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10/03/2023 | FRANCE | N°19/06431

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 10 mars 2023, 19/06431


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 10 MARS 2023



N°2023/ 42



RG 19/06431

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEEMG







[R] [C]





C/



SAS DAVIDSON



















Copie exécutoire délivrée le 10 mars 2023 à :



-Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE







-Me Grégory SAINT MICHEL, avocat au barreau de PARIS



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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 17 Juin 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 14/1489.





APPELANT



Monsieur [R] [C], demeurant [Adresse 1]



comparant en p...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 10 MARS 2023

N°2023/ 42

RG 19/06431

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEEMG

[R] [C]

C/

SAS DAVIDSON

Copie exécutoire délivrée le 10 mars 2023 à :

-Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

-Me Grégory SAINT MICHEL, avocat au barreau de PARIS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 17 Juin 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 14/1489.

APPELANT

Monsieur [R] [C], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SAS DAVIDSON, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Grégory SAINT MICHEL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Shirley LEBEGUE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 29 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 3 Février, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 10 Mars 2023.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2023

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Selon contrat à durée déterminée signé le 30 novembre 2011, M [R] [C] a été embauché par la société Davidson Paris, en qualité de cadre, ingénieur consultant position 1.2 coefficient hiérarchique 100 de la convention collective nationale dite SYNTEC. Son salaire forfaitaire brut mensuel était de 2 400 euros outre des primes.

La date d'effet du contrat était fixée au 12 décembre 2011 jusqu'au 25 février 2012 «pour faire face à un surcroît temporaire d'activité lié aux activités d'intégration logicielle embarquée».

Le contrat à durée déterminée a été renouvelé par avenant du 20 février 2012, pour la période du 26 février au 9 mai 2012, aux mêmes conditions, «pour permettre à notre client d'assurer au mieux la continuité des activités d'expertise des réseaux Intelligents qui avaient motivé le recours à ce contrat».

Le même jour, un avenant a été signé pour renouveler le contrat à durée déterminée du 26 février au 12 juillet 2012.

Le 30 novembre 2011 avait été signé entre les parties un contrat de travail à durée indéterminée aux mêmes conditions de statut et de salaire, entrant en vigueur le 25 février 2012.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable au licenciement prévu le 29 janvier 2013, le salarié a été licencié par lettre recommandée du 12 février 2013, étant dispensé de préavis.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 17 juillet 2013 aux fins de contester ce licenciement. L'affaire a été radiée le 5 mars 2014 et remise au rôle le 20 mai 2014, le salarié réclamant également la requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 30 novembre 2011 et des indemnités du fait de la rupture.

Selon jugement du 17 juin 2016, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

Déboute M.[C] de sa demande de requalification du contrat à durée déterminée conclu à compter du 12 décembre 2011 et prolongé jusqu'au 12 juillet 2012.

Dit que le licenciement de M.[C] est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Constate que la société n'a pas respecté ses obligations relatives à la visite médicale d'embauche prescrite par l'article R.4624-10 du code du travail.

Condamne en conséquence la société à régler à M.[C] la somme de 100 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement.

Déboute M.[C] de ses demandes autres ou plus amples.

Met les dépens éventuels à la charge de la société Davidson.

Le conseil de M.[C] a interjeté appel par déclaration du 11 juillet 2016.

L'affaire a été radiée par arrêt du 6 avril 2018 et remise au rôle sur conclusions du 2 avril 2019. Les parties ont été convoquées pour l'audience du 29 novembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions reprises oralement à l'audience, M.[C] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit fautif le défaut de visite médicale d'embauche.

L'infirmer pour le surplus et y ajouter de ce dernier chef.

Requalifier en un seul contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée conclu le 30 novembre 2011 ainsi que ses avenants de renouvellement, à raison de la violation des dispositions des articles L.1242-1 et L.1242-2 du code du travail.

Condamner la société au paiement de la somme de 2 400 euros à titre d'indemnité spéciale de requalification.

Lui enjoindre sous astreinte d'avoir à établir et délivrer une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée, mentionnant une période d'emploi du 12 décembre 2011, date de début d'exécution de la relation contractuelle au 13 mai 2013, date de la cessation de la relation contractuelle, période de préavis incluse.

Condamner la société au paiement des sommes suivantes :

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions légales et réglementaires relatives à la médecine du travail et à l'évaluation de l'aptitude du salarié à l'emploi,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail,

- 1 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société intimée aux dépens.

Dans ses dernières écritures développées lors des débats, la société demande à la cour de:

«Constater l'existence d'une faute.

Dire le licenciement intervenu pour faute parfaitement justifié.

Rejeter l'ensemble des demandes de M.[C].

Réformer la décision en l'absence de préjudice lié à l'absence de visite médicale .

A titre subsidiaire,

Rmener à de plus juste proportion sa demande de dommages et intérêts sollicitée sur le fondement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M.[C] ne rapportant pas aucune preuve d'un quelconque préjudice et notamment au regard de son emploi, pas plus que de son ancienneté (1 an) ou de son âge.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur la requalification du contrat à durée déterminée

Le salarié considère le motif d'accroissement temporaire d'activité comme infondé puisque le même jour, un contrat de travail à durée indéterminée était signé, rendant en outre les deux avenants au contrat à durée déterminée inopérants.

Il indique qu'il a occupé un emploi permanent dès le 12 décembre 2011, le contrat à durée déterminée initial étant détourné de son objet comme offrant à l'employeur une «super période d'essai».

L'employeur fait un récapitulatif des contrats signés, expliquant qu'il a été conclu un contrat à durée déterminée car M.[C] ne disposait pas d'un titre de séjour.

Il résulte de l'article L. 1242-1 du code du travail qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, et de l'article L. 1242-2 du même code qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas énumérés par ce texte, parmi lesquels l'accroissement temporaire d'activité de l'entreprise.

La cour relève que l'employeur qui a la charge de la preuve de la réalité du motif du recours à un contrat précaire, ne développe aucun moyen et ne produit aucune pièce concernant le motif indiqué dans le contrat à durée déterminée initial, lui substituant au demeurant un motif non prévu par les textes visés ci-dessus.

En conséquence, le salarié est fondé en sa demande de requalification de la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 décembre 2011, et l'employeur doit être condamné à payer une indemnité de requalification à hauteur de 2 400 euros, ainsi qu'à délivrer, sans nécessité d'astreinte, une attestation Pôle Emploi rectifiée en ce sens.

Sur le défaut de visite médicale d'embauche

La société reconnaît ce manquement à son obligation mais le salarié n'établit pas un préjudice plus ample que celui reconnu par les premiers juges.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail

Le salarié invoque «des manquements graves caractérisant autant de fautes contractuelles qui ont substantiellement vicié la relation de travail», expliquant qu'il lui a été demandé d'assumer les fonctions d'ingénieur commercial, dont il n'avait ni la qualification ni les compétences, en dépit de son statut d'ingénieur consultant.

La société rappelle que la mission d'ingénieur consultant est de faire des études dans son domaine de compétences et qu'en période d'inter-contrat, il entrait dans les compétences de M.[C] d'effectuer le travail demandé soit de répertorier des entreprises en utilisant l'outil informatique dont il est spécialiste (ORACLE).

Celui qui réclame l'indemnisation d'un manquement doit prouver cumulativement l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

L'appelant n'apporte aux débats aucun élément, autre que ses propres écrits, permettant de retenir une faute de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail et notamment dans les tâches confiées. En effet, le travail d'analyse demandé - pour lequel le salarié devait être occupé à 100 % - était bien distinct d'un travail de prospection de nature commerciale et l'employeur par le délai et les explications données à M.[C] concernant le caractère technique de l'étude, a suffisamment rempli ses obligations pour lui permettre de rendre un rapport.

En conséquence, l'appelant doit être débouté de sa demande à ce titre, ne caractérisant pas plus un préjudice spécifique distinct de celui de la rupture.

Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l' article L 1232-1 du Code du travail , tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce, il résulte tant de la lettre de licenciement que des conclusions de l'employeur qu'il est reproché à M.[C] un comportement fautif, démontrant que la société a entendu prononcer un licenciement disciplinaire, basé sur les motifs suivants :

1°) «(...) Après avoir sollicité un délai supplémentaire, vous nous rendez finalement l'étude litigieuse le 4 janvier dernier. Toutefois, cette dernière souffre d'une multitude de manquements inacceptables au regard de votre niveau d'expertise et des délais qui vous ont été alloués pour la réaliser. Il s'agit, en effet, d'une succession de paragraphes accolés grossièrement les uns aux autres sans grande pertinence.

Ce manque d'investissement et de rigueur témoigne de votre défaut de motivation et d'implication au sein de notre entreprise mais constitue en l'espèce, plus qu'une insuffisance professionnelle, une faute car vous n'avez pu rendre un travail aussi indigent, que délibérément.

2°) Nous déplorons également et depuis plusieurs mois, votre attitude plus qu'inappropriée à l'égard de vos collègues et supérieurs hiérarchiques : de nombreux incidents d'ordre relationnel et comportemental ont été observés : échanges de propos parfois très vifs avec votre manager (...) agressivité verbale, inaptitude à échanger de manière constructive et à accepter les remarques de vos responsables (...).»

Le salarié fait valoir qu'outre la question de sa qualification, il a manqué de moyens pour réaliser sa mission et qu'à sa demande, il a été répondu par une interdiction d'utiliser des outils professionnels plus adaptés et performants. Il précise que c'est la société qui lui a proposé un délai supplémentaire.

Il conteste formellement avoir eu une attitude irrespectueuse ou belliqueuse envers les membres

du personnel ou de la direction et relève que les faits invoqués relatifs au client Mane sont prescrits.

Il ne résulte pas des éléments produits par la société, qui sont essentiellement des échanges de mails et des attestations, que le manque de rigueur, de motivation et d'implication reproché au salarié dans l'exécution d'une tâche unique, a pu dégénérer en une faute, le caractère intentionnel dans le dépôt d'un document incomplet, n'étant pas démontré.

Par ailleurs, la relation de conversations ou d'échanges avec M.[C] dans les attestations ou mails a démontré que la communication avec ce dernier était difficile, notamment par une absence de remise en cause, mais il n'est pas justifié de propos ou d'une attitude menaçante ou agressive, étant précisé que les faits évoqués quant au client Mane sont antérieurs au 29 juin 2012 et donc prescrits.

En conséquence, la société échoue à démontrer la réalité des fautes reprochées et dès lors le licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

Le salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté dans la société (17 mois et 2 jours), n'est pas fondé à solliciter des dommages et intérêts au visa de l'article L.1235-3 du code du travail.

Agé de 28 ans, il a bénéficié de l'aide au retour à l'emploi jusqu'en septembre 2013 puis d'une allocation de formation reclassement.

La cour fixe le préjudice subi du fait de la rupture à la somme de 5 000 euros.

Sur les autres demandes

La société intimée doit s'acquitter des dépens, être déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer en cause d'appel à M.[C] la somme de 1 200 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme la décision entreprise SAUF dans ses dispositions relatives au défaut de visite médicale et dans le rejet de la demande au titre de l'exécution fautive,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 décembre 2011,

Ordonne à la société Davidson Paris de délivrer à M.[C] une attestation Pôle Emploi rectifiée en ce sens,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Dit le licenciement pour faute dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Davidson Paris à payer à M. [R] [C] les sommes suivantes :

- 2 400 euros au titre de l'indemnité spéciale de requalification,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Davidson Paris aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/06431
Date de la décision : 10/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-10;19.06431 ?
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