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16/12/2022 | FRANCE | N°20/04244

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 16 décembre 2022, 20/04244


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 16 DECEMBRE 2022



N° 2022/ 226



RG 20/04244

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFY4N







S.A.S. ELECTRO DEPOT FRANCE





C/



[J] [Y]















Copie exécutoire délivrée le 16 décembre 2022 à :



- Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-

PROVENCE

Vest. 348



- Me Alexis REYNE, avocat au barreau de MARSEILLE <

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Février 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/02666.





APPELANTE



S.A.S. ELECTRO DEPOT FR...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 16 DECEMBRE 2022

N° 2022/ 226

RG 20/04244

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFY4N

S.A.S. ELECTRO DEPOT FRANCE

C/

[J] [Y]

Copie exécutoire délivrée le 16 décembre 2022 à :

- Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-

PROVENCE

Vest. 348

- Me Alexis REYNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Février 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/02666.

APPELANTE

S.A.S. ELECTRO DEPOT FRANCE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Emeric LEMOINE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIME

Monsieur [J] [Y], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Alexis REYNE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Sarah MUSTAPHA, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2022, délibéré prorogé au 16 décembre 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Selon contrat de travail à durée indéterminée du 4 août 2014, M. [J] [Y] a été engagé par la société Électro Dépot en qualité de directeur adjoint commerce, statut cadre, la convention collective applicable étant celle des commerces et services de l'audiovisuel, de l'électronique et de l'équipement ménager.

Sa rémunération était composée d'un salaire mensuel brut de 2 250 euros, d'une partie variable correspondant à un pourcentage de ce salaire, liée à la réalisation d'objectifs et d'une prime annuelle.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 26 novembre 2018, M. [Y] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée du 3 décembre 2018.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille selon requête du 31 décembre 2018 afin notamment de contester son licenciement.

Selon jugement du 28 février 2020 le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

Requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Électro Depot à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

- 3 111,91 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 8 147 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 814,76 euros à titre de congés payés afférents,

- 1 170 euros à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire,

- 117 euros au titre des congés payés afférents,

Dit que la convention forfait jours est nulle,

Dit qu'il y a lieu de revoir le calcul des heures supplémentaires demandées par M. [Y] afin de tenir compte de l'heure journalière méridienne,

Condamne la société Électro Depot à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

- 40 109,70 euros a titre de rappel d'heures supplémentaires de janvier 2016 à novembre 2018,

- 4 010,97 euros au titre des congés payés afférents,

- 19 151,95 euros à titre d'indemnité de contrepartie obligatoire en repos de janvier 2016 à novembre 2018,

- 1 1915,19 euros au titre des congés payés afférents,

Déboute le demandeur de sa demande d'annulation des mises à pied disciplinaires des 13 juin 2017 et 5 octobre 2018,

Condamne la société Électro Depot à verser à M. [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Fixe la moyenne des douze derniers mois de salaire à la somme de 2 715,85 euros,

Ordonne la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat de travail conformes,

Ordonne les intérêts de droit,

Condamne la société Électro Depot aux entiers dépens,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le conseil de la société a interjeté appel par déclaration du 23 mars 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 11 mars 2021, la société demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement rendu entre les parties par le Conseil de prud'hommes de MARSEILLE le 28 février 2020 en ce qu'il a :

- requalifié le licenciement pour faute grave de Monsieur [Y] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- condamné la société ELECTRO DEPOT à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes:

- 3.111,91 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 8.147,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 814,76 € à titre de congés payés y afférents,

- 1.170,00 € à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire,

- 117,00 € au titre des congés payés y afférent,

- dit que la convention forfait jours est nulle,

- dit qu'il y a lieu de revoir le calcul des heures supplémentaires demandées par Monsieur [Y] afin de tenir compte de l'heure journalière méridienne,

- condamné la société ELECTRO DEPOT à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes:

- 40.109,70 € au titre de rappel d'heures supplémentaires de janvier 2016 à novembre 2018 et 4 010,97 au titre des congés payés y afférents,

- 19.151,95 € à titre d'indemnité de contrepartie obligatoire en repose de janvier 2016 à novembre 2018 et 1 915, 19 € au titre des congés payés y afférents,

- débouté le demandeur de sa demande d'annulation des mises à pied disciplinaires des 13 juin 2017 et 5 octobre 2018,

- condamné la société ELECTRO DEPOT à verser à Monsieur [Y] la somme de 1.500,00€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixé la moyenne des douze derniers mois de salaire à la somme de 2.715,85 €,

- ordonné la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat de travail conformes,

- ordonné les intérêts de droit,

- condamné la société ELECTRO DEPOT aux entiers dépens,

- débouté la société ELECTRO DEPOT de sa demande reconventionnelle ;

DIRE et JUGER Monsieur [Y] non fondé en l'intégralité de ses demandes ;

En conséquence, l'en DEBOUTER ;

Subsidiairement, si la Cour devait dire et juger nulle ou inopposable à Monsieur [Y] sa convention de forfait, le CONDAMNER à verser à la société ELECTRO DEPOT la somme de 3.825,34 euros correspondant au montant des JRTT dont il a bénéficié entre janvier 2016 et novembre 2018 ;

FAIRE DROIT à la demande de la société ELECTRO DEPOT ;

En conséquence, CONDAMNER Monsieur [Y] à lui verser la somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Le CONDAMNER aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL-GUEDJ sur son offre de droit.»

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 2 avril 2021, M. [Y] demande à la cour de :

« Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 28 février 2020, en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [Y] en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et débouter M. [Y] de sa demande d'annulation des mises à pied disciplinaires des 13 juin 2017 et 5 octobre 2018,

Et statuant à nouveau :

Juger que le licenciement de Monsieur [Y] est sans cause réelle et sérieuse ;

Annuler les mises à pied disciplinaire notifiées par lettres des 13 juin 2017 et 5 octobre 2018, en l'absence de mention dans le règlement intérieur ;

Condamner la société Électro Dépôt France à régler à Monsieur [Y] :

o 3.111,91 € à titre d'indemnité de licenciement ;

o 8.147,55 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

o 814,76 € à titre de congés payés afférents ;

o 1.170,00 € à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire ;

o 117,00 € au titre des congés payés y afférent ;

o 13.579,25 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o 1.258,00 € correspondant à la déduction pour mises à pied sur les bulletins de salaire de juin 2017 et de novembre 2018 ;

o 125,80 € de congés payés afférents ;

Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit que la convention forfait était nulle et condamné la société Electro Dépôt France sur le principe d'un rappel d'heures supplémentaires et indemnités de contrepartie obligatoire en repos de janvier 2016 à novembre 2018 et l'infirmer en ce qu'il a limité le quantum des condamnations et, statuant à nouveau, condamner la société Électro Dépôt France à régler à Monsieur [Y] les sommes suivantes :

o 42 523,95 € au titre de rappel d'heures supplémentaires de janvier 2016 à novembre 2018 et 4 252,40€ au titre des congés payés y afférents ;

o 21.265,96 € à titre d'indemnité de contrepartie obligatoire en repos de janvier 2016 à novembre 2018 et 2.126,60 € de congés payés afférents

En tout état de cause :

Confirmer le jugement rendu par le Conseil des prud'hommes de Marseille en ce qu'il a condamné la société ELECTRO DEPOT à verser à M. [Y] la somme de 1.500 euros au

en application de l'article 700 du procédure au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Condamner la société Electro dépôt France à régler à M.[Y] la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la présente instance ;

Ordonner la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat de travail conformes, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir ;

Juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes ;

Condamner la société Électro Dépôt France aux entiers dépens de la procédure.

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

I Sur l'exécution du contrat de travail

A- Sur le forfait jours

Concernant la nullité invoquée par M. [Y], la société rappelle qu'il existe un accord d'entreprise prévoyant la possibilité d'organiser le temps de travail de certaines catégories de salariés selon une convention de forfait jours.

Elle soutient que M. [Y] disposait bien d'une grande autonomie dans l'organisation de son temps de travail et abordait chaque année avec sa hiérarchie sa charge de travail ainsi que l'articulation vie professionnelle/vie privée.

Elle considère que le salarié qui ne s'est jamais plaint au cours de ces entretiens, de sa charge de travail, est défaillant à apporter le moindre commencement de preuve.

L'intimé, se fondant notamment sur un arrêt d'une autre cour, indique que le dispositif du forfait jours n'est pas valable, pour trois raisons :

- le contrat de travail ne vise pas l'accord collectif permettant d'y recourir et l'accord produit par la société est postérieur à son embauche,

- il n'était pas autonome dans son emploi du temps,

- il n'a jamais bénéficié d'entretiens annuels dédiés au forfait jours et donc à sa charge de travail.

La cour constate que la société n'opère aucune critique du jugement déféré, lequel a mis en évidence l'absence de toute référence dans le contrat de travail du 4 août 2014 à un accord collectif autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours, l'employeur se contentant de produire celui intervenu le 21 mars 2016 (pièce n°42).

Dès lors par application de l'ancien article L.3121-39 du code du travail applicable à l'espèce, (et non L. 3121-63 du même code, disposition issue de la Loi du 8 août 2016), c'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges en ont déduit que la convention était nulle, étant précisé qu'en tout état de cause, elle a été privée d'effet, l'employeur ne justifiant pas avoir conformément à l'article L.3121-46 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, organisé un entretien annuel individuel dont l'objet était de vérifier la charge de travail, l'organisation du travail mais aussi l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale du salarié, les compte-rendus d'entretien produits (pièces n°38 à 40) portant sur les seules années 2017 et 2018 et concernant essentiellement les objectifs du salarié.

La décision doit donc être confirmée sur ce point, les conséquences de la nullité et de l'inopposabilité étant identiques, au regard des demandes de M. [Y].

B- Sur les heures supplémentaires

Dans la mesure où la convention de forfait en jours est déclarée illicite et inopposable à M. [Y], ce dernier est fondé à revendiquer l'application à son égard des dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire du travail prévue à l'article L. 3121-10 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce, soit 35 heures.

Il résulte des dispositions de l'article L.3171-4 du même code qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Dans le cadre d'un appel incident, le salarié reproche au conseil de prud'hommes d'avoir limité sa demande, précisant avoir déjà déduit l'heure de pause méridienne de son décompte et reprend dès lors ses demandes de première instance.

S'agissant des jours de RTT reçus, après avoir invoqué l'irecevabilité de la demande sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, il précise les avoir également déduits.

Le salarié produit aux débats notamment :

- une attestation du directeur d'exploitation de 2014 à 2018 (pièce n°43), indiquant qu'à l'ouverture du magasin La Valentine en 2015, «il nous était martelé que chez Électro Dépôt il ne fallait pas compter ses heures, qu'il fallait s'investir afin d'être exemplaire», précisant que sur les 7 mois qui ont suivi, en raison du départ d'un directeur adjoint, «M. [J] [Y] a dû prendre en charge l'ensemble de la direction commerce des secteurs blanc et brun comme directeur commerce, ne comptant pas ses heures (...). Je peux assurer que M. [Y] a tout donné en terme d'investissement humain et horaire jusqu'à l'arrivée d'un quatrième encadrant en juillet 2016, sans aucune reconnaissance et ontrepartie pécuniaire(...). Les encadrants font bien plus que le contingent d'heures légales ou biologiquement acceptables. Nous commençons à 7h00 du matin voire plus tôt pour nous rendre disponible aux changements d'organisation dû aux approvisionnements et différents problèmes humains, matériels et logistiques, pour mettre en route le magasin, lever les consignes de sécurité, et afin de réceptionner les camions et les vider avec les équipiers dès 7h30. Nous prenons très souvent des camions entre 12h30 et 14h00 magasin fermé, nous limitant ainsi à des pauses repas sur le pouce et voire inexistantes.

Il est de coutume et voire mal vu pour les encadrants chez Électro dépôt de quitter le magasin entre 12:00 et 14:00 malgré la fermeture du magasin. Il a même été instauré pour des raisons de sécurité l'interdiction de descendre et de monter des palettes, magasin ouvert (de gerber) ce qui impose un rythme de présence et de stress accru pour les encadrements de la société ( obligeant les encadrants à être présents entre midi et 14 h).

Nous fermons le magasin à 19h30 puis les caisses. Ce qui nous fait partir vers 19h45 20h00 sauf problème récurrent de caisse, de litige client, de client retardataire ou de problème de financement. (...)»

- une attestation d'une personne en formation en 2016 indiquant que M. [Y] faisait des journées de 11-12h, et chaque semaine entre 55 et 60 heures supplémentaires (pièce n°10),

- des mails adressés par le salarié tôt le matin ou à des heures tardives voire le dimanche (pièces n°32-33),

- des plannings de permanence sur la période 2016 à 2018 (pièces n°26 à 28), fixés par le directeur du magasin M. [T], dans lesquels M. [Y] figure comme astreint à des ouvertures tôt le matin ou tard le soir,

- un décompte d'heures supplémentaires retraçant les heures effectuées soit en moyenne 20 heures supplémentaires par semaine (pièce n°25 reproduit en pages 28 à 32 de ses conclusions).

La société se borne à critiquer le décompte produit, le considérant comme non réaliste, dépourvu de précisions et de détails quant aux horaires effectivement réalisés, rappelant que M. [Y] ne s'est jamais plaint d'une surcharge de travail à quiconque. Elle considère que le salarié ne produit aucun élément de nature à étayer sa demande de rappel d'heures supplémentaires.

Après analyse de l'ensemble de ces éléments, démontrant l'implication du salarié dans ses fonctions, le fait qu'il était soumis à des astreintes horaires à certaines périodes et en soulignant l'absence manifeste d'outils utilisés par l'employeur pour comptabiliser les heures de travail des salariés, la cour a la conviction que M. [Y] a effectué des heures supplémentaires, au- delà de la durée légale, qui n'ont pas été rémunérées.

Cependant, la cour constate qu'en calculant de façon linéaire de 13 à 20 h d'heures supplémentaires par semaine, sur plus de deux ans, le salarié n'a manifestement pas tenu compte de la pause méridienne et de l'autonomie dont il bénéficiait ne le soumettant pas à un horaire collectif, de sorte que l'importance des heures supplémentaires telle que retenue par la décision doit être approuvée, comme la fixation de la créance salariale en découlant.

La cour juge que la demande de soustraction des JRTT faite par la société se révèle irrecevable comme ayant été formulée pour la première fois, non dans les premières conclusions du 19 juin 2020 mais dans celles du 11 mars 2021, au mépris de l'article 910-4 du code de procédure civile.

C- Sur la contrepartie en repos

Le salarié qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur en temps utile, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; celle-ci comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents.

Le calcul effectué par les premiers juges doit être approuvé sauf à dire que l'indemnité

doit être fixée à la somme globale de 19.151,95 € + 1 915,19 €, soit 21 067,14 euros.

D- Sur les sanctions disciplinaires

L'appelant demande l'annulation des mises à pied disciplinaires notifiées les 13 juin 2017 et 5 octobre 2018 en l'absence de mention dans le règlement intérieur d'une telle sanction dans l'échelle des peines.

Il n'est produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le conseil de prud'hommes, lequel a constaté d'une part que l'article 22 du règlement intérieur prévoyait au titre des sanctions, la mise à pied d'un maximum de 5 jours et d'autre part, a dit que le salarié ayant enfreint l'article 6-3 du même règlement concernant un non respect des règles de sécurité dans l'utilisation de machines dangereuses, les sanctions d'un jour de mise à pied étaient justifiées et devaient être validées.

En conséquence, la décision doit être confirmée sur ce point.

II Sur la rupture du contrat de travail

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
  En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
 

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

«(...) Lors de l'entretien préalable, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés à savoir notamment :

- Non-respect récurrent des règles de sécurité des biens et des personnes

- Accueil client inacceptable

- Dysfonctionnements professionnels.

1) Sur le non-respect récurrent des règles de sécurité des biens et des personnes

Le samedi 10 novembre 2018, vers 9h00, vous avez effectué à plusieurs reprises des opérations de manutention nécessitant l'utilisation du gerbeur, à savoir descendre et monter plusieurs palettes dans l'allée des encastrables, en ne respectant pas les règles de sécurité relatives au périmètre de sécurité.

En effet, vous n'avez pas positionné ni la seconde barrière de sécurité de l'allée concernée, ni celles de la contre allée de telle sorte que votre périmètre de sécurité n'était pas défini, ce qui présentait un risque pour la sécurité des biens et des personnes. Votre périmètre de sécurité n'étant pas délimité, l'un de vos collègues a même pu pénétrer dans la zone de gerbage ce qui présentait, en cas de chute de palettes ou de produits, un réel danger pour sa sécurité.

Or, vous n'êtes pas sans savoir que la zone occupée par le gerbeur lors des manutentions de palettes ou de produits sur la surface de vente et la contre allée doivent obligatoirement être délimitées et interdites au public par les barrières métalliques amovibles présentes sur les échelles de rack.

A toutes fins utiles, nous vous rappelons que le Règlement intérieur prévoit que chaque salarié doit prendre toute mesure pour assurer sa sécurité personnelle et doit dans l'exécution de son contrat de travail s'abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à son intégrité ou à celle de ses collègues. De plus, le conducteur gerbeur est le garant du respect des règles de conduite de l'engin pendant toute la durée des manoeuvres de gerbage.

Force est de constater que ce manquement aux règles de sécurité n'est pas isolé. En effet, les 13 juin 2017 et 5 octobre 2018, vous avez été sanctionné par une journée de mise à pied pour non-respect du périmètre de sécurité, plus précisément pour l'absence de barrières de sécurité et pénétration dans le périmètre de sécurité de votre collègue.

Cette situation est d'autant plus intolérable que la sécurité est un fondamental de l'entreprise. A ce titre, les règles permanentes liées à la sécurité des biens et des personnes, qui sont affichées et rappelées systématiquement en magasin, qui sont reprises dans le Passeport Sécurité et pour lesquelles vous avez été formé et amplement informé sont intransigeantes.

Nous vous rappelons que votre fiche de poste précise que la stricte application des règles de sécurité des biens et des personnes fait partie intégrante de vos missions principales. En votre qualité de Directeur Adjoint Commerce, outre avoir un devoir d'exemplarité, vous vous devez de garantir la sécurité des biens et des personnes dans le respect des normes, ce qui implique nécessairement l'application, le respect et la transmission de l'ensemble des règles et des procédures mises en place par l'entreprise.

2) Sur l'accueil client inacceptable

Le 14 novembre 2018, j'ai été rendu destinataire d'une réclamation de la part d'un client qui s'était présenté au magasin le 12 octobre 2018 lequel vous identifie personnellement. L'objet de ce courrier étant « propos anti-commercial et insultant d'un agent Électro Dépôt », celui-ci exprime son plus vif mécontentement quant à l'accueil et au traitement que vous lui avez réservé. Suite à plusieurs remarques désobligeantes de votre part telles que « Électro Dépôt c'est pas cher mais on se débrouille seul », ce client s'est vu dans l'obligation de charger seul son produit. Lors de son passage en caisse, celui-ci a alors fait part de sa plus grande insatisfaction. Plus grave, alors que le client était sur le parking, vous êtes allé à sa rencontre pour l'invectiver en le traitant de menteur et de fainéant.

Or, vous n'êtes pas sans savoir que l'accueil et la satisfaction clientèle font parties intégrantes du concept de l'entreprise. A ce titre, le Règlement intérieur prévoit que chacun doit concourir à la finalité de l'entreprise qui est de donner satisfaction à la clientèle. Ainsi, l'ensemble du personnel doit être avenant, faire constamment preuve de politesse, de disponibilité et d'amabilité vis-à-vis de la clientèle et ne pas discréditer l'enseigne par son attitude ou son comportement.

Nous vous rappelons que vous avez, en votre qualité de Directeur Adjoint Commerce, des responsabilités dans le domaine commercial, d'autant plus qu'en votre qualité d'encadrant, vous devez être intransigeant et exemplaire en la matière. A ce titre, vous devez assurer un accueil convivial, chaleureux et respectueux et une écoute attentive et bienveillante et ce, en toutes circonstances.

Force est de constater que votre comportement, outre être incompatible avec le poste de Directeur Adjoint et des responsabilités qui lui incombe, a porté préjudice au magasin et plus généralement à l'entreprise.

3) Sur les dysfonctionnements professionnels

Le 7 novembre 2018, alors que le Directeur Régional et le Directeur Opérationnel étaient en visite sur le magasin, leur compte-rendu de visite est sans appel. En effet, le Directeur Régional a confirmé un nombre important d'anomalies sur votre secteur qui sont intolérables.

A titre non exhaustif, les dysfonctionnements relevés sont les suivants :

- nombreuses informations erronées (A1, pavé prix, '),

- allées encombrées,

- grilles et cross vides et non équilibrées,

- poussières, propreté générale,

- plots vides,

- emplacement vides non comblés,

- expos abîmées / incomplètes

Pourtant, vous n'êtes pas sans savoir qu'être l'ambassadeur et faire vivre le Concept dans ses rayons et dans le magasin est la finalité même de votre métier. Entre autre, mettre en valeur et en avant les produits, développer le caractère commercial, respecter notre norme (plein, le propre et le prix en permanence) approvisionner les linéaires, etc...sont des basics de votre poste pour lesquels vous avez été formé.

D'ailleurs, en novembre 2016 et mars 2018, vous avez été mis en garde suite à divers dysfonctionnements dans l'exercice de vos missions (gestion des stocks, tenue de rayon, difficultés managériales). Force est de constater que malgré ces rappels à l'ordre, nos divers entretiens et les formations «Exploitation» que vous avez suivies, vous persistez à faire preuve de négligence fautive dans l'exercice de vos missions.

Lors de votre entretien, vous avez adopté un comportement fermé en ne reconnaissant pas les faits qui se sont pourtant tous produits devant témoin.

Force est de constater que l'ensemble de ces dysfonctionnements perturbe la bonne marche de l'entreprise et ne nous permet pas d'envisager la poursuite des relations contractuelles, même pendant la durée limitée du préavis.»

Le salarié indique que le conseil de prud'hommes a considéré les deux derniers griefs comme de l'insuffisance professionnelle et fait valoir qu'il effectuait environ 70 opérations de manutention par semaine et n'était dès lors pas à l'abri d'une défaillance ; il invoque la propre attitude du directeur du magasin évoquée dans l'attestation de M. [M] (pièce n°56) et résultant de photos (pièces n°12 et 47).

La société démontre la matérialité des faits reprochés du 10 novembre 2018 quant à l'utilisation d'un gerbeur par M. [Y], sans que ce dernier n'ait pris les précautions de sécurité nécessaires, enfreignant ainsi l'article 6.3 du règlement intérieur, et pour lesquelles il avait reçu des formations spécifiques (pièces n°19-20-21), étant précisé que l'utilisation d'un chariot à pinces par le directeur ne nécessite pas de périmètre de sécurité et n'est pas de nature à exonérer M. [Y] de sa responsabilité.

Dans la mesure où le salarié avait déjà été sanctionné à deux reprises pour des faits de même nature, l'employeur était fondé à faire état de ces précédents dans la lettre de licenciement, même s'ils ont été sanctionnés en leur temps, pour justifier une sanction aggravée, notamment un licenciement reposant sur une appréciation globale du comportement du salarié.

Ainsi sur ses seuls faits, le licenciement pour faute grave était fondé et il résulte en outre de la lettre du 18 octobre 2018 (pièce n°8) très circonstanciée d'un client du magasin, que M. [Y] identifié par son badge, a eu une attitude inacceptable à son égard, et en tous cas contraire au règlement intérieur.

En conséquence, tenant compte de la fonction d'encadrant de M. [Y] qui se doit d'être exemplaire tant dans le domaine de la sécurité que dans l'accueil aux clients, la cour dit que les faits imputables au seul salarié étaient suffisamment graves pour justifier la mise à pied à titre conservatoire, rendre impossible le maintien du contrat de travail même pendant la durée du préavis et justifier le licenciement sans indemnité.

Dès lors, la décision déférée doit être infirmée dans ses dispositions relatives au licenciement et aux conséquences financières de la rupture.

III. Sur les frais et dépens

La société appelante doit s'acquitter des dépens d'appel et être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à M. [Y] la charge des frais exposés par lui dans le cadre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré dans ses seules dispositions relatives au forfait jours, à la créance salariale pour heures supplémentaires, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Condamne la société Électro Dépôt à payer à M. [J] [Y] la somme globale de 21 067,14 euros à titre d'indemnité de contrepartie en repos,

Dit le licenciement pour faute grave fondé,

Déboute M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

Rejette les demandes de la société,

Laisse les dépens d'appel à la charge de la société Électro Dépôt.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/04244
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;20.04244 ?
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