La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2022 | FRANCE | N°18/07105

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 15 décembre 2022, 18/07105


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 15 DECEMBRE 2022



N° 2022/













Rôle N° RG 18/07105 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCK26







SAS LSN ASSURANCES





C/



[P] [V]

SCI LES DEUX LIONS





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Philippe RAFFAELLI



Me Fabien BOUSQUET







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/13358.





APPELANTE



SAS LSN ASSURANCES

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayan...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 15 DECEMBRE 2022

N° 2022/

Rôle N° RG 18/07105 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BCK26

SAS LSN ASSURANCES

C/

[P] [V]

SCI LES DEUX LIONS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Philippe RAFFAELLI

Me Fabien BOUSQUET

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Mars 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/13358.

APPELANTE

SAS LSN ASSURANCES

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe RAFFAELLI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Maître Lou CHILLIET avocate au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [P] [V]

né le 30 Septembre 1928 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Fabien BOUSQUET de la SARL ATORI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Jean-alexandre COSTANTINI, avocat au barreau de MARSEILLE

SCI LES DEUX LIONS

, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Fabien BOUSQUET de la SARL ATORI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Jean-alexandre COSTANTINI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Madame Angélique NAKHLEH, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022.

ARRÊT

I. FAITS. PROCÉDURE.PRÉTENTIONS DES PARTIES.

La S.C.I DES DEUX LIONS, gérée par Monsieur [V], est propriétaire d'une villa à usage d'habitation sise à [Localité 3] « lotissement Bellevue ».

Le bien est assuré auprès de la compagnie HISCOX selon contrat intitulé « résidences et belles demeures » par l'intermédiaire de la société LA SECURITÉ NOUVELLE (Société LSN), courtier en assurances.

Des fissures sont apparues à l'été 2007 sur les façades de l'immeuble suite à des intempéries. Selon arrêté interministériel du 7 août 2008 et publié au JO le 13 Août 2008, la commune de [Localité 3] a été reconnue en état de catastrophe naturelle pour les périodes de janvier à mars 2007 et de juillet à septembre 2007, en l'état de mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

Par courrier recommandé du 27 août 2008, la SCI DES DEUX LIONS, par l'intermédiaire de monsieur [P] [V], a adressé à la société LA SECURITE NOUVELLE une déclaration de sinistre.

La société LA SECURITE NOUVELLE a mandaté deux techniciens : le géotechnicien UNISOL et, 18 mois plus tard, le cabinet ERIS.

Par courrier du 8 novembre 2010, la société LA SECURITE NOUVELLE agissant en qualité de courtier en assurances, a indiqué que le sinistre n'était pas liée à la catastrophe naturelle survenue.

Par suite, la société HISCOX a refusé de mettre en 'uvre sa garantie catastrophe naturelle.

Par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance saisi en référé par la SCI les DEUX LIONS en date du 17 juin 2011, monsieur [N] [B] a été désigné pour procéder à une expertise. Suite à une réunion tenue sur les lieux le 11 octobre 2011, l'expert a déposé son rapport le 10 mai 2013.

Le 22 août 2013, la SCI LES DEUX LIONS a procédé à l'assignation de son assureur la Compagnie HISCOX. Par décision du 9 avril 2015, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a considéré les demandeurs prescrits en leur demande, la prescription biennale de l'article L114-2 du Code des assurances étant acquise. Les requérants ont interjeté appel de ladite décision le 11 mai 2015. Par arrêt du 20 octobre 2016, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement de première instance.

Par acte d'huissier en date du 7 juillet 2015, monsieur [P] [V] et la S. C.I. DES DEUX LIONS ont fait assigner la S.A.S. SOCIETE NOUVELLE (anciennement dénommée LA SECURITE NOUVELLE - LSN) devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE.

Ils faisaient valoir, au visa des articles 1134, 1135 et 1147 du Code civil ancien, que la société LA SECURITE NOUVELLE a manqué à son obligation contractuelle d'information et de conseil et devait être condamnée à réparer les conséquences préjudiciables de cette faute à hauteur des sommes que devait verser l'assureur . La faute consistant dans l'absence d'information par la société LA SECURITE NOUVELLE du destinataire auquel devait être adressée la déclaration de sinistre, ni sur les formalités à accomplir pour se faire.

Par jugement du 15 Mars 2018, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a :

CONDAMNE la S.A.S. SOCIETE NOUVELLE à payer à la S.C.I. LES DEUX LIONS la somme de 165.816,50 euros TTC en réparation de son préjudice matériel ;

CONDAMNE la S.A.S. SOCIETE NOUVELLE à payer à la S.C.I. LES DEUX LIONS la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;

CONDAMNE la S.A.S. SOCIETE NOUVELLE à payer à la S.C.I. LES DEUX LIONS la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE la S.A.S. SOCIETE NOUVELLE aux dépens ;

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe le 24 Avril 2018, la SAS LSN ASSURANCES a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :

CONDAMNE la SAS SECURITE NOUVELLE à payer à la SCI LES DEUX LIONS la somme de 165.816,50 € TTC en réparation de son préjudice matériel ;

CONDAMNE la SAS SECURITE NOUVELLE à payer à la SCI LES DEUX LIONS la somme de 20.000 € en réparation de son préjudice de jouissance

CONDAMNE la SAS SECURITE NOUVELLE à payer à la SCI LES DEUX LIONS la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

REJETTER TOUTES LES AUTRES DEMANDES

CONDAMNE la SAS SECURITE NOUVELLE aux dépens

ORDONNE l'exécution provisoire.

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

La société LSN ASSURANCES (conclusions du 16 Mars 2020) appelante, sollicite de la cour de :

INFIRMER le jugement du Tribunal de grande instance de Marseille en date du 15 mars 2018 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

A titre préliminaire

DECLARER irrecevable la prétention nouvelle formulée par Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS au titre des honoraires d'expertise judiciaire ;

DECLARER irrecevable la prétention nouvelle formulée à titre subsidiaire par Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS au titre de la prétendue responsabilité civile délictuelle de la Société LSN ;

A titre principal

DIRE ET JUGER qu'aucun manquement au titre de l'obligation de conseil ne peut être retenu à l'encontre de la Société LSN ;

DEBOUTER Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la Société LSN ;

A titre subsidiaire,

DIRE ET JUGER que Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS ne rapportent pas la preuve de l'existence d'une perte de chance ;

DEBOUTER Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS ou du moins de rapporter le préjudice à de plus justes proportions,

A titre infiniment subsidiaire,

REDUIRE le quantum du préjudice

En tout état de cause,

CONDAMNER in solidum Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS à verser à la Société LSN une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS (conclusions du 4 Février 2020) intimés, sollicitent :

Vu l'article L125-1 du Code des Assurances ; arrêté interministériel du 07/08/2008,

Vu les articles, L114-1 et L520-1 du Code des Assurances

A titre principal,

Vu les articles 1134, 1135 et 1147 du Code Civil ancien,

Vu les articles 1103 et suivants du code civil

CONFIRMER la décision dont appel et JUGER que la société LSN a manqué à son obligation contractuelle d'information, de conseil et d'assistance à son client et devra réparer les conséquences préjudiciables de cette faute qui correspondent aux sommes que devait verser l'assureur.

A titre subsidiaire

Vu les articles 1240 et suivants du Code civil

CONFIRMER la décision dont appel et JUGER que la responsabilité délictuelle de la société LSN est engagée, et que cette dernière devra réparer les conséquences préjudiciables de cette faute qui correspondent aux sommes que devait verser l'assureur.

En tout état de cause,

CONDAMNER la société LSN, avec intérêts à compter depuis le 27/08/2008, à indemniser la SCI LES DEUX LIONS des sommes suivantes :

Dommages matériels liés à l'état de catastrophe naturelle

Travaux de confortement des fondations de la partie aval 59.060 € HT et 70 872 € TTC

Travaux de confortement du mur de soutènement 9.132,64 € HT et 10 959.16 € TTC '

Travaux de réfection du réseau d'eaux usées 9.347,40 € HT et 11 216.88 € TTC '

Travaux de réfections des fissures, peintures et enduits 55.613,81 € HT et 66 736.57 € TTC

Dommages matériels liés aux travaux de déconnexion du réseau des eaux usées et de la canalisation des eaux pluviales

Travaux de mise en conformité de la canalisation d'eaux pluviales prise en charge par la SCI LES DEUX LIONS 8.780€ HT et 10 536€ TTC

JUGER que ces sommes seront indexées sur l'indice BT01 depuis la date du rapport d'expertise.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 17 000€ TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 2033.20 Euros correspondant aux honoraires de la SARL STRUCTURE & INGENIERIE et de 1773.67 euros correspondant aux honoraires de Monsieur [U], soit un total de 3 809.89 Euros TTC.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 27663.86 Euros correspondant aux honoraires d'expertise judiciaire.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 2 222€ TTC correspondant aux frais de remise en état du marbre, chiffrage non retenu dans le devis de la société BVSUD retenu par l'expert.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 47 600€ correspondant au préjudice de jouissance subi pendant la durée des travaux et depuis le sinistre.

CONDAMNER la société LSN au paiement de la somme de 5.000 € supplémentaire en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance en ceux compris les frais d'expertise et de constats d'huissiers.

L'affaire a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 26 Septembre 2022.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 25 Octobre 2022.

II. MOTIVATION

Sur l'irrecevabilité de la prétention nouvelle au titre des honoraires d'expertise judiciaire

L'article 564 du code de procédure civile dispose que 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'

L'article 565 précise que 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.

En l'espèce, il ressort du jugement rendu le 15 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Marseille que Monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS n'avaient pas formulé devant ce juge de demande relative à l'indemnisation des frais d'expertise. Ils avaient seulement sollicité la prise en charge de la somme de 1773, 67 euros au titre des frais d'honoraire de Monsieur [U].

Cette demande étant présentée pour la première fois devant la cour d'appel, elle sera déclarée irrecevable.

Sur l'irrecevabilité de la demande subsidiaire au titre de la responsabilité délictuelle

L'article 910-4 du code de procédure civile prévoit 'qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.'

Il est exact, et non contesté , que dans leurs premières conclusions d'intimés notifiées par RPVA en date du 15 octobre 2018, aucune demande au titre de la responsabilité civile délictuelle de la Société LSN n'a été formée, de telle sorte que cette demande, présentée pour la première fois à titre subsidiaire, dans les conclusions récapitulatives du 04 février 2020 doit être considérée comme nouvelle.

En conséquence, la demande formée au titre de la responsabilité délictuelle sera déclarée irrecevable.

Sur l'obligation d'information et de conseil

Les premiers juges étaient saisis d'une demande indemnitaire liée à la perte de chance, née du manquement à l'obligation d'information et de conseil , sur le fondement de l'article 1134 du code civil.

La décision a fait droit à la demande indemnitaire, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, au titre de la perte de chance.

Il convient dès lors de rechercher si un manquement à l'obligation d'information et de conseil a été commis par LSN et ensuite seulement de rechercher s'il y a eu une perte de chance.

Le Code des assurances prévoit une obligation générale d'information s'appliquant à tous les contrats. Cette obligation légale figure dans les articles L 520-1 (abrogé au 1er octobre 2018) ou L 521-4 depuis.

Ces textes prévoient notamment qu'avant la conclusion d'un premier contrat d'assurance, l'intermédiaire ( le courtier , ici LSN , mandataire de la société d'assurances HISCOX) doit fournir au souscripteur éventuel des informations relatives notamment à son identité, donner des indications quant à la fourniture de ce contrat .

Cette obligation qui préexiste au contrat afin de fournir- avant sa souscription - un éclairage au preneur d'assurance et toutes les informations utiles pour qu'il cerne les risques couverts et selon quelles modalités, subsiste pendant toute la durée d'exécution.

Le courtier a, en plus de cette obligation d'information, un devoir de conseil.

Ce devoir d'information et de conseil existe dès qu'il y a un déséquilibre des connaissances entre contractants, que ce soit entre professionnels et consommateurs, ou même entre professionnels de spécialités différentes. Cette obligation permet d'empêcher le contractant le plus compétent et le plus informé de profiter abusivement de l'incompétence et de l'ignorance de l'autre pour fournir une prestation ne répondant pas à l'attente légitime de ce dernier ou l'exposant à des dangers. Ce devoir d'information et de conseil concrétise l'obligation de loyauté qui est une règle fondamentale du droit des contrats , et qui s'applique à toutes les parties.

Si l'obligation de conseil mise à la charge du courtier dépend de l'aptitude du client à apprécier par lui-même son besoin d'assurance, à analyser et comprendre les garanties offertes par une police, et les diligences qu'il doit accomplir pour que cette garantie conserve son efficacité, il apparaît qu'en l'espèce, Monsieur [P] [V], né en 1928, et qui a exercé la profession de notaire jusqu'à sa retraite en 1997 , n'était pas pour autant un professionnel de l'assurance. Son âge au moment de la souscription du contrat ne dispensait pas la société LSN de remplir son devoir d'information et de conseil.

Le devoir d'information et de conseil est donc légalement et contractuellement à la charge du courtier d'assurance. Il convient ensuite de recherche si celui-ci a commis une faute et un préjudice avec un lien de causalité.

Dans le litige opposant la SCI LES DEUX LIONS à la compagnie HISCOX, le jugement rendu le 09 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Marseille a constaté l'acquisition de la prescription biennale et a estimé que :

- l'assureur, qui a reçu la déclaration de sinistre du 22 août 2008, avait confié au Cabinet

HUDAULT une expertise amiable le 26 août 2008, et que c'est à cette donc date que la prescription biennale devait courir ;

- les conditions générales étaient suffisamment claires et précises sur les règles applicables à la prescription et à son interruption ;

- le courrier adressé le 19 mars 2010 au courtier ne pouvait avoir pour effet d'interrompre la prescription biennale.

Par arrêt du 20 octobre 2016, rendu suite à l'appel interjeté par la SCI LES DEUX LIONS, la Cour d'appel d'Aix en Provence a confirmé la décision de première instance dans l'ensemble de ses dispositions.

Pour retenir la prescription biennale, la cour d'appel a relevé que ' les courriers dont la SCI LES DEUX LIONS et Monsieur [V] se prévalent par ailleurs comme interruptifs de prescription, celui du 19 mars 2010 et celui reçu le 10 mai 2010, ont été envoyé par la SCI et M. [V] à La Sécurité Nouvelle, qui est leur courtier d'assurance, et non à l'assureur, et la preuve de la transmission de ces courriers par la Sécurité Nouvelle à l'assureur, par lettre recommandée conformément aux exigences de l'article L 114-1 du Code des assurances, n'est pas rapportée, seule une lettre simple du 09 août 2010 de La Sécurité Nouvelle à Hiscox étant versée au débat'.

Il convient de reprendre la motivation de la cour d'appel en précisant que Monsieur [V] et la SCI LES DEUX LIONS ont adressé en lettre recommandée avec accusé de réception le 27 août 2008 une déclaration de sinistre. L'assurance a alors mandaté deux techniciens (le géotechnicien UNISOL et le cabinet ERIS).

Après le dépôt de leur rapport d'expertise, la société LSN indiquait à son assuré par courrier du 8 novembre 2020 que 'l'origine du sinistre provient d'une absence de système d'évacuation des eaux de toiture et de ruissellement, une absence de drainage en amont de la construction limitant le cheminement des eaux d'infiltrations vers la construction et des fuites de réseaux d'eaux usées amenant des circulations hydrauliques sous la construction, ces circulations d'eau étant génératrice de tassement de sol'.

La compagnie HISCOX refusait sa garantie.

La SCI LES DEUX LIONS demandait une contre-expertise , mais le 29 mars 2011, la société HISCOX indiquait que les opérations d'expertise étaient terminées et le sinistre était classé.

Or, le 19 mars 2010, la SCI LES DEUX LIONS a adressé un courrier recommandé à LSN- HISCOX ASSURANCES. Ce courrier a été transmis le 29 novembre 2010 par LSN à HISCOX, mais en lettre simple, ce qui pouvait priver d'effectivité ce courrier sur l'interruption de prescription.

De même, Monsieur [V] et la SCI DES DEUX LIONS ont écrit le 15 mai 2010 en lettre recommandée avec accusé de réception à LSN qui n'a pas transmis ce courrier en recommandé à l'assureur.

Enfin, le 09 août 2010, LSN a transmis à HISCOX en lettre simple, le courrier de la SCI LES DEUX LIONS demandant le report de la prescription .

LSN, en sa qualité de courtier aurait dû transmettre le courrier en lettre recommandée afin qu'il puisse utilement interrompre la prescription.

De même, LSN aurait dû signaler à ses clients l'expiration imminente du délai de prescription.

Il a été jugé ( Com., 2 février 2022, 19-18.704) que le courtier d'assurance, qui transmet à l'assureur la déclaration de sinistre remise par son client, est tenu, en sa qualité de guide sûr et de conseiller expérimenté, d'une obligation de conseil à l'égard de son client, profane des assurances, en ce qui concerne notamment l'écoulement de la prescription biennale ; d'autant plus que le contrat indiquait ' toute réclamation concernant ce contrat doit être adressé en premier lieu à votre courtier'

En conséquence de quoi, le défaut d'information étant établi , il faut déterminer l'existence d'un préjudice et un lien de causalité.

En l'espèce, le préjudice a consisté en l'impossibilité de mener à terme une action devant les juridictions du fond afin de voir la garantie CATASTROPHE NATURELLE indemniser les dommages, celle introduite par les intimés ayant été déclarée prescrite.

La réparation ne peut alors que prendre la forme d'une perte de chance et non coïncider avec le montant de la garantie qui aurait été due par l'assureur .

Il convient donc de déterminer si la garantie aurait été due.

Il ressort des pièces fournies que le sinistre a été déclaré suite à l'arrêté de catastrophe naturelle du 07 août 2008 , reconnaissant la commune de [Localité 3] comme en état de catastrophe naturelle pour les périodes de janvier à mars 2007 et de juillet à septembre 2007 en l'état de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

La police d'assurance couvrait ce risque.

Dans le cadre de la procédure de référé, l'expert [B] qui a été désigné a rendu son rapport et conclut page 36 que la sécheresse est bien à l'origine de tassements différentiels qui ont entraîné un mouvement de la partie aval de la construction . Il a estimé que la sécheresse est bien la cause déterminante du sinistre avec caractère direct, déterminant et inévitable'.

Le même expert écarte les conclusions du cabinet ERIS en estimant que 'en ce qui concerne les circulations d'eaux parasites, sous la construction, les investigations n'ont pas permis d'en rencontrer dans les trois fouilles , ni dans les deux sondages' . Il a précisé que le sol d'assise était bien protégé contre les eaux de pluie et a seulement conseillé de séparer l'évacuation des eaux de pluie des eaux usées.

Le bon fonctionnement du système d'évacuation des eaux de pluie de façades a également été constaté par l'huissier Me DUCOS dans son constat du 03 mai 2013.

Ainsi, Monsieur [V] et la SCI LES DEUX LIONS ont perdu une chance de voir indemniser leur préjudice au titre de la garantie CATASTROPHES NATURELLES, en application de l'article L 125-1 du code des assurances et du contrat.

Cette perte de chance, qui ne peut être qu'un fraction du préjudice, devra être indemnisée à hauteur de 80 % .

La SCI LES DEUX LIONS réclame la condamnation de la société LSN à lui payer, avec intérêts à compter depuis le 27/08/2008, les sommes suivantes :

Dommages matériels liés à l'état de catastrophe naturelle

Travaux de confortement des fondations de la partie aval 59.060 € HT et 70 872 € TTC

Travaux de confortement du mur de soutènement 9.132,64 € HT et 10 959.16 € TTC '

Travaux de réfection du réseau d'eaux usées 9.347,40 € HT et 11 216.88 € TTC '

Travaux de réfections des fissures, peintures et enduits 55.613,81 € HT et 66 736.57 € TTC

Dommages matériels liés aux travaux de déconnexion du réseau des eaux usées et de la canalisation des eaux pluviales

Travaux de mise en conformité de la canalisation d'eaux pluviales prise en charge par la SCI LES DEUX LIONS 8.780€ HT et 10 536€ TTC

JUGER que ces sommes seront indexées sur l'indice BT01 depuis la date du rapport d'expertise.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 17 000€ TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 2033.20 Euros correspondant aux honoraires de la SARL STRUCTURE & INGENIERIE et de 1773.67 euros correspondant aux honoraires de Monsieur [U], soit un total de 3 809.89 Euros TTC.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 27663.86 Euros correspondant aux honoraires d'expertise judiciaire.

CONDAMNER la société LSN à indemniser la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 2 222€ TTC correspondant aux frais de remise en état du marbre, chiffrage non retenu dans le devis de la société BVSUD retenu par l'expert

Il est réclamé la somme de 170.320, 61 € correspondant au chiffrage de l'expert ( pages 42 à 44 de son rapport) .

L'expert [B] chiffre les frais de reprise pour les dommages matériels résultant de l'état de catastrophe naturelle . Il précise page 42 que « les mouvements de terrain ont entraîné des défauts d'étanchéité du réseau d'eaux usées, arrivant et traversant le garage et des regards côté Ouest, l'apparition des fissures extérieures et intérieures et des préjudices de jouissance ».

L'expert évalue à la somme de 74.116, 84 TTC le total des confortements de la partie aval de l'habitation, en s'appuyant sur le travail du sapiteur qui préconise la méthode URETEK d'injection de résine expansive pour 59.060 euros HT soit 63.194, 20 euros (TTC ' TVA 7%) et Monsieur [B] y ajoute le coût de confortement du mur de soutènement suivant devis de 9132 euros HT soit 10.922, 64 euros ( TTC TVA 19, 6 %) de l'entreprise BV SUD CONSTRUCTION , selon les préconisations de Monsieur [E], ingénieur-structure intervenant en qualité de sapiteur.

L'expert établi le coût des travaux de réfection du réseau d'eaux usées à la somme de 9347, 40 euros HT soit 10.001, 72 euros TTC ( TVA à 7%) en se fondant sur le rapport de la SARL AXIS 3D de contrôle des réseaux souterrains.

Monsieur [B] chiffre le coût de réfection des fissures , peintures et enduits consécutifs aux tassements différentiels ayant entraîné le mouvement de la partie aval de la maison et diverses tensions de la partie nord et du mur de refend, selon devis BV SUD CONSTRUCTION à la somme de 64. 471 HT ( 68.984, 62 euros TTC ' TVA à 7 %) .

Il écarte le poste relatif au remplacement de la totalité du carrelage de la terrasse du séjour pour un montant de 8857, 80 euros HT indiquant que les désordres ne concernent qu'une fissure.

Il établi donc le montant total des travaux de réfection de fissures, peintures et enduite à la somme de 55.613, 81 euros HT ( 59.506, 78 euros TTC TVA 7 %)

L'expert décrit ensuite les dommages matériels non liés à l'état de catastrophe naturelle, déconnexion du raccordement des eaux pluviales du réseau d'eaux usées, qui a été fait en contradiction avec les règles de l'art.

Ce poste de préjudice n'avait pas de chance d'être indemnisé par le juge saisi de la demande d'application de la garantie catastrophe naturelle. La cour ne saurait donc faire droit à la demande au titre des travaux de mise en conformité de la canalisation d'eaux pluviales prise en charge par la SCI LES DEUX LIONS d'un montant de 8.780€ HT et 10 536€ TTC . Cette demande sera rejetée.

En actualisant les montants de TVA, les sommes indiquées ci -dessus doivent être portées à :

Travaux de confortement des fondations de la partie aval 70 872 € TTC

Travaux de confortement du mur de soutènement 10 959.16 € TTC

Travaux de réfection du réseau d'eaux usées 11 216.88 € TTC

Travaux de réfections des fissures, peintures et enduits 66 736.57 € TTC

soit un montant total de 159. 784, 61 euros TTC

A hauteur de 80 %, l'indemnisation sera portée à 127.827, 70 euros.

Cette somme consistant en la réparation d'une perte de chance, l'indexation des intérêts à l'indice BT 01 sera rejeté.

La société LSN sera donc condamnée à payer la somme de 127.827, 70 euros à la SCI LES DEUX LIONS au titre de la perte de chance.

Sur les autres demandes indemnitaires

En appliquant les principes ci-dessus dégagés, il convient de rechercher si les prétentions indemnitaires de la SCI LES DEUX LIONS avaient une chance d'aboutir devant les premiers juges.

Aucun élément ne permet d'abonder en ce sens en ce qui concerne les frais de maîtrise d''uvre, les frais de maîtrise d''uvre n'ont pas été retenus par l'expert et restent hypothétiques, s'agissant d'un chantier futur.

La demande de la SCI LES DEUX LIONS à hauteur de 2 222€ TTC correspondant aux frais de remise en état du marbre, chiffrage non retenu dans le devis de la société BVSUD. Il s'agit du poste que l'expert a retenu au titre de la réfection partielle de la terrasse. Cette somme devra être prise en considération au titre de la perte de chance, puisque validée dans son principe par l'expert, et justifiée par devis. A hauteur de 80 %, il convient de la fixer à la somme de 1777,60 euros et de condamner LSN à payer cette somme à la SCI LES DEUX LIONS.

Les honoraires de la SARL STRUCTURE & INGENIERIE seront indemnisés à hauteur de 80%, cette expertise ayant été nécessaire pour introduire la première instance. La somme de 3047,90 euros sera allouée.

La demande portant sur les frais d'expertise ayant été déclarée irrecevable, il n'y a pas lieu de statuer dessus.

Le montant total dû par la société LSN à la SCI LES DEUX LIONS s'élève donc à 127.827, 70€ + 1777, 60 € + 3047, 90 € soit : 132.653, 20 euros

En conséquence, la société LSN sera condamnée à payer à la SCI LES DEUX LIONS la somme totale de 132.653, 20 euros

Sur le préjudice de jouissance

La SCI LES DEUX LIONS réclame une somme de 47 600 € correspondant au préjudice de jouissance subi pendant la durée des travaux et depuis le sinistre.

L'expert a indiqué en page 42 de son rapport que 'ces mouvements de terrain ont entraîné des défauts d'étanchéité du réseau d'eaux usées, arrivant et traversant le garage et des regards côté Ouest, l'apparition des fissures extérieures et intérieures et des préjudices de jouissance. Les coûts induits sont donnés hors préjudice de jouissance'.

L'expert reconnaît donc l'existence d'un préjudice de jouissance mais n'en évalue pas le montant.

La cour se reporte dès lors à l'appréciation des premiers juges à 20.000 euros pour un préjudice survenu en 2009 . Aucun élément ne vient justifier que ce préjudice perdure.

Le préjudice de jouissance sera indemnisé à hauteur de 20.000 euros.

La décision sera donc infirmée sur le montant des dommages et intérêts alloués, une perte de chance à hauteur de 100 % ayant été retenue par les premiers juges .

Sur l'article 700

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner la société LSN à payer la somme de 5000 euros au titre de la procédure d'appel

Sur les dépens

La société LSN succombant en la présente instance, il y a lieu de la condamner aux dépens de la procédure d'appel, ceux-ci s'ajoutant à ceux de première instance.

Les dépens ne peuvent pas comprendre les frais d'expertise, sur lesquels il a été statué ci-dessus, ni les constats d'huissiers.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,  

DECLARE irrecevable la demande indemnitaire sur les frais d'expertise de monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS, car présentée pour la première fois en cause d'appel

DECLARE irrecevable la demande subsidiaire sur la responsabilité délictuelle du courtier de monsieur [P] [V] et la SCI LES DEUX LIONS, car présentée pour la première fois en cause d'appel

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 15 mars 2018 ( RG 16/13358)

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT

DECLARE la société LSN entièrement responsable du préjudice subi par Monsieur [V] et la SCI LES DEUX LIONS né du manquement à son obligation contractuelle de devoir d'information et de conseil

DIT que la SCI LES DEUX LIONS a subi une perte de chance et la fixe à 80 %

CONDAMNE LSN à payer à  LA SCI LES DEUX LIONS la somme totale de 132.653, 20 euros

se décomposant ainsi :

- 127.827, 70 € au titre des dommages matériels résultant de l'état de catastrophe naturelle

- 1.777, 60 euros au titre des frais de remise en état du marbre

- 3.047, 90 euros au titre des honoraires de la SARL STRUCTURE & INGENIERIE

CONDAMNE la société LSN à payer à  LA SCI LES DEUX LIONS la somme de 20.000 euros au titre du préjudice de jouissance

REJETTE les autres demandes indemnitaires de la SCI LES DEUX LIONS

CONDAMNE la société LSN à payer à la SCI LES DEUX LIONS la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile d'appel

CONDAMNE la société LSN aux entiers dépens de première instance et d'appel

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022,

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 18/07105
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;18.07105 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award