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30/03/2023 | FRANCE | N°18/08924

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 30 mars 2023, 18/08924


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 30 MARS 2023



N° 2023/













Rôle N° RG 18/08924 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCQFP







[P] [V]





C/



[C] [U]

Fondation DE L'ABBAYE DE [Localité 6] D'OUTREMER

SA LES ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL VIE







Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Charles TOLLINCHI



Me Romain CHERFILS


r>Me Pascale PENARROYA-LATIL





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 29 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/04175.





APPELANTE



Madame [P] [V]

née le 26 Février 1949 à [Localité 7], d...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 30 MARS 2023

N° 2023/

Rôle N° RG 18/08924 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCQFP

[P] [V]

C/

[C] [U]

Fondation DE L'ABBAYE DE [Localité 6] D'OUTREMER

SA LES ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL VIE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Charles TOLLINCHI

Me Romain CHERFILS

Me Pascale PENARROYA-LATIL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 29 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/04175.

APPELANTE

Madame [P] [V]

née le 26 Février 1949 à [Localité 7], demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée à l'audience par Me Corinne PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Marie-hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

Madame [C] [U]

, demeurant [Adresse 1]

défaillante

Fondation DE L'ABBAYE DE [Localité 6] D'OUTREMER

, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée à l'audience par Me Rebecca VANDONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SA LES ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL VIE

, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée à l'audience par Me Jérôme LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Sophie ZIEGLER, avocat au barreau de STRASBOURG

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 24 Janvier 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Madame Angélique NAKHLEH, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Mars 2023.

ARRÊT

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [Z] [V] née [E] est décédée le 14 janvier 2016 laissant comme seule héritière madame [P] [V] sa fille qui a accepté purement et simplement la succession ouverte en l'étude de maître [Y] notaire à [Localité 4]. Elle se trouve en l'état d'un testament rédigé le 18 août 2008.

Madame [P] [V] a accepté la délivrance des legs au profit de divers tiers.

La défunte avait souscrit, le 23 mai 2007, auprès de la société ACM VIE un contrat d'assurance-vie PLAN ASSUR HORIZONS numéro OJ 009213804. Le montant de la prime initiale était de 5000 euros le 4 juin 2007, un versement de 65 000 euros a eu lieu le 9 juillet 2008, un rachat de 5000 euros est intervenu le 30 août 2008. Au 1er janvier 2016 la valorisation de ce contrat s'élevait à la somme de 77.579,71 euros.

Dans le dernier avenant souscrit, elle a désigné comme bénéficiaire de l'assurance-vie la Fondation de l'Abbaye de la [Localité 6] d'Outremer qui a pour objet l'entretien et la mise en valeur de cette abbaye située en Normandie et elle a réitéré cette volonté le 1 er avril 2009. Madame [U], sa nièce, était désignée bénéficiaire à défaut.

Le 28 avril 2016, madame [P] [V] a fait pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la société ACM VIE pour le montant du capital destiné à la fondation Abbaye de [Localité 6] d'Outre-Mer.

Par acte d'huissier en date du 24 mai 2016, madame [P] [V] a fait assigner la Fondation de l'Abbaye de [Localité 6] d'Outremer, la CIC LYONNAISE DE BANQUE et madame [U] devant le tribunal de grande instance de Draguignan aux fins d'obtenir l'annulation du contrat d'assurance-vie.

Par jugement réputé contradictoire en date du 29 mars 2018, le Tribunal de Grande instance de Draguignan a :

REJETTE la demande d'annulation du contrat d'assurance-vie souscrit le 23 mai 2007

REJETTE la demande de réintégration à l'actif de la succession de [Z] [V] née [E] des primes versées,

CONDAMNE madame [P] [V] à payer à la Fondation de l'abbaye de [Localité 6] d'Outre-Mer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

REJETTE la demande de madame [V] au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNE madame [P] [V] aux dépens qui seront recouvrés directement par les avocats de la cause qui en ont fait la demande et l'avance ;

REJETTE la demande d'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe le 28 mai 2018, madame [P] [V] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

Rejeté la demande d'annulation du contrat d'assurance-vie souscrit le 23 mai 2007

Rejeté la demande de réintégration à l'actif de la succession de feue [Z] [V] née [E] des primes versées

Condamné Madame [P] [V] à payer à la Fondation de l'Abbaye de [Localité 6] d'Outremer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi que la condamnation aux dépens

Rejeté la demande de Madame [V] au titre de l'article 700 du CPC

Par conclusions du 6 Janvier 2023, madame [P] [V], appelante expose :

A titre principal sur le fondement de la fraude à la loi, madame [P] [V] sollicite l'annulation du contrat d'assurance vie souscrit le 27 mai 2007 ainsi que soit ordonné la restitution du montant des primes versées pour la somme totale de 77.479,71 euros.

Au soutien de sa demande, elle avance que les sommes contenues dans le contrat d'assurance vie constituent le seul patrimoine de sa mère défunte, de sorte qu'en instituant la FONDATION DE L'ABBAYE DE LA [Localité 6] D'OUTREMER, et à défaut sa nièce madame [C] [U], [Z] [E] entendait déshériter purement et simplement sa fille unique. Or en vertu des articles 912 et 913 du Code civil, en tant que fille unique de la défunte, madame [V] ne pouvait être privé de plus de la moitié de la succession de sa mère. La conclusion du contrat d'assurance vie constituait une man'uvre de sa mère visant à contourner les règles de la réserve héréditaire afin de ne rien laisser à sa fille. Dès lors le contrat doit être annulé sur le fondement de la notion jurisprudentielle de fraude à la loi.

Subsidiairement, l'appelante sollicite sur le fondement de l'article 924 du Code civil que soit ordonner à la FONDATION DE L'ABBAYE DE LA [Localité 6] d'OUTREMER de rapporter à l'actif successoral le montant du capital de l'assurance-vie dans la mesure où cette donation indirecte excède la quotité disponible et doit donc être rapportée à l'actif successoral afin que l'héritière réservataire puisse bénéficier de la part de la réserve à laquelle elle a droit, ou à tout le moins ordonnera sa réduction pour atteinte à la réserve de l'héritière de la contractante.

Très subsidiairement, sur le fondement de l'article L132-13 du Code des assurances, retenir le caractère manifestement exagéré des primes versées sur le contrat d'assurance vie, et dès lors ordonner la réintégration de l'ensemble des primes à l'actif successoral, soumis à la règle de la réduction afin que madame [P] [V] puisse percevoir en sa qualité d'héritière réservataire la moitié de l'actif successoral. En l'espèce conformément aux critères déterminés par la jurisprudence (1ère civ 19 mars 2014), âge de la souscriptrice (76 ans), sa situation patrimoniale au moment de la souscription, le placement de la quasi-totalité de sa fortune sur le contrat d'assurance-vie témoignent du caractère manifestement exagéré des primes versées eu égard à ses facultés

En tout état de cause :

Déclarer l'arrêt opposable à la société ACM VIE et à Madame [C] [U],

Débouter la FONDATION DE L'ABBAYE DE LA [Localité 6] D'OUTREMER et la SA ACM VIE de leurs demandes en condamnation formées au titre de l'article 700 du CPC,

Condamner la FONDATION DE L'ABBAYE DE LA [Localité 6] D'OUTREMER à payer à Madame [P] [V] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.

La condamner également aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, Avocat aux offres de droit, dans les conditions de l'article 699 du CPC.

Par conclusions du 6 janvier 2023 la SA ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL VIE, intimée sollicite à titre principal la confirmation du jugement rendu.

A titre subsidiaire, que soit jugé ce que de droit quant à la demande de nullité du contrat d'assurance vie, quant au caractère manifestement exagéré ou non des primes du contrat d'assurance et dans la détermination de la part des primes qui devra le cas échéant être réservée à la succession.

En tout état de cause est sollicitée, la condamnation de la partie succombante à payer à la SA ACM Vie la somme de 3500 euros en application de l'article 700 CPC, ainsi qu'à régler tous les frais et dépens de première instance et d'appel. Ainsi que le rejet de toutes conclusions d'érigées contre la SA ACM VIE.

Par conclusions du 12 mai 2020 la FONDATION de l'ABBAYE DE [Localité 6] D'OUTRE-MER, intimée  :

A titre principal, est sollicitée la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Madame [P] [V] à la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la validité du contrat d'assurance vie : il résulte des dispositions des articles L132-12 et L132-13 du Code des assurances, que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas au capital et aux primes versées au contrat d'assurance vie. Il résulte des dispositions ci-dessus rappelées que la protection de l'héritier réservataire ne relève pas de l'action en nullité qu'aucun texte n'envisage.

Par ailleurs madame [P] [V] ne démontre pas la nature illicite de la cause de libéralité, l'intention de libéralité de sa mère à l'égard de la FONDATION DE L'ABBAYE DE LA [Localité 6] D'OUTREMER étant justifiée par l'objet de son activité.

Sur l'absence de rapport à succession : Tout d'abord le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie étant une tierce personne désignée en dehors de la famille, seule la réduction pour atteinte à la réserve pourrait être envisagée, le rapport n'étant jamais dû par un tiers.

Par ailleurs, le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à ses héritiers ou un bénéficiaire déterminé ne font pas partie de la succession de l'assuré. Dès lors sur le fondement des articles L132-12 et L132-13 du Code des assurances, la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant doit être écartée.

Sur l'absence de restitution des primes : La Cour de Cassation juge que la prime manifestement exagérée doit s'apprécier par rapport à la situation familiale et patrimoniale du souscripteur au moment du versement des primes, compte tenu alors de son âge, de son état de santé et de l'utilité de l'opération. En l'espèce ces éléments ne sont pas rapportés.

A titre subsidiaire, il est demandé de rapporter la libéralité à l'actif successoral afin de permettre le calcul de la quotité disponible.

En tout état de cause, condamner Madame [P] [V] au règlement d'une indemnité d'un montant de 3500 euros à la Fondation de l'Abbaye de [Localité 6] d'outre-mer sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

[C] [U] n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifiée par acte du 25 Juillet 2018 remis à sa personne, les conclusions d'appelants par acte du 12 Septembre 2018 puis le 27 février 2019.

L'affaire a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 janvier 2023 et fixée à l'audience de plaidoiries du 24 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur la nullité du contrat d'assurance -vie :

Il n'est pas contesté que madame [V] est la fille unique de madame [Z] [E] veuve [V] issue de son union avec monsieur [N] [V] son époux prédécédé le 27 avril 2005.

Elle conteste la validité du contrat d'assurance-vie souscrit le 23 mai 2007 auprès du CIC dit Plan Assur Horizons OJ 9213804 avec un terme au 23 mai 2026 au visa des articles 912 et 913 du code civil,

L'article 912 du code civil dispose que la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent.

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités.

L'article 913 du même code dispose que les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre.

L'enfant qui renonce à la succession n'est compris dans le nombre d'enfants laissés par le défunt que s'il est représenté ou s'il est tenu au rapport d'une libéralité en application des dispositions de l'article 845.

Toutefois l'article L132-12 du code des assurances prévoit que le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.

L'article L132-13 du même code précise que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

En l'espèce, le contrat a été souscrit le 23 mai 2007 auprès du CIC dit Plan Assur Horizons alors que madame [E] était âgée de 76 ans et que le terme du contrat était en mars 2026.

Le 07 juillet 2008 madame [E] vendait sa maison en viager et percevait un bouquet de 80 000 euros qu'elle plaçait à hauteur de 65 000 € sur le compte d'assurance 'vie, madame [U], nièce de la souscriptrice restant le bénéficiaire désigné

Par avenant du 20 août 2008 réitéré le 1er avril 2009 elle a désigné comme bénéficiaires du contrat d'assurance en cas de décès la Fondation de l'Abbaye de [Localité 6] d'Outremer et à défaut sa nièce madame [U] .

A la date du décès de madame [E], la valorisation du contrat d'assurance porte sur un montant de 77 579,71euros

Ces éléments sont insuffisants à apporter la démonstration de la nullité du contrat en raison d'une intention frauduleuse de détourner les dispositions des articles 912 et 913 du code civil, dans la mesure où cette possibilité de déroger aux droits des héritiers réservataires est expressément autorisée par les dispositions du code des assurances susvisées les seules limites étant la requalification en donation indirecte et la réduction en raison du caractère excessif des primes.

Par voie de conséquence le jugement de première instance doit être confirmé sur ce point

Sur la donation indirecte

L'article 924 du code civil dispose que lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent.

Le paiement de l'indemnité par l'héritier réservataire se fait en moins prenant et en priorité par voie d'imputation sur ses droits dans la réserve.

L'article 894 du code civil dispose que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.

Par arrêt rendu en chambre mixte le 21 décembre 2007 la cour de cassation a jugé qu'un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; que la cour d'appel, qui a retenu que [K] [H].. qui se savait, depuis 1993, atteint d'un cancer et avait souscrit en 1994 et 1995 des contrats dont les primes correspondaient à 82% de son patrimoine, avait désigné, trois jours avant son décès, comme seule bénéficiaire la personne qui était depuis peu sa légataire universelle, a pu en déduire, en l'absence d'aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l'existence chez l'intéressé d'une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller ; qu'elle a exactement décidé que l'opération était assujettie aux droits de mutation à titre gratuit.

Par arrêt du 26 octobre 2010, la chambre commerciale a également jugé qu'un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable.

En l'espèce, l'intention de se dépouiller de manière irrévocable de madame [E] veuve [V], en désignant la Fondation de l'Abbaye de [Localité 6] d'Outremer et à défaut madame [U] , sa nièce, en qualité de bénéficiaires de l'assurance-vie, résulte du testament olographe versé aux débats rédigé par madame [V] le 18/08/2008, environ un mois après la vente en viager du bien immobilier et avant la signature de l'avenant au contrat correspondant le 20/08/2008, testament dans lequel elle lègue de manière méthodique l'ensemble de ses biens y compris le capital de l'assurance-vie, jusqu'au matériel HI FI et aux bouteilles de vin à différents bénéficiaires dont sa nièce qu'elle désigne pour exécuter ses volontés , organise la vente des effets personnels et bibelots lui appartenant par l'effet du régime matrimonial de la communauté universelle pour en répartir le prix également entre des tiers.

Elle indique qu'elle reproche à sa fille et à sa petite fille de l'avoir délaissé.

Cette intention de se dépouiller de manière irrévocable est confortée par le témoignage de madame [R] [D] ,chimiste retraitée, cousine de la défunte , domiciliée à [Localité 7] , commune de naissance de madame [P] [V], qui indique la connaître depuis l'enfance et être la marraine de l'appelante et atteste que la naissance de l'appelante a perturbé grandement les projets de vie de sa mère, apportant des contraintes qu'elle n'avait pas souhaitées , en particulier son mariage, qu'elle n'aura de cesse de faire porter le poids à sa fille, qu'elle était narcissique et égocentrique, son mari à ses petits soins, voire sa dévotion renforçait ces traits de caractère.

A l'occasion de plusieurs invitations au cours des années 1996/1997 ils ont évoqué leur intention de changer leur régime matrimonial. Il m'était alors clairement apparu que leur but était de bien de déshériter leur fille, souhait émanant surtout de ma cousine.

Il convient de noter qu'une attestation notariée de Maître [Y] établit que les époux [V]-[E] ont effectivement opté pour le régime matrimonial de la communauté universelle le 28 février 1997.

Ces aspects de l'expression de la personnalité de la défunte dans le cadre familial et de son impact sur la relation avec sa fille est confirmé par le témoignage de monsieur [G] [M], retraité, domicilié à [Adresse 5] , commune de résidence de madame [E] épouse [V] , qui indique :la connaissant depuis plus de 40 ans je peux vous affirmer que à part elle-même, elle s'intéressait pas à son entourage .Ces seuls sujets de conversation se résumaient à sa peinture (elle se considérait bien sûr incomparable) et ses maladies'.quant à son caractère , c'était une personne narcissique , autoritaire et intolérante. Le plus surprenant est cette haine qu'elle portait à sa fille et en conséquence agissait de façon à la déshériter. A chaque fois que je venais lui rendre visite en souvenir de son mari qui était un homme charmant, dévoué et toujours prêt à rendre service (mais sous l'influence néfaste de son épouse) ça devenait infernal. Elle s'acharnait sur sa petite fille [B] qu'elle ne connaissait pratiquement pas. J'essayai de la convaincre à faire un premier pas mais ne l'envisageait même pas et me traitais en ennemi farouche.

Cette intention de déshériter sa fille au profit de tiers plus digne de son intérêt s'est concrétisée par la réalisation du bien immobilier vendu en viager pour en verser le prix sur une assurance vie lui permettant d'écarter sa fille du bénéfice du solde de ce capital réalisé alors que ce bien constitue l'essentiel du patrimoine.

En effet, un courrier du notaire en charge de la succession en date du 08 mars 2016 indique qu'au jour du décès le patrimoine de la défunte se compose comme suit :

Actif

Meubles mobiliers faisant l'objet de legs 1585€

Comptes bancaires revenant à l'héritière sous déduction des frais d'actes :7210 ,37€ + 245,51€ + 17,73€

Passif

1500€ (frais d'obsèques)

Contrairement à ce qui est affirmé par l'intimé, la faculté de rachat n'est pas exclusive du caractère irrévocable de la volonté de se dépouiller au profit de tiers puisque la donation porte sur le solde au jour du décès.

De même, l'acceptation du bénéficiaire s'est concrétisée à la date de l'acceptation du capital décès du contrat.

Toutefois cette intention irrévocable de se dépouiller et de mettre ainsi fin au caractère aléatoire du contrat n'étant constituée qu'à compter de l'année 2008 suite à la vente du bien immobilier et à la rédaction du testament, la donation indirecte porte sur le montant des primes versées à compter de cette date et non sur le produit du placement effectué.

Par voie de conséquence il doit être réintégré dans l'actif successoral la somme de 65000€ correspondant au solde des primes versées postérieurement à la perception du bouquet d'un montant de 80000 euros perçu après la vente en viager du bien immobilier afin de déterminer le montant de la quotité disponible.

Le jugement de première instance sera donc infirmé y compris s'agissant de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civil et de la charge des dépens.

Sur ce point, partie perdante, la fondation de l'Abbaye de [Localité 6] sera condamnée à payer les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, Maître PENARROYA LATIL et la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE.

L'équité commande d'allouer à madame [P] [V] la somme de 2500 euros et à la SA ACM VIE la somme de 1000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement réputé contradictoire en date du 29 mars 2018 du Tribunal de Grande instance de Draguignan en ce qu'il déboute madame [P] [V] de sa demande de prononcer la nullité du contrat d'assurance 'vie Plan Assur Horizons n °OJ9213804

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que la fondation de l'Abbaye de [Localité 6] en qualité de bénéficiaire du contrat d'assurance -vie Plan Assur Horizons n °OJ9213804 doit à l'héritière réservataire de madame [Z] [E], à savoir madame [P] [V], restitution de la donation indirecte d'un montant de 65000 euros dont elle a bénéficié en vertu du contrat précité à concurrence de la portion excessive de la libéralité conformément aux dispositions de l'article 924 du code civil

Déboute madame [P] [V] du surplus de ses demandes.

Condamne la fondation de l'Abbaye de [Localité 6] à payer à madame [P] [V] la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la fondation de l'Abbaye de [Localité 6] à payer à la SA ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL VIE la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la fondation de l'Abbaye de [Localité 6] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, Maître PENARROYA LATIL et la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Mars 2023,

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 18/08924
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;18.08924 ?
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