COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 05 AVRIL 2023
N° 2023/0432
Rôle N° RG 23/00432 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLCB7
Copie conforme
délivrée le 05 Avril 2023 par courriel à :
-l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
-le MP
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 03 avril 2023 à 13h38.
APPELANT
Monsieur [V] [N]
né le 23 Mai 1988 à [Localité 1] (TUNISIE)
de nationalité Tunisienne
comparant en personne, assisté de Me LAURENS, avocat au barreau D'AIX EN PROVENCE, avocat choisi et de Mme [R] [H] (Interprète en langue Arabe) en vertu d'un pouvoir général inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
INTIME
Monsieur le préfet des BOUCHES DU RHÔNE
Représenté par Madame VOILLEQUIN Sylvie
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté
DEBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 05 avril 2023 devant Madame Laurence DEPARIS, Conseillère à la cour d'appel déléguée par le premier président par ordonnance, assistée de Mme Michèle LELONG, Greffière,
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 05 avril 2023 à 15h55,
Signée par Madame Laurence DEPARIS, Conseillère et Madame Michèle LELONG, Greffière,
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu l'interdiction définitive du territoire national prononcée le 2 avril 2021 par la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE,
Vu l'arrêté pris le 31 mars 2023 par le préfet des BOUCHES DU RHONE , notifié le même jour à 9h59 ;
Vu la décision de placement en rétention prise le 31 mars 2023 par le préfet des BOUCHES DU RHONE notifiée le 09h59 ;
Vu l'ordonnance du 03 avril 2023 rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE décidant le maintien de Monsieur [V] [N] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;
Vu l'appel interjeté le 04 avril 2023 par Monsieur [V] [N] ;
Monsieur [V] [N] a comparu et a été entendu en ses explications ; il déclare : 'je veux retourner en Italie où j'ai ma carte de résident. Ma carte de résident est valable jusqu'en 2024. J'ai donné une copie à l'avocat. Je pensais aller en Italie mais pas au Cra en sortant de prison'.
Son avocat a été régulièrement entendu ; il conclut au défaut de motivation de l'ordonnance du premier juge, à l'absence d'interprète lors de la notification du placement en rétention et des droits, à l'irrecevabilité de la requête du préfet, au défaut de motivation de la requête, au défaut de diligences en raison de l'absence de saisine des autorités italiennes ; il conclut à l'illégalité externe de l'arrêté de placement en rétention en raison de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen sérieux. Il demande mainlevée de la mesure de rétention. Il a mal compris l'objet de son éloignement. Il a été entendu par la PAF et a remis ses papiers mais cette audition n'est pas au dossier. Il a fait une demande d'asile au cra en date du 1er avril 2023.
Le représentant de la préfecture sollicite confirmation de la décision frappée d'appel. La version du formulaire n'est pas lisible et on voit que l'étranger dit qu'il a un titre de séjour italien et qu'il a sa famille en Italie. La demande de réadmission est au dossier, elle date du 21 mars 2023. Nous n'avons pas trace de la demande d'asile.
Mme la présidente indique que cette demande de réadmission n'est pas au dossier.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du premier juge
Il apparaît qu'une erreur figure dans l'ordonnance frappée d'appel, en ce que l'identité de l'étranger est mal renseignée en page 2 de la décision et n'est pas renseignée en page 5 dans le dispositif s'agissant de la décision de prolongation ; toutefois, l'identité exacte de l'étranger renseignée en page 1, en en-tête de la décision, et dans le dispositif s'agissant du rejet de la requête en contestation, permet de qualifier cette erreur d'erreur matérielle, et d'écarter le moyen tiré du défaut de motivation.
Sur l'irrecevabilité de la requête
Aux termes de l'article R. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à peine d'irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l'étranger ou son représentant ou par l'autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.
Lorsque la requête est formée par l'autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l'article L. 744-2.
Il est constant qu'il ne peut être suppléé à l'absence du dépôt de ces pièces, sauf s'il est justifié de l'impossibilité de les joindre à la requête, par leur seule communication à l'audience, notamment afin de permettre leur mise à disposition de l'avocat de l'étranger dès leur arrivée au greffe conformément aux dispositions de l'article R 743-4 du CESEDA.
Il est constant que la mesure d'éloignement est une pièce justificative utile. Il résulte de la procédure que la mesure de rétention de l'étranger est fondée sur une interdiction définitive du territoire français. En l'occurrence, la requête préfectorale en prolongation de la rétention de Monsieur [V] [N] était accompagnée d'une fiche d'interdiction du territoire français émanant du greffe du tribunal judiciaire de Nice reproduisant toutes les mentions du jugement de condamnation à une peine complémentaire d'interdiction définitive du territoire français prononcée contradictoirement par le tribunal de grande instance de Nice statuant en matière correctionnelle le 23 octobre 2020 et comportant les signatures et cachets du greffier et du procureur de la République après vérification des mentions de la fiche, et précédés d'un tampon dateur du 20 mai 2021. La fiche pénale,également jointe à la requête, atteste d'une ordonnance de non admission d'appel en date du 2 avril 2021de la cour d 'appel d'Aix-en-Provence.
Il ne résulte pas par ailleurs de la procédure qu'une audition de l'étranger ait été menée avant la procédure de rétention. S'agissant de la fiche de situation, fiche administrative, il ne s'agit pas d'une pièce utile à la requête au sens de l'article sus-visé.
S'agissant du formulaire d'observation, il est destiné à recueillir les observations de l'étranger avant la décision du préfet de placement en rétention et de retour vers la Tunisie en l'espèce et ne peut constituer à ce titre une pièce utile au soutien de la requête en prolongation formée par le préfet.
Enfin, l'erreur figurant dans la requête et relative à la date de décision de condamnation à l'interdiction définitive du territoire national ne peut s'analyser en un défaut de motivation.
Dès lors, la requête doit être déclarée recevable.
Sur le moyen de nullité tiré de l'interprétariat par téléphone
L'article L. 743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
En application de l'article L. 141-3 du CESEDA, lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire.
En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
Il résulte des pièces du dossier que l'arrêté de placement en rétention et les droits de la rétention ont été notifiés à Monsieur [V] [N] par le truchement de la plate-forme téléphonique d'interprétariat ISM et que l'interprète est identifiable par ses nom et prénom, que la langue arabe est mentionnée comme ayant été utilisée et qu'un numéro de téléphone figure en outre sur les imprimés de notification.
Cependant, aucune pièce du dossier ni aucune mention ne permet pas de caractériser la nécessité du recours à l'interprète par téléphone ainsi que prévu par le texte sus-visé.
Néanmoins, cette circonstance ne peut suffire à démontrer une atteinte aux droits de l'étranger.
En l'espèce, il n'est pas établi que le recours à un interprétariat par téléphone pour la notification de la mesure de rétention et des droits de rétention ait eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'intéressé qui a eu connaissance de ces mesures et droits dans la langue arabe qu'il a déclaré comprendre, étant précisé que l'interprétariat a été effectué par un organisme agréé par l'administration.
Sur le moyen tiré de l'illégalité externe de l'arrêté de placement en rétention
Sur la motivation de l'arrêté de placement en rétention et l'examen de la situation personnelle de l'étranger
Les décisions de placement en rétention doivent être motivées en fait et en droit.
Aux termes de l'article L.741-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, l'autorité administrative peut placer en rétention pour une durée de 48 heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision. Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.
Ce dernier article dispose que le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;
5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ;
7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
Aux termes de l'article L.741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger. Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.
Il ressort de l'examen du dossier que l'arrêté de placement en rétention mentionne que Monsieur [V] [N] ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, n'étant pas en possession d'un passeport en cours de validité et ne justifiant pas d'un lieu de résidence effectif; qu'il n'a pas par ailleurs présenté d'observations sur sa situation personnelle et n'a pas allégué présenter un état de vulnérabilité.
Si le préfet n'est pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments de la situation personnelle de l'étranger, dès lors que les motifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention au regard des critères légaux, il lui appartient de procéder à l'examen de la situation personnelle de l'étranger. En l'espèce, le formulaire en date du 16 mars 2023 destiné à recueillir les observations de l'étranger préalablement à la décision de placement en rétention et de fixation du pays de renvoi était illisible dans la procédure soumise à la cour d'appel. Cependant, le représentant de la préfecture produit un document lisible faisant apparaître certains mots tels que 'carte de séjour' 'Italie' 'famille habite en Sicile'. Ces indications sont confortées par d'autres éléments figurant en procédure avant la décision de placement en rétention, telle que la fiche de situation et la demande de réadmission adressée par l'administration à l'Italie en date du 21 mars 2023 et produite lors de l'audience par le représentant du préfet.
En indiquant que l'étranger n'avait pas présenté d'observations sur sa situation personnelle, alors qu'il en a formé, alors qu'en outre ces indications étaient importantes car relatives à un droit au séjour dans un autre pays européen et corroborées par d'autres éléments dont disposait le préfet avant sa décision, il apparaît que ce dernier n'a pas procédé à un examen de la situation personnelle de Monsieur [V] [N].
Il convient dans ces conditions d'infirmer la décision frappée d'appel et de mettre fin à la mesure de rétention.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Infirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 03 Avril 2023.
Faisons droit à la requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention formée par Monsieur [V] [N].
Mettons fin à sa mesure de rétention.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
La greffière, La présidente,