La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/12/2022 | FRANCE | N°19/03469

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 02 décembre 2022, 19/03469


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 02 DECEMBRE 2022



N°2022/211



RG 19/03469

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD32W







[D] [I] épouse [P]





C/



Association POUR LES FOYERS ET ATELIERS D'HANDICAPES











Copie exécutoire délivrée le 02 décembre 2022

à :



- Me Alexandra MARY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE







- Me Marie-dominique POINSO-POURTAL,

avocat au barreau de MARSEILLE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 20 Février 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 12/950.





APPEL...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 02 DECEMBRE 2022

N°2022/211

RG 19/03469

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD32W

[D] [I] épouse [P]

C/

Association POUR LES FOYERS ET ATELIERS D'HANDICAPES

Copie exécutoire délivrée le 02 décembre 2022

à :

- Me Alexandra MARY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Marie-dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 20 Février 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 12/950.

APPELANTE

Madame [D] [I] épouse [P], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Alexandra MARY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Association POUR LES FOYERS ET ATELIERS D'HANDICAPES, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Marie-dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Cyril VILLATTE DE PEUFEILHOUX, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargéE d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2022.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

L'Association pour les Foyers et Ateliers des Handicapés dite AFAH a embauché Mme [D] [P], selon lettre d'engagement du 1er juin 1988, afin d'occuper les fonctions de psychologue à mi-temps, coefficient 410, la relation étant régie par la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966. La salariée était affectée au CAT [5].

A compter du 1er cotobre 1990, le contrat de travail a été porté à temps plein.

Par lettre recommandée du 1er juin 2012, Mme [P] épouse [I] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 18 juin suivant puis licenciée pour motif économique par courrier du 10 juillet 2012.

Auparavant soit le 16 avril 2012, Mme [I] avait saisi le conseil de prud'hommes de Marseille notamment aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Selon jugement du 20 février 2015, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Le conseil de la salariée a interjeté appel par déclaration du 5 mars 2015.

L'affaire a été radiée par arrêt du 17 février 2017 et réinscrite sur conclusions du 15 février 2019 de l'appelante.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 27 septembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions reprises oralement, Mme [I] demande à la cour de :

«Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Juger que Mme [I] a été victime d'une situation de harcèlement moral à compter du 1er juin 2009, dont elle a informé en vain son employeur.

Juger que l'AFAH a eu un comportement lourdement répréhensible, du fait de ce harcèlement moral, rendant impossible la poursuite de l'exécution du contrat de travail.

En sorte de quoi, dire à titre principal, il convient de juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'intimée est fondée et qu'elle devra s'analyser en un licenciement nul.

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour ne retenait pas la demande de résiliation judiciaire, elle ne pourra que prononcer le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement économique signifié le 10 juillet 2012 et la violation par l'AFAH des dispositions relatives aux critères d'ordre des licenciements.

Juger que le motif économique avancé n'était pas avéré.

Juger que l'AFAH a manqué à son obligation de reclassement.

Juger qu'elle s'est, fautivement, abstenue de respecter les stipulations conventionnelles visant à l'information et à la consultation des délégués du personnel.

Juger qu'elle a violé les dispositions relatives aux critères d'ordre des licenciements.

La condamner, en conséquence, au paiement de la somme de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Si par extraordinaire le défaut de cause réelle et sérieuse nétait pas retenu, condamner l'AFAH au paiement de 400 000 euros à raison de la violation des dispositions relatives aux critères d'ordre des licenciements.

En tout état de cause,

La condamner au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'indemnité due au titre de l'article 700 du code de procédure civile .»

Dans ses dernières écritures développées lors de l'audience, l'AFAH demande à la cour de :

Dire et juger totalement infondée la demande de résiliation judiciaire, Mme [I] ne rapportant pas le moindre commencement de preuve de ce qu'elle aurait été victime d'agissements de harcèlement moral ou encore que son contrat de travail aurait été unilatéralement modifié.

Dire et juger que le licenciement pour motif économique de Mme [I] est parfaitement justifié et repose sur une cause réelle et sérieuse.

Dire et juger qu'aucun manquement au titre des critères d'ordre ne saurait être reproché, Mme [I] étant la seule de sa catégorie professionnelle à être licenciée.

Confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions.

Débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner Mme [I] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par la greffière à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce (avant le 10 août 2016) prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [I] explique que son époux était directeur de la structure pour la période du 1er mai 1982 au 30 mai 2009, date de son départ en retraite et que dès l'instant où une nouvelle direction est intervenue au sein de l'établissement, elle a constaté :

- une nette dégradation du climat social et une prise à partie contre elle par le nouveau directeur M.[A] et l'assistant de gestion M. [J],

- une mise à l'écart du reste du personnel, une éviction des réunions, rendant impossible l'exercice de son activité, ses tâches étant vidées de toute leur substance, ce qu'elle a dénoncé,

- des attitudes agressives, brutales et déstabilisantes : bureau déménagé quand elle est en congés, sommation de ramener les clés d'un ancien véhicule, privation du droit de suivre une formation,

- une modification de son contrat de travail par la suppression de 21 jours de repos,

- un refus de répondre à ses courriers qui dénoncent des dysfonctionnements et l'inquiétude des usagers,

- des accusations d'être l'auteur de lettres anonymes à l'ARS.

Elle indique que l'ensemble de ces faits ont eu des répercussions sur son état de santé.

A l'appui, l'appelante produit les pièces suivantes :

- sa lettre du 01/09/2009 adressée au président, dénonçant un climat social et un fonctionnement du centre dégradés depuis le 1er juin 2009, (pièce n°10)

- sa lettre du 08/09/2009 à Mme [H] (') dénonçant l'absence de réponse de M. [G], «pourtant au courant de ts ces agissements, y compris des comportements de harcèlement moral de Mr [A] à mon encontre (violence verbale, mise à l'écart, refus de formation)», (pièce n°11)

- une attestation du Dr [V] , psychiatre lequel «certifie avoir assisté depuis juin 2009 à la dégradation du climat social, de la situation économique et à la dérive du projet institutionnel de l'Esat [5].

La baisse de l'activité n'a pas été sans conséquence sur la prise en charge des travailleurs handicapés accueillis et les a conduits à se poser de légitimes questions sur leur avenir, leur insertion professionnelle et l'existence même de l'ESAT.

Malgré plusieurs interventions il n'a pas été possible de discuter ni de palier aux défaillances évidentes de la direction qui s'est souvent contentée d'un déni. Dans ce contexte difficile, la recherche de boucs émissaires, la disqualification notamment de la psychologue, Madame [I], ont été la réponse facile.

Madame [I] comme moi-même n'avons jamais été associés ni consultés sur l'élaboration d'un nouveau projet pour l'ESAT ; en tant que psychologue, elle n'a été que rarement associée à l'affectation des travailleurs handicapés dans tel atelier interne ou en entreprise et cela a été parfois préjudiciable pour le travailleur handicapé.

Par ailleurs, Madame [I] a été injustement mise en cause lorsque les travailleurs handicapés constatant l'absence de réponse de la part de leur direction, ont décidé de s'adresser aux administrations de tutelles.

La manière avec laquelle elle a été interpellée est inadmissible.

Aujourd'hui, il semble que la solution à la situation préoccupante de l'ESAT, à la crise de confiance frappant le personnel et travailleurs handicapés, à l'abandon du projet initial de l'ESAT, à la perte de crédibilité de l'institution auprès des services de psychiatrie de [Localité 6], soit la suppression du poste d'un psychologue à un moment où la psychologue avait toute sa place » (pièce n°6)

- le témoignage d'un moniteur d'atelier M. [F] qui confirme la mise à l'écart de la psychologue de toute concertation et réunion relative aux projets d'affectation des usagers dans les ateliers et indique que «lors d'une réunion de mise au point très virulente, en septembre 2011, des insinuations et menaces à peine voilées à l'encontre du personnel et plus particulièrement de Mme [I] quand à son manque d'intervention» (pièce n°5),

- le témoignage sur les mêmes faits de Mme [S], moniteur d'atelier (pièce n° 7),

- une attestation du 2 mai 2012, de M. [U], actionnaire d'une société, ayant constaté depuis juin 2009, une dégradation des conditions de travail à l'ESAT, précisant que Mme [I], la psychologue qui était une de ses interlocutrices principales, «a été de plus en plus écartée de la prise en charge qui lui incombait» (pièce n°4),

- une note manuscrite du directeur datée du 17 juin 2009 précisant «il faut que tu ramènes les clefs de la 406 et les papiers», (pièce n°8),

- une lettre de Mme [I] au syndicat FO joignant le courrier envoyé à la direction le 31/08/2010 relatif à son compte épargne temps et à ses demandes de formation (pièce n°12),

- un mail du 11/06/2009 adressé par M. [C] au directeur M. [A] lui demandant de confirmer à Mme [I] que «désormais, elle effectue 35h semaine (comme l'ensemble des psycho AFAH) réparti comme suit... et qu'en conséquence elle ne bénéficie plus des jours de RTT à compter du 01/06/09» (pièce n°13)

- sa lettre du 11/01/2011 adressée à l'inspection du travail, demandant son intervention, quant à l'absence de formation accordée, la perte de son statut concernant le CET, un traitement particulier par le déménagement de son bureau en son absence, son confinement dans un espace restreint, le non renouvellement du matériel amorti (pièce n°14),

- la réponse de l'inspection du travail du 10 juin 2011(pièce n°15),

- un certificat d'un médecin acupuncteur lequel certifie avoir reçu en consultation Mme [I] le 17 avril 2012 : «elle présentait un état d'anxiété suite, disait-elle, à des pressions professionnelles», précisant lui avoir prescrit des anxyolitiques, des antidépresseurs, un somnifère, un arrêt de travail et l'avoir adressé à un psychiatre».(pièce n°18).

Tant la salariée que les auteurs des attestations produites par elle s'expriment en termes généraux, sans citer de dates précises quant aux réunions auxquelles Mme [I] n'aurait pas été conviée sur la période 2009-2012, ou de projets déterminés dont elle aurait été exclue.

Par ailleurs, la salariée ne donne aucun élément précis concernant des tâches subalternes qui lui auraient été confiées et à quelle date, n'apporte aux débats aucun élément concret concernant la perte de substance de ses tâches dès septembre 2009, ou d'exemples venant corroborer l'impossibilité avancée d'exercer ses fonctions. Dès lors, la mise à l'écart invoquée ne peut être retenue.

Pour le reste, la salariée établit l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble pourraient permettre de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur considère que Mme [I] ne démontre aucun agissement répété de juin 2009 à avril 2012, rappelant que le comité d'établissement, l'inspection du travail et la médecine du travail n'ont pas confirmé les dires de la salariée lorsqu'ils ont été questionnés sur les prétendus faits de harcèlement.

Il conteste la mise à l'écart invoquée, présentant la note sur les fonctions de la psychologue comme démontrant l'importance du rôle confié à Mme [I].

Il indique que la salariée était installée dans le bureau du directeur sans autorisation et s'est refusée à réintégrer son bureau initial de sorte qu'il a dû demander à un moniteur de l'aider à déménager les affaires de Mme [I].

Il dénie une confiscation des clefs de l'établissement, la salariée en ayant disposé jusqu'à son départ.

Il admet une formulation maladroite auprès de Mme [I] concernant la voiture alors qu'il aurait dû l'adresser à son époux.

Il conteste les affirmations erronées de la salariée concernant une absence de formation.

Il rappelle que dans sa réponse, l'inspection du travail a estimé que la situation invoquée par Mme [I] concernant l'absence de CET à compter de juin 2009, n'avait généré aucune modification de son contrat de travail.

Il estime sujettes à caution les attestations de MM [U] et [F] s'agissant des propos diffamatoires sur la précédente direction tels que rapportés par eux, comme celle de la monitrice, laquelle était en procédure avec l'association.

Il indique qu'à aucun moment le comportement de Mme [I] n'a été stigmatisé comme étant l'auteure de lettres anonymes mais qu'il était du devoir du président de l'association de sensibiliser chacun et qu'il appartenait à Mme [I] en sa qualité de psychologue de rassurer les travailleurs handicapés, ce qui n'a pas été le cas.

L'AFAH produit aux débats notamment les pièces suivantes :

- les procès-verbaux du comité d'établissement groupés de 2010 à 2012 (pièces n°34 à 47),

- les courriers adressés à cet organe, à l'ARS, à l'inspection du travail et à la médecine du travail en avril, mai et juin 2012 (pièces n°6 à 14),

- la note co-signée le 15/09/2009 laquelle «fait suite à des échanges constructifs portant sur le rôle, la fonction et les attendus du psychologue», décrivant ses tâches, et précisant notamment dans ses activités connexes sa «participation aux réflexions et études préalables portant sur l'amélioration des conditions de travail» ainsi qu'aux réunions de direction (pièce n°15),

- l'attestation du directeur M. [A] (pièce n°16),

- le mail de M. [C] et la note manuscrite d'octobre 2012, relative aux clefs de l'établissement (pièces n°17 et 18),

- des justificatifs de formations et congrès (pièce n°19),

- des courriers adressés à M. [U] (pièces n°20 et 21),

- les plaintes déposées à la suite des lettres anonymes classées sans suite (pièce n°22).

La cour relève que les faits de harcèlement moral dont Mme [I] s'estimait victime de la part du directeur n'ont été dénoncés qu'une seule fois par lettre simple du 8 septembre 2009, à Mme [H] dont on ignore la fonction et le statut, puis dans le cadre de la saisine du conseil de prud'hommes de Marseille le 16 avril 2012, de sorte que l'on ne saurait reprocher à l'employeur de n'avoir pas diligenté une enquête par le biais du CHSCT.

C'est dans l'exercice de son pouvoir de direction que l'employeur a pu demander à Mme [I] puis lui a imposé de réintégrer son bureau en septembre 2009, la salariée ne déniant pas s'être installée dans le bureau du directeur qui était son mari et qui était parti en retraite en mai 2009.

L'employeur convient de la maladresse de la note concernant le véhicule utilisé par son mari et non restitué à son départ qui aurait dû être adressée à ce dernier mais la cour relève l'absence de toute mention agressive ou brutale dans ce document.

Il est manifeste que du fait de sa situation matrimoniale, Mme [I] a bénéficié pendant plusieurs années d'un régime de faveur, lui ayant permis d'avoir des RTT et un compte CET.

En effet, l'inspection du travail indique dans sa lettre : « Votre contrat de travail ne prévoit aucune disposition quant à la durée légale et aux horaires de travail qui vous sont applicables. L'accord d'entreprise du 29 décembre 1999 conclu pour encadrer le passage de la durée légale de 35 heures prévoyait 21 jours de repos pour les cadres de direction et les cadres non soumis à un horaire préalablement défini. Pour ces derniers cadres, l'accord prévoyait que l'information figurait dans le contrat de travail initial ou dans un avenant (...).

Le Directeur de l'ESAT [5] précédant Monsieur [A], vous a appliqué le régime prévu pour les cadres de direction et les cadres non soumis à un horaire préalablement défini, sans qu'un avenant au contrat de travail ne confirme l'application de ce régime à votre situation.(...)

A ce jour, au sein de l'AFAH, seuls les directeur et les chefs du service éducatif sont considérés comme

n'ayant pas d'horaires définis. (...)

L'ensemble des autres cadres sont soumis aux horaires collectifs.»

Dès lors que comme rappelé par l'inspection du travail dans sa lettre du 10 juin 2011 sus-visée, et notifié par le président de l'association dans son mail du 11 juin 2009, il a été appliqué à Mme [I] à compter de juin 2009 le même régime qu'aux autres psychologues par référence à l'accord d'entreprise, la décision de l'employeur était justifiée par des éléments objectifs étrangers à un agissement de harcèlement moral.

S'agissant des refus de participation à des congrès prévus dans le plan de formation ou de l'absence de réponse à ses demandes de formation, l'inspection du travail dans sa lettre du 10 juin 2011, fait observer à la salariée qu'elle a obtenu une formation récemment.

L'employeur produit de nombreux documents relatifs à des frais de déplacement notamment pour des congrès concernant Mme [I] aux dates suivantes : 16 mars 2009, 29 mai 2009, 5 & 6 juin 2009, 20 et 21 mai 2011, 15 décembre 2011.

Dans la mesure où Mme [I] n'apporte aux débats aucune pièce concernant des formations à des dates précises qu'elle n'a pas obtenues par refus ou absence de réponse, la salariée indiquant elle-même que pour 2010, il avait été évoqué un problème de trésorerie, il n'est pas caractérisé un agissement de harcèlement moral.

L'association démontre que l'établissement a été victime déjà en 2007 de courriers mettant en cause son fonctionnement ayant donné lieu à une plainte. Elle a réitéré une plainte le 29 juillet 2010 à la suite de courriers de novembre 2009 et fait état dans sa plainte du 25 avril 2012, pour dénonciation calomnieuse de courriers anonymes intervenus également en 2011 adressés aux autorités de tutelle.

Il est manifeste que ceux-ci ont contribué à une ambiance délétère et à un climat de suspicion mais il ne résulte d'aucun élément une mise en accusation de Mme [I], les reproches adressés à cette dernière lors d'une réunion en septembre 2011 consistant - selon les attestations même des moniteurs - en un déficit d'intervention de la part de la psychologue, face aux inquiétudes des travailleurs handicapés, ce grief ne pouvant être assimilé à un acte de harcèlement moral.

La cour relève que Mme [I] n'a pas reçu de réponse à ses alertes faites en 2009 auprès du président de l'association et de l'inspection du travail, concernant les dysfonctionnements de l'établissement, la lettre de réponse de 2011 produite par la salariée se révélant tronquée.

Par ailleurs, il ressort d'un courrier du délégué territorial de l'ARS adressée à Mme [I] le 21 mai 2012, qu'une inspection a été diligentée en novembre et décembre 2011 dans l'établissement, mais l'auteur de la lettre mettait en garde la salariée de ne pas préjuger des conclusions de cette mission.

Or, l'association apporte aux débats les procès-verbaux des trois établissements groupés (CEG) notamment celui du 24 mars 2011faisant état depuis deux ans d'une situation difficile pour les salariés et les moniteurs par manque d'activité, à la suite de la perte de deux contrats importants, celui du 3 mai 2011, indiquant un progrès constant malgré le déficit laissé, et celui du 9 octobre 2012, indiquant la fin de l'activité palettes en raison d'un conflit avec le client (M. [U]) pour des problèmes de facturation.

Le procès-verbal du 12 décembre 2011 relate une inspection de l'ARS imposante et complète, rappelle que les observations ont porté notamment sur un manque de cohésion de moniteurs faute d'une personne pour les encadrer et celui du 15 mars 2012 reprend les recommandations et injonctions de l'ARS sur le fonctionnement, amenant à modifier différents points dont le temps de travail de la psychologue.

L'ensemble de ces éléments objective des difficultés de la structure liées en partie à une mauvaise gestion antérieure, ayant eu des effets sur les travailleurs handicapés comme sur le personnel dont les moniteurs, par l'absence d'activité contrôlée.

L'employeur démontre ainsi que les faits invoqués par Mme [I] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les demandes relatives au harcèlement et au licenciement doivent par conséquent être rejetées.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

La salariée a fondé sa demande exclusivement sur des faits de harcèlement moral que la cour ne retient pas.

Il convient de préciser que le fait invoqué d'une modification du contrat de travail a été englobé comme participant du harcèlement moral.

Outre le fait que la salariée n'a jamais fait de demande distincte d'indemnité pour la perte de jours de repos tant auprès de l'employeur, après la lettre de l'inspection du travail du 10 juin 2011, que dans le cadre judiciaire, la cour considère que l'employeur a respecté l'accord d'entreprise, n'a pas modifié le contrat de travail de Mme [I] et n'avait dès lors pas à recueillir l'accord exprès de la salariée.

En conséquence, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de résiliation judiciaire.

Sur le bien fondé du licenciement

Il résulte de l'article L.1233-16 du code du travail que la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur. Les motifs énoncés doivent être précis, objectifs et matériellement vérifiables, et la lettre de licenciement doit mentionner également leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 10 juillet 2012 a été rédigée ainsi :

«(...) Au cours de cet entretien nous souhaitions échanger avec vous sur les difficultés économiques rencontrées par l'ESAT [5] et sur les faits suivants :

- les déficits engendrés par les budgets alloués par l'Agence Régionale de l'Hospitalisation (ARS) inférieurs aux charges réelles de fonctionnement.

Au niveau de l'ESAT [5] les déficits cumulés et dépenses non opposabies aux financeurs s'élèvent à 372 301 € au 31 décembre 2011 soit 63 % des produits de la tarification 2012,

- la mise en place par le Ministère de la Solidanté de tarif plafond : ainsi pour l'ESAT [5] le coût alloué par place 2011 s'élevait à 15 462 € pour un tarif plafond de 12 840 €.

Ce coût à la place supérieur de 20 % au tarif plafond a eu pour conséquence la diminution de 1 % du budget alloué 2011 par rapport au budget alloué 2010, la diminution de 2.5 % du budget alloué 2012 par rapport au budget alloué 2011.

Cette réduction des crédits alloués devrait s'accroitre pour les années à venir.

Sans réorganisation pour réduire nos coûts de fonctionnement, nous estimons à 67 109€ le déficit prévisionnel 2012,

- l'injonction de l'ARS, suite á l'inspection des 23 et 24 novembre et 1er décembre 2011 de reconsidérer le temps de travail de la Psychologue.

Cette situation rendant nécessaire la modification de votre contrat de travail, c'est ainsi que nous vous avons proposé le 13 mars 2012 de modifier votre contrat de travail dans les conditions suivantes :

- réduction à 50 % de votre temps de travail et de la rémunération correspondante soit respectivement 75h50 mn et 1 855,04 € mensuels.

Votre horaire de travail serait alors le suivant :

Lundi 9h -12 h et 13h -17h, Mardi 9h -12h, Jeudi 8h30 -12h et 13h -17h

- l'exercice de vos fonctions au sein du Pôle Médico-social "Handicap Psychique" des Etablissements [7] - [Adresse 1], Pôle destiné à l'accueil et au suivi des personnes atteintes d'un handicap psychique au sein des Etabbssements de l'AFAH,

- déplacements auprés de l'ESAT [5] et auprès de nos partenaires institutionnels, vous utiliserez pour ce faire un véhicule de service.

Par votre courrier du 13 avril 2012 vous nous avez informés de votre refus pour cette proposition et vous n 'êtes à ce jour toujours pas revenue sur votre décision.

Dans le cadre de notre obligation légale de rechercher une solution de reclassement interne, nous vous avons alors proposé d'occuper un poste d'Educatrice en Internat à la MAS [Adresse 4], seul poste disponible au sein de notre Association, mis à part le poste de Psychologue á mi-temps préalablement proposé et que nous vous confirmons être à ce jour également toujours disponible.

Par message électronique du 14 juin 2012 et suite à nos différents échanges, vous nous avez indiqué être finalement intéressée par le Poste d'Educatrice en Internat que nous vous avions proposé.

Nous vous avons transmis le 19 juin 2012, l'avenant à votre contrat de travail que vous nous aviez demandé, vous remerciant de bien vouloir le renvoyer signé avant le 30 juin 2012, vous précisant qu'à défaut nous considérerions qu'il s'agirait là d'un refus et que nous serions alors contraints de poursuivre la procédure en cours ne disposant, comme il vous l'a été dit, d'aucune autre solution de reclassement disponible.

Par message électronique du 2 juillet 2012, vous nous avez informés de votre reprise de travail à compter du 23 juillet 2012.

Nous vous avons répondu le 4 juillet 2012 : 'bien évidemment nous allons prendre rendez-vous avec le médecin du travail pour votre visite médicale de reprise, mais d'ores et dejà nous vous attendons le lundi 23 juillet 2012 à 9 heures pour occuper votre nouveau poste : Educatrice en Internat à la MAS [3].

Toutefois pour éviter toute difficulté, n'ayant pas reçu de réponse à notre lettre du 19 juin 2012 vous fixant comme date limite de réponse le 30 juin 2012 pour ce nouveau poste, et à défaut de confirmation officielle avant le 9 juillet 2012, nous serons dans l'obligation de considérer que vous avez refusé notre proposition et en tirerons toutes conséquences que de droit.

Vous nous avez fait parvenir par courrier électronique le 6 juillet 2012, votre réponse : 'En réponse à votre courrier du 19/06/2012 comprenant le contrat de travail du poset d'éducatrice d'internat à la MAS [3] ce dont je vous remercie, après examen détaillé par notre conseil, outre la diminution substantielle de salaire, il apparaît un point très dommageable mais essentiel à ce moment de ma carrière, la perte du statut de cadre".

Vous n avez pas accepté nos propositions de reclassement qui constituaient comme vous le savez les seules alternatives existantes.

Nous sommes par conséquent aujourd'hui contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.(...)».

La salariée soutient que l'AFAH ne pouvait fonder le licenciement sur une injonction de l'ARS, constatant au demeurant que le courrier du 28 mars 2012 ne prévoit pas de réduire le temps de travail de la psychologue ou la suppression de son poste.

Elle fait valoir que la réalité des difficultés économiques invoquées n'est pas avérée en l'état du recrutement simultané d'un responsable de production.

Elle considère en outre que l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au niveau de l'association, relevant un résultat global positif de 583 221 euros.

Elle reproche enfin à l'employeur de n'avoir pas respecté les dispositions conventionnelles de l'article 19 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413) concernant la consultation des délégués du personnel, précisant que la décision déférée ne s'est pas prononcée de ce chef.

L'employeur soutient qu'il n'a pas fondé sa décision sur la seule injonction de l'ARS mais également sur les difficultés économiques de l'ESAT, lesquelles ne peuvent être contestées au vu des pièces produites (budgets prévisionnels, rapports de gestion), rappelant qu'il est impossible pour l'association qui gère plusieurs établissements de compenser les déficits des uns par les excédents des autres.

Elle estime dès lors qu'une réorganisation était nécessaire et qu'aucun vice de procédure ne peut être invoqué, les élus ayant été parfaitement informés de la procédure envisagée.

Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi.

La rupture résultant du refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, imposée par l'employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement économique.

La cour constate que par la production des procès-verbaux du CEG notamment des 15 mars, 10 mai et 17 juillet 2012, l'employeur a informé les organes représentatifs de la situation concernant l'Esat [5] et notamment de la réduction du temps de travail de la psychologue à 30 % au sein de l'établissement, des propositions faites à Mme [I] et enfin du refus de cette dernière entraînant un licenciement économique, de sorte qu'il n'existe pas de vice de procédure, aucune autorisation expresse n'étant prescrite par le texte conventionnel.

Si les difficultés économiques de l'établissement ne peuvent être niées, la cour constate que l'appréciation de ce critère comme celui de la réorganisation doit se faire au niveau de l'entreprise soit en l'espèce l'association regroupant d'autres établissements et que dès lors, le motif économique n'était pas justifié, étant précisé que le refus de Mme [I] du poste de reclassement proposé n'était pas illégitime.

Aussi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués tels l'obligation de reclassement, la cour dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée (24 ans), d'un salaire mensuel brut de 3 710,08 euros mais de l'absence de tout élément concernant sa situation postérieure, il convient de fixer son indemnisation à la somme de 30 000 euros.

Il convient d'appliquer la sanction prévue à l'article L.1235-4 dans la limite d'un mois.

Sur les autres demandes

L'intimée qui succombe doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et payer à Mme [I] à ce titre, la somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré dans ses seules dispositions relatives au rejet de la demande de résiliation judiciaire pour harcèlement moral et modification unilatérale du contrat de travail et ses conséquences financières,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit le licenciement économique dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l'Association pour les Foyers et Ateliers des Handicapés dite AFAH à payer à Mme [D] [I] :

- la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement non causé,

- celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par l'AFAH à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite d'un mois,

Dit qu'à cette fin, une copie certifiée conforme de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi, par le greffe,

Condamne l'AFAH aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/03469
Date de la décision : 02/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-02;19.03469 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award