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14/02/2023 | FRANCE | N°19/11387

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 14 février 2023, 19/11387


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 14 FEVRIER 2023



N° 2023/ 65













Rôle N° RG 19/11387 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BETGA







Société L'IMMOBILIERE GROUPE CASINO





C/



[U] [Y] épouse [H]

[K] [Y] épouse [X]

[E] [Y]

[P] [Y]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me François ROSENFEL

D

Me Aurelie BERENGER













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 06 Juin 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 16/06306.





APPELANTE



Société L'IMMOBILIERE GROUPE CASINO prise en la personne de son représen...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 14 FEVRIER 2023

N° 2023/ 65

Rôle N° RG 19/11387 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BETGA

Société L'IMMOBILIERE GROUPE CASINO

C/

[U] [Y] épouse [H]

[K] [Y] épouse [X]

[E] [Y]

[P] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me François ROSENFELD

Me Aurelie BERENGER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 06 Juin 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 16/06306.

APPELANTE

Société L'IMMOBILIERE GROUPE CASINO prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me François ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE et plaidant par Me André GUILLEMAIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Madame [U] [N] [I] [Y] épouse [H]

née le 27 Novembre 1966 à [Localité 2], demeurant [Adresse 5]

Madame [K] [M] [V] [Y] épouse [X]

née le 27 Novembre 1966 à [Localité 2], demeurant [Adresse 5]

Monsieur [E] [G] [D] [Y]

né le 24 Août 1968 à [Localité 2], demeurant [Adresse 4]

Monsieur [P] [D] [R] [Y]

né le 03 Octobre 1970 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3]

Tous représentés par Me Aurelie BERENGER de la SCP CABINET BERENGER, BLANC, BURTEZ-DOUCEDE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat ayant plaidé

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 Janvier 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur BRUE, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Février 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Février 2023,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte reçu par Maître [J] [C], notaire associé à [Localité 2] le 8 octobre 1985, M. [S] [Y] et M. [A] [Y] ont consenti à la société Casino un bail à construction portant sur un terrain nu situé [Adresse 8], expirant le 30 mars 2015.

[S] [Y] est décédé le 13 février 1986, laissant son frère seul propiétaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er septembre 2014, la société l'Immobilière Groupe Casino a exprimé de son intention de lever l'option prévue par l'article 6.12 du contrat, en vue de l'acquisition du terrain donné à bail moyennant la somme de 854 590 €.

Par acte du 29 mai 2015, Monsieur [A] [Y] représenté par son fils [E] a vendu à la société l'Immobilière Groupe Casino, l'ensemble de la propriété, pour ce montant.

[A] [Y] est décédé le 19 juin 2015.

Vu l'assignation du 26 avril 2016, par laquelle Mme [U] [Y] épouse [H], Mme [K] [Y] épouse [X], M. [P] [Y] et M.[E] [Y], venant aux droits de [A] [Y], ont fait citer la société l'Immobilière Groupe Casino, devant le tribunal de grande de Marseille.

Vu le jugement rendu le 6 juin 2019, par cette juridiction, ayant déclaré recevable l'action en rescision pour lésion et désigné un collège d'experts, aux fins d'évaluation de la valeur vénale des biens litigieux.

Vu la déclaration d'appel du 12 juillet 2019, par la société l'Immobilière Groupe Casino.

Vu les conclusions transmises le 19 décembre 2022, par l'appelante.

Elle estime que le bail à construction du 8 octobre 1985 comportant l'option contractuelle donnée au preneur d'acquérir le terrain à un prix determiné, assortie d'un pacte de préférence et l'acte de vente du 9 mai 2015, rappelant l'existence d'un bail à construction et précisant que les constructions réalisées par le preneur sont exclues de la vente conformément à l'article L251-2 du code de la construction et de l'habitation, sont indivisibles et précise que le prix a été arreté d'un commun accord des parties, en tenant compte de la valeur des constructions demeurant la propriété de l'acquéreur qui en a assumé le coût.

Selon la société l'Immobilière Groupe Casino, la lésion ne peut être appliquée à un prix déterminable fixé dans ce cadre 30 ans auparavant, sauf à priver d'effet l'option du preneur et la clause lui octroyant la propriété des constructions réalisées à ses frais et à dénaturer la volonté des parties dans la détermination du prix du bail à construction. Elle considère que le tribunal n'a pas correctement appliqué sur ce point les règles du code civil en matière d'interprétation des contrats.

Elle observe que l'expert amiable Rouanet consulté par les consorts [Y] n'est pas parvenu à réaliser une évaluation fiable du terrain nu, alors que de fait il est occupé par des constructions, exclues de la vente et ajoute que son chiffrage aboutit à un prix inférieur à celui qui pourrait constituer une lésion de plus des7/ 12°. Elle précise que les experts désignés par ses soins ont conclu qu'une valorisation 980'000 € au 29 mai 2015 n'était pas lésionaire.

La société l'Immobilière Groupe Casino fait valoir que les jurisprudences citées par les intimés ne sont pas transposables à la présente espèce caractérisée par l'indivisibilité du contrat de bail à construction et du contrat de vente. Elle ajoute que la levée de l'option ayant été effectuée dans le délai imparti, les vendeurs n'ont jamais été propriétaires des constructions.

Vu les conclusions transmises le 15 décembre 2022, par Mme [U] [Y] épouse [H], Mme [K] [Y] épouse [X] et M.[E] [Y].

Pour réclamer la désignation d'un collège d'experts, ils invoquent un rapport établi par le cabinet d'experts évaluateurs en matière immobilière, estimant le bien à 3'790'000 €.

Les intimés soutiennent que la lésion ne peut être écartée pour une prétendue indivisibilité des deux contrats, alors que les deux conventions, qui peuvent exister indépendamment l'une de l'autre,ne sont pas indivisibles, peu important que la vente du bien immobilier soit envisagée à un prix faisant référence aux loyers versés avant la levée d'option. Ils précisent qu'aux termes du contrat de bail à construction, l'indivisibilité ne concerne que le pacte de préférence et non la promesse de vente.

Ils soulignent que dès lors que la propriété du terrain emporte celle des constructions par application des articles 551 et 552 du Code civil et par l'effet du terme du bail emphytéotique, le prix du terrain comprend celui des constructions et que selon la jurisprudence, l'existence de constructions entraîne un abattement de 40 % qui conduirait toujours à un prix lésionaire.

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 20 décembre 2022.

SUR CE

Se fondant sur les dispositions des articles 1674 et suivants du Code civil et estimant que la vente du terrain intervenue le 29 mai 2015 est affectée d'une lésion de plus des 7/12 du prix de l'immeuble, les consort [Y] ont réclamé la désignation d'un collège d'experts.

La société l'Immobilière Groupe Casino soutient que la lésion ne peut être invoquée en l'espèce, dès lors que le bail à construction qui définissait par avance le prix de vente du terrain à son terme à partir du montant du loyer et l'acte de vente contesté, sont indivisibles.

L'article 6.12 de cet acte prévoit qu'à l'expiration du bail par arrivée du terme, le preneur ou ses ayants cause disposeront d'une option leur conférant notamment la possibilité d'acquérir la propriété du terrain objet du bail moyennant un prix d'ores et déjà fixé à dix fois le montant du loyer de l'avant dernière année du bail, l'acte notarié constatant la cession immobilière devant intervenir au cours des six derniers mois du bail, pour prendre effet au dernier jour du bail de telle façon que la pleine propriété prenne le relais du bail sans solution de continuité.

Il est précisé que cette option devait être exercée au plus tard six mois avant l'échéance du bail, soit au plus tard le 5 septembre 2014.

Le seul fait que la vente du terrain soit envisagée à un prix faisant référence aux loyers versés avant la levée de l'option ne suffit pas à rendre le bail à construction et le contrat de vente indivisibles, ceux-ci pouvant exister indépendamment l'un de l'autre.

Il en est de même pour l'inclusion de l'option d'achat du terrain dans les charges et conditions générales du contrat de bail à construction au sein de son article 6, étant précisé que le montant du loyer est distinctement fixé dans son article 7.

L'article 11 stipule que les parties déclarent que le pacte de préférence qu'il prévoit est une disposition dépendante du présent bail à construction, sans laquelle la contrat n'aurait pas été conclu.

La convention ne comporte en revanche aucune mention précisant expressément que le bail à construction et l'éventuelle vente du terrain à son terme sont indivisibles.

Il convient donc de constater que l'indivisibilité entre le bail à construction et la promesse de vente n'avait pas été stipulée dans l'acte, alors que les parties avaient expressément prévu l'indivisibilité du bail à construction et du pacte de préférence organisés par la même convention.

Il doit en être déduit qu'elles ont entendu traiter différemment les rapports entre les diverses conventions et qu'elles ont conclu un bail à construction assorti d'une promesse unilatérale de vente conférant une option au preneur, lequel s'était donc réservé le droit d'acquérir ou non et qu'ainsi les deux conventions existaient et pouvaient être exécutées indépendamment l'une de l'autre.

Le moyen tiré de l'impossibilité d'invoquer la lésion du fait de l'indivisibilité du bail à construction et du contrat de vente relatif au terrain concerné, doit en conséquence être écarté et l'action en rescision pour lésion déclarée recevable.

L'article 1677 du Code civil dispose que la preuve de la lésion ne pourra étre admise que par jugement, et dans le cas seulement où les faits articulés seraient assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion.

L'article 6.12 du contrat de bail à construction souscrit le 8 octobre 1985 prévoit que les constructions édifiées et tous travaux et aménagements effectués par le preneur resteront sa propriété pendant toute la durée du contrat.

Il apparaît que les parties ont décidé sur ce point de déroger aux dispositions des articles 551 et 552 du Code civil, dans les conditions prévues par l'article L251-2 du code de l'habitation de la construction.

L'affectation de la propriété au bailleur n'était prévue qu'en cas de résiliation amiable ou judiciaire, étant précisé que tel n'est pas le cas en l'espèce où l'expiration du bail est intervenue par arrivée du terme.

Le preneur n'a pas choisi, dans l eprésent cas, l'option consistant à transférer au propriétaire du terrain la propriété des constructions réalisées, mais celle lui permettant d'acquérir du propriétaire du terrain objet du bail, la propriété de celui-ci.

La société l'Immobilière Groupe Casino est donc bien demeurée propriétaire des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain pendant la durée du bail.

Cette situation a été rappelée par le notaire stéphanois chargé de préparer la vente dans son courrier du 9 février 2015, précisant que la vente formée par la levée d'option a porté non pas sur un terrain à bâtir au sens classique du terme, mais bien sur une emprise foncière supportant des constructions non vendues car appartenant déjà au preneur et que la valeur du marché d'un tel bien ne saurait donc être comparée à celle d'un terrain à bâtir ordinaire qui permet à son acquéreur de réaliser immédiatement toute construction qu'il agréerait.

L'acte authentique de vente d'immeuble du 29 mai 2015 reproduit en sa page 3 les termes de l'article 6.12 du bail à construction relatif à la propriété des constructions édifiées par le preneur.

Prenant acte de cette situation juridique, il précise en sa page 12 que les constructions et aménagements à usage commercial réalisés par le preneur dans le cadre du bail à construction sont exclus de la présente vente.

Aux termes de l'article 1675 du Code civil : « pour savoir s'il y a lésion de plus de sept douzièmes, il faut estimer le bien ,suivant son état et sa valeur au moment de la vente ».

Il en résulte que le prix ne pouvait être fixé par rapport à celui d'un terrain à bâtir, libre de toute occupation, alors qu'il supporte des constructions appartenant au preneur.

La première mission confiée par les appelants au cabinet d'expertise Roussel-Rouanet et associés était de déterminer la valeur vénale d'une parcelle bâtie 'considérée comme nue et libre'.

Dans son rapport daté du 27 janvier 2016 l'expert Rouanet précise avoir procédé à l'évaluation de parcelles 'libres de toute location ou occupation' est estimées en valeur 'libre'. Son estimation fondée sur la possibilité de créer des surfaces de plancher à destination commerciale et des surfaces de plancher destinées au logement pour un total de 3'790'000 € ne peut donc être retenue.

La seconde mission confiée par l'hoirie [Y] au cabinet d'expertise Roussel- Rouanet et associés était de déterminer la valeur vénale de l'ensemble immobilier bâti d'une construction à usage commercial.

L'évaluation de l'ensemble immobilier à usage supermarché occupé par l'enseigne Casino à l'angle du [Adresse 7] et du [Adresse 6] dans le [Localité 2] incluse dans le rapport du 12 décembre 2017, n'a pas d'intérêt pour le présent litige dès lors que les constructions étaient expressément exclues de la vente litigieuse.

L'évaluation de l'assiette foncière 'encombrée et immobilisée'à partir d'un taux de 50 % de la valeur du bien libre, dans une perspective de calcul du droit à construire réalisée par le cabinet Roussel-Rouanet n'apparaît pas ici pertinente, alors même que les constructions ne recouvrent pas la totalité du terrain.

La logique du contrat initial ne consiste en effet pas à prévoir la démolition par le preneur des constructions qu'il a lui même réalisées, mais leur maintien, afin de poursuivre son activité commerciale.

Les consorts [Y] ne peuvent valablement invoquer de ce chef, la vente par leurs soins, le 16 mars 2022, à un promoteur immobilier, d'une propriété rurale située dans le même secteur, d'une surface de 3462 m², comprenant un bâtiment comprenant deux unités d'habitation élevées d'un étage sur rez-de-chaussée, pour un montant de 3'400'000 €, compte tenu d'une part du temps écoulé depuis la vente litigieuse et du fait que les constructions ont dans ce cas vocation à être démolies.

En ce sens, l'évaluation à partir du prix des terrains non constructibles du même secteur sur les années 2015/2017, réalisée par le cabinet d'expertise Ferrandi- Patron, le 20 septembre 2022, à la demande de la société l'Immobilière Groupe Casino, apparaît adaptée à la situation de fait et de droit du présent dossier.

Le prix de 980'000 € retenu par cet expert ne permet pas de rendre vraisemblable une lésion de plus des 7/12, au regard du prix de vente de 854 590 €, fixé dans l'acte authentique du 29 mai 2015.

Il n'y a donc pas lieu dans ces conditions, d'ordonner une mesure d'expertise, ni de désigner un collège d'experts.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action en récision pour lésion et infirmé, en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise et désigné un collège d'experts.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties perdantes sont condamnées aux dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action en récision pour lésion engagée par Mme [U] [Y] épouse [H], Mme [K] [Y] épouse [X], M. [P] [Y] et M.[E] [Y].

L'infirme, en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise et désigné un collège d'experts.

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit n'y avoir lieu lieu d'ordonner une mesure d'expertise, ni de désigner un collège d'experts.

Y ajoutant,

Condamne Mme [U] [Y] épouse [H], Mme [K] [Y] épouse [X], M. [P] [Y] et M.[E] [Y] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 19/11387
Date de la décision : 14/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-14;19.11387 ?
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