COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 20 MARS 2023
N° 2023/0350
Rôle N° RG 23/00350 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BK7I7
Copie conforme
délivrée le 20 Mars 2023 par courriel à :
-l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
-le MP
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 18 Mars 2023 à 13h43.
APPELANT
Monsieur [D] [T]
né le 22 janvier 1999 en Croatie
de nationalité croate
comparant en personne, assisté de Me Alexandre AUBRUN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, commis d'office et de Mme [H] [S] (Interprète en langue serbe-croate), intervenant par téléphone, en vertu d'un pouvoir général inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Versailles
INTIME
Monsieur le préfet des BOUCHES DU RHONE
Représenté par Monsieur[Y] [G]
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté
DEBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 20 Mars 2023 devant Madame Catherine LEROI, Conseiller à la cour d'appel déléguée par le premier président par ordonnance, assistéee de Mme Pauline BILLO-BONIFAY, Greffier placé,
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2023 à 14 H 45,
Signée par Madame Catherine LEROI, Conseiller et Mme Pauline BILLO-BONIFAY, Greffier placé,
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu l'arrêté portant obligation de quitter le territoire national pris le 2 février 2023 par le préfet des BOUCHES DU RHONE , notifié le 6 février 2023 même jour à 13h48 ;
Vu la décision de placement en rétention prise le 15 mars 2023 par le préfet des BOUCHES DU RHONE notifiée le 16 mars 2023 à 10h20 ;
Vu l'ordonnance du 18 mars 2023 rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE décidant le maintien de Monsieur [D] [T] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et rejetant sa contestation de l'arrêté de placement en rétention ;
Vu l'appel interjeté le 18 mars 2023 par Monsieur [D] [T] ;
Monsieur [D] [T] a comparu et a été entendu en ses explications ; il déclare : ' je suis de nationalité croate, j'ai quitté le pays quand j'étais petit, mon père qui était avec moi est décédé, je ne peux pas vous dire exactement où je suis né. J'ai vécu en Italie jusqu'à il n'y a pas beaucoup de temps, aujourd'hui j'ai 24 ans, j'ai deux enfants. Je suis de nationalité croate. Je ne me souviens pas de ce que j'ai dit quand j'ai été entendu par la police, je pense avoir dit que j'avais des enfants, ils ont 7 et 5 ans. On m'avait proposé de m'expulser vers la Bosnie, je leur ai dit que je n'étais pas bosnien, je n'ai pas envoyé de papiers pour contredire l'OQT'.
Sur question du président d'audience à l'interprète : la différence de langue entre le croate et le bosnien est lexicale mais la structure de la langue est la même ; c'est un peu comme la différence entre la Belgique et la France. Il me comprend très bien mais je pense que sa première langue doit être romanique ou italienne au vu de son accent.
Son avocat a été régulièrement entendu ; se référant à l'acte d'appel, le conseil soulève les moyens suivants :
* M. [T] a été interrogé le 30 janvier 2013 en français dans la demande écrite d'observations préalables à la prise d'une décision d'éloignement, alors qu'en tant que ressortissant croate, il ne comprend pas bien le français, et que cela lui fait grief en ce qu'il n'a pas pu faire valoir ses observations ni avertir ses proches afin qu'ils réunissent des éléments sur sa situation personnelle, familiale et médicale.
* l'arrêté de placement en rétention lui a été notifié en langue bosnienne et par téléphone alors que l'intéressé parle le serbo-croate ;
* il est impossible de vérifier l'identité de l'agent notificateur de l'arrêté de placement en rétention et des droits y afférents, ce qui emporte la nullité de la procédure subséquente et cause grief à M. [T].
Il conteste par ailleurs la régularité de l'arrêté de placement en rétention, faisant valoir :
- sur le plan de la légalité externe, que l'identité de l'agent notificateur ne peut être déterminée, qu'il doit être justifié de la compétence de son signataire par l'autorité administrative, que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union , qu'un tel droit comporte notamment celui de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre et que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ce droit se définit comme le droit de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief, et qu'en l'espèce, ce droit n'a pas été respecté ; il ajoute que l'arrêté de placement en rétention est insuffisamment motivé.
- sur le plan de la légalité interne, il soutient que le préfet n'a pas pris en compte la situation personnelle de M. [T].
Il soulève l'irrecevabilité de la requête préfectorale en prolongation de la rétention pour défaut de production d'une pièce justificative utile à savoir une autre audition non versée au débat dont il résulterait que Monsieur [T] serait marié et père de deux enfants, ces observations fondant à la fois l'arrêté de placement en rétention et la demande de prolongation de la rétention.
Enfin, il soutient que la préfecture a manqué à son devoir de diligences prévu par l'article L. 741-3 du CESEDA en ce que, bien qu'ayant indiqué vouloir renvoyer M. [T] en Croatie, elle a saisi la seule Bosnie-Herzégovine aux fins de reconnaissance de l'intéressé et délivrance d'un laissez-passer.
Il sollicite en conséquence la mise en liberté de M. [T].
Le représentant de la préfecture sollicite la confirmation de la décision déférée. Il fait valoir que la requête préfectorale en prolongation de la rétention était accompagnée de toutes les pièces justificatives utiles, que M. [T] a pu exercer ses droits au centre de rétention et a notamment contesté l'arrêté de placement en rétention et que l'agent lui ayant notifié l'arrêté de placement en rétention peut parfaitement être identifié du fait de la signature et du cachet du service figurant sur la notification.
Il ajoute qu'une demande de laissez-passer a été faite à la Bosnie dès le 16 mars 2023 laquelle peut être réitérée vers la Croatie.
Il soutient que l'arrêté de placement en rétention est régulier, pris par la cheffe du service bénéficiant d'une délégation de signature, qu'il est motivé en fait et en droit, l'intéressé n'ayant aucune garantie de représentation ( ni passeport, ni adresse stable) et souhaitant rester en France.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Sur la contestation de l'arrêté de placement en rétention :
Aux termes de l'article L741-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, l'autorité administrative peut placer en rétention pour une durée de 48 heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision. Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L 612-3.
Ce dernier article dispose que le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;
5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ;
7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
L'arrêté de placement en rétention critiqué a été signé par Mme [F] [E], cheffe du bureau de l'éloignement, du contentieux et de l'asile aux termes d'un arrêté préfectoral n°13-2023-02-07-0006 en date du 7 février 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 13-2023-037 du 7 février 2023.
L'arrêté de placement en rétention critiqué qui cite les textes applicables à la situation de M. [T], est motivé par le fait que, déclarant être entré en France en avril 2022, M. [T] n'a pas sollicité de titre de séjour et ne justifie ni de la remise d'un passeport en cours de validité, ni d'une adresse stable en France.
M. [T], qui ne remet pas en cause les circonstances de fait relevées par le Préfet, n'indique pas en quoi l'arrêté de placement en rétention serait insuffisamment motivé et n'aurait pas pris en compte sa situation individuelle.
Ces circonstances correspondent en tout état de cause aux éléments dont le préfet disposait au jour de sa décision.
En conséquence, l'arrêté comporte les motifs de droit et de fait nécessaires et suffisants, qui en constituent le fondement et M. [T] a pu être regardé comme ne présentant pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire. C'est donc sans méconnaître le principe de proportionnalité et de nécessité et en procédant à un examen de la situation de l'étranger que la décision de placement en rétention a été prise.
Il convient, dans ces conditions, de rejeter la contestation de l'arrêté de placement en rétention.
Sur la demande de prolongation de la rétention :
M. [T] soulève en application de l'article R 743-2 du CESEDA l'irrecevabilité de la demande préfectorale en prolongation de la rétention en ce que cette dernière n'aurait pas été accompagnée d'une pièce justificative utile, à savoir une précédente audition dont il est résulterait qu'il est marié et père de deux enfants, ces circonstances ayant été prises en compte par l'arrêté de placement en rétention et la demande de prolongation de la rétention.
Outre le fait que ni l'arrêté de placement en rétention ni la demande de prolongation de la rétention ne font état de ces éléments, il apparaît que ceux-ci résultent non d'une précédente audition de M. [T] mais de renseignements figurant sur la fiche pénale de l'intéressé laquelle se trouve bien annexée à la requête.
Dès lors, la fin de non recevoir soulevée sera écartée.
Il ressort des pièces versées aux débats que la décision de placement en rétention porte le cachet de la direction zonale de la police aux frontières zone sud suivi de la signature de l'agent notifiant. Si le nom du fonctionnaire de la police aux frontières ayant procédé à cette notification n'est pas mentionné sur la notification, celui est identifiable au besoin, par sa signature et le nom du service auquel il appartient et surtout M. [T] ne démontre pas avoir subi de ce fait un préjudice quelconque.
Il est constant que M. [T] a été interrogé le 30 janvier 2013 en français lors de la demande d'observations préalables à la prise d'une décision d'éloignement sans recours à un interprète. Toutefois, cela n'a pas d'incidence sur la régularité de la procédure de placement en rétention, laquelle ne prévoit pas l'existence d'un débat contradictoire avant la prise de la décision; en outre, un tel débat peut s'instaurer de manière parfaitement contradictoire dans le cadre de l'instance en contestation de l'arrêté de placement en rétention.
Par ailleurs, M. [T] critique l'interprétariat dont il a bénéficié en longue bosnienne lors de la notification de l'arrêté de placement en rétention et de ses droits alors qu'il est de nationalité serbo-croate et par téléphone.
Il apparaît toutefois que lors de son audition du 2 mai 2022, dans le cadre d'une enquête pénale, alors qu'il était assisté d'un interprète en langue serbo-croate, M. [T] a indiqué qu'il était de nationalité bosnienne, et ce bien que sa fiche pénale et les éléments antérieurs fassent état d'une nationalité croate. Les contradictions de l'intéressé quant à sa nationalité ne lui permettent pas de critiquer le fait qu'il ait bénéficié d'un interprète en langue bosnienne lors de la notification de l'arrêté de placement en rétention ni de se prévaloir du non-respect de son droit à bénéficier d'un interprétariat dans une langue qu'il comprend. En outre, il ressort des indications données par l'interprète en langue serbo-croate à l'audience que la langue bosnienne est très proche de la langue croate, si ce n'est quelques différentes lexicales mineures. Enfin s'il a été procédé à un interprétariat par voie téléphonique sans qu'il soit justifié d'un état de néessité, conformément aux dispositions de l'article L141-3 du CESEDA, l'intéressé ne justifie ni même n'allègue l'existence d'un grief résultant du recours à ces modalités.
Enfin, aux termes de l'article L741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet. Il est reproché à la préfecture de n'avoir pas effectué les diligences nécessaires à l'éloignement de M. [T] en sollicitant la délivrance d'un laissez-passer par la seule Bosnie- Herzégovine alors qu'il est de nationalité croate.
Toutefois, il n'appartient pas à M. [T] de choisir le pays vers lequel il doit être éloigné et sa déclaration lors de son audition administrative du 2 mai 2022 de la nationalité bosnienne est de nature à justifier la saisine par la préfecture, à tout le moins dans un premier temps, des autorités consulaires de ce pays en vue de la délivrance d'un laissez-passer.
La procédure apparaît donc régulière.
La décision déférée sera en conséquence confirmée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Confirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 18 Mars 2023.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier, La présidente