COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 16 MARS 2023
N° 2023/124
N° RG 22/07264
N° Portalis DBVB-V-B7G-BJNVK
S.A. GMF ASSURANCES
C/
[B] [C]
Caisse CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES B OUCHES DU RHONE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-SCP DUHAMEL ASSOCIES
-Me Marie FAVRE-PICARD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de DRAGUIGNAN en date du 05 Avril 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 20/02481.
APPELANTE
S.A. GMF ASSURANCES
La Compagnie GMF ASSURANCES, Société Anonyme au capital de 181 385 440 euros entièrement versé, Entreprise régie par le Code des assurances, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 398 972 901, dont le siège social est sis [Adresse 3],
demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée par Me Florence ADAGAS-CAOU de la SCP DUHAMEL ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN.
INTIMES
Monsieur [B] [C]
né le [Date naissance 7] 1964 à [Localité 8], .
demeurant [Adresse 6]
représenté et assisté par Me Marie FAVRE-PICARD, avocat au barreau de MARSEILLE.
CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE,
Dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, (Assuré social : Monsieur [B] [C] sous le n° [XXXXXXXXXXX01]).
Signification DA et conclusions le 07/07/2022, à personne habilitée,
demeurant [Adresse 4]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 01 Février 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Mars 2023.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Mars 2023,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
M. [B] [C] expose que le 3 juillet 2010 alors qu'il circulait sur son deux-roues, il a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par Mme [W], assuré auprès de la garantie mutuelle des fonctionnaires assurances (GMF).
Il a saisi le juge des référés qui par ordonnance du 2 novembre 2011 a désigné le docteur [O] pour évaluer les conséquences médico-légales de l'accident, en lui allouant une indemnité provisionnelle de 10'000€ à valoir sur la réparation de son préjudice corporel définitif.
Selon ordonnance du 5 février 2014 le juge des référés a complété la mission de l'expert et il a alloué une nouvelle provision de 16'000€ à la victime.
L'expert a déposé son rapport définitif le 20 décembre 2016 en concluant notamment à l'existence d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 15 %.
Par actes des 11 et 13 mars 2020, M. [C] a fait assigner la GMF devant le tribunal judiciaire de Draguignan pour la voir condamner à l'indemniser de ses préjudices corporels et ce, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) des Bouches du Rhône.
Par jugement du 05 avril 2022, assorti de droit de l'exécution provisoire, cette juridiction a :
- dit que le préjudice corporel subi par M. [C] s'établit à la somme de 269'772,20€, soit après imputation des débours de l'organisme social de 86'887,45€, une somme de 182'884,75€ revenant à la victime ;
- condamné la GMF à payer à M. [C] la somme de 182'884,75€ en réparation de son préjudice corporel, avant déduction des provisions, et augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- déclaré le jugement commun à la CPAM du Var ;
- condamné la GMF aux dépens avec distraction, et à payer à M. [C] la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement.
Après avoir constaté que la GMF ne conteste pas son obligation à indemnisation intégrale de la victime directe, la juridiction a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
- dépenses de santé actuelles : 65'804,46€ pris en charge par l'organisme social, M. [C] étant débouté de sa demande en paiement de la somme de 19,50€ faute de préciser à quelle dépense ce montant correspondrait,
- frais d'assistance à expertise : 300€
- frais d'assistance par tierce personne en fonction d'un coût horaire de 18€ : 1494€
- dépenses de santé futures : 4956,99€ pris en charge par l'organisme social
- incidence professionnelle : 100'000€ correspondant à la perte de chance à hauteur de 80 % de percevoir des salaires majorés pendant une mission en Arabie Saoudite,
- déficit fonctionnel temporaire : 14'140,75€
- souffrances endurées 5/7 : 30'000€
- déficit fonctionnel permanent 15 % : 25'950€ pour un homme âgé de 51 ans à la consolidation
- préjudice esthétique permanent 3/7 : 6000€
- préjudice sexuel : 5000€.
Par acte du 19 mai 2022, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la GMF assurances a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a fixé le préjudice corporel global de M. [C] à 269'772,20€, soit après imputation des débours une somme de 182'884,75€ lui revenant, et qui l'a condamnée à lui payer la somme de 182'884,75€.
M. [C] a formé appel incident.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 janvier 2023.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses conclusions du 16 juin 2022, la compagnie GMF assurances demande à la cour de :
' réformer partiellement le jugement ;
' confirmer le jugement sur les postes et indemnités suivants :
- dépenses de santé actuelles : débouté
- frais d'assistance à expertise : 300€
- frais d'assistance par tierce personne temporaire : 1494€
- déficit fonctionnel temporaire : 14'140,75€
- souffrances endurées : 30'000€
- déficit fonctionnel permanent : 25'950€
- préjudice esthétique permanent : 6000€
- article 700 du code de procédure civile : 2000€
- dépens de première instance ;
' réformer le jugement qui a chiffré à 80 % la perte de chance professionnelle subie par M. [C] et qui lui a alloué la somme de 100'000€ au titre de l'incidence professionnelle en la condamnant à lui payer cette somme ;
' la condamner à payer à M. [C] la somme de 32'000€ au titre de l'incidence professionnelle ;
' réformer le jugement qui a retenu un préjudice sexuel et qui a alloué à M. [C] la somme de 5000€, et le débouter de sa demande au titre de ce préjudice ;
' fixer à 109'884,75€ le préjudice global de la victime avant déduction des provisions versées à hauteur de 28'000€ ;
' débouter M. [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples contraires ;
' déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM du Var ;
' statuer ce que de droit sur les dépens d'appel.
En se référant aux conclusions de l'expertise judiciaire, la GMF considère que M. [C] ne subit aucun préjudice professionnel futur puisqu'il n'a pas eu l'obligation de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou encore de changer d'activité professionnelle. La médecine du travail a insisté sur le fait qu'il était apte à son poste sans restriction. Elle admet que M. [C] a subi une incidence professionnelle en raison de la perte de chance de bénéficier d'une opportunité professionnelle, mais il ne s'agit pas de perte de gains professionnels futurs. En effet, il a posé en postulat que la mission à l'étranger lui était quasiment acquise et qu'il aurait gagné pendant trois ans le double de sa rémunération en France. Le premier juge a considéré que la perte de chance était évaluée à 80 % d'un salaire mensuel moyen de 6779,99€.
Elle fait valoir que la perte de chance a été définie par la Cour de cassation pour être la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Mais rien n'était acté quant au choix de la personne désignée pour accomplir la mission en Arabie Saoudite ni qu'elle aurait duré trois ans.
Néanmoins elle formule une offre et considère que le revenu de référence qu'il convient de retenir est celui de l'année 2010 soit 33'137€ et donc un revenu mensuel moyen de 2761,42€. Elle offre de verser la somme de 32'000€ soit l'équivalent d'une année de rémunération calculée sur la moyenne des augmentations de salaire à savoir :
(2761,42 x 12) x 105% : 34'793,89€
(3221,73 x 12) x 75,71 % = 29'270,06€
et donc une moyenne de 32'031,98€, ramenée à 32.000€.
Elle demande à la cour de rejeter l'indemnisation du poste de préjudice sexuel puisqu'il ne correspond pas à la nomenclature en vigueur qui vient prendre en compte un préjudice morphologique, une perte de l'envie ou de la libido, ou une impossibilité à procréer. En l'espèce l'expert relève que les séquelles que M. [C] présente peuvent entraîner une gêne positionnelle sans toutefois entraîner des troubles de la procréation et de la libido.
Dans ses conclusions d'appel incident du 27 juillet 2022, M. [C] demande à la cour de :
' réformer partiellement le jugement ;
' confirmer le jugement qui lui a alloué les sommes suivantes :
- frais d'assistance à expertise : 300€
- frais d'assistance par tierce personne temporaire : 1494€
- déficit fonctionnel temporaire : 14'140,75€
- souffrances endurées : 30'000€
- déficit fonctionnel permanent : 25'950€
- préjudice esthétique permanent : 6000€
- préjudice sexuel : 5000€
- article 700 du code de procédure civile : 2000€
- dépens de première instance
' le réformer en ce qu'il a chiffré à 80 % la perte de chance professionnelle qu'il a subie et qui lui a alloué la somme de 100'000€ au titre de l'incidence professionnelle ;
' débouter la GMF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre du préjudice sexuel et de l'incidence professionnelle ;
' fixer la perte de chance professionnelle qu'il a subie à 100 % ;
' condamner la GMF à lui verser au titre de l'incidence professionnelle la somme de 136'586,16€ ;
' condamner la GMF à lui verser la somme de 219'470,91€ au titre de l'indemnisation de son préjudice subi, somme de laquelle il conviendra de déduire la provision déjà perçue à hauteur de 28'000€ ;
' condamner la GMF au paiement de la somme de 2000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les frais de l'expertise judiciaire du docteur [O].
Il fait valoir que l'accident dont il a été victime a eu un retentissement dans sa vie privée professionnelle puisqu'il s'apprêtait à partir en novembre 2010 pour trois ans en Arabie Saoudite dans le cadre d'une longue mission lorsque l'accident est survenu. En effet cette promotion professionnelle lui était réservée et il avait été sélectionné moyennant un salaire multiplié par deux. Il produit plusieurs attestations venant établir que son départ était acté et l'un des témoins écrit qu'il semblait être le meilleur candidat potentiel tant par ses compétences techniques et linguistiques que par sa connaissance de l'appareil sur lequel il devait travailler.
Son préjudice consiste en une perte de chance à hauteur de 100 % d'obtenir un emploi ou une promotion qui doit être indemnisée.
Son salaire mensuel moyen au 8 novembre 2010 s'établissait à 3794,06€ qui devait être doublé ce qui revient à dire qu'il a subi une perte de 136'586,16€. Dans ce montant il inclut une prime de mobilité, la prise en charge de frais de logement, une prime de financement de voyages et de repos, le salaire mensuel net qu'il percevait avant l'accident, et une prime d'aménagement ce qui correspond à un montant mensuel de 7294,91€.
Il demande la confirmation du montant de 5000€ qui lui a été alloué au titre du préjudice sexuel en soulignant que sa compagne explique de façon détaillée que leur intimité a été très affectée par les troubles de la sexualité qu'il présentait.
La CPAM des Bouches du Rhône, assignée par la GMF, par acte d'huissier du 7 juillet 2022, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 31 août 2022 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 86'887,45€, correspondant à :
- des prestations en nature : 65'804,46€
- des indemnités journalières versées du 6 juillet 2010 au 21 juillet 2013 : 16'126€
- frais futurs : 4956,99€.
L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur le préjudice corporel
L'expert, le docteur [O], a indiqué que M. [C] a présenté une fracture ouverte du tiers fémur gauche sur 20 cm avec une plaie de 20cm ayant nécessité une intervention chirurgicale pour ostéosynthèse par vis et plaques, période suivie d'un séjour en centre de réadaptation fonctionnelle pendant plusieurs mois.
Il a conclu à :
- perte de gains professionnels actuels : mécanicien de piste, salarié de la société Eurocopter, M. [C] arrêté ses activités professionnelles du 3 juillet 2010 au 27 mars 2011, puis du 28 avril 2013 au 27 juillet 2013 et enfin du 12 octobre 2014 au 7 décembre 2014,
- un déficit fonctionnel temporaire total du 3 juillet 2010 au 2 novembre 2010, du 28 avril 2013 au 3 mai 2013, du 10 octobre 2014 au 15 octobre 2014
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 75 % du 3 novembre 2010 au 4 février 2011
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 5 février 2011 au 27 mars 2011 et du 4 mai 2013 au 4 juin 2013
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 33 % du 16 octobre 2014 au 16 novembre 2014
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 28 mars 2011 au 27 avril 2013
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 20 % du 5 juin 2013 au 11 novembre 2014 et du 17 novembre 2014 au 17 janvier 2015
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 15 % du 18 janvier 2015 au 22 avril 2015 - une consolidation au 22 avril 2015
- des souffrances endurées de 5/7
- un déficit fonctionnel permanent de 15 %
- un préjudice esthétique permanent de 3/7
- un besoin en aide humaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % quantifié à une heure par jour,
- perte de gains professionnels futurs : le déficit fonctionnel permanent n'entraîne pas l'obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d'activité professionnelle,
- incidence professionnelle : M. [C] a précisé une absence de promotion compte tenu d'un départ programmé comme technicien durant trois ans en Arabie Saoudite. Ce fait n'est pas documenté de même que les dates de ce séjour à l'étranger,
- préjudice sexuel : M. [C] a précisé un retentissement dans sa vie intime avec sa compagne. Les séquelles présentées ce jour peuvent entraîner une gêne positionnelle dans la vie sexuelle sans toutefois entraîner des troubles de la procréation ou de la libido,
- préjudice d'agrément : M. [C] a précisé un arrêt de ses activités sportives antérieurement pratiquées. Les séquelles présentées ce jour ne permettent pas à M. [C] de reprendre les activités sportives qu'il exerçait à savoir le footing ou le karting et des activités sportives nécessitant la course.
Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 7] 1964, de son activité de mécanicien de piste, âgé de 51 ans à la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
Préjudices patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Dépenses de santé actuelles 65'804,46€
Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la CPAM soit 65'804,46€, la victime n'invoquant devant la cour aucun frais de cette nature restés à sa charge.
- Frais divers 300€
Les parties ne contestent pas le montant de 300€ alloué par le premier juge venant indemniser les frais d'assistance à expertise.
- Perte de gains professionnels actuels 59.975,44€
Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.
La demande de M. [C] consiste à évaluer une perte de chance professionnelle dont il sollicite le chiffrage et pour une période qui a commencé en décembre 2010, date à laquelle son collègue M. [J] est, dit-il, parti à sa place en mission en Arabie Saoudite et pour trois années soit jusqu'en décembre 2013. La consolidation ayant été fixée par l'expert médical au 22 avril 2015, cette demande n'entre pas dans les critères posées par la nomenclature au titre de l'incidence professionnelle, poste de préjudice permanent, ni d'ailleurs dans celui d'une perte de gains professionnels futurs, le dommage qu'il invoque ayant été subi antérieurement à cette date de consolidation.
Pour justifier de la réalité de la perte de chance en son principe, M. [C] a produit plusieurs pièces, avant clôture de la procédure, puis à la demande de la cour, d'autres pièces en cours de délibéré. Parmi elles figure une lettre à l'entête de Airbus helicopters son employeur et rédigée le 14 février 2023 par M. [K] [L], 'manager' de M. [C] en tant que 'chef d'atelier de la piste hélicoptères Dauphin' de mars 2007 jusqu'à octobre 2011.
Il explique que M. [C] travaillait depuis plusieurs mois à la mise au point d'hélicoptères type Dauphin AS565, faisant partie d'un gros contrat militaire destiné à l'Armée des Emirats arabes unis (EAU). Après livraison au client, ces hélicoptères étaient mis en service, exploités et maintenus par la société HFSI, filiale du groupe Eurocopter à l'époque. Il affirme que M. [C] avait été contacté au mois de juin 2010 par le manager de cette société pour effectuer la livraison à venir des aéronefs ainsi que leur exploitation et leur maintenance sur place aux EAU et pour une durée de trois ans. Il a ajouté qu'il s'agit là d'une pratique courante de manière à former les clients et d'assurer les meilleures prestations possibles dans les phases de démarrage, mais que malheureusement l'accident dont M. [C] a été victime le 2 juillet 2010 et la longue hospitalisation que son état a nécessitée ont compromis le projet.
Il se déduit de ce document que M. [C] était, à l'évidence, pressenti pour cette mission, et plusieurs de ses collègues viennent attester qu'il présentait les compétences linguistiques et techniques pour la remplir au mieux.
Cette situation s'analyse en droit en une perte de chance d'effectuer cette mission et pendant trois ans, qui est réelle et sérieuse, étant rappelé que le préjudice de la victime présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, et doit être apprécié selon le niveau de salaire.
S'agissant d'une perte de chance, l'indemnisation ne peut cependant être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée mais correspond à une fraction seulement du préjudice, qui au vu des données de la cause, justifie une réparation qui ne saurait être inférieure à 80%, ce taux reposant sur la prise en considération des paramètres aléatoires de la vie aussi bien professionnels que personnels et familiaux.
M. [C] fait valoir que son salaire mensuel moyen au 8 novembre 2010 s'établissait à 3794,06€ et qu'il devait être doublé à l'occasion de cette mission.
Il lui a été demandé de produire par voie de note en délibéré, les éléments précis sur les montants qu'il aurait perçus s'il était parti aux EAU et dont il fait état dans ses écritures. À ce jour son employeur, qui a été sollicité, ne les a pas communiqués et ils n'ont pas été versés aux débats.
Les sommes que M. [C] a perçues au cours d'une mission qu'il a effectuée en Corée à compter du mois de septembre 2020 ne peuvent servir de base, le temps écoulé entre 2010 et 2020 étant trop long pour refléter en 2020 la réalité des rémunérations dix ans auparavant, et les conditions financières des contrats n'étant pas versées aux débats.
M. [C] invoque la perte des avantages annexes et en nature dont il aurait bénéficié au cours de sa mission, comme la mise à disposition d'un logement de fonction, d'un téléphone portable, d'une voiture, de la prise en charge de billets d'avion en 'classe affaires'. Pour en justifier il se fonde sur les avantages dont il a bénéficié pour sa mission en 2020. Là encore, les contrats n'étant pas versés aux débats tant pour le projet de mission en 2010 que pour la mission en Corée en 2020, ces demandes ne peuvent être accueillies favorablement.
En revanche, il a communiqué les bulletins de salaire de son collègue M. [V] [Y] qui a effectué une mission à l'étranger et sur les mois de janvier 2010 à novembre 2010, et sur lesquels la cour s'appuie pour établir la perte.
La rémunération nette à payer de M. [Y] sur onze mois s'est élevée à 58.482,71€, soit une moyenne mensuelle de 5316.61€. La différence de revenu s'établit à une somme mensuelle de 1522,55€ (5316.61€ - 3794,06€), et donc sur 36 mois celle de 54.811,80€ (1522,55€ x 36) et à hauteur de 80% la somme de 43.849,44€.
Ce poste correspond aussi au montant des indemnités journalières versées par la CPAM pour la période du 6 juillet 2010 au 21 juillet 2013 pour 16'126€ et venant compenser une perte de revenus sur son salaire perçu jusque là.
L'assiette de se poste s'élève à 59.975,44€ (43.849,44€ + 16'126€)
L'indemnité revient donc intégralement au tiers payeur.
- Assistance de tierce personne 1494€
Les parties ne contestent pas le montant de 1494€ alloué par le premier juge venant indemniser ce poste.
Préjudices patrimoniaux
permanents (après consolidation)
- Dépenses de santé futures 4956,99€
Ce poste vise les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l'installation de prothèses soit à la pose d'appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique. Il est constitué des frais futurs prévus par l'organisme social à hauteur de 4956,99€.
Préjudices extra-patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Déficit fonctionnel temporaire 14'140,75€
Les parties ne contestent pas le montant de 14'140,75€ alloué par le premier juge venant indemniser ce poste.
- Souffrances endurées 30'000€
Les parties ne contestent pas le montant de 300€ alloué par le premier juge venant indemniser ce poste.
permanents (après consolidation)
- Déficit fonctionnel permanent 25'950€
Les parties ne contestent pas le montant de 25'950€ alloué par le premier juge venant indemniser ce poste.
- Préjudice esthétique 6000€
Les parties ne contestent pas le montant de 6000€ alloué par le premier juge venant indemniser ce poste.
- Préjudice sexuel 5000€
Ce poste comprend divers types de préjudices touchant à la sphère sexuelle et notamment celui lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel.
L'expert retient que M. [C] a précisé un retentissement dans sa vie intime avec sa compagne. Les séquelles qu'il conserve à ce jour peuvent entraîner une gêne positionnelle dans la vie sexuelle sans toutefois entraîner des troubles de la procréation ou de la libido.
Cette gêne dans l'accomplissement des gestes de la vie sexuelle, directement liée aux séquelles que la victime présente, est en lien direct et certain avec l'accident et mérite une indemnisation. Elle sera intégralement réparée par l'octroi d'une indemnité de 5000€, équitablement fixé par le premier juge.
Le préjudice corporel global subi par M. [C] s'établit ainsi à la somme de 213.621,64€ soit, après imputation des débours de la CPAM (86'887,45€), une somme de 126.734,19€ lui revenant qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt soit le 16 mars 2023.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont confirmées.
La GMF qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d'appel.
L'équité ne justifie pas d'allouer à M. [C] une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
- Confirme le jugement,
hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
- Fixe le préjudice corporel global de M. [C] à la somme de 213.621,64€ ;
- Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 126.734,19€ ;
- Condamne la GMF à payer à M. [C] la somme de 126.734,19€, répartie comme suit :
- frais d'assistance à expertise : 300€
- perte de gains professionnels actuels : 43.849,44€
- assistance par tierce personne temporaire : 1494€
- déficit fonctionnel temporaire : 14.140,75€
- souffrances endurées : 30.000€
- déficit fonctionnel permanent : 25.950€
- préjudice esthétique permanent : 6000€
- préjudice sexuel : 5000€
sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt soit le 16 mars 2023 ;
- Déboute M. [C] de sa demande en paiement de sommes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés devant la cour ;
- Condamne la GMF aux entiers dépens d'appel.
La greffière Le président