avait conclu une délégation de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d''uvre avec la société [Y], que à 'instar de l'ordonnance rendue le 15 octobre 2013 par le juge des référés, le Tribunal a expressément affirmé que : « En l'absence de lien contractuel entre la SARL L et M et SCCV SENAVILLE, la condamnation ne sera prononcée qu'à l'égard de la SARL [Y] » , que l'ordre de service dont l'appelante excipe indique clairement : « Commande passée par : [Y] SARL A facturer à :[Y] » . Dès lors la Société L et M savait parfaitement et sans la moindre ambiguïté qu'elle contractait avec la seule Société [Y], aucune trace de l'intervention ou du consentement de la SCCV SENAVILLE n'y apparaissant.

Le tribunal a estimé que bien que la SCCV SENNAVILLE ait déposé la déclaration d'ouverture de chantier et que les travaux ont été exécutés pour son compte, et que l'ordre de service comporte son nom en en-tête, et qu'elle est donc le mandant de la société [Y], il demeure que le contrat passé entre la SCCV SENNAVILLE et la société [Y] prévoit que celle-ci sera seule responsable de l'ensemble des opérations tant sur le plan professionnel que sur le plan administratif. Il est également indiqué que la société [Y] accepte la mission de maître d''uvre et de maître d'ouvrage de 1'ensemble du programme avec toutes les obligations liées et sous sa seule responsabilité. Le tribunal ajoutait que l'ordre de service conclu entre la société [Y] et la SARL L ET M prévoit une facturation à la seule SARL [Y], et ne prévoit rien concernant la SCCV SENNAVILLE (seule l'en-tête du document est à son nom). Enfin, concernant la résiliation du marché de travaux, les premiers juges ont précisé que la SARL [Y] a simplement mentionné le fait que la poursuite du chantier est 'abandonnée' par son client (la SCCV SENNAVILLE) au motif que la Préfecture des ALPES MARITIMES a refusé l'évacuation des gravats par hélitreuillage. Elle a d'ailleurs joint une copie de ce courrier.

Le tribunal retenait donc que la SARL L ET M apparaît comme le sous-traitant de la SARL [Y] dans ce projet de construction, sans aucun lien contractuel avec la SCCV SENNAVILLE.

Sur ce :

En application de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi »

En l'espèce, il est justifié que la SCCV SENAVILLE est propriétaire du terrain situé « Propriété [Adresse 3] (06). Elle a confié à la Société [Y] une délégation de maîtrise d''uvre et de maîtrise d'ouvrage en date du 25 juin 2012 ( pièce 1 de l'intimée). Aux termes de cet acte il est expressément stipulé :

« Article ' 3 La Société [Y] sera seule responsable de l'ensemble des opérations tant sur professionnel qu'administratif de l'intégralité du respect des règles : de la construction, du travail, de sécurité, et des éventuels sous-traitants qui interviendront sur site

Déclare être assurée pour l'ensemble de sa mission auprès de la compagnie AXA et être en règle avec l'administration FISCALE ET SOCIALE et à ce jour de toutes ses cotisations et obligations, ceci est une condition déterminante à la réalisation de ce contrat sans lequel la Société SENAVILLE n'aurait pas contractée.

Article - 4 La Société [Y] accepte la mission de maître d''uvre et maître d'ouvrage de l'ensemble du programme avec toutes les obligations liées et sous sa seule responsabilité. Elle engagera conformément aux règles de la construction : un contrôleur technique et ingénieur béton pour valider l'ensemble des mises en 'uvre. Elle engagera conformément aux règles de la construction : un coordinateur de sécurité SPS et contrôleur santé ainsi que l'ensemble des mesures afin que la Société SENAVILLE ne soit jamais inquiétée de quelque manière que ce soit. »

La double délégation de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d''uvre est donc parfaitement établie aux termes de ce contrat, la SCCV SENAVILLE intervenant en qualité de mandant et la société [Y] en qualité de délégataire, mandataire. Le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué s'analyse comme un contrat conclu entre le maître de l'ouvrage et une personne (physique ou morale) à laquelle va être confié tout ou partie de ce qui relève normalement de la maîtrise d'ouvrage la conduisant à agir au nom et pour le compte du maître de l'ouvrage dans les strictes limites contractuellement déterminées.

Le mandat, selon l'article 1984 se définit comme le contrat par lequel « une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ».

Il doit également être rappelé que l'article 1991 prévoit que « le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution » tandis que l'article 1992 du code civil prévoit quant à lui que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion».

Ainsi, si le maître d'ouvrage délégué ( ici la société [Y]) a fondamentalement la qualité de mandataire du maître de l'ouvrage, son implication dans l'acte de construire l'expose à engager sa responsabilité tant contractuelle que délictuelle auprès de ses contractants, dont la société L et M.

L'article 1998 du code civil prévoit que « Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.

Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement. »

Aux termes de l'article 1794 du même code, le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.

Il est soutenu par l'appelante que le contrat de délégation de maîtrise d''uvre et d'ouvrage ne permet pas d'échapper à la responsabilité en qualité de mandant, ces dispositions permettant seulement d'appuyer d'un recours en garantie à l'encontre du mandataire.

Or, les dispositions de l'article 1998 du code civil, ci-dessus rappelées, s'appliquent en l'espèce et viennent protéger le mandant contre tout recours suite à une action de son mandataire. En agissant pour le nom et pour le compte de la SCCV SENAVILLE, la SARL [Y] a accepté contractuellement d'endosser la responsabilité sur le plan professionnel et administratif à l'encontre de tous ses contractants. Il n'est pas contesté par la société L et M que c'est bien avec la société [Y] qu'elle a contracté le 7 septembre 2012 dans le cadre d'un marché à forfait. Le fait que la SCCV SENAVILLE ait procédé à la déclaration d'ouverture de chantier, ou même que l'ordre de service porte son en-tête ne la substitue pas dans les relations contractuelles de la SARL [Y] avec la société L et M. De plus, l'ordre de service sur lequel la société L et M fonde son argumentation mentionne bien que la facturation est au nom de la SARL [Y]. C'est également cette société [Y] qui prononce la résiliation du contrat du fait de l'impossibilité de continuer le chantier, la Préfecture des Alpes-Maritimes ayant refusé l'enlèvement des gravats par hélitreuillage.

Il n'est aucunement démontré de relations contractuelles entre la SCCV SENAVILLE et la société L et M. Le contrat passé entre la SCCV SENAVILLE et la SARL [Y], a généré un transfert des responsabilités relevant du maître d'ouvrage en application de l'article 1794 du code civil, vers le mandataire/ délégataire.

Le contrat de délégation de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d''uvre, libellé comme tel, a pour fonction d'écarter toute action en responsabilité sur le plan contractuel et exonère donc le mandant de toute action contre lui.

La responsabilité sur le plan délictuel peut être recherchée mais uniquement contre le mandataire, soit la SARL [Y]. Il a été retenu qu'« un mandataire est responsable personnellement envers les tiers des délits et quasi-délits qu'il peut commettre, soit spontanément, soit même sur les instructions du mandant, dans l'accomplissement de sa mission » (Cass. chambre mixte, 26 mars 1971n° 68-13407 : Bull. civ., ch. mixte, n° 6).

La mise hors de cause par le tribunal de la SCCV SENAVILLE est donc parfaitement justifiée, et partant le rejet de toutes demandes de condamnation prononcées contre elle et la décision sera confirmée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que «  Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'État. »

Dès lors, une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera allouée à la SCCV SENAVILLE . Me [U],ès qualité de liquidateur de la société L et M sera condamnée à payer cette somme.

Sur les dépens

Me [U] , ès qualité de liquidateur judiciaire de la société L et M sera tenue des dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

 

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,  

 

CONFIRME le jugement du 09 octobre 2018 du Tribunal de Grande instance de Nice, en ce qu'il a mis hors de cause la SCCV SENAVILLE et rejeté toutes les demandes à son encontre ;

CONDAMNE Me [U],ès qualité de liquidateur de la société L et M à payer la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Me [U],ès qualité de liquidateur de la société L et M à payer les entiers dépens de première instance et d'appel.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023,

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 18/18263
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;18.18263 ?
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