COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 22 MARS 2023
N° 2023/ 126
N° RG 21/11520
N° Portalis DBVB-V-B7F-BH4R7
ASSOCIATION [5]
C/
Association [4]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Sébastien BADIE
Me Olivier GIRAUD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de MARSEILLE en date du 08 Juillet 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 14/01211.
APPELANTE
Association [5]
prise en la personne de son représentant légal en exer cice, domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 3]
représentée par Me Sébastien BADIE, membre de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Jean-Pierre BLATTER, membre de la SCP BLATTER SEYNAEVE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Association [4]
prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au siège sis, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Olivier GIRAUD, membre de la SELARL GIRAUD-GAY ET ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu sous signatures privées, l'Association [4] (ci-après l'[4]) a donné à bail à l'Association [5] (ci-après l'[5]) un immeuble élevé sur trois niveaux situé [Adresse 1] à l'usage de centre d'enseignement ménager et professionnel, pour une durée de douze ans commençant à courir le 1er juillet 1971.
Ce bail a été renouvelé par plusieurs avenants successifs :
- une première fois pour une durée de neuf ans venant à échéance le 1er juillet 1992,
- une seconde fois pour une durée de trois ans venant à échéance le 1er juillet 1995,
- une troisième fois pour une durée de neuf ans venant à échéance le 1er juillet 2004,
- et enfin en dernier lieu pour une durée de neuf ans venant à échéance le 1er juillet 2013.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 décembre 2012, le bailleur a fait état de son souhait de récupérer le bâtiment pour un autre projet, lequel n'était cependant pas encore finalisé, et a indiqué au preneur qu'il lui transmettrait prochainement un nouvel avenant de renouvellement limité à trois ans.
Le locataire a revendiqué en retour un droit au renouvellement en vertu du statut des baux commerciaux, ce à quoi le bailleur lui a opposé l'existence d'une clause stipulée dans le bail initial ainsi que dans les avenants n° 3 et 4, par laquelle il avait été expressément renoncé à la propriété commerciale.
Par lettre adressée dans les mêmes formes le 2 avril 2013, le bailleur a pris acte de ce désaccord et indiqué que le bail prendrait fin de manière ferme au 30 juin 2013, se disant néanmoins disposé à envisager 'la signature d'un document contractuel applicable à compter du 1er juillet 2013".
Enfin, par courrier du 23 avril 2013, le propriétaire a proposé la signature d'une convention d'occupation précaire d'une durée de deux ou trois ans.
La situation est demeurée en l'état, de sorte que l'[4] a saisi le 30 août 2013 le juge des référés d'une demande d'expulsion des locaux, dont elle a été déboutée en raison de l'existence d'une contestation sérieuse aux termes d'une ordonnance rendue le 29 novembre 2013.
L'[4] a alors porté son action devant le tribunal de grande instance de Marseille par acte du 6 janvier 2014, par lequel il était demandé à la juridiction :
- de constater que l'[5] était occupante sans droit ni titre depuis le 1er juillet 2013,
- d'ordonner en conséquence son expulsion et celle de tous occupants de son chef,
- et de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation, outre la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.
À l'appui de celle-ci, la requérante faisait notamment valoir que la demande en requalification du contrat en bail commercial était prescrite en application de l'article L 145-60 du code de commerce.
En défense, l'[5] a soutenu que son activité relevait de plein droit du statut des baux commerciaux en vertu de l'article L 145-2 du même code, et que la clause par laquelle elle avait renoncé à son droit au renouvellement était frappée de nullité, une telle exception étant perpétuelle.
Par jugement rendu le 8 juillet 2021 la juridiction saisie, devenue le tribunal judiciaire, a retenu que la demande en requalification du bail aurait dû être formée dans les deux ans suivant la conclusion du contrat initial, et que le caractère perpétuel de l'exception de nullité devait être écarté lorsque, comme en l'espèce, le contrat avait reçu un commencement d'exécution.
En conséquence le premier juge a :
- constaté la résiliation du bail à la date du 1er juillet 2013,
- condamné l'[5] au paiement d'une indemnité d'occupation équivalente au montant du dernier loyer échu, charges en sus,
- accordé à l'occupante un délai de grâce de deux ans pour quitter les lieux,
- ordonné à défaut son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique,
- rejeté le surplus des demandes,
- et condamné la défenderesse aux dépens.
L'exécution provisoire de la décision, retenue dans les motifs, n'a cependant pas été ordonnée dans le dispositif.
L'Association [5] a interjeté appel par déclaration adressée le 28 juillet 2021 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 23 janvier 2023, l'Association [5] fait valoir en premier lieu qu'en vertu de l'article L 145-2 du code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique de plein droit aux locaux abritant des établissements d'enseignement, quelle que soit la forme juridique sous laquelle le preneur exerce son activité. Elle se prévaut à ce titre d'un contrat d'association conclu avec l'Etat à compter du 15 septembre 1972.
Elle revendique en conséquence un droit au renouvellement du bail sur le fondement de l'article L 145-8 du même code, toute clause contraire devant être réputée non écrite en application des dispositions de l'article L 145-15 issues de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, applicables aux baux en cours à la date de son entrée en vigueur.
Subsidiairement, elle soutient être recevable à invoquer une exception de nullité de cette clause bien que le contrat ait reçu un commencement d'exécution, dès lors qu'il s'agit d'une stipulation qui ne trouve à s'appliquer qu'à la fin de la relation contractuelle.
Elle fait valoir d'autre part que la lettre recommandée qui lui a été adressée par le bailleur le 20 décembre 2012 ne présentait pas le caractère irrévocable d'un congé et n'a donc pu mettre valablement fin au bail, de sorte que celui-ci s'est poursuivi au delà du 1er juillet 2013 ou s'est renouvelé par tacite reconduction.
Elle demande en conséquence principalement à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau de juger qu'elle bénéficie d'un bail commercial et de déclarer nulles les clauses contraires stipulées dans le contrat initial et ses derniers avenants.
Subsidiairement, elle sollicite l'octroi d'un nouveau délai de grâce de deux années commençant à courir à compter de la signification de l'arrêt pour libérer les lieux.
En tout état de cause, elle réclame paiement d'une somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 19 janvier 2023, l'Association [4] fait valoir pour sa part que le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande de requalification d'une convention en bail commercial se situe à la date de la conclusion du contrat initial, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs.
Elle soutient en outre que la demande en nullité de la clause de renonciation à la propriété commerciale est pareillement prescrite en application de l'article L 145-60 du code de commerce, étant précisé que les dispositions de la loi du 18 juin 2014 ayant réputé non écrites les clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement du preneur ne sont pas applicables aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur.
Elle fait valoir à cet effet qu'en vertu de l'article 1185 du code civil issu de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, reprenant la jurisprudence antérieure, l'exception de nullité est susceptible de prescription lorsqu'elle se rapporte à un contrat ayant reçu un commencement d'exécution, quelque soit la clause litigieuse.
Elle soutient d'autre part qu'en tout état de cause l'[5] ne peut revendiquer le bénéfice du statut des baux commerciaux dès lors qu'elle ne justifiait pas, jusqu'à la date d'échéance du bail, d'une immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ni de l'exploitation régulière d'un établissement d'enseignement en vertu de déclarations préalablement déposées en mairie et auprès du représentant de l'Etat, conformément aux articles L 441-1 et 441-2 du code de l'éducation.
Elle se prévaut enfin des dispositions de l'article 1737 du code civil, suivant lesquelles le bail cesse de plein droit à l'expiration du terme fixé lorsqu'il a été fait par écrit, sans qu'il soit nécessaire de donner congé.
Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a constaté la résiliation du bail au 1er juillet 2013, ordonné l'expulsion du preneur et condamné celui-ci au paiement d'une indemnité d'occupation.
Elle forme en revanche appel incident sur les autres chefs de la décision, et demande à la cour de condamner la partie adverse au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que de rejeter toute demande de délai de grâce formulée en application de l'article L 412-3 du code des procédures civiles d'exécution.
Elle réclame enfin paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, outre ses entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2023.
DISCUSSION
Sur la renonciation du preneur au statut des baux commerciaux :
Le point de départ du délai de la prescription biennale édictée par l'article L 145-60 du code de commerce applicable à la demande de requalification d'une convention en bail commercial se situe à la date de la conclusion du contrat initial, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs.
D'autre part, les dispositions de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ayant modifié l'article L 145-15 du même code pour réputer non écrites les clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement du preneur ne s'appliquent pas aux procédures en cours à la date de son entrée en vigueur, étant rappelé qu'en l'espèce l'action a été introduite le 6 janvier 2014.
Sous l'empire du droit antérieur, il y a lieu au contraire de considérer que la renonciation du preneur à la propriété commerciale, formalisée tant dans le contrat initial que dans les deux derniers avenants, est intervenue postérieurement à la naissance du droit au renouvellement, en parfaite connaissance de cause et de manière non équivoque de la part de l'[5], de sorte que la clause litigieuse doit être regardée comme licite.
Il convient en conséquence de juger que les parties sont liées non par un bail commercial, mais par un bail professionnel.
Sur l'irrégularité du congé :
Les dispositions de l'article 1737 du code civil, suivant lesquelles le bail cesse de plein droit à l'expiration du terme fixé lorsqu'il a été fait par écrit, sans qu'il soit nécessaire de donner congé, ne s'appliquent pas aux baux professionnels, pour lesquels l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 impose au contraire la délivrance d'un congé par l'une ou l'autre des parties en respectant un délai de préavis de six mois.
En l'espèce, la clause du contrat mettant à la charge du seul preneur l'obligation de donner congé doit être réputée non écrite, en raison du caractère d'ordre public du texte susvisé.
D'autre part, la lettre adressée le 20 décembre 2012 par le bailleur ne peut s'analyser comme un congé en raison du caractère hypothétique des intentions qui y étaient exprimées. L'[4] écrivait en effet : 'Nous vous avons informés de la réflexion engagée sur l'avenir de ce site et le souhait éventuel de le récupérer pour un projet plus en lien avec nos orientations. Notre association n'a pour le moment pas avancé sur ce dossier. Pour autant, nous ne repartirons pas sur une durée aussi longue pour le prochain bail. (...) Nous vous adresserons un projet d'avenant au début de l'année 2013.'
Enfin, les courriers des 2 et 23 avril 2013 par lesquels le bailleur a précisé ses intentions ont été adressés moins de trois mois avant l'échéance du bail, c'est à dire hors délai.
Il convient dès lors de considérer qu'en l'absence de congé régulier, le bail a été reconduit pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2013, en application de l'article 57 A deuxième alinéa de la loi du 23 décembre 1986.
Le jugement entrepris doit être en conséquence intégralement infirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :
Déboute l'Association [4] de l'ensemble de ses prétentions,
Déboute l'Association [5] de sa demande en revendication du statut des baux commerciaux,
Juge que les parties sont liées par un bail professionnel qui a été reconduit pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2013,
Condamne l'Association [4] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à l'Association [5] une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT