COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 22 MARS 2023
N° 2023/ 123
N° RG 21/07752
N° Portalis DBVB-V-B7F-BHQKT
[V] [I]
C/
[M] [Z]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Christine BALENCI
Me Sandrine DUCROCQ-SCHRECK
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge des contentieux de la protection de TOULON en date du 16 Avril 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-18-0018.
APPELANTE
Madame [V] [I]
née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 8], demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Christine BALENCI, avocat au barreau de TOULON
INTIME
Monsieur [M] [Z]
né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 5] (83), demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Sandrine DUCROCQ-SCHRECK, membre de la SCP SCHRECK, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu sous signatures privées ayant pris effet à compter du 1er mars 1998, Madame [D] [X] [N] [Z] veuve [S] a donné à bail d'habitation à Madame [V] [I] un appartement de type 2 situé au [Adresse 7] à [Localité 9], moyennant un loyer mensuel de 2.100 francs révisable annuellement en fonction de la variation de l'indice de référence.
Un premier jugement rendu le 17 mars 2017 a précisé la valeur de l'indice à prendre en considération pour l'indexation du loyer, jugé que certaines provisions appelées n'étaient pas dues, ordonné la remise de quittances et condamné la bailleresse à rembourser certains frais exposés par la locataire.
Il s'est avéré cependant que Madame [S] était décédée le [Date décès 3] 2016, dès avant l'assignation en justice, laissant pour lui succéder son fils adoptif Monsieur [M] [Z].
Par exploit d'huissier du 20 avril 2018, ce dernier a fait signifier à la locataire un commandement de payer la somme de 1.097,46 euros au titre d'un arriéré de loyer et de charges suivant décompte arrêté au 16 mars précédent, visant la clause résolutoire stipulée au contrat.
Par assignation délivrée le 11 juin 2018, Madame [I] a saisi le tribunal d'instance de Toulon afin de voir prononcer la nullité dudit commandement, ou entendre subsidiairement juger que celui-ci était dépourvu d'effet en l'absence de dette locative. Elle a formulé également diverses autres demandes tendant à la restitution d'un trop-versé, à l'exécution de travaux de réparation urgents et à la consignation des loyers jusqu'à leur bonne fin, ainsi qu'au paiement de divers frais et dommages-intérêts.
Monsieur [Z] a demandé pour sa part au tribunal de constater l'acquisition de la clause résolutoire, d'ordonner en conséquence l'expulsion de la requérante et de la condamner au paiement de la dette locative, outre une indemnité d'occupation jusqu'à la libération des lieux.
Parallèlement à l'instance au fond, le juge des référés, saisi d'heure à heure, a rendu le 11 décembre 2020 une ordonnance enjoignant le bailleur de réaliser des travaux de remplacement des fenêtres du logement dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision, et l'a autorisé à prélever les fonds nécessaires sur le compte séquestre ouvert à la CARPA sur lequel la locataire avait d'ores et déjà pris l'initiative de déposer les loyers.
Par jugement rendu le 16 avril 2021 la juridiction saisie, devenue le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire, a :
- rejeté l'exception de nullité du commandement,
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 20 juin 2018,
- ordonné en conséquence l'expulsion de Madame [I] et de tous occupants de son chef,
- condamné celle-ci à payer la somme de 1.648,55 euros au titre de la dette locative, outre une indemnité d'occupation de 528,43 euros par mois, révisable selon les conditions du bail, à compter du 21 juin 2018 et jusqu'à la libération effective des lieux,
- condamné Monsieur [Z] à payer les sommes de 741,87 euros au titre d'un trop-perçu sur les loyers, 300 euros en réparation du préjudice de jouissance subi par sa locataire, et 930 euros au titre des frais d'expertise et de constat exposés par la requérante,
- condamné en outre Monsieur [Z], sous peine d'astreinte, à effectuer des travaux de réfection des fenêtres du logement,
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires,
- et dit que chacune des parties supporterait la charge de ses propres dépens.
Madame [V] [I] a interjeté appel de cette décision, non revêtue de l'exécution provisoire, par déclaration adressée le 25 mai 2021 au greffe de la cour.
Elle a quitté les lieux en vertu d'un congé délivré pour le 31 octobre 2021, après avoir reçu de la part du bailleur un congé pour vendre venant à échéance le 28 février 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions notifiées le 23 août 2021, dont le dispositif est intégralement reproduit ci-après, et auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, Madame [V] [I] demande à la cour de :
Réformer partiellement le jugement attaqué,
In limine litis, DIRE que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 20 avril 2018 à la requête de Monsieur [Z] est irrecevable et frappé de nullité,
A titre subsidiaire, DIRE et JUGER que l'assignation délivrée par Madame [I] le 11 juin 2018 a suspendu le jeu de la clause résolutoire,
DECLARER commun et opposable à Monsieur [M] [Z], ayant droit de Madame [S], le jugement du 17 mars 2017 rendu par le tribunal d'instance de Toulon,
DIRE et JUGER Madame [I] bien fondée à imputer les sommes visées dans ledit jugement au débit du compte [Z],
En conséquence, DIRE et JUGER que Madame [I] était à jour de ses loyers au moment de la délivrance du commandement visant la clause résolutoire ,
CONSTATER que l'impayé de loyer mentionné dans ledit commandement correspond à l'application du jugement rendu le 17 mars 2017,
En tant que de besoin,
CONDAMNER Monsieur [Z], ès qualités d'ayant droit de Madame [N] [S], à verser à Madame [I] la somme de 600 € en remboursement des frais SOCOTEC,
Dire que la valeur de l'indice du coût de la construction moyen sur 4 trimestres en 2015 est de
1619,75 et en 2016 de 1627,75,
Dire infondées les provisions annuelles d'eau d'un montant de 640,29 € facturées en sus des loyers de mars 2015 et mars 2016,
Enjoindre à M. [Z] de remettre à Madame [I] les quittances de loyer de décembre 2014 à janvier 2016 dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement,
Condamner Monsieur [Z] à verser la somme de 38,40 € au titre du solde de la facture de l'entreprise DELACROIX du 28 décembre 2015,
A titre subsidiaire, en tout état de cause :
REFORMER le jugement en ce qu'il n'a pas ordonné la suspension de la clause résolutoire,
ORDONNER la remise de quittances de loyer systématiquement dès l'encaissement du loyer mensuel, conformément au jugement du 17 mars 2017,
A titre infiniment subsidiaire :
DIRE et JUGER que l'opposition au commandement de payer a produit un effet suspensif de la clause résolutoire et que le terme n'était donc pas échu au 11 juin 2018,
DIRE que la clause résolutoire ne pouvait s'appliquer puisque Madame [I] était à jour de ses loyers avant le terme exécutoire du commandement de payer,
A titre encore plus subsidiaire :
En l'état du versement de la somme de 12 818,27 € par virement du compte CARPA effectué le 13 mai 2021, DEBOUTER purement et simplement Monsieur [Z] de sa demande de résiliation du bail,
ORDONNER à Monsieur [Z] d'appliquer le tableau d'indexation des loyers produit par Madame [I],
En conséquence, ORDONNER la remise à Madame [I] d'un bail faisant mention du ou des nouveaux bailleurs et du montant du loyer au regard du tableau fournit par l'ADIL,
DONNER ACTE à Madame [I] de ce qu'elle abandonne sa demande de remise des récapitulatifs des charges récupérables,
CONSTATER que les travaux urgents d'étanchéité des fenêtres réclamés par Madame [I] depuis le début de la procédure n'ont été réalisés qu'en exécution de l'ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2020,
En conséquence, DECLARER Madame [I] recevable et bien fondée à déposer les loyers dus à partir du 1er janvier 2019 ainsi que les loyers à venir sur un compte séquestre ouvert auprès de la CARPA, et ce jusqu'à paiement des travaux dans leur intégralité, conformément aux
dispositions des articles 493 et 812 du code de procédure civile,
CONSTATER que ces travaux n'ont pas été réalisés conformément aux règles de l'art,
CONDAMNER Monsieur [M] [Z] à effectuer la reprise des travaux sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir,
CONDAMNER Monsieur [Z] à rembourser à Madame [I] une somme de 300 € au titre des frais liés au constat d'huissier et celle de 630 € au titre des frais liés à l'expertise JCD Expert et Conseils,
CONDAMNER Monsieur [Z] à payer à Madame [I] une somme de 2000 € au titre du préjudice de jouissance subi du fait de la non réalisation des travaux d'étanchéité,
CONDAMNER Monsieur [Z] à payer à Madame [I] une somme de 1000 € au titre du préjudice moral subi,
CONSTATER que Madame [I] ne fait pas l'objet d'une mesure d'expulsion en cours d'exécution,
DIRE et JUGER la procédure d'expulsion irrégulière,
DEBOUTER Monsieur [Z] de toutes ses demandes,
CONDAMNER l'intimé à supporter les frais et dépens et les frais d'exécution, ainsi qu'à payer la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions en réplique notifiées le 10 novembre 2021, auxquelles il est également renvoyé pour le détail de l'argumentation, Monsieur [M] [Z] poursuit pour sa part la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, et réclame paiement d'une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2023.
DISCUSSION
Sur la nullité du jugement rendu le 17 mars 2017 :
Il est établi par la production d'un acte de décès que [D] [Z] veuve [S] est décédée le [Date décès 3] 2016, soit antérieurement à l'assignation qui lui avait été délivrée le 22 décembre 2016. Dès lors, le jugement rendu le 17 mars 2017 par le tribunal d'instance de Toulon est frappé de nullité absolue et ne peut être opposé à son héritier [M] [Z].
Sur la prescription des demandes précédemment formulées en 2016 :
En application de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, l'intimé est bien fondé à opposer la prescription des demandes qui avaient été formulées dans l'assignation susvisée, et qui sont reprises par l'appelante dans le cadre de la présente instance.
Sur l'exception de nullité du commandement de payer :
En vertu de l'article 648 du code de procédure civile, tout acte d'huissier doit indiquer notamment, à peine de nullité, les nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du requérant s'il s'agit d'une personne physique.
L'article 649 précise que la nullité des actes d'huissier est régie par les dispositions qui gouvernent celle des actes de procédure.
En l'espèce, le commandement signifié le 20 avril 2018 indiquait qu'il était délivré à la demande de Monsieur [Z] [M] [J] [E], né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 5], de nationalité française, domicilié [Adresse 4] à [Localité 6]. Si l'huissier a pu rajouter de façon malencontreuse que l'identité complète du requérant serait communiquée ultérieurement, il ne peut être soutenu que la seule omission de sa profession aurait été de nature à causer grief au destinataire de l'acte, au sens de l'article 114 du même code.
D'autre part, en dépit de l'absence de notification formelle à la locataire de l'identité du nouveau bailleur, telle qu'imposée par l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, il ressort d'un courrier adressé le 10 novembre 2017 par Madame [I] à l'agence AZUR PROVENCE, gestionnaire du bien, que l'intéressée avait eu connaissance du décès de Madame [S] et du transfert de propriété de l'immeuble à son fils, de sorte qu'elle ne pouvait se méprendre sur la qualité de l'auteur du commandement.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité soulevée.
Sur les effets attachés au commandement :
En vertu de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus produit effet à l'issue d'un délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement demeuré infructueux.
En l'espèce, pour les motifs qui ont déjà été exposés plus avant, Madame [I] ne pouvait valablement opérer une compensation entre les loyers qui lui étaient réclamés et les sommes qui lui avaient été allouées par le jugement du 17 mars 2017.
D'autre part, contrairement à ce qu'elle soutient dans ses conclusions, l'action en justice introduite le 11 juin 2018 n'avait pas pour conséquence de suspendre le délai de deux mois qui lui était imparti pour s'acquitter de sa dette.
Enfin, le bailleur est en droit d'invoquer le bénéfice de la clause résolutoire en cas de défaut de paiement d'un seul terme de loyer.
Le premier juge a donc justement constaté la résiliation du bail au 20 juin 2018.
Sur l'indexation du loyer :
Si le dispositif des conclusions de l'appelante demande qu'il soit ordonné à l'intimé d'appliquer le tableau d'indexation des loyers établi par l'ADIL, la cour n'est pas saisie toutefois d'une critique expresse contre la disposition du jugement qui a fixé à la somme de 741,87 euros le montant du trop-perçu que le bailleur est tenu de restituer à ce titre.
Sur la remise des quittances :
Le premier juge ayant omis de statuer sur cette demande, il y a lieu de condamner le bailleur, en tant que de besoin, à remettre à la locataire les quittances manquantes pour la période du 1er octobre 2016 au 20 juin 2018, en application de l'article 21 de la loi du 6 juillet 1989.
Sur la demande en réparation d'un préjudice de jouissance :
À l'appui de cette demande, Madame [I] se prévaut d'éléments qui sont tous postérieurs à la date d'effet de la résiliation du bail (constat d'huissier du 25 janvier 2019, rapport de la société JCD Expertises du 22 mai 2020, ordonnance de référé du 11 décembre 2020 et courrier de réclamation du 11 février 2021). Or, étant à cette époque occupante sans droit ni titre, elle n'avait pas qualité pour invoquer un préjudice de jouissance.
En conséquence la cour, qui n'est pas saisie d'un appel incident tendant à réformer la disposition du jugement ayant alloué une indemnité de 300 euros à la requérante, ne saurait en revanche en majorer le montant.
Sur la demande en réparation d'un préjudice moral :
C'est à bon droit que le premier juge a rejeté cette demande en considérant que la réalité d'un tel préjudice n'était pas établie.
Sur la demande en paiement des frais de constat et d'expertise :
Le premier juge a d'ores et déjà fait droit à celle-ci.
Sur le surplus des prétentions de l'appelante :
Du fait du départ volontaire des lieux de Madame [I] le 31 octobre 2021, il convient de constater que sont devenues sans objet les demandes tendant :
- à ordonner la remise d'un nouveau bail,
- à autoriser le dépôt des loyers sur un compte-séquestre,
- à condamner le bailleur à réaliser des travaux,
- et à déclarer irrégulière la procédure d'expulsion.
Le premier juge ne pouvait en outre sans se contredire constater la résiliation du bail et condamner le propriétaire à réaliser des travaux, ce chef du jugement devant être infirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions entreprises, sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [M] [Z] à réaliser des travaux,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [M] [Z] à remettre à Madame [V] [I] les quittances manquantes pour la période du 1er octobre 2016 au 20 juin 2018,
Condamne Madame [V] [I] aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par l'intimé.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT