COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 30 MARS 2023
N°2023/253
Rôle N° RG 22/01467 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIZAD
Société SCI DES CHEVREFEUILLES
C/
[U] [Y]
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Romain CHERFILS
Me Nikolay POLINTCHEV
Décision déférée à la Cour :
Arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation en date du 12 janvier 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 36 F-D.
APPELANTE
SCI DES CHEVREFEUILLES
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 1]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Philippe BARTHELEMY de la SCP BARTHELEMY-DESANGES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIME
Monsieur [U] [Y]
né le 11 juin 1963 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Nikolay POLINTCHEV, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Gilles PACAUD, Président, et Madame Myriam GINOUX, Conseillère, chargés du rapport.
M. Gilles PACAUD, Président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 mars 2023.
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon bail sous seing privé en date du 2 août 2004, la société civile immobilière (SCI) La Boal, aux droits de laquelle vient désormais la SCI des Chèvrefeuilles, a donné à bail à monsieur [K], aux droits duquel vient aujourd'hui monsieur [U] [Y], un local commercial situé [Adresse 6], aux fins d'exploitation d'un restaurant dénommé 'Le Mûrier'.
Par jugement du 20 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Draguignan a annulé un commandement visant la clause résolutoire du bail délivré par la bailleresse le 2 février 2014 et condamné celle-ci au paiement de dommages et intérêts.
Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 8 mars 2016.
Par jugement du 4 avril 2019, le juge des loyaux commerciaux du tribunal de grande instance de Draguignan a, après expertise, maintenu le montant annuel du loyer du bail renouvelé à compter du 29 juillet 2013, à la somme de 25 285 euros HT et HC au lieu des 72 000 euros sollicités par la bailleresse.
Diverses plaintes ont ensuite été déposées par M. [Y] en raison d'incivilités imputées à cette dernière.
Le 24 janvier 2019, la SCI des Chèvrefeuilles a, sur la base d'un procès-verbal de constat d'huissier de justice en date du 10 janvier 2019, relevant la fermeture du restaurant et l'apposition de panonceaux mentionnant 'Fermeture annuelle/Retour au printemps', fait délivrer à M. [Y] un commandement de reprendre l'exploitation dans le délai d'un mois.
Arguant de l'inexécution dudit commandement, elle a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan qui, par ordonnance en date du 17 juillet 2019 :
- l'a déboutée de ses demandes de constatation de la résiliation du bail et d'expulsion ;
- a débouté M. [U] [Y] de sa demande de dommages et intérêts ;
- a condamné la SCI des Chèvrefeuilles au paiement des dépens ;
- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon déclaration reçue au greffe le 14 août 2019, la SCI des Chèvrefeuilles a interjeté appel de la décision, l'appel portant sur le rejet de ses demandes de résiliation du bail, d'expulsion et d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sa condamnation au paiement des dépens.
Par arrêt en date du 15 octobre 2020, la chambre 1-2 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a :
- condamné la SCI des Chèvrefeuilles à payer à monsieur [U] [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SCI des Chèvrefeuilles de sa demande sur ce même fondement ;
- condamné la SCI des Chèvrefeuilles au paiement des dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A l'instar du premier juge, elle a, sur la question de l'acquisition de la clause résolutoire, considéré que :
- la cause annoncée par trois panneaux situés à l'entrée de l'établissement et sur sa page d'accueil internet, pour l'arrêt momentané de l'activité de restauration, dont il n'était pas contesté qu'elle avait repris régulièrement depuis, tenait en des congés annuels dont le principe est légalement acquis pour toute personne travaillant en France ;
- dès lors, la prétention émise devant le juge des référés tendant au constat du jeu de la clause résolutoire du bail pour violation de la clause d'exploitation conventionnellement stipulée, durant la période du 13 décembre 2018 au 13 mars 2019, revenait à conduire ce magistrat à apprécier la durée des congés pris au regard de l'obligation d'exploitation continue, ce qui excédait ses pouvoirs.
Un pourvoi a été formé contre cette décision et, par arrêt en date du 12 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
- condamné M. [Y] aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejetté la demande formée par M. [Y] et condamné celui-ci à payer la SCI des Chèvrefeuilles la somme de 3 000 euros.
La haute juridiction a notamment considéré qu'en statuant comme elle l'avait fait, la cour d'appel avait violé les articles 1134 du code civil et L 145-41 du code de commerce.
Selon déclaration reçue au greffe le 1er février 2022, la SCI des Chèvrefeuilles a saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence en sa qualité de cour de renvoi.
Par dernières conclusions transmises le 18 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle réforme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :
- prononce l'acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail liant les parties, conclu le 2 août 2004, tant dans son article 17 que dans son article 24, qui imposait une ouverture permanente des locaux qui devaient être exploités et achalandés ;
- déboute, par conséquent, M. [Y] de la totalité de ses demandes, et dise n'y avoir lieu à interprétation de la clause litigieuse ni à accorder des délais ;
- prononce l'expulsion de M. [U] [Y] et de tout occupant de son chef du Restaurant 'Le Mûrier' qu'il occupe, sis [Adresse 2] et ce, avec le concours de la force publique et d'un serrurier si besoin était, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt ;
- fixe l'indemnité d'occupation rétroactivement à la date du 24 janvier 2019 date de l'assignation devant le juge des référés, à la somme de 3 500 euros mensuel et condamne M. [U] [Y] à lui verser lesdites sommes, avec capitalisation des intérêts ;
- condamne M. [U] [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers deépens, dont distraction au profit de maître Romain Cherfils, membre de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence.
Par dernières conclusions transmises le 28 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [U] [Y] demande à la cour de réfomer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :
- à titre principal de :
' constater que la SCI des Chèvrefeuilles lui a délivré un commandement visant la clause résolutoire en date du 24 janvier 2019 alors qu'elle ne pouvait ignorer que le preneur était dans l'impossibilité de prendre connaissance de sa requête en temps utile en raison de la fermeture annuelle de l'établissement jusqu'alors tolérée ;
' dire que le commandement visant la clause résolutoire du 24 janvier 2019 est inopérant et doit être annulé en raison de la mauvaise foi de la SCI des Chèvrefeuilles ;
' débouter la SCI des Chèvrefeuilles de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire, de :
' constater que la rédaction de l'article 24 du bail, qu'il aurait prétendument violée, est imprécise en ce qu'il est fait référence à des exceptions légales pouvant permettre au preneur de fermer l'établissement pendant certaines périodes de l'année, ce qui est compatible tant avec la fermeture de l'établissement pour congés annuels en période hivernale qu'avec la fermeture pour raison de santé ;
' dire, en conséquence, qu'il a pu se méprendre de bonne foi sur le sens de ses obligations ce, d'autant que la SCI bailleresse avait jusqu'en 2019 toléré les fermetures annuelles en hiver ;
' débouter par conséquent la SCI des Chèvrefeuilles de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner la suspension des effets résolutoires attachés au commandement du 24 janvier 2019 pendant un délai de 24 mois, pour permettre au preneur à démontrer, à l'intérieur de ce délai, sa capacité à se conformer à l'exigence d'ouverture permanente du local ;
- à titre reconventionnel, de dire que la procédure intentée par la SCI des Chèvrefeuilles visant à faire constater la résiliation du bail objet de la présente instance est singulièrement déloyale et que l'exécution d'un contrat de manière déloyale constitue un trouble manifestement illicite auquel il est impératif de mettre un terme ;
- en tout état de cause, de condamner la SCI des Chèvrefeuilles à lui verser la somme de 5 000 euros en raison de l'exécution singulièrement déloyale du contrat amplement matérialisée par un commandement visant la clause résolutoire signifiée en janvier 2019 lorsque le bailleur savait que le preneur était absent du local, cette démarche déloyale s'inscrivant au surplus dans les suites de précédents actes de déloyauté imputables au bailleur, certains condamnés par la justice, notamment par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 8 mars 2016 ;
- condamner la SCI des Chèvrefeuilles à lui verser la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance distraits, au besoin, au profit de Me Nikolay POLINTCHEV, sur son affirmation de droits.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 7 février 2023.
Par soit transmis en en date du 23 février 2023, la cour a informé les conseils des parties qu'elle s'interrogeait :
- au regard des dispositions de l'article 910-1 du code de procédure civile sur la recevabilité des demandes subsidiaires (« suspension des effets résolutoires attachés au commandement de payer ») et reconventionnelle (« trouble manifestement illicite ») formulées par l'intimé alors que ce dernier n'avait pas développé ces prétentions dans son premier jeu de conclusions, transmis dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile et ce, alors que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, par son arrêt du 12 janvier 2022, a cassé et annulé l'arrêt du 15 octobre 2020 ;
- au regard des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts (5 000 euros) formulée par M. [Y] pour « exécution déloyale du contrat », laquelle n'est pas formulée à titre provisionnel.
Elle leur a donc imparti un délai, expirant le vendredi 3 mars 2023, à minuit, pour lui faire retour de leurs éventuelles observations par le truchement d'une note en délibéré.
Par note en délibéré datée du 23 février 2023 mais transmise à la cour le 1er mars suivant, le conseil de M. [Y] demande à la cour :
- de considérer, au visa des articles 565, 566, 567, 631 et 632 du code de procédure civile, que ses demandes visant à entendre, à titre infinimenet subsidiaire, suspendre les effets de la clause résolutoire et du commandement de payer et, à titre reconventionnel, faire cesser le trouble manifestement illicite causé par la déloyauté du bailleur tendend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge et sont, comme telles, recevables ;
- de requalifier sa demande de dommages et intérêts en demande provisionnelle d'un montant de 5 000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et juger' ou 'déclarer' qui, sauf dispositions légales spécifiques, ne sont pas des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais des moyens qui ne figurent que par erreur dans le dispositif, plutôt que dans la partie discussion des conclusions d'appel.
Sur la recevabilité des prétentions nouvelles
Par application de l'article 905-2 alinéa 2 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
Aux termes de l'article 910-1 du même code, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige.
Aux termes de l'article 631 du code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. L'article 632 du même code dispose que les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions. L'article 633 ajoute que la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.
Par application de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L'article 565 dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Enfin l'article 567 ajoute que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
Dans les suites de l'appel interjeté le 14 août 2019, l'avis de fixation a été notifié le 21 octobre 2019 et la SCI des Chèvrefeuilles a conclu le 7 novembre suivant. Dans ses conclusions régulièrement transmises le 5 décembre 2019 et donc dans le délai d'un mois qui lui été imparti, M. [Y] a sollicité de la cour qu'elle :
- constate que les conditions légales à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial ne sont pas réunies ;
- dise et juge que l'état de santé du locataire constitue un cas de force majeure ;
- constate que l'article 24 du contrat de bail n'impose pas au preneur une obligation d'exploitation continue ;
- constate la récidive de la mauvaise foi du bailleur qui tente d'obtenir la résiliation du bail commercial sur le fondement de griefs manifestement infondés à l'encontre de son locataire et fait peser sur lui la menace d'une résiliation de bail ;
- en conséquence :
' déboute la SCI des Chèvrefeuilles de l'ensemble de ses demandes ;
' confirme l'ordonnance entreprise ;
' condamne la SCI des Chèvrefeuilles à régler à M. [Y] la somme de 5 000 euros à titre de réparation de la menace de résiliation et de son préjudice moral ;
' condamne la SCI des Chèvrefeuilles à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Ces premières conclusions qui, selon l'article 910-1 du code de procédure civile déterminaient l'objet du litige, ne comprenaient pas les prétentions formulée, 'à titre infiniment subsidiaire' et 'reconventionnel', par M. [Y] dans ses dernières écritures transmises le 28 avril 2022 sur reprise d'instance après cassation, soit celles visant à entendre :
- ordonner la suspension des effets résolutoires attachés au commandement du 24 janvier 2019 pendant un délai de 24 mois, pour permettre au preneur à démontrer, à l'intérieur de ce délai, sa capacité à se conformer à l'exigence d'ouverture permanente du local ;
- dire que la procédure intentée par la SCI des Chèvrefeuilles visant à faire constater la résiliation du bail objet de la présente instance est singulièrement déloyale et que l'exécution d'un contrat de manière déloyale constitue un trouble manifestement illicite auquel il est impératif de mettre un terme.
Il est néanmoins exact, comme le fait valoir le conseil de M. [Y], que ces demandes tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Elles seront dès lors déclarées recevables sur le fondement des dispositions précitées des articles 565 et 663 du code de procédure civile et donc dans une optique d'achèvement du litige, .
Sur la demande de dommages et intérêts formulée par M. [Y]
Aux termes de l'article 484 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires.
L'article 835 alinéa 2 du même code, dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En application des dispositions de ces textes, le juge des référés ne peut accorder qu'une provision à valoir sur l'indemnisation d'un préjudice et ce, même si le montant de ladite provision n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance indemnitaire alléguée.
La demande de M. [Y] visant à entendre condamner la SCI des Chèvrefeuilles à lui verser la somme de 5 000 euros en raison de l'exécution singulièrement déloyale du contrat ne peut donc qu'être déclarée irrecevable comme formulée à titre définitif et non provisionnel.
Il convient à cet égard de souligner qu'une note en délibéré, sollicitée par la cour sur un point de droit précis, qu'elle entend relever d'office, ne peut avoir la même valeur et donc produire les mêmes effets que des conclusions régulièrement déposées. La requalification, opérée par le conseil de l'intimé, dans sa note en délibéré du 1er mars 2023, de sa demande de dommages et intérêts en demande de provision à valoir sur la liquidation du préjudice moral de M. [Y] ne peut donc produire aucun effet régularisateur.
Sur la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En application des dispositions de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement. Encore faut-il que le commandement de payer ou faire, visant la clause résolutoire, ait été délivré de bonne foi.
L'article 17 du contrat de bail signé le 2 août 2004, par la SCI La Boal, aux droits de laquelle vient désormais la SCI des Chèvrefeuilles, bailleur, et M. [B] [K], aux droits duquel vient aujourd'hui M. [U] [Y], preneur, prévoit une clause résolutoire ainsi rédigée : A défaut de paiement à son échéance d'un seul terme du loyer ou d'exécution d'une seule des conditions du présent acte, qui sont toutes de rigueur, le bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, et sans qu'il ait à remplir aucune formalité judiciaire un mois après une simple mise en demeure par acte extrajudiciaire de payer ou d'exécuter la clause en souffrance ... restée sans effet pendant ce temps.
L'article 24 stipule que dans tous les cas, sauf les exceptions prévues par la législation en vigueur, les lieux loués doivent toujours resté ouverts.
En date du 10 janvier 2019, la SCI des Chèvrefeuilles a fait réaliser un procès-verbal de constat par huissier de justice aux termes duquel il apparaît que le restaurant Le Mûrier est fermé, les trois panneaux situés à l'entrée et d'ordinaire dévolus à la présentation des cartes et menus du restaurant, indiquant : 'Fermeture annuelle / retour au printemps'.
Elle a donc, conformément aux stipulations contractuelles précitées, fait délivrer, le 24 janvier 2019 à monsieur [U] [Y], son locataire, exploitant du restaurant, un commandement visant la clause résolutoire et tendant à la reprise, dans le mois de l'acte, d'une activité commerciale effective et permanente conforme au bail.
Le 26 février 2019, un nouveau procès-verbal de constat par huissier de justice a établi que le restaurant Le Mûrier demeurait toujours fermé.
Le 26 mars 2019, un autre procès-verbal de constat a, au contraire, attesté de la reprise de l'activité de restauration au sein de l'établissement dont le couvert était dressé et dont les chambres froides et réfrigérateurs étaient remplis de nourriture.
M. [U] [Y] ne conteste pas que le restaurant a été fermé du 13 décembre 2018 au 13 mars 2019 à raison de congés annuels, ce qui est d'ailleurs conforme à l'indication fournie sur la page d'accueil internet du restaurant Le Mûrier selon capture d'écran du 5 mars 2019 produite aux dossiers. Dans le dernier état de ses écritures, il soutient cependant :
- que son bailleur s'est montré déloyal en faisant signifier le commandement de reprendre l'activité, à l'adresse du local loué, à une époque où il savait pertinemment que son locataire ne s'y trouvait pas et était donc dans l'impossibilité d'y déférer ;
- qu'il venait de se faire opérer et qu'en tout état de cause la fermeture annuelle, en période hivernale, avait toujours été pratiquée et tolérée par son bailleur ;
- que la clause du bail relative à l'exploitation continue du restaurant, et donc son article 24, manque de précision et a donc pû le conduire à se méprendre, de bonne foi, sur la portée de son obligation.
S'agissant de la bonne foi du bailleur, l'on imagine mal, dans quelles circonstances autres qu'un délaissement des lieux, celui-ci pourrait faire délivrer un commandement de reprendre l'exploitation. Il est par ailleurs logique que ledit commandement soit délivré à l'adresse du bien loué, rien n'empêchant le preneur en congés, et donc absent, de faire suivre son courrier voire de venir ou de le faire relever périodiquement. Le moyen tiré de la mauvaise foi du bailleur dans la mise en oeuvre de l'article 17 du bail est donc dénué de pertinence en sorte qu'aucun trouble manifestement illicite ne peut en résulter.
S'agissant des opérations que M. [Y] a subies les 13 décembre 2018 et 10 janvier 2019, telles qu'attestées par le docteur [J], force est de constater d'une part qu'il ne s'agissait pas du motif de fermeture mentionné sur les pannonceaux et, d'autre part, que chacune nécessitait, aux dires de ce praticien, un repos post-opératoire de 10 à 15 jours. La période d'immobilisation était donc bien inférieure à la durée de fermeture de l'établissement dont le caractère annuel n'est pas véritablement contesté. En outre, compte tenu, des tensions émaillant les relations avec son bailleur, M. [Y] eût été bien inspiré d'en avertir ce dernier, par voie officielle, afin de se garantir de toute mise en oeuvre de l'article 24 du bail.
S'agissant de l'argument tiré de la tolérance passée de son bailleur, M. [Y] ne verse aux débats aucun élément susceptible de l'étayer.
L'attestation de M. [H] [D], expert comptable, qui fait état d'un chiffre d'affaire de 11 976 euros sur les mois de novembre à décembre 2022, témoigne, par ailleurs, de la possibilité de maintenir, en période hivernale, une activité réduite, certes peu lucrative, mais permettant de se conformer aux stipulations de l'article 24 du bail et donc de le pérenniser.
S'agissant enfin de l'absence de clarté de cette clause, force est de constater qu'elle ne recèle aucune équivoque sur l'obligation de laisser les lieux ouverts en toutes circonstances, sauf interdiction légale, laquelle s'analyse comme une cause extérieure aux parties.
M. [Y] n'explique pas en quoi de telles dispositions législatives auraient pu trouver à s'appliquer. Les dispositions du code du travail, qu'il évoque, régissent la durée de congés des salariés et ne sont donc pas applicables à la présente espèce puisque, d'une part, M. [Y] ne peut les revendiquer à son profit, exerçant à titre commercial, et que ses employés, à savoir messieurs [A] et [X], s'ils peuvent prétendre à des vacances, dans la limite de 2 jours et demi par mois de travail effectif et dans la limite de 30 jours ouvrables par an, peuvent être remplacés via des contrats d'interim ou à durée déterminée.
Il convient donc dans ces conditions d'infirmer l'ordonnance entreprise et de constater l'acquisition de la clause résolutoire au 24 février 2019.
Sur la demande de suspension de la clause résolutoire
M. [Y] fonde sa demande subsidiaire de suspension de la clause résolutoire sur l'article L 145-1 alinéa 2 du code de commerce. Ce texte dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée : la clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Aux termes de l'article 1345-3 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues : par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Ce texte, inséré dans la sous-section 2 du chapitre IV du titre IV du code civil intitulée 'Des dispositions particulières aux obligations de sommes d'argent' ne peut trouver à s'appliquer qu'en cas de résiliation du bail pour non paiement des loyers et/ou charges. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque le commandement délivré visait simplement l'obligation de reprendre l'activité et non de payer une quelconque dette locative et que c'est de ce seul chef qu'il a, par application des dispositions de l'article L 145-41, produit son effet résolutoire.
M. [Y] sera donc débouté de sa demande de suspension des effets résolutoires attachés au commandement du 24 janvier 2019 pour une durée de 24 mois.
Il sera, dès lors, condamné à quitter les lieux et ce, sans qu'il n'y ait lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte, l'assistance de la force publique et d'un serrurier étant accordée en cas de refus.
S'agissant enfin, de l'indemnité d'occupation mensuelle due à compter de la résiliation du bail, force est de constater que la SCI des Chèvrefeuilles ne justifie pas, notamment par la production d'une quittance ou d'un arrêté de compte, de la somme de 3 500 euros sollicitée à ce titre. Le montant de l''indemnité mensuelle d'occupation, due à compter de la résiliation du bail, correspondra donc à celui du dernier loyer appelé, c'est à dire à celui du janvier 2019.
M. [Y] sera donc condamné à verser cette indemnité d'occupation à la SCI Les Chèvrefeuilles à compter du 24 février 2019 et les sommes ainsi versées seront capitalisées par année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile mais de l'infirmer en ce qu'elle a condamné la SCI des Chèvrefeuilles au paiement des dépens.
M. [Y], qui succombe au litige, sera débouté de sa demande formulée sur le fondement de l'article précité. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés en cause d'appel. Il lui sera donc alloué, de ce chef, une somme de 2 000 euros.
M. [U] [Y] supportera en outre les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevables les demandes nouvelles de M. [U] [Y] tendant à entendre :
- ordonner la suspension des effets résolutoires attachés au commandement du 24 janvier 2019 pendant un délai de 24 mois, pour permettre au preneur de démontrer, à l'intérieur de ce délai, sa capacité à se conformer à l'exigence d'ouverture permanente du local ;
- dire que la procédure intentée par la SCI des Chèvrefeuilles visant à faire constater la résiliation du bail objet de la présente instance est singulièrement déloyale et que l'exécution d'un contrat de manière déloyale constitue un trouble manifestement illicite auquel il est impératif de mettre un terme ;
Déclare irrecevable la demande de M. [U] [Y] visant à entendre condamner la SCI des Chèvrefeuilles à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Constate l'acquisition de la clause résolutoire mentionnée au bail liant les parties à la date du 24 février 2019 ;
Déboute M. [U] [Y] de sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire ;
Condamne M. [U] [Y] à payer à la SCI des Chèvrefeuilles, à compter du 1er mars 2019, une indemnité d'occupation correspondant au montant du loyer du mois de janvier 2019 ;
Ordonne la capitalisation des intérêts par année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
Ordonne, à défaut de départ volontaire, l'expulsion de M. [U] [Y] et de tous occupants de son chef du restaurant '[Adresse 5] et ce, si besoin, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
Dit n'y avoir lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Condamne M. [U] [Y] à payer à la SCI des Chèvrefeuilles la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [U] [Y] de sa demande sur ce même fondement ;
Condamne M. [U] [Y] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président