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23/03/2023 | FRANCE | N°22/11602

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 23 mars 2023, 22/11602


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 23 MARS 2023



N° 2023/ 238













Rôle N° RG 22/11602 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ4YN







[N] [E]

S.C.I. LA NERTHE





C/



[U] [C] épouse [C]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Lisa ARCHIPPE





Me François COUTELIER




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Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 19 juillet 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00144.





APPELANTES



Madame [N] [E]

Née le [Date naissance 3] 1943 à [Localité 14], demeurant [Adresse 10]



S.C.I. LA NERTHE

...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 23 MARS 2023

N° 2023/ 238

Rôle N° RG 22/11602 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ4YN

[N] [E]

S.C.I. LA NERTHE

C/

[U] [C] épouse [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Lisa ARCHIPPE

Me François COUTELIER

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 19 juillet 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00144.

APPELANTES

Madame [N] [E]

Née le [Date naissance 3] 1943 à [Localité 14], demeurant [Adresse 10]

S.C.I. LA NERTHE

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 10]

représentées par Me Lisa ARCHIPPE de la SELAS ARCHIPPE TRAVART VILLALARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

Madame [U] [O] épouse [C]

née le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 17], demeurant [Adresse 11]

représentée par Me François COUTELIER de l'ASSOCIATION COUTELIER, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Agnès ERMENEUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Frédéric SOIRAT, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI La Nerthe a été constituée, suivant acte sous seing privé en date du 15 décembre 1995, par Mme [N] [E] et Mme [D] [G] veuve [E], la première disposant 99 parts sociales et la deuxième 1 part sociale. Cette société a pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de tout bien immobilier, et plus spécialement l'opération suivante : l'acquisition d'une propriété située à [Adresse 16], dénommée la Nerthe, cadastrée section [Cadastre 12], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et section [Cadastre 13], composée d'une maison à usage d'habitation élevée d'un étage sur rez-de-chaussée.

Par acte authentique en date du 29 janvier 1996, Mme [N] [E] a fait une donation en avancement d'hoirie de la nue-propriété de ses parts à son fils, M. [H] [O], à hauteur de 50 parts, et à sa fille, Mme [U] [O] épouse [C], à hauteur de 49 parts.

Suite au décès de [D] [G], Mme [N] [E] a fait, par acte notarié en date du 19 décembre 2001, une donation en avancement d'hoirie de la nue propriété de la part détenue par sa défunte mère à sa fille.

A l'issue de ces donations, le capital social de la société La Nerthe se décompte comme suit :

- 50 parts en nue-propriété pour M. [H] [O] ;

- 50 parts en nue-propriété pour Mme [U] [O] ;

- 100 parts en usufruit pour Mme [N] [E].

La société La Nerthe a toujours été gérée par Mme [N] [E].

Se prévalant de dysfonctionnements affectant la gestion de la société La Nerthe, et notamment d'une assemblée générale ordinaire des copropriétaires en date du 25 août 2021, ayant autorisé Mme [E] à céder les biens immobiliers aux prix et conditions qu'elle jugera conforme aux intérêts de la société, qui s'est réunie en violation de ses droits d'associée, Mme [U] [O] épouse [C] a, par acte d'huissier en date du 6 janvier 2021, assigné Mme [N] [E] et la société La Nerthe devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulon aux fins notamment de suspendre les effets de la résolution de l'assemblée générale du 25 août 2021 ayant autorisé la gérante à vendre les biens immobiliers appartenant à la société et de désigner un mandataire ad hoc avec pour mission d'administrer les deux derniers actifs immobiliers de la société La Nerthe en mettant les frais et honoraires de ce mandataire ad hoc à la charge de Mme [N] [E].

Par ordonnance en date du 19 juillet 2022, ce magistrat a :

- rejeté l'exception d'irrecevabilité tenant à l'absence dans la cause d'un associé de la société La Nerthe ;

- suspendu les effets de la résolution de l'assemblée générale du 25 août 2021 ayant autorisé la gérante à "vendre les biens appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société" ;

- désigné la SCP Evazin-[X], pris en la personne de Me [S] [X], en qualité de mandataire ad hoc pour une durée d'un an renouvelable, avec pour mission d'administrer les deux derniers actifs de la société La Nerthe à savoir :

* le lot n° 19 constitué d'un local commercial situé au rez-de-chaussée et les 144/1/1000ème des parties communes générales de l'immeuble en copropriété sis [Adresse 5] section CL n° [Adresse 7] ;

* l'ensemble immobilier sis [Adresse 10] cadastré [Cadastre 12], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et section [Cadastre 13] ;

- dit qu'un rapport devra être adressé à l'issue de la période consiédérée ;

- fixe à la somme de 1 000 euros la provision sur frais et honoraires du mandataire ad hoc qui devra être versée par Mme [U] [O] épouse [C] dans le délai de 6 semaines à compter de la signification de l'ordonnance à peine de caducité ;

- dit que la provision sur frais et honoraires sera mise à la charge définitive de la société La Nerthe ;

- condamné Mme [E] à verser à Mme [U] [O] épouse [C] la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ;

- l'a condamnée aux dépens, en ce compris le coût de la signification de l'ordonnance à intervenir.

Ce magistrat a estimé que, dès lors que Mme [E] est habilitée à représenter la société La Nerthe en tant que gérante et que les statuts prévoient que chaque gérant est responsable envers la société et les tiers des infractions aux lois et règlements, de la violation des statuts et des fautes commises dans la gestion, la demanderesse n'était pas tenue d'attraire à la procédure tous les associés de la société La Nerthe, et en particulier son frère. Sur le fond, il a relevé de graves dysfonctionnements depuis plusieurs années affectant la gestion de la société Le Nerthe, et notamment le fait que Mme [O] épouse [C] n'a été convoquée à aucune assemblée générale, que sa présence résulte du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 14 janvier 2019 alors qu'elle n'y était pas, que des biens immobiliers appartenant à la société La Nerthe ont été vendus sans autorisation d'une assemblée générale et sans modification de statuts et que l'assemblée générale ordinaire du 20 août 2021 a autorisé la gérante à vendre les autres biens de la société alors même qu'une telle vente ne fait pas partie de l'objet social de la société, qu'une modification des statuts était nécessaire, qu'une assemblée générale extraordinaire devait être réunie et que Mme [E], qui a pris part au vote sans être associée, se prévaut de la cession, par son fils, de la nue-propriété d'une part sociale qui apparaît être intervenue dans des conditions irrégulières. Il a donc estimé qu'il y avait lieu de désigner un mandataire ad hoc afin de gérer les deux biens immobiliers appartenant à la société La Nerthe sans pour autant dessaisir Mme [E] de sa gérance.

Selon déclaration reçue au greffe le 12 août 2022, Mme [E] et la société La Nerthe ont interjeté appel de cette ordonnance en toute ses dispositions.

Par dernières conclusions transmises le 31 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elles sollicitent de la cour qu'elle :

- ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 31 janvier 2023 ;

- déboute l'intimée de ses demandes ;

sur l'appel principal

- réforme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau ;

- dise n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes formulées par l'intimée et l'invite à mieux se pourvoir ;

- à titre principal, déclare irrecevable l'action dirigée contre la société La Nerthe sans mise en cause de l'ensemble des associés signataires de la résolution contestée ;

- à titre subsidiaire, déboute l'intimée de ses demandes ;

- à titre infiniment subsidiaire, mette les frais et honoraires du mandataire ad hoc à la charge exclusive de l'intimée ;

Sur l'appel incident,

- déboute l'intimée de ses demandes ;

- dise et juge n'y avoir lieu à mettre en conformité la feuille de présence et le procès-verbal de l'assemblée générale en date du 20 mai 2021, lesquels sont sans équivoques parfaitement conformes ;

- mette les frais et honotaires du mandataire ad hoc à la charge exclusive de l'intimée ;

- dans tous les cas, condamne l'intimée à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur la demande de révocation de clôture, elles exposent avoir été destinataires de conclusions de la partie adverse le 24 janvier 2023 alors que le conseil de la société rentrait de congé maternité le 23 janvier 2023.

Sur l'incompétence du juge des référés, elles se prévalent tout d'abord de l'absence d'urgence dès lors que les dysfonctionnements dénoncés remontent à plus de 20 ans pour ce qui relève des assemblées générales d'approbation des comptes et à plus de 10 ans pour la vente des actifs immobiliers, outre le fait que l'intimée était représentée par son conseil à compter de 2019.

Elles font état ensuite de contestations sérieuses. Elles indiquent que, compte tenu des contestations portant sur la résolution de l'assemblée générale du 25 août 2021, lesquelles ont été portées devant la juridiction du fond, Mme [E] ne prendra pas le risque de vendre le local commercial. Elles exposent que le fait pour l'intimée de ne pas avoir été destinataire de documents juridiques en temps et en heure relève de la responsabilité de l'expert comptable. Elles considèrent également que le fait pour les ventes immobilières d'avoir été passées devant notaire, sans que ce dernier ne requiert les procès-verbaux des assemblées générales autorisant les ventes, relève de la responsabilité du notaire. Elles indiquent en outre que son fils pouvait lui céder la nue-propriété d'une part sociale sans passer par la procédure d'agrément dès lors, qu'en tant que mère du cédant, elle a la qualité d'héritière en ligne directe en application de l'article 734 du code civil, tandis que les statuts de la société stipulent que les parts sociales sont librement cessibles entre associés et au profit du conjoint et des héritiers en ligne directe de chaque associé. Elles insistent sur le fait que la cession a bien été signifiée à la société par acte d'huissier, ce qu'elles justifient à hauteur d'appel, faisant observer que le formulaire CERFA sert à permettre une cession de parts qui n'est pas consignée dans un acte distinct. Elles soulignent qu'afin d'éviter de rajouter des tensions, Mme [E] a cédé la part sociale litigieuse à son fils en octobre 2021, de sorte que les statuts sont désormais conformes à ce qu'ils étaient à l'origine.

Elles se prévalent enfin de l'absence de trouble manifestement illicite, aucune clause statutaire n'ayant été violée et de l'absence de dommage imminent compte tenu de l'importante créance qu'elle détient sur la société en raison d'un important compte-courant, dont le recouvrement supposera, à défaut de vente du local commercial, une liquidation judiciaire de la société et une vente à la barre des actifs. Elles soulignent que la désignation d'un administrateur ad hoc suppose une telle preuve et pas uniquement la preuve d'un fonctionnement anormal de la société.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité des défenderesses, devenues appelantes, elles indiquent que tous les signataires de l'assemblée générale du 25 août 2021, et notamment M. [O], n'ont pas été mis en cause à la procédure.

Sur le fond, elles affirment que l'ensemble des actions menées par la gérante l'ont été dans le respect du règlement et des statuts, à savoir :

- que l'intimée a été régulièrement convoquée à l'assemblée générale du 25 août 2021, le 10 mai 2021, et qu'elle a préféré ne pas prendre part au vote, de sorte qu'elle ne peut valablement soutenir avoir voté contre la résolution litigieuse ;

- que Mme [E] n'a commis aucune faute de gérance, faisant valoir que la gestion comptable et juridique de la société a été confiée à un expert-comptable et qu'elle a recherché un locataire commercial ;

- que la société, qui ne dispose pas de revenus locatifs depuis plusieurs années et qui présente un solde créditeur de 171 euros, n'est pas en mesure d'assumer les honoraires d'un mandataire ad hoc, sachant que c'est elle qui règle tous les frais exposés par la société ;

- que mettre à sa charge de tels frais, sachant qu'elle n'est de nouveau plus associée de la société depuis octobre 2021, ne pourrait qu'être assimilé à une réparation, à laquelle elle serait tenue, si sa responsabilité de gérante devait être engagée, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés ;

- que de tels frais, dans le cas où un mandataire ad hoc serait désigné, doivent être mis à la charge de l'intimée ;

- qu'elle a droit de jouir des biens immobiliers de la société en tant qu'usufruitière de l'intégralité des parts sociales, faisant observer que la propriété qu'elle occupe a été acquise grâce à l'apport en compte courant sur ses propres deniers personnels de l'intégralité du prix de vente.

Elles s'opposent aux modifications sollicitées qui affecteraient la feuille de présence et le procès-verbal de l'assemblée générale en date du 20 mai 2021 au motif :

- que Mme [E] apparaît comme étant proprétaire de 99 parts sociales en "usufruit" ;

- qu'elle était bien, à cette date, associée de la société, en l'état de la cession par son fils d'une part sociale en nue propriétaire intervenue au moyen d'un document CERFA en date du 25 septembre 2020 enregistré le 1er octobre 2020, laquelle cession est parfaite comme comportant les coordonnées du cédant, du cessionnaire, les droits sociaux cédés et le prix de cession, outre le fait qu'elle est bien opposable à la société dès lors que cette cession a été signifiée à la société le 11 décembre 2021 par acte d'huissier ;

- que l'assemblée s'étant tenue en conférence téléphonique, Mme [E] a cru bon de signer pour l'ensemble des parties, et ce, sans chercher à imiter la signature de ses enfants.

Par dernières conclusions transmises le 8 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [O] épouse [C] sollicite de la cour qu'elle :

Sur l'appel principal,

- déboute les appelantes de leur appel principal ;

Sur l'appel incident,

- déclare recevable son appel incident ;

- informe l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau ;

- ordonne à Mme [E], sous astreinte journalière de 150 euros à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la mise en conformité de la feuille de présence et du procès-verbal de l'assemblée générale du 20 mai 2021, à savoir :

* mention sous la sixième résolution de ce que Mme [E] est usufruitière de cent parts sociales et non « Propriétaire de quatre-vingt-dix-neuf parts sociales »,

* suppression de la mention selon laquelle Maître Charlotte Fortin, avocate au Barreau de Bayonne aurait « confirmé » que la prétendue cession par M. [O] de la nue-propriété de la part n° 50 à Mme [E] était dispensée d'agrément,

* mention de ce que la septième résolution, pour laquelle Mme [O] vota contre, est rejetée et non « adoptée par »,

* mention de ce que la « feuille de présence » n'est pas signée par Mme [O], mais par Mme [E],

- condamne Mme [E] à lui rembourser les frais et honoraires du mandataire ad hoc ;

- la condamne à lui verser la somme de 5 000 euros pour les frais exposés en première instance et celle de 5 000 euros pour les frais exposés en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamne aux dépens, en ce compris le coût de la signification de l'arrêt à intervenir.

Elle se prévaut d'un certain nombre de dysfonctionnements de la société, à savoir :

- le fait qu'elle n'a jamais été convoquée aux assemblées de la société entre 2001 et 2020, pas plus qu'elle n'a été destinataire des documents sociaux, et notamment les opérations comptables faites par la société depuis 2001, alors même qu'elle détient la nue-propriété de 50 % des parts de la société ;

- qu'elle est mentionnée comme étant présente à l'assemblée générale ordinaire de la société le 14 janvier 2019 alors même qu'elle ignorait l'existence de cette assemblée et qu'elle n'a jamais voté pour la vente du local commercial situé [Adresse 5] ;

- qu'en réponse à ses contestations, la société GF Consultants, expert comptable de la société, lui a indiqué que le procès-verbal qui lui a été adressé en date du 14 janvier 2019 n'était qu'un projet et lui adressé des documents sociaux ;

- qu'elle s'est rendue compte que Mme [E], en sa qualité de gérante, avait vendu deux immeubles, à savoir une villa située [Adresse 1], le 4 avril 2006, et une maison située [Adresse 6], le 16 février 2010, à [Localité 15], sans vote préalable des associés, et ce, alors même que l'objet social de la société prévoit uniquement l'acquisition, la gestion, l'administration, la mise en location ou l'exploitation de l'immeuble et, en aucun cas, la vente des actifs immobiliers de la société, laquelle n'est possible que par une décision des associés statuant à la majorité requise pour la modification des statuts, soit la majorité des deux tiers des parts sociales;

- que le compte courant de Mme [E] s'élève à 657 316 euros au 31 décembre 2018 sans que cette dernière justifie des apports ayant contribué à cette augmentation ;

- qu'elle a été convoquée à une assemblée générale ordinaire devant se tenir le 20 août 2020 aux termes de laquelle elle a voté contre les résolutions, et notamment la vente du local commercial situé [Adresse 5] ;

- qu'elle apprenait, par la suite, qu'avaient été déposés, le 20 octobre 2020, au greffe du tribunal de commerce de Toulon un formulaire CERFA d'enregistrement d'une prétendue cession informelle par M. [O] de la nue-propriété de la part de la société numérotée 50 à Mme [E] ainsi que des statuts portant modification de la répartition de son capital social mis à jour le 25 septembre 2020, et ce, alors même :

* qu'aucun projet de cession n'a été soumis à l'agrément des associés, lequel agrément est requis excepté en cas de cession intervenant entre associés, au profit du conjoint et des héritiers en ligne directe de chaque associé, ce qui n'est pas le cas d'une cession intervenant au profit d'un parent ;

* que toute cession suppose un acte instrumentaire, sachant que les statuts stipulent que toute cession de parts doit être constatée par écrit ;

* qu'aucun acte de cession n'a été signifié à la société, sachant que les statuts énoncent que les cessions ne seront opposables à la société qu'après les formalités de l'article 1690 du code civil ; qu'elle relève que les intimés produisent pour la première fois en cause d'appel, le 26 octobre 2022, une pièce 28 intitulée "signification de cession de droits sociaux" en date du 11 décembre 2020 , laquelle n'a pas pour objet l'acte instrumentaire de cession de la nue-propriété mais le formulaire CERFA qui est dédié à l'enregistrement de la cession de droits sociaux non constatée par un acte instrumentaire ; ces éléments démontrent que la prétendue cession du 25 septembre 2020 n'a pas été instrumentée, de sorte qu'elle n'a pas pu être signifiée à la société et, dès lors, ne lui est pas opposable, de même que la modification des statuts déposée le 21 octobre 2020 qui n'est pas valable ;

* qu'aucune assemblée générale ne s'est réunie pour constater la cession et entériner la modification du capital social de la société ;

- qu'elle a été convoquée à une assemblée générale mixte, devant se tenir le 20 mai 2021, ordinaire aux fins d'autoriser la gérante de vendre les biens appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société, et ce, alors même que cela nécessitait une modification des statuts comme excédant l'objet social, et extraordinaire aux fins de constater la cession d'une part sociale détenue en nue-propriété par M. [O] à Mme [E] et la modification du capital social, et ce, alors même que les statuts modificatifs ont été déposés le 25 septembre 2020 ;

- que lorsqu'elle a été destinataire, le 5 août 2021, de la feuille de présence et du procès-verbal de l'assemblée générale du 20 mai 2021, elle s'est rendue compte de plusieurs irrégularités affectant ces documents, à savoir :

* que Mme [E] apparaît dans la 6ème résolution comme propriétaire de 99 parts sociales alors qu'elle n'en est qu'usufruitière ;

* qu'elle aurait confirmé que la cession ne nécessitait pas d'agrément alors qu'il n'en est rien ;

* qu'elle a voté contre la 7ème résolution et non pour ;

* que la signature apposée dans le procès-verbal n'est pas la sienne ;

- qu'alors même que toutes les résolutions ont été rejetées, excepté celle portant sur l'affectation des résultats, elle a été convoquée, le 4 août 2021, à une nouvelle assemblée générale ordinaire fixée au 25 août 2021 à l'effet de délibérer sur l'autorisation à donner à la gérante de vendre les biens appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société, et ce, alors même seule une assemblée générale extraordinaire des associés statuant à la majorité d'au moins des deux tiers du capital social pouvait décider de vendre un actif immobilier appartenant à la société, ce qu'elle n'a pas manqué d'en informer Mme [E] par l'intermédiaire de son conseil avant que l'assemblée ne se réunisse ;

- qu'en prenant conaissance du procès-verbal de l'assemblée générale du 25 août 2021, lequel ne lui a été communiqué qu'à la fin du mois de novembre 2021, après plusieurs demandes faites ne ce sens, elle s'est rendue compte que cette dernière a voté pour l'autorisation à donner à la gérante de vendre les biens appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société, et ce, alors même qu'elle n'a jamais voté pour cette résolution ; que ce procès-verbal comporte deux mentions fausses dès lors que Mme [E] apparaît comme étant titulaire d'une part en nue-propriété et qu'il est fait état de la prétendue cession qui serait intervenue le 25 septembre 2020 alors même que cette cession n'a pas été formalisée et que la clause d'agrément n'a pas été respectée ; que la société ne pouvait donc reconnaître à Mme [E] la qualité d'associéé ;

- que le 3 décembre 2021, Mme [E] a déposé au registre du commerce et des sociétés de Toulon l'acte d'enregistrement de la prétention cession informelle et non datée, laquelle n'a jamais été signifiée à la société ;

- qu'avant même que le juge des référés ne se prononce, elle a été convoquée, le 8 juin 2022, à une assemblée générale ordinaire devant se tenir le 24 juin 2022 afin, là encore, de voter sur l'autorisation à donner à Mme [E] de vendre le local commercial.

Elle explique que, parallélement à la procédure de référé initiée le 6 janvier 2022, elle a saisi la juridiction du fond, le même jour, aux fins de voir annuler les assemblées générales des 14 janvier 2019 et 25 août 2021, annuler la cession qui serait intervenue le 25 septembre 2020, annuler les statuts mis à jour le 25 septembre 2020 et de révoquer la gérante de la société La Nerthe.

En réplique à la fin de non-recevoir soulevée par les appelants, elle indique ne pas poursuivre, en référé, la nullité de la décision prise lors de l'assemblée générale du 25 août 2021, et que, dans tous les cas, elle n'avait pas à mettre en cause tous les associés ayant participé au vote mais uniquement la société et la personne habilitée à la représenter.

Concernant sa demande tendant à faire suspendre les effets de la résolution de l'assemblée générale ordinaire du 25 août 2021 autorisant la gérante à vendre les biens de la société, elle relève que, si le juge des référés n'a pas le pouvoir d'annuler les délibérations des assemblées générales des sociétés, il peut en revanche en suspendre les effets dès lors qu'un dommage imminent ou un trouble manifestement est caractérisé. Elle indique que, tel est le cas en la cause, dès lors que la résolution permet à Mme [E], gérante, de céder à sa guise et dans les conditions qu'elle déterminera les derniers actifs immobiliers de la société, alors même que l'objet social de la société n'inclut pas la vente d'immeubles, qu'une telle vente doit être autorisée par l'assemblée générale extraordinaire qui est seule habilitée à modifier les statuts et que Mme [E] ne peut être considérée comme étant associée de la société faute pour la prétendue cession qui serait intervenue le 25 septembre 2020 d'avoir été signifiée à la société.

Concernant sa demande tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc, elle indique que Mme [E] bafoue allégrement les règles du droit des sociétés à seule fin de disposer, selon son bon vouloir, des actifs immobiliers de la société et qu'elle se livre à de véritables coups de force afin de lui permettre d'agir comme elle l'entend alors même qu'elle n'est pas associée de la société. Elle relève que, même à considérer que Mme [E] est associée à la suite de la cession en sa faveur d'une part sociale en nue-propriété, les parts sociales détenues par cette dernière et M. [O] ne représentant pas plus de la moitié du capital social, de sorte qu'il ne peut être passé outre son vote.

Elle demande à ce que les émoluments du mandataire ad hoc soient mis à la charge de Mme [E] qui, en sa qualité d'usufruitière de toutes les parts de la société, siphonne tous les revenus de la société et qu'elle jouit gracieusement, depuis 1996, d'un bien immobilier de plus de 7 500 m2 d'une valeur de 1 900 000 euros pour une valeur locative mensuelle allant de 5 000 à 8 000 euros. Elle indique que Mme [E] est imposée à l'IFI et qu'elle est propriétaire de plusieurs biens immobiliers.

Concernant les modifications sollicitées, elle se prévaut d'un trouble manifestement illicite résultant de mentions figurant dans une feuille de présence et un procès-verbal d'assemblée générale non conformes à la réalité. Elle indique qu'un usufruitier ne peut pas être propriétaire de parts sociales, que Mme [E] n'était nue-propriétaire d'aucune part et qu'elle n'a jamais signé la feuille de présence.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 31 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il résulte de l'article 802 du code de procédure civile, qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l'ordonnance de clôture.

Doivent également être considérée comme comme tardives les conclusions déposées le jour de la clôture de la procédure dont la date a été communiquée à l'avance.

L'article 803 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats sur décision du tribunal.

En l'espèce, en réponse aux conclusions transmises par les appelants le 31 janvier 2023, soit le jour de l'ordonnance de clôture, avec demande de révocation de l'ordonnance de clôture, en réplique à des conclusions transmises le 24 janvier 2023, l'intimée a transmis de nouvelles écritures le 8 février 2023, soit postérieurement à la clôture.

L'intimée, à l'égard de laquelle le principe du contradictoire a été respecté en ce qu'elle a conclu en dernier, ne s'oppose pas, dans ses dernières écritures, à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formulée par les appelants.

Dans ces conditions, il y a lieu de rabattre l'ordonnance de clôture du 31 janvier 2023 et de prendre en compte les derniers jeux de conclusions des parties.

Sur l'exception d'incompétence du juge des référés

Dès lors que les moyens tirés de l'absence d'urgence, de l'existence de contestations sérieuses et de l'absence d'un trouble manifestement et/ou d'un dommage imminent ne constituent pas une exception de procédure mais des moyens de nature à faire obstacle aux pouvoirs du juge des référés, les appelants n'apportent pas la preuve de l'incompétence du juge des référés pour se prononcer sur la recevabilité et le bien fondé de l'action exercée par Mme [O] épouse [C].

Il y a donc lieu de rejeter l'exception d'incompétence soutenue par les appelants.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause de tous les associés

Il résulte de l'article 122 du code de procédure civile que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité.

L'article 30 alinéa 2 du même code énonce que l'action est le droit, pour l'adversaire, de discuter le bien fondé de cette prétention.

Il résulte de 31 du même code que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l'espèce, même à supposer que M. [H] [O] ait voté pour la résolution de l'assemblée générale dont la suspension des effets est sollicitée par Mme [O] épouse [C], une telle action ne doit être engagée que contre la société dotée de la personnalité juridique dans la mesure où c'est elle qui a un intérêt légitime au rejet de la prétention.

Elle n'a donc pas à être dirigée contre les associés, lesquels peuvent toujours intervenir à la procédure s'ils y ont intérêt.

Si l'action a été engagée contre la société La Nerthe mais également contre Mme [N] [E], cela s'explique uniquement par le fait que cette dernière a seule le pouvoir de représenter la société en tant que gérante.

Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause de tous les associés à la procédure.

Sur la suspension de la résolution prise par l'assemblée générale

Il résulte de l'article 835 alinéa 1 que le président peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.

La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.

En l'espèce, aux termes du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 25 août 2021, il apparaît que Mme [E], titulaire d'une part en pleine propriété et 99 parts en usufruit, et M. [H] [O], titulaire de 49 parts en nue-propriété, ont autorisé Mme [E], gérante, à vendre les biens immobiliers appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugerait conformes aux intérêts de la société.

Indépendamment de la question de savoir si Mme [E] disposait du droit de vote en tant qu'associée, en l'état des contestations soulevées par Mme [O] épouse [C] portant sur la validité de la cession de la part sociale dont se prévaut Mme [E], il convient de relever que la résolution susvisée a été prise à la majorité des voix, en l'absence de Mme [O] épouse [C], alors même qu'elle devait manifestement être prise par une assemblée générale extraordinaire des associés statuant à la majorité des associés représentant au moins les deux tiers du capital social.

En effet, il résulte des statuts enregistrés le 22 décembre 1995 que la société La Nerthe a pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de tous biens immobiliers, et plus spécialement l'acquisition de la propriété située à [Localité 15], ainsi que l'obtention de toutes ouvertures de crédit, avec ou sans affectation hypothécaire desdits biens en vue de la réalisation de l'objet social et, plus généralement, toutes opérations n'affectant pas le caractère social de la société. Il est stipulé que sont qualifiées d'ordinaires les décisions ne concernant ni les modifications statutaires, ni l'agrément d'un nouvel associé, tandis que sont qualifiées d'extraordinaires les décisions concernant une modification statutaire. Ces dernières sont prises à l'unanimité pour changer la nationalité de la société, la transformer en une autre forme et augmenter les engagements d'un associé. Elle sont prises à la majorité en nombre des associés représentant au moins les deux tiers du capital social pour toutes les autres décisions extraordinaires.

Il convient de relever que la mise à jour des statuts intervenue le 25 septembre 2020 n'apporte aucune modification concernant l'objet social de la société et les décisions collectives qui peuvent être prises.

Dans ces conditions, la vente des biens immobiliers acquis par la société La Nerthe ne faisant pas partie de son objet social, la résolution litigieuse devait être prise par une assemblée générale extraordinaire statuant à la majorité des associés représentant au moins les deux tiers du capital social, et non à la majorité des voix.

C'est donc par une violation manifeste des statuts de la société La Nerthe que la résolution querellée a été prise lors de l'assemblée générale du 25 août 2021.

Or, dès lors qu'elle autorise Mme [E] à vendre tous les biens appartenant à la société La Nerthe, comme bon lui semble, sa mise en oeuvre risque d'entraîner des conséquences irréversibles affectant l'existence même de la société La Nerthe. En effet, alors même que la vente des immeubles dépendant des actifs de la société ne fait pas partie de son objet social, les appelants n'établissent pas la nécessité, au regard de l'intérêt général de la société et de l'ensemble des associés, de procéder à de telles opérations.

Il s'ensuit que la preuve est rapportée de l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent résultant de la décision prise par l'assemblée générale ordinaire des associés du 25 août 2021.

S'il n'appartient pas au juge des référés d'annuler des délibérations prises lors d'une assemblée générale, il entre dans ses pouvoirs d'apprécier souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser un trouble manifestement illicite et à prévenir la réalisation de l'imminence d'un dommage.

En l'occurrence, la suspension des effets de la résolution prise lors de l'assemblée générale du 25 août 2021 constitue la mesure la plus adaptée dès lors que la mise en 'uvre de cette décision, en plus de constituer un trouble manifestement illicite, est de nature à causer à Mme [O] épouse [C], associée de la société La Nerthe, un dommage imminent.

Il convient de relever que les appelantes indiquent, elles-mêmes, qu'elles ne prendront pas le risque de mettre en oeuvre une résolution qui risque d'être annulée en l'état d'une action en nullité engagée par Mme [O] épouse [C] pendante devant la juridiction du fond.

Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise sur ce point.

Sur la désignation d'un mandataire ad hoc avec les frais et honoraires à la charge de Mme [E]

La désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'un mandat judiciaire spécial d'accomplir un acte déterminé est une mesure exceptionnelle, qui suppose que soient réunies cumulativement deux conditions relatives à la gravité de la crise sociale, de nature à rendre impossible le fonctionnement normal de la société, et à l'urgence, du fait d'un péril imminent menaçant l'intérêt social.

Sa mission est spécialement déterminée par le juge pour mettre fin à une situation de crise ou protéger l'intérêt social contre un risque particulier. Lorsqu'une mission est ainsi confiée, c'est en général en raison de la carence ou de la faute commise par la personne à laquelle le mandataire est substitué. Celle-ci est alors nécessairement privée de l'exercice de la prérogative confiée au mandataire mais elle conserve l'ensemble de ses autres fonctions.

Si la demande peut être faite devant les juridictions du fond ou devant le juge des référés, il reste que ce dernier ne sera pas compétent dès lors que la mission confiée au mandataire ad hoc dépasse le cadre d'un simple mandat d'administration courante et de simples mesures conservatoires. Il en est ainsi si la mission confiée au mandataire judiciaire risque de préjudicier au principal et de constituer une mesure irréversible.

En l'espèce, il résulte des pièces de la procédure plusieurs éléments de fait révélant des dysfonctionnements et des irrégularités flagrantes et manifestes dans la manière dont la société La Nerthe est gérée.

En effet, alors même qu'aucune assemblée générale n'apparaît avoir été réunie entre le 12 mars 2011 et le 14 janvier 2019, Mme [E] a, au cours de cette période, procédé à la vente de deux biens immobiliers dépendant de la société La Nerthe, à savoir un bien situé [Adresse 2] au prix de 288 000 euros, suivant acte notarié en date du 4 avril 2006, et un bien situé [Adresse 6] situé dans la même commune au prix de 430 000 euros, suivant acte notarié en date du16 février 2010.

Or, il est acquis que Mme [E] a réalisé de telles opérations, en tant que gérante de la société sans en avoir la qualité d'associée, comme étant uniquement usufruitière de l'ensemble des parts sociales, et ce, alors même que la vente d'immeubles ne fait pas partie de l'objet social de la société La Nerthe.

Désirant vendre, aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société, les autres actifs immobiliers de la société, Mme [E] se prévaut de plusieurs procès-verbaux d'assemblée générale.

S'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 14 janvier 2019 que les associés, à savoir Mme [O] et M. [O], détenant chacun 50 parts sociales en nue-propriété, ont autorisé, à l'unanimité, Mme [E], gérante de la société, à mettre en vente les locaux commerciaux situés [Adresse 5] estimés à 400 000 euros, il convient de relever que la preuve de la convocation et, le cas échéant, de la présence de Mme [O], qui le conteste, à cette assemblée générale n'est pas démontrée. Au contraire, en réponse au courrier de Mme [O] en date du 5 mars 2019, par lequel elle s'étonne de voir sa présence mentionnée dans le procès-verbal susvisé et indique ne pas être d'accord avec la vente envisagée, la société GFConsultats, expert comptable de la société, l'informe que le procès-vebal du 14 janvier 2019 n'est qu'un projet et que la date sera à adapter, si nécessaire, en fonction de celle de la tenue de l'assemblée générale.

Aux termes de l'assemblée générale ordinaire du 20 août 2020, Mme [O] a voté contre la résolution n° 5, laquelle n'a pas été adoptée à la majorité des voix. Celle-ci consistait à donner tous pouvois à Mme [E], gérante, pour réaliser la vente du bien situé [Adresse 5].

Afin de contourner le refus de Mme [O] de l'autoriser à vendre les biens immobiliers dépendant des actifs de la société, Mme [E] verse aux débats un formulaire CERFA déposé au greffe du tribunal de commerce de Toulon le 25 septembre 2020 afin de déclarer la cession, par M. [O], de la part sociale détenue en nue-propriété portant le n° 50, à son profit. Elle justifie également avoir procédé, le même jour, à la mise à jour des statuts de la société concernant le capital social.

La cession de parts entre vifs est prévue par les statuts (en page 4). Elle doit être constatée par écrit. Les parts sociales sont librement cessibles entre associés et au profit du conjoint et des héritiers en ligne directe de chaque associé. Toutes les autres cessions de parts sociales sont soumises à agrément.

Alors même que l'intimée affirme que la cession qui est intervenue en faveur de Mme [E] aurait dû suivre la procédure d'agrément prévue par les statuts, dès lors qu'elle ne peut être considérée comme l'héritière directe de M. [O] (qui a des enfants), Mme [E] soutient le contraire.

Or, indépendammant de la validité de cette cession de la part sociale, il résulte de ce qui précède que les effets de la résolution prise lors de l'assemblée générale du 25 août 2021, laquelle autorise Mme [E] à vendre les biens appartenant à la société aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de celle-ci, ont été suspendus comme violant manifestement les règles de vote prévues par les statuts de la société Nerthe. En effet, même en considérant que la cession de la part sociale qui est intervenue le 25 septembre 2020, est régulière, Mme [E] et M. [O] ne détiennent que la moitié des parts sociales, tandis que la décision de vendre les biens immobiliers dépendant des actifs de la société doit, à l'évidence, être prise à la majorité des associés représentant au moins les deux tiers du capital social. C'est d'ailleurs, dans ces conditions, que l'assemblée générale mixte ordinaire annuelle et extraordinaire du 20 mai 2021 s'est réunie. En effet, la résolution n° 5, autorisant Mme [E] à vendre pour le compte de la société les biens immobiliers lui appartenant, aux prix et conditions qu'elle jugera conformes aux intérêts de la société, n'a pas été adoptée faute pour Mme [O] d'avoir voté pour tandis que Mme [E] et M. [O], détenant ensemble la moitié des parts sociales, ont voté pour. L'assemblée générale ordinaire du 25 août 2021 n'a donc été réunie que pour pouvoir passer outre le refus de Mme [O] de voter pour la résolution litigieuse. Si Mme [O] ne conteste pas ne pas avoir participé à cette assemblée, alors même qu'elle y a été régulièrement convoquée, elle a toujours manifesté son refus de voter pour la résolution litigieuse, et en particulier lors de la précédente assemblée qui s'est tenue le 20 mai 2021. Les appelantes ne peuvent donc valablement opposer à Mme [O] le fait qu'elle n'a pas, faute d'avoir pris part au vote, voté contre la délibération.

Il résulte de ces éléments que, plutôt de faire reconnaître en justice un éventuel abus, caractérisque d'un trouble, résultant du refus de Mme [O] de voter en assemblée générale des associés la résolution portant sur la vente des biens de la société La Nerthe, Mme [E] préfère user de stragèmes pour lui permettre de vendre les biens de la société comme bon lui semble.

Ce faisant, en raison des irrégularités manifestes qu'elle a commises, la société La Nerthe ne peut fonctionner normalement.

Bien plus, ces irrégularités étant commises afin de permettre à Mme [E] de vendre, à sa guise, les derniers actifs de la société, en passant outre la majorité requise par les statuts, sachant qu'elle a déjà vendu deux biens immobiliers sans réunir la moindre assemblée générale, la société La Nerthe est exposée à un péril menaçant les intérêts des associés, à savoir sa dissolution ou liquidation en raison de la disparition de son objet principal.

Or, si la principale dette de la société La Nerthe est le compte courant de Mme [E] d'un montant de plus de 650 000 euros, cette dernière n'apporte pas la preuve de difficultés financières, telles qu'il est dans son intérêt de vendre ses actifs.

Nonobstant sa qualité de créancière et d'usufruitière de la totalité des parts sociales, Mme [E] ne peut utiliser la société pour en tirer un profit exclusivement personnel au détriment de l'intérêt social en cherchant à passer outre le refus de Mme [O], détenant la moitié des parts sociales en nue-propriété, de réaliser les actifs de la société.

Dès lors que la société La Nerthe est exposée à un péril imminent menaçant son existence même en raison des violations manifestes des statuts commises par Mme [E] afin de lui permettre de réaliser l'intégralité de ses actifs, la demande de Mme [O] tendant à la désignation d'un d'un mandataire ad hoc avec mission d'administrer les deux derniers actifs de la société La Nerthe est justifiée.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.

En revanche, dans la mesure où cette désignation est faite dans l'intérêt de la société et n'a pas pour effet de dessaisir totalement Mme [E] de ses fonctions de gérante, les frais et honoraires du mandataire ad hoc doivent être mis à la charge exclusive et définitive de la société La Nerthe, et c'est à elle d'en faire l'avance.

Il y a lieu donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a mis à la charge de Mme [O] épouse [C] l'avance du montant de la provision à valoir sur les frais et honoraires du mandataire ad hoc mais de la confirmer en ce qu'elle a mis ces mêmes frais et honoraires à la charge définitive de la société La Nerthe.

Sur la mise en conformité, sous astreinte, de la feuille de présence et du procès-verbal de l'assemblée générale du 20 mai 2021

Il résulte de l'article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du même code dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exéxution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En l'espèce, Mme [O] fait état de mentions erronées résultant du procès-verbal de l'assemblée générale du 20 mai 2021 en ce que Mme [E] apparaît, dans la résolution n° 6, comme étant propriétaire en usufruit de 99 parts sociales, qu'il n'est pas précisé, dans la résolution n° 7, que Mme [O] a voté contre la résolution et qu'il est indiqué, à titre liminaire, que Me [J] confirme que, s'agissant d'une cession entre associés, il n'est pas nécessaire d'obtenir un agrément.

Ce faisant, Mme [O] argue de faux le procès-verbal susvisé en ce qu'il contiendrait des mentions contraires à la réalité.

Or, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de se livrer à une appréciation de la véracité de mentions contenues dans un acte sous seing privé dès lors que le faux est demandé à titre principal, et non incidemment à l'occasion d'un litige au cours duquel la partie adverse entendrait faire usage de l'acte prétendu faux ou falsifié pour apporter la preuve d'un droit ou d'un fait.

Mme [O] sera donc déboutée de sa demande formée de ce chef.

Par ailleurs, dès lors que Mme [E] reconnaît avoir signé la feuille de présence pour elle-même mais également pour M. et Mme [O], cela s'explique aisément par le fait que ces derniers ont participé à l'assemblée par conférence téléphonique, tel que cela résulte de la feuille de présence, et non par une volonté de Mme [E] d'apposer des signatures à l'insu de Mme [O].

Dans ces conditions, Mme [O] sera également déboutée de sa demande formée sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Dès lors que Mme [E] n'a été mise en cause à la présente procédure qu'en tant que représentante de la société La Nerthe, et non à titre personnel, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné Mme [E] aux dépens et à verser à Mme [O] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance.

La société La Nerthe n'obtenant pas gain de cause à hauteur d'appel, il y a lieu de la condamner aux dépens de première instance et de la procédure d'appel, en ce compris le coût de la signification de l'ordonnance à intervenir.

En revanche, dans la mesure où Mme [O] ne sollicite des indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel, qu'à l'encontre de Mme [E], et non de la société La Nerthe, seule partie perdante, elle sera déboutée de ses demandes formulées de ces chefs.

De même, Mme [O] n'étant pas condamnée aux dépens, Mme [E] sera déboutée de sa demande formulée à son encontre sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Révoque l'ordonnance de clôture prononcée le 31 janvier 2023 et dit que l'affaire est en état d'être jugée ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a :

- dit que la provision sur frais et honoraires du mandataire ad hoc devrait être versée par Mme [U] [O] épouse [C] ;

- condamné Mme [N] [E] à verser à Mme [U] [O] épouse [C] la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ;

- condamné Mme [N] [E] aux dépens, en ce compris le coût de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Rejette l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la SCI La Nerthe et Mme [N] [E] ;

Dit qu'il appartient à la SCI La Nerthe de faire l'avance du montant de la provision à valoir sur les frais et honoraires du mandataire ad hoc ;

Déboute Mme [U] [O] épouse [C] de sa demande de voir ordonner à Mme [N] [E] de mettre en conformité, sous astreinte, le procès-verbal de l'assemblée générale des associés du 20 mai 2021 et la feuille de présence ;

Déboute Mme [U] [O] épouse [C] de sa demande d'indemnités formulées à l'encontre de Mme [N] [E] pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [N] [E] de sa demande d'indemnité formulée à l'encontre de Mme [U] [O] épouse [C] sur le même fondement ;

Condamne la SCI La Nerthe aux dépens de première instance et de la procédure d'appel, en ce compris le coût de la signification de l'ordonnance à intervenir.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 22/11602
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;22.11602 ?
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