COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 10 MARS 2023
N° 2023/87
Rôle N° RG 19/15922- N° Portalis DBVB-V-B7D-BFASW
[H] [P]
C/
[T] [X]
Association [5]
[M] [J]
Association AGS CGEA DE [Localité 6]
Copie exécutoire délivrée le :
10 MARS 2023
à :
Me Jérôme FERRARO de la SCP E. SANGUINETTI , J. FERRARO, A. CLERC ET J. AUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Pascale ROBLOT DE COULANGE, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 16 Septembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/02403.
APPELANTE
Madame [H] [P] , demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Jérôme FERRARO de la SCP E. SANGUINETTI , J. FERRARO, A. CLERC ET J. AUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [T] [X] ès qualités de mandataire Judiciaire de L'Association [5], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Pascale ROBLOT DE COULANGE, avocat au barreau de MARSEILLE
Association [5] en plan de redressement ([5]), demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Pascale ROBLOT DE COULANGE, avocat au barreau de MARSEILLE
[M] [J] représentée par Maître [K] [O] ès qualités d'administrateur judiciaire de l'association [5], puis de commissaire à l'exécution du plan, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pascale ROBLOT DE COULANGE, avocat au barreau de MARSEILLE
Association AGS CGEA DE [Localité 6], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Julie GRIMA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2023
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Madame [H] [P] a été embauchée en qualité de conseillère en emploi et insertion le 18 juillet 2016 par l'Association [5] ([5]), dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée du 18 juillet 2016 au 18 novembre 2016, qui s'est poursuivi dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Elle percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de 1909,37 euros au titre d'un temps complet.
À compter du mois de novembre 2017, Madame [P] a fait l'objet d'une saisie sur salaire suite à avis à tiers détenteur provenant des impôts.
En date du 17 mai 2018, Madame [P] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir la justification des versements aux services fiscaux des sommes retenues sur son salaire.
Madame [H] [P] a démissionné par lettre du 29 mai 2018 remise en main propre à son employeur le 30 mai 2018.
Par ordonnance de référé du 26 juillet 2018, l'association E.P.F.F. a été condamnée à transmettre les justificatifs des règlements auprès de l'administration fiscale des sommes retenues sur les salaires et condamnée au paiement de la somme de 1500 euros au titre des retards de paiement régulier des salaires.
Par requête du 26 novembre 2018, Madame [H] [P] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir la requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur, la requalification de son contrat de travail initial à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et le paiement d'indemnités de rupture.
Par jugement du 27 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Marseille a ordonné le placement de l'Association [5] ([5]) en redressement judiciaire et désigné Maître [T] [X] en qualité de mandataire judiciaire et Maître [K] [O] en qualité d'administrateur judiciaire.
Par jugement du 16 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Marseille a "confirmé l'ordonnance de référé du 26 juillet 2018 portant le numéro de répertoire général 18/00279", a requalifié la relation contractuelle à durée déterminée de Madame [H] [P] en relation contractuelle à durée indéterminée à compter du 18 juillet 2016, a condamné l'Association [5] à verser à Madame [H] [P] la somme de 1903,37 euros au titre de l'indemnité de requalification, a débouté Madame [H] [P] de sa demande de requalification de sa démission en prise d'acte, a débouté le défendeur de sa demande reconventionnelle, a déclaré le jugement opposable au CGEA en qualité de gestionnaire de l'AGS dans les limites de l'article L.3253-8 du code du travail, a débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraire et a condamné le défendeur aux entiers dépens.
Madame [H] [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel du 15 octobre 2019.
L'Association [5] a bénéficié d'un plan de redressement à compter du 28 juillet 2020, Maître [K] [O] ayant été désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Madame [H] [P] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions récapitulatives n° 2 notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022, de :
Dire Madame [P] recevable et bien fondée en son appel,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association « [5] », alors « in bonis », au paiement des sommes suivantes :
- Indemnité spéciale de requalification : 1909,37 euros,
- Indemnité pour retards de paiement et paiements incomplets des salaires, exécution gravement fautive et déloyale du contrat de travail (somme allouée par la formation de référé) : 1500 euros,
Le réformer pour le surplus et y ajoutant,
Condamner l'association « [5] » au paiement des sommes suivantes :
- Indemnité compensatrice de préavis : 1909,37 euros,
- Incidence congés payés : 190,93 euros,
- Indemnité légale de licenciement : 914,90 euros,
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 3818 euros.
Subsidiairement, et à défaut de fonds disponibles,
Fixer au passif de l'association « [5] » les créances suivantes :
- Indemnité spéciale de requalification : 1909,37 euros,
- Indemnité pour retards de paiement et paiements incomplets des salaires, exécution gravement fautive et déloyale du contrat de travail (somme allouée par la formation de référé) : 1500 euros,
- Indemnité compensatrice de préavis : 1909,37 euros,
- Incidence congés payés : 190,93 euros,
- Indemnité légale de licenciement : 914,90 euros,
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 3818 euros.
Déclarer les créances précitées opposables au CGEA, dans les limites des plafonds légaux et réglementaires applicables, conformément aux dispositions des articles L.3253-8 et suivants du code du travail,
Enjoindre l'association intimée, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, d'avoir à établir et délivrer une attestation destinée au Pôle emploi rectifiée, avec mention du motif de rupture suivant : « requalification de la démission en licenciement »,
Se réserver, expressément, la faculté de liquider l'astreinte éventuellement ordonnée.
L'Association [5] - [5], la [M] « [J] » représentée par Maître [K] [O] en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan et Maître [T] [X] en sa qualité de mandataire judiciaire demandent à la Cour, aux termes de leurs conclusions d'intimées et d'appel incident récapitulatives notifiées par voie électronique le 4 novembre 2022, de :
METTRE hors de cause Maître [T] [X], ès qualités de mandataire judiciaire désigné selon jugement du 27 novembre 2018,
CONFIRMER le jugement rendu en ce qu'il a débouté Madame [H] [P] de sa demande de requalification de sa démission en prise d'acte et de toutes les conséquences indemnitaires y attachées, savoir :
-une indemnité légale de licenciement, soit la somme de 914,90 euros,
-une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 1909,75 euros outre l'incidence des congés payés pour 190,93 euros,
-des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit la somme de 3818 euros,
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de référé rendue le 26/07/2018 condamnant l'Association d'avoir à verser à Madame [P], à titre de dommages et intérêts, la somme de 1500 euros pour retards réguliers dans le règlement des salaires outre 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
CONDAMNER Madame [P] au paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 29 juillet 2022, de :
Dire et juger que la garantie de l'AGS CGEA ne pourra intervenir qu'à titre subsidiaire,
Donner acte au concluant de ce qu'il s'en rapporte sur le fond à l'argumentation développée par l'employeur de Madame [H] [P],
Débouter Madame [P] de son appel et recevoir l'Association [5] en son appel incident,
En tout état rejeter les demandes infondées et injustifiées et ramener à de plus justes proportions les indemnités susceptibles d'être allouées au salarié,
Débouter Madame [H] [P] de toute demande de condamnation sous astreinte ou au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposable à l'AGS CGEA,
En tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de Madame [H] [P] selon les dispositions des articles L.3253-6 à L.3253-21 et D.3253-1 à D.3253-6 du code du travail,
Dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, plafond qui inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale ou d'origine conventionnelle imposées par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts,
Dire et juger que les créances fixées seront payables sur présentation de relevés de créances par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L.3253-20 du code du travail,
Dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du code de commerce.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 10 novembre 2022.
SUR CE :
Sur la mise hors de cause du mandataire judiciaire :
Postérieurement à la déclaration d'appel, le tribunal judiciaire de Marseille, par jugement du 28 juillet 2020, a arrêté le plan de redressement judiciaire de l'Association [5] et désigné Maître [K] [O], membre de la [M] [J], en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Il résulte des dispositions des articles L.625-3 du code du commerce et L.3253-8, alinéa 1, 1°, du code du travail que les sommes dues par l'employeur en raison de l'exécution et de la rupture du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, au régime de la procédure collective et ne peuvent donner lieu qu'à une fixation des créances, opposables à l'AGS dans la limite des garanties et des plafonds édictés aux articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, même si la garantie de l'AGS n'a vocation à intervenir qu'à titre subsidiaire.
En l'état du plan de redressement il y a lieu d'ordonner la mise hors de cause de Maître [T] [X] en qualité de mandataire judiciaire.
Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée :
Les dispositions du jugement, ayant ordonné la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 18 juillet 2016 et ayant condamné l'Association [5] à verser à Madame [H] [P] une indemnité de requalification, ne sont pas discutées en cause d'appel, à défaut d'appel incident des parties intimées.
Toutefois, Madame [P] réclame le paiement de la somme de 1909,37 euros à titre d'indemnité de requalification, correspondant à un mois de salaire.
Il n'est pas discuté que le salaire mensuel brut de Madame [H] [P] s'élève à la somme de 1909,37 euros pour 151,67 heures de travail.
En conséquence, la Cour réforme le jugement en ce qu'il a accordé à la salariée la somme de 1903,37 euros à titre d'indemnité de requalification et fixe la créance de Madame [H] [P] au passif de l'Association [5] à la somme de 1909,37 euros à titre d'indemnité de requalification.
Sur l'exécution fautive du contrat de travail :
Madame [H] [P], qui a obtenu par ordonnance de référé du 26 juillet 2018 la condamnation de l'Association [5] au paiement de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail à hauteur de 1500 euros, sollicite la fixation au fond de l'indemnité de 1500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail en invoquant les retards répétés dans le paiement du salaire, récurrents à partir du mois de mai 2017, et les paiements incomplets des salaires par des retenues sur salaire au titre de saisies sur rémunération, alors que seules les mensualités des mois de novembre et décembre 2017 ont été effectivement reversées au Trésor Public, les autres retenues sur salaire jusqu'à la cessation des relations contractuelles n'ayant pas été reversées au Trésor Public (soit une somme cumulée de 1580 euros), la salariée n'ayant eu d'autre choix que de saisir le conseil de prud'hommes en sa formation de référé le 17 mai 2018 aux fins d'obtenir la justification des reversements aux services fiscaux des retenues sur salaires opérées au titre de saisies-arrêt. Elle précise que l'Association [5] a régularisé et reversé les fonds qu'elle détenait depuis plusieurs mois aux services fiscaux par paiement du 22 juin 2018, après la démission de la salariée et juste avant l'audience. Elle fait valoir que l'employeur a agi de façon déloyale, en l'état des nombreux manquements relevés, et qu'elle doit être reçue en sa demande.
L'Association [5] et les organes de la procédure collective font valoir que, conformément aux dispositions de l'article L.3242-1 du code du travail, les salaires ont été réglés à Madame [P] une fois par mois, aucune date de paiement n'étant imposée à l'employeur ; qu'il ressort des pièces versées que les retards sont isolés, la salariée ayant été réglée tous les mois ; que l'association a été confrontée au cours de l'année 2017 à d'importants retards dans le paiement de ses prestations, soit en mars 2018 des retards de paiement pour 357'848,32 euros ; que malgré ses problèmes de trésorerie, l'association a géré au mieux afin de pérenniser le devenir de l'entreprise, les salariés ayant été payés tous les mois ; que l'association [5] produit des pièces qui démontrent que les sommes, objet de la saisie, ont toutes été adressées aux impôts ; que l'employeur a très vite régularisé la situation de la salariée auprès de l'Administration ; qu'il contient d'infirmer le jugement en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de référé rendue le 26 juillet 2018, la confirmation de cette ordonnance ne relevant pas du bureau de jugement, et subsidiairement, de débouter Madame [P] de sa demande.
L'AGS CGEA s'en rapporte à la position de l'employeur, faisant sienne son argumentation, et sollicite que soit rejetée la demande alors que le préjudice n'est pas établi et, en tout état, de diminuer le montant de la somme réclamée dans d'importantes proportions.
***
Sur les retards de paiement des salaires
Madame [H] [P] produit les éléments suivants :
-des courriels des 15 et 17 mai 2017 qu'elle a adressés à sa direction pour signaler qu'elle n'avait toujours pas perçu son salaire (d'avril) et qu'elle se trouvait dans une précarité financière, précisant qu'elle se retrouvait en découvert ;
-un échange à ce sujet avec l'inspection du travail (courriels du 18 mai 2017) ;
-ses bulletins de paie de janvier et février 2018 et ses relevés de comptes, ainsi que les relevés de compte de l'association [5], dont il résulte :
-que son salaire du mois de janvier 2018 a été viré le 7 février 2018,
-que son salaire du mois de février 2018 a été viré le 7 mars 2018,
-que son salaire du mois de mars 2018 a été viré le 20 avril 2018,
que son salaire du mois d'avril 2018 a été viré le 17 mai 2018, à la suite d'une mise en demeure par lettre recommandée de la salariée en date du 8 mai 2018 ;
-un courrier du 5 avril 2018 de l'association [5] indiquant à ses salariés : « Nous sommes au regret de vous confirmer par la présente que les salaires du mois de mars 2018 ne pourront être versés au début du mois d'avril 2018. Les règlements interviendront entre le 15 et le 20 avril 2018. Les frais bancaires engendrés par ce retard pourront être remboursés sur présentation de justificatifs. Conscients des désagréments occasionnés, nous vous remercions de votre compréhension' » ;
-des courriers d'avril et de mai 2018 de mise en demeure adressés à Madame [P] quant à des retards de paiement et des prélèvements impayés pour provision insuffisante sur son compte ;
-les relevés de sa banque des mois d'avril et mai 2018 mentionnant des frais pour irrégularités et incident (84 euros le 30 avril 2018) et des frais de rejet de prélèvements pour défaut de provision (154 euros prélevés le 31 mai 2018).
L'Association [5] produit un compte rendu de réunion du 27 février 2018 ("entretien à la demande de Mme [P]"), mentionnant que la demande d'entretien avait pour objet une demande d'augmentation de salaire, l'employeur indiquant que la salariée n'avait jamais abordé le problème des retards dans le paiement de ses salaires au cours de cet entretien.
Elle souligne que les salaires ont été réglés le 6 octobre 2017 pour le salaire du mois de septembre 2017, le 30 octobre 2017 pour le salaire du mois d'octobre 2017 (acompte de 1000 euros et solde le 6 novembre 2017), le 1er décembre 2017 pour le salaire du mois de novembre 2017, le 20 décembre 2017 pour le salaire du mois de décembre 2017, le 7 février 2018 pour le salaire du mois de janvier 2018, le 7 mars 2018 pour le salaire du mois de février 2018, le 20 avril 2018 pour le salaire du mois de mars 2018 et le 17 mai 2018 pour le salaire du mois d'avril 2018, soit une fois par mois.
Toutefois, il résulte des pièces versées par les parties que les salaires ont été réglés à Madame [H] [P] tardivement en mai 2017, puis à partir du mois de janvier 2018 (étant observé qu'il ressort des relevés bancaires de Madame [P] que des prélèvements étaient effectués sur son compte les 2 et 3 du mois), particulièrement pour les salaires des mois de mars et avril 2018 (virés respectivement les 20 avril et 17 mai 2018) et que ces règlements tardifs ont généré des frais bancaires au préjudice de la salariée (pour incidents de paiement, rejets de prélèvement).
L'Association [5] ne peut se disculper de ses manquements à son obligation de paiement régulier des salaires et à une date certaine au motif qu'elle rencontrait des difficultés, alors qu'elle a tardivement saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'ouverture de redressement judiciaire à son égard (RJ du 27.11.2018).
Sur les retenues sur salaires
L'Association [5] informait le service des impôts, par courrier du 27 octobre 2017, « effectuer dès le paiement des salaires du mois d'octobre 2017, une saisie sur rémunération de 264,48 euros que je reverserai par virement sur le compte' », concernant la dette de 2284 euros de Madame [P].
Il n'est pas discuté que les retenues sur salaire effectuées au titre de la saisie-arrêt sur les bulletins de paie de novembre et décembre 2017 ont été reversées aux services fiscaux, ni que les retenues postérieures effectuées sur les salaires de Madame [P] à partir de janvier 2018 n'ont pas été reversées par l'Association [5] immédiatement au service des impôts.
Il résulte des échanges de courriels entre Madame [P] et le service des impôts (pièce 17) ainsi que d'un courrier du 15 juin 2018 du comptable public, SIP ISTRES, qu'aucune somme n'a été reversée postérieurement au mois de décembre 2017 et qu'en réponse à l'interrogation du comptable public sur la date de transfert des sommes saisies, l'Association [5] a répondu le 22 juin 2018 avoir reversé les sommes le "22/06/2018" (pièce 18-1), date avancée par l'Association [5] dans ses écritures (page 9).
L'Association [5] ne peut prétendre avoir "très vite régularisé la situation de la salariée auprès de l'Administration" alors que les sommes retenues sur les salaires à partir de janvier 2018 n'ont été reversées au service des impôts que le 22 juin 2018.
Alors que, comme rappelé par le comptable public dans son courrier du 15 juin 2018, "l'avis à tiers détenteur emporte effet d'attribution immédiate des sommes saisies au profit du tiers saisissant", la conservation par l'employeur des sommes saisies, sans versement au tiers détenteur, ce pendant plusieurs mois, caractérise une exécution déloyale du contrat de travail, ayant créé un préjudice à la salariée ayant dû s'expliquer auprès du service des impôts (échanges de courriels des 25 et 29 mai 2018 - pièce 17 versée par Madame [P]) et ayant reçu le 24 avril 2018 la notification d'un nouvel avis à tiers détenteur (pièce 10).
Au vu des différents manquements de l'employeur dans le paiement régulier des salaires et les retenues sur salaires au titre de saisies-arrêt dont les montants n'ont pas été reversés immédiatement au service des impôts, la Cour accorde à Madame [H] [P] la somme de 1500 euros en deniers ou quittances en réparation de son entier préjudice, tel qu'établi par les pièces versées aux débats.
Sur la rupture du contrat de travail :
Madame [H] [P] soutient que les manquements de l'employeur, notamment les retenues sur salaires au titre de saisies sur rémunération non reversées aux services fiscaux, ce qu'elle a découvert le 24 avril 2018 en recevant des services fiscaux un nouvel avis à tiers détenteur, l'ayant contrainte en premier lieu à saisir la formation de référé du conseil de prud'hommes (convocation du 17 mai 2018), sont suffisamment graves et réitérés pour justifier la requalification de sa démission en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir qu'ayant découvert les graves manquements de son employeur en avril 2018, elle démissionnait le mois suivant, en sorte que l'employeur ne peut invoquer une prétendue tardiveté de la requalification de la rupture et que l'Association [5] invoque que la salariée était sous le coup d'une procédure disciplinaire "imminente" sans apporter la moindre justification.
L'Association [5] fait valoir que Madame [P] a été reçue le 27 février 2018, à sa demande, par la Direction ; qu'au cours de cet entretien, l'employeur a fait état du comportement inapproprié de la salariée et de la secrétaire d'accueil, ces deux salariées nuisant au bon fonctionnement de l'association ; que l'association envisageait de diligenter une procédure disciplinaire ; que Madame [P] a démissionné sans réserve le 29 mai 2018 de ses fonctions ; que la contestation tardive des conditions de rupture du contrat de travail ne permet pas de remettre en cause la manifestation claire et non équivoque de démissionner ; que Madame [P] a saisi le conseil de prud'hommes au fond six mois après avoir donné sa démission, alors qu'elle n'avait pas jugé utile jusqu'à cette date de demander la requalification de sa démission ; que quatre mois après l'ordonnance de référé notifiée le 26 juillet 2018, Madame [P] s'est avisée que sa démission pouvait lui permettre d'obtenir une meilleure indemnisation; qu'il est acquis que la salariée a démissionné de manière non équivoque pour des motifs qui n'ont rien à voir avec les prétendus manquements de son employeur, parce que sa situation professionnelle n'était plus tenable en raison de son comportement ; que la démission de Madame [P] est donc non équivoque ; subsidiairement, que les manquements de l'employeur n'étaient pas suffisamment graves, d'autant que Madame [P] savait pertinemment que la situation était en train d'être régularisée vis-à-vis du service des impôts lorsqu'elle a démissionné ; que le jugement doit par conséquent être confirmé.
L'AGS CGEA de [Localité 6] s'en rapporte à la position de l'employeur et fait sienne son argumentation. Elle conclut au débouté de Madame [P] de sa demande de requalification de la démission en une prise d'acte ; qu'il y a lieu de faire application du barème prévu par les ordonnances Macron ; qu'en l'absence de justification d'un préjudice, seule l'indemnité minimum de un mois de salaire brut prévue par le barème doit être appliquée.
***
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié remet en cause sa démission en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, la démission doit être analysée en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission.
Madame [H] [P] a remis à son employeur le 30 mai 2018, en main propre, une lettre datée du 29 mai 2018, ayant pour objet "Démission", en ces termes : « Suite à notre entretien du lundi 28 mai 2018, à 16h00, je vous remets ma démission au poste de conseillère en emploi que j'occupe actuellement dans votre association comme il a été convenu pendant cet entretien.
Je vous ai demandé de pouvoir anticiper mon départ en me dispensant du préavis et de l'indemnité de celui-ci à partir de la date du jeudi 31 mai 2018 au soir. Vous m'avez donné votre accord' ».
Madame [H] [P] a donné sa démission le 29 mai 2018 dans les circonstances suivantes :
-elle avait mis son employeur en demeure, par lettre recommandée du 8 mai 2018, de lui verser son salaire du mois d'avril, lequel lui a été réglé uniquement le 17 mai 2018 ;
-elle avait été informée, par une nouvelle notification d'avis à tiers détenteur du 24 avril 2018 et par suite d'échanges avec le service des impôts, du non reversement par l'employeur des sommes saisies sur ses salaires ;
-elle avait saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Marseille le 17 mai 2018 aux fins d'obtenir le justificatif des virements auprès de l'administration fiscale des retenues effectuées sur ses salaires au titre de saisies-arrêt, à défaut d'avoir obtenu des explications de son employeur, lequel n'a régularisé la situation que le 22 juin 2018, postérieurement à la démission de la salariée et suite au courrier du 15 juin 2018 du comptable du Trésor Public.
Au vu des circonstances ainsi décrites, très proches de la date de la démission du 29 mai 2018, et de la déloyauté de l'employeur, qui non seulement a conservé les retenues effectuées sur les salaires de Madame [P] mais de surcroît n'en a pas informé cette dernière, la Cour constate que la démission de la salariée est équivoque.
L'Association [5] produit le compte rendu d'entretien en date du 27 février 2018, faisant part d'une demande d'augmentation de salaire de Madame [P] et de difficultés professionnelles entre cette dernière et la secrétaire RR (le compte rendu invoquant un "avertissement pour les 2") et au cours duquel Madame [P] a pu exprimer que "ça allait" au sein d'[5] (à l'exception de "Problème de commérages fatigant et des remontées à la direction'"), ainsi qu'une déclaration effectuée le 8 mars 2018 devant les services de police par Madame [S] [G] pour "injures - menaces", celle-ci se plaignant de l'attitude d'un agent d'accueil RR (sans que ne soient évoquées des injures et menaces dans la déclaration) et de son amie Madame [H] [P] qui "commence à la diffamer" (sans autre précision). L'association verse également un certificat médical du 8 mars 2018 mentionnant que Madame [S] [G] "présente des signes d'anxiété aigue, avec un syndrome dépressif, qu'elle dit être réactionnel", ainsi que des échanges de courriels dénonçant avant tout le comportement de l'agent d'accueil RR.
Il ne ressort pas des éléments versés par l'Association [5] que les difficultés professionnelles évoquées lors de l'entretien du 27 février 2018 avec Madame [H] [P] aient persisté au-delà du mois de mars 2018 et que ces événements puissent être à l'origine d'une démission spontanée et non équivoque de la salariée, alors que les manquements de l'employeur qui se sont accumulés et les réclamations de la salariée notamment courant mai 2018, soit très peu de temps avant le 29 mai 2018, rendent équivoque la démission.
Au vu des graves manquements de l'employeur et de ses agissements déloyaux vis-à-vis de la salariée, laquelle a été contrainte de saisir la formation de référé aux fins d'obtenir des justificatifs des reversements des sommes retenues sur ses salaires, la démission de Madame [P], requalifiée en une prise d'acte, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient d'accorder à Madame [P] la somme de 1909,37 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 190,93 euros à titre de congés payés sur préavis et la somme de 914,90 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, dont le calcul des montants n'est pas discuté.
Madame [H] [P] ne verse aucun élément sur l'évolution de sa situation professionnelle, ni sur ses ressources.
En considération de son ancienneté supérieure à un an dans l'entreprise occupant plus de 10 salariés et du montant de son salaire mensuel brut, la Cour accorde à Madame [H] [P] la somme de 1909,37 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en vertu de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige.
Sur la remise des documents sociaux :
Il convient d'ordonner la remise par l'Association [5] de l'attestation Pôle emploi rectifiée en conformité avec le présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.
Sur les dépens :
Les dépens seront fixés au passif de la procédure collective de l'Association [5], laquelle est déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,
Ordonne la mise hors de cause de Maître [T] [X] en sa qualité de mandataire judiciaire,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a requalifié le contrat de travail à durée déterminée de Madame [P] en contrat à durée indéterminée,
Statuant à nouveau sur les points infirmés,
Requalifie la démission de Madame [P] en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Fixe les créances de Madame [H] [P] au passif de la procédure collective de l'Association [5] aux sommes suivantes :
-1909,37 euros à titre d'indemnité de requalification,
-1500 euros de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail, en deniers ou quittances,
-1909,37 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
-190,93 euros de congés payés sur préavis,
-914,90 euros d'indemnité légale de licenciement,
-1909,37 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Ordonne la remise par l'Association [5] de l'attestation Pôle emploi rectifiée en conformité avec le présent arrêt,
Déclare le présent arrêt opposable aux organes de la procédure et à l'AGS dans les limites de ses plafonds légaux et réglementaires, la garantie de l'AGS ne pouvant intervenir qu'à titre subsidiaire,
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront fixés au passif de la procédure collective de l'Association [5],
Rejette tout autre prétention.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction