COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 01 DECEMBRE 2022
N°2022/454
N° RG 21/16325
N° Portalis DBVB-V-B7F-BINMH
[Y] [F] épouse [J]
Compagnie d'assurance MACIF
C/
Organisme CPCAM DES BOUCHES DU RHONE
Copie exécutoire délivrée le :
à :
-SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE
-SELARL LESCUDIER & ASSOCIES
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX EN PROVENCE en date du 28 Octobre 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 16/03322.
APPELANTES
Madame [Y] [F] épouse [J]
Appelante et intimée :
née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Marie PIVOT, avocat au barreau de NANCY, plaidant.
Compagnie d'assurance MACIF
Appelante et intimée :
demeurant [Adresse 1]
représentée et assistée par Me Roland LESCUDIER de la SELARL LESCUDIER & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, postulant et plaidant.
INTIMEE
CPCAM DES BOUCHES DU RHONE,
Assignation en date du 15/12/2021 à personne habilitée. Signification de conclusions et de DA avec assignation en date du 26/01/2022 à personne habilitée. Signification de conclusions le 25/03/2022 à personne habilitée. Signification de conclusions avec assignation en date du 07/06/2022 à personne habilitée. Significatioon de conclusions avec assignation en date du 08/08/2022 par voie électronique,
demeurant [Adresse 3]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, et Madame Anne VELLA, Conseillère, chargés du rapport.
Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022,
Signé par Madame Anne VELLA, Conseillère, pour le président empêché et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé des faits et de la procédure
Mme [Y] [F] épouse [J] expose que le 20 août 2014, alors qu'elle revenait de son lieu de travail sur son deux-roues, elle a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par M. [W] [L], assuré auprès de la mutuelle assurance des commerçants et industries de France (MACIF), qui lui a laissé de sévères blessures.
M. [L] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence qui a rendu une décision de relaxe à son profit.
Par actes des 27 avril 2016 et 19 mai 2016, Mme [J] a fait assigner la MACIF devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel, et ce en présence de la CPAM des Bouches du Rhône.
Selon jugement du 9 novembre 2017 le tribunal a :
- dit que Mme [J] n'a pas commis de faute,
- dit que son droit à indemnisation est entier,
- condamné la MACIF à lui payer la somme provisionnelle de 40'000€,
- ordonné une expertise confiée au professeur [I].
L'expert a déposé son rapport définitif le 30 avril 2020.
M. [K] [J], époux de la victime est intervenu volontairement à l'instance en sollicitant l'indemnisation de son préjudice d'affection et celui en lien avec des troubles dans ses conditions d'existence.
Par jugement du 28 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, cette juridiction a :
- dit que le droit à indemnisation de Mme [J] est entier sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 ;
- fixé à la somme de 540'673,54€ la réparation de son préjudice corporel avant déduction des provisions déjà perçues d'un montant de 40'000€ ;
- condamné la MACIF à payer à Mme [J] la somme de 500'673,54€ à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- condamné la MACIF à payer à M. [J] la somme de 30'000€ à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'affection et des troubles dans les conditions d'existence, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- condamné la MACIF à payer à M. et Mme [J] la somme de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Après avoir constaté que le droit à indemnisation intégrale n'est pas contesté, le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
- dépenses de santé pris en charge par l'organisme social : 119'948,23€
- dépenses de santé actuelles restées à la charge de la victime : 432,50€
- perte de gains professionnels actuels : rejet, le montant des indemnités journalières perçues et des maintiens de salaire à hauteur de 114'594,44€ couvrent la totalité de la perte de gains professionnels évaluée à 101'079,85€ sur la base d'un salaire net mensuel de 1685,54€ augmenté de 2 % chaque année,
- frais de déplacement : 9735,75€
- frais d'assistance par tierce personne : 23'976€ en fonction d'un coût horaire de 18€
- dépenses de santé futures : 35'980€, sous déduction des frais futurs prévus par l'organisme social à hauteur de 17'664,04€, soit 18'315,96€ revenant à la victime
- perte de gains professionnels futurs : 251'293,80€, en fonction d'un revenu de référence de 2685,54€ et une capitalisation viagère pour une femme âgée de 59 ans et qui accédera à la retraite à l'âge de 67 ans, sous déduction de la rente accident du travail d'un montant de 85'795,78 et donc 165'498 02€ revenant à la victime
- incidence professionnelle : 56'263,75€, montant calculé sur la base d'un SMIC, d'un déficit fonctionnel permanent de 30 % et du taux de l'euro pour une femme de 52 ans à l'accident avec un âge de départ à la retraite à 67 ans
- frais de logement adapté : 2500€, somme d'ores et déjà versée
- frais de véhicule adapté : 3992€
- assistance par tierce personne permanente : 121'122,56€ sur la base d'un coût horaire de 20€
- déficit fonctionnel temporaire : 18'237€ sur une base mensuelle de 750€
- souffrances endurées : 30'000€
- préjudice esthétique temporaire : 2000€
- déficit fonctionnel permanent : 65'100€ sous déduction des arrérages du capital représentatif de la rente,
- préjudice d'agrément : 8000€ au titre de l'impossibilité de pratiquer la gymnastique et la motocyclette
- préjudice esthétique permanent : 8000€
- préjudice sexuel : 10'000€.
Par acte du 22 novembre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la MACIF a interjeté appel de cette décision, uniquement dirigée à l'encontre de Mme [J], sur les postes de perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle, et sur les frais irrépétibles alloués.
Par acte du 14 décembre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme [J] a interjeté appel de cette décision qui lui a alloué la somme de 500'673,54€ à titre de dommages-intérêts après déduction de la provision allouée avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en la déboutant de ses autres demandes.
Les procédures ont fait l'objet d'une jonction selon ordonnance du magistrat de la mise en état du 2 mai 2022.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2022.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses conclusions d'appelant à titre principal du 22 mars 2022, la mutuelle assurance des commerçants et industries de France demande à la cour de :
' la recevoir en son appel principal limité, et le dire bien fondé ;
' la recevoir en son appel incident ;
' réformer le jugement ;
' juger que les postes de préjudice que Mme [J] remet en cause devant la cour seront arbitrés de la façon suivante :
- assistance par tierce personne temporaire : 23'976€
- assistance par tierce personne permanente : 95'388€
- perte de gains professionnels actuels : rejet
- perte de gains professionnels futurs : 62'085,99€, soit après imputation de la créance de l'organisme social aucune somme ne revenant à la victime,
- incidence professionnelle : 15'000€, soit après imputation de la créance de l'organisme social aucune somme ne revenant à la victime,
- frais de véhicule adapté (appel irrecevable) : 3992€
- déficit fonctionnel temporaire (appel irrecevable) : 18'237€
- souffrances endurées : 24'000
- préjudice esthétique temporaire : 1500€
- déficit fonctionnel permanent : 51'000€ sous déduction du reliquat de la rente accident du travail de 8710,06€, et donc la somme de 42'289,94€ revenant à la victime,
- préjudice esthétique permanent : 6000€
- préjudice d'agrément : 8000€.
' condamner en conséquence Mme [J] à lui restituer les sommes qu'elle a trop perçues au titre de l'exécution provisoire s'attachant à la décision déférée, au regard des indemnisations que la cour va arbitrer à son profit et des sommes par elle déjà perçues ;
' juger, s'agissant de la demande de Mme [J] au titre des intérêts majorés, que les circonstances de l'espèce et les difficultés rencontrées par l'assureur malgré les diligences justifiées qui ont été accomplies, rendent légitime la suppression des pénalités revendiquées ;
' débouter Mme [J] de sa demande correspondante ;
' juger à titre subsidiaire et à défaut de suppression que la période de doublement des intérêts a uniquement couru entre le 7 novembre 2015 et le 1er avril 2016, et encore plus subsidiairement entre le 7 novembre 2015 et le 18 décembre 2017, en rejetant toute demande contraire ou plus ample ;
' réformer le jugement sur l'indemnité allouée à Mme [J] au titre des frais irrépétibles et juger qu'elle sera équitablement dédommagée de ceux auxquels elle a dû faire face par l'octroi d'une somme de 1500€ et la condamner à lui restituer le trop-perçu de 2500€ ;
' la débouter de sa demande de frais irrépétibles exposés en appel ;
' la condamner, à titre reconventionnel à lui verser la somme de 1800€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle formule les observations suivantes :
- la tierce personne à titre temporaire ne prendra pas en compte un besoin de 3h par jour pendant les périodes d'hospitalisation et le coût horaire retenu sera conforme à celui fixé par le premier juge à 18€,
- la tierce personne à titre permanent a été fixée par l'expert à 4h par semaine et elle sera indemnisée sur la base d'un coût horaire de 15€, ce qui reviendra à réformer le poste fixé par le premier juge,
- la perte de gains professionnels actuels sera éventuellement calculée sur plusieurs années antérieures et non pas seulement sur le revenu de la dernière année. Son revenu de référence ne peut être un salaire annuel brut mais un salaire net qui au mieux peut être considéré à hauteur de 25'598€. Le montant des indemnités journalières qu'elle a perçues est supérieur à sa perte réelle,
- la perte de gains professionnels futurs sera largement revue à la baisse. Le professeur [I] n'a pas retenu l'impossibilité définitive et absolue de travailler. Elle ne démontre pas d'ailleurs qu'elle aurait perdu son emploi dont l'expert considéré qu'il devrait faire l'objet d'un aménagement. Elle ne justifie pas plus de son licenciement. Malgré cette argumentation, Mme [J] invitée à s'expliquer ne le fait pas. C'est au mieux une perte annuelle de 6284€, et sur la base du tableau fourni par la victime qui confirme qu'elle n'a pas perdu son emploi qu'il convient d'examiner ce poste et la cour ne pourra pas admettre au seul vu des pièces produites qu'elle avait un droit acquis à une majoration annuelle de 2 % de son revenu. L'année 2020, qui est une année de crise sanitaire ne peut être une année de référence fiable. Si le tableau renseigné peut être utilisé, ce sont les pertes cumulées à la fin de l'année 2019 qu'il conviendra de retenir soit sur six ans la somme de 37'704€ et donc une perte annuelle moyenne de 6284€. Indépendamment du salaire annuel potentiellement perdu, ce poste pourrait au mieux s'envisager sous couvert d'une perte de chance qui doit être mesurée à la chance perdue ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, soit 40 %. Elle sera évaluée en fonction du barème du BCRIV 2021 pour un euro de rente de 60 ans à 67 ans. Sur le montant il conviendra d'imputer le capital représentatif de la rente,
- l'incidence professionnelle n'est pas justifiée dans l'hypothèse où la perte de gains professionnels futurs a été indemnisée en totalité jusqu'à l'âge de 67 ans. Le calcul auquel le premier juge s'est livré n'est pas cohérent. Au mieux ce poste devra être indemnisé à hauteur de 15'000€,
- les frais de véhicule adapté ont été indemnisés à hauteur de la demande formulée par Mme [J], et elle est irrecevable en sa demande tendant à voir indemniser ce poste une somme supérieure. Au mieux, et en fonction d'un surcoût de 1192€ avec une période de renouvellement tous les cinq ans, c'est une somme de 238,40€ qui doit être capitalisée en fonction du barème du BCRIV 2021 soit celle de 6532,16€,
- le déficit fonctionnel temporaire a été évalué en fonction d'une base mensuelle de 750€ conformément à la demande de Mme [J] qui est donc irrecevable à voir son montant majoré.
S'agissant de la sanction au taux doublé de l'intérêt légal, elle rappelle la chronologie et les justificatifs produits qui caractérisent les difficultés qu'elle a rencontrées pour notifier une offre provisionnelle détaillée. Le délai de huit mois ne pouvait être respecté. Elle sollicite la réduction de la sanction comme l'article L. 111-13 du code des assurances le prévoit. Subsidiairement elle s'en rapporte au dispositif de ses conclusions.
Dans ses conclusions d'appelant à titre principal du 5 août 2022, Mme [J] demande à la cour de :
' la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
' réformer le jugement sur l'indemnisation des postes de perte de gains professionnels actuels, assistance par tierce personne temporaire, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle, frais de véhicule adapté, assistance par tierce personne permanente, déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire, déficit fonctionnel permanent, préjudice et d'agrément, et préjudice esthétique permanent ;
' condamner en conséquence la MACIF à lui payer les sommes suivantes au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel :
- assistance par tierce personne temporaire : 31'248,78€
- perte de gains professionnels actuels : 18'197,87€
- assistance par tierce personne permanente : 165'163,65€
- perte de gains professionnels futurs : 807'304,45€ à titre principal, et 203'743,11€ à titre subsidiaire,
- frais de véhicule adapté : 24'402,60€
- déficit fonctionnel temporaire : 21'482,10€
- préjudice esthétique temporaire : 10'000€
- souffrances endurées : 35'000€
- déficit fonctionnel permanent : 66'600€
- préjudice esthétique permanent : 12'000€
- préjudice d'agrément : 30'000€,
' condamner la MACIF à lui payer la somme de 8000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de son conseil ;
' juger que les intérêts de droit seront fixés au double du taux légal sur le montant total des indemnités qui lui seront allouées, y compris la créance des organismes sociaux, et ce pour la période allant du 20 avril 2015 au jour de l'arrêt à intervenir devenu définitif, et avec capitalisation des intérêts ;
' débouter la MACIF de l'ensemble de ses prétentions.
Elle formule les prétentions suivantes :
- l'assistance par tierce personne temporaire sera indemnisée en fonction d'un coût horaire de 23€. L'expert a omis de prendre en compte les besoins en tierce personne pendant le temps de son hospitalisation en ambulatoire. Il conviendra en conséquence d'ajouter 1h30 pour les hospitalisations du 2 février 2016 et du 30 mars 2016,
- la perte de gains professionnels actuels est justifiée. En 2013 son revenu imposable s'est élevé à 29'413€. C'est ce revenu qu'il convient de prendre en compte dès lors qu'elle était employée en tant que salarié par une société de comptabilité. Depuis 2007 son salaire a connu une progression annuelle moyenne de 2 % qu'il convient d'ajouter à ses revenus. Sa perte s'établit à 145'304,52€. Elle a perçu de son employeur la somme de 12'512,10€ et des indemnités journalières versées par la CPAM pour 114'594 44€, soit une somme de 18'197,98€ qui doit le revenir,
- l'assistance par tierce personne permanente sera aussi indemnisée en fonction d'un coût horaire de 23€ et en fonction d'un besoin de 4h par semaine dont elle demande à la cour de calculer l'indemnité sur 412 jours pour la période échue et pour la période à échoir,
- elle sollicite l'indemnisation des frais de véhicule adapté avec un renouvellement tous les cinq ans en fonction d'un indice viager issu du barème du BCRIV 2021. Se référant à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er juin 2022, elle soutient ne pas être irrecevable à demander l'augmentation des montants qu'elle avait présentés devant le premier juge,
- la perte de gains professionnels futurs ne peut être fondée que sur un revenu annuel de 29'413€. Elle précise qu'elle a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude le 14 janvier 2020 alors qu'elle était âgée de 57 ans et qu'elle n'a pas depuis, retrouvé d'emploi et les séquelles qu'elle présente rendent illusoire tout retour sur le marché du travail. Comme le propose la MACIF elle sera indemnisée de sa perte de gains à titre viager. Cette perte est totale à compter de la date de la consolidation. Seules sont imputables des indemnités journalières post-consolidation et la rente accident du travail. Il est curieux de constater que dans ses conclusions la MACIF propose de calculer une perte de gains à titre viager, en entendant désormais voir limiter l'indemnisation à l'âge de 67 ans. Si la cour devait retenir cette dernière solution il conviendra alors de majorer l'incidence professionnelle de la perte de droits à la retraite,
- l'incidence professionnelle est démontrée puisqu'elle est exclue du monde du travail. Elle a dû renoncer à l'exercice d'une profession dans laquelle elle était investie. Elle sollicite une somme de 100'000€. Par ailleurs elle subit un préjudice de carrière qu'elle évalue à la somme de 63'826,83€,
- le déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé sur une base mensuelle de 900€. Sa demande est parfaitement recevable,
- le préjudice d'agrément est établi puisqu'elle justifie de sa pratique de la moto et de la gymnastique en produisant ses licences sportives. Elle était également investie dans le club de gymnastique de sa fille et occupait un poste juge des compétitions. Sa demande à hauteur de 30'000€ est parfaitement justifiée.
S'agissant du doublement des intérêts légaux, la cour devra constater l'absence d'offre de la part de la MACIF dans les délais légaux et dans les huit premiers mois sur l'accident. La proposition formulée le 18 décembre 2017 est incomplète. Celle du 3 septembre 2020 est manifestement insuffisante et sera assimilée à une absence d'offre.
La CPAM des Bouches du Rhône, assignée par la MACIF, par acte d'huissier du 15 décembre 2021, et par Mme [J] par actes délivrés à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 11 mai 2022 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 354.908,11€ et non pas 396.728,59€ comme indiqué dans on décompte et correspondant à :
- des prestations en nature : 119,948,23€
- des indemnités journalières versées du 21 août 2014 au 2 mai 2019 avant consolidation : 114'594,44 €
- des indemnités journalières versées du 3 mai 2019 au 14 janvier 2020 sur la période postérieure à la consolidation : 16'905,62€
- les arrérages d'une rente versée du 20 décembre 2019 au 15 avril 2020 : 1184,45€
- le capital représentatif de la rente de 84'611,33€
- dépenses de santé après consolidation : 2182,09€
- frais futurs : 15'481,95€.
L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue, et le barème de capitalisation utilisé sera celui publié à la Gazette du palais du 15 septembre 2020, taux d'intérêt 0,30%, qui apparaît approprié, eu égard aux données démographiques et économiques actuelles.
Sur la recevabilité des demandes
Si une partie qui a obtenu totalement satisfaction en première instance est irrecevable à former appel, sont, en revanche recevables, comme n'étant pas nouvelles, des demandes de majoration de sommes allouées au titre de postes de préjudice comme tendant aux mêmes fins d'indemnisation que celles soumises au premier juge.
En l'espèce Mme [J] qui n'a pas obtenu totalement satisfaction sur toutes ses demandes indemnitaires devant le premier juge est donc recevable à solliciter la majoration de certains postes de préjudice, que sont les postes de frais de véhicule adapté et de déficit fonctionnel temporaire, pour lesquels en première instance, il a été fait droit à ses demandes.
Sur le préjudice corporel
L'expert, le docteur [I], indique que Mme [J] a présenté une luxation ouverte du genou droit, une fracture ouverte du plateau tibial droit, une fracture-luxation ouverte de la cheville droite, des dermabrasions de la cuisse gauche, une plaie profonde du genou gauche, un hématome du poignet droit, des fractures costales multiples bilatérales, un pneumothorax droit, et des contusions pulmonaires et lombaires, et qu'elle conserve comme séquelles une limitation et un enraidissement majeur du genou droit et de la cheville droite.
Il conclut à :
- des pertes de gains professionnels actuels : les arrêts de travail imputables seront à prendre en compte du 20 août 2014 au 2 mai 2019 date de la consolidation. Les pertes sont à prendre en compte sur toutes les périodes d'arrêt de travail
- un déficit fonctionnel temporaire total du 20 août 2014 au 20 février 2015, le 2 février 2016, du 22 février 2016 au 25 février 2016, le 30 mars 2016, du 28 octobre 2018 au 5 novembre 2018,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 21 février 2015 au 30 juin 2015, du 26 février 2016 au 29 mars 2016, du 31 mars 2016 au 31 mai 2016 et du 6 novembre 2018 au 2 février 2019
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 30 % du 1er juillet 2015 au 1er février 2016, du 3 février 2016 au 21 février 2016, du 1er juin 2016 au 27 octobre 2018,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 33 % du 3 février 2019 au 2 mai 2019,
- un besoin en aide humaine détaillée de la façon suivante :
* 2h par jour du 21 février 2015 au 30 juin 2015
* 1,5h par jour du 1er juillet 2015 au 1er février 2016
* 1h par jour du 3 février 2016 au 21 février 2016
* 1,5h par jour du 26 février 2016 au 29 mars 2016
* 1h par jour du 31 mars 2016 au 31 mai 2016
* 4h par semaine du 1er juin 2016 au 27 octobre 2016
* 1h par jour du 6 novembre 2018 au 2 février 2019
* 4h par semaine du 3 février 2019 au 2 mai 2019,
- une consolidation au 2 mai 2019
- des souffrances endurées de 5/7
- un préjudice esthétique temporaire de 3/7
- dépenses de santé futures,
- frais de véhicule adapté : prévoir l'aménagement du véhicule pour permettre une conduite avec adaptation du pédalier. Pas de nécessité de véhicule à boîte automatique. Doit faire valider son permis à la préfecture pour personne handicapée,
- frais de logement adapté : prendre en compte les aménagements déjà réalisés au domicile correspondant à un aménagement de la salle de bains avec transformation de la baignoire en une douche, la mise en place d'une barre de douche et d'un tabouret, l'aménagement d'un seuil au niveau de la porte d'entrée et au niveau de la véranda,
- un besoin en aide humaine à titre viager de 4h par semaine,
- perte de gains professionnels futurs : licenciement pour inaptitude médicale en rapport avec le fait traumatique et les complications du 14 janvier 2020 en rapport avec l'incidence professionnelle liée au traumatisme,
- incidence professionnelle : difficultés pour les stations assises prolongées dans sa profession de comptable au-delà d'une à deux heures. Pénibilité pour assurer les stations debout prolongées et impossibilité de monter et descendre les escaliers dans son activité professionnelle de façon trop fréquente, impossibilité d'assurer une gestion des stocks,
- un déficit fonctionnel permanent de 30%
- un préjudice esthétique permanent de 3/7
- un préjudice d'agrément : impossibilité de pratiquer toutes les activités sportives réalisées avant l'accident
- un préjudice sexuel : elle présente une sidération libidinale possiblement induite par l'altération narcissique de son image corporelle, avec espacement des relations intimes conjugales.
Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 2] 1962, de son activité de comptable, âgée de 57 ans à la consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
Préjudices patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Dépenses de santé actuelles 120.380,73€
Les parties ne contestent pas le montant alloué par le premier juge à hauteur de 120.380,73€, dont 119.948,23€ pris en charge par l'organisme social et 432,50€ revenant à la victime.
- Frais divers 9.735,75€
Les parties ne contestent pas le montant alloué par le premier juge à hauteur de 9.735,75€ au titre des frais de déplacement.
- Perte de gains professionnels actuels 145.304,52€
Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.
En 2013 le revenu imposable de Mme [J] s'est élevé à 29'413€, et c'est ce montant qui est au plus près du fait accidentel qu'il convient de retenir et non pas une moyenne sur les trois années précédentes, Mme [J] n étant salariée d'une société de comptabilité et percevant un revenu fixe, soit un revenu mensuel de 2451,08€.
Elle demande à la cour de considérer que son revenu aurait régulièrement augmenté entre le 20 août 2014 et le 2 mai 2019 et dans une proportion annuelle de 2%, mais ce qui ne ressort pas des fiches de paie qu'elle produit, puisque son salaire brut était de 2350€ en 2008 et en 2009, qu'il est passé à 2450€ en 2010, mais est resté stable à 2600€ en 2011, 2012, 2013 et qu'elle n'a bénéficié d'une augmentation de 52€ soit 2% qu'en 2014, ce qui ne signifie pas que cette progression aurait été linéaire et automatique de 2014 à 2019.
En revanche, la cour considère que cette prétention s'analyse en une demande d'actualisation de son salaire en net et qu'il convient de calculer en fonction du convertisseur mesurant l'érosion monétaire due à l'inflation et sur les bases fournies par l'INSEE. Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 2451,08€ en 2014 correspond à celui de 2610,22€ en 2021, dernier chiffre connu et au plus près du jour où la cour statue.
Sa perte s'établit du 20 août 2014 au 2 mai 2019, et donc sur 4 ans (2610,22€ x 12 x 4 = 125.290,56€) 8 mois (2610,22€ x 8 = 20.881,76€) et 13 jours (2610,22€/30j x 13j = 1131,10€) à la somme de 147.303,42€, ramenée au montant de la demande, soit 145.304,52€.
Des indemnités journalières ont été versées sur cette même période par la CPAM pour un montant de 114.594,44€, et par son employeur au titre d'un maintien partiel de salaire pour 12.512,10€, qui s'imputent sur ce poste de dommage qu'elles ont vocation de réparer de sorte que la somme revenant personnellement à la victime s'établit à 18.197,98€ (145.304,52€ - 114.594,44€ -12.512,10€).
- Assistance de tierce personne 27.172,40€
La nécessité de la présence auprès de Mme [J] d'une tierce personne n'est pas contestée dans son principe ni son étendue pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, suppléer sa perte d'autonomie mais elle reste discutée dans son coût.
L'expert précise, en effet, qu'elle a besoin d'une aide humaine détaillée de la façon suivante :
* 2h par jour du 21 février 2015 au 30 juin 2015 (130j)
* 1,5h par jour du 1er juillet 2015 au 1er février 2016 (216j)
* 1h par jour du 3 février 2016 au 21 février 2016 (19j)
* 1,5h par jour du 26 février 2016 au 29 mars 2016 (33j)
* 1h par jour du 31 mars 2016 au 31 mai 2016 (61j)
* 4h par semaine du 1er juin 2016 au 27 octobre 2016 (879j/7)
* 1h par jour du 6 novembre 2018 au 2 février 2019 (89j)
* 4h par semaine du 3 février 2019 au 2 mai 2019. (89j/7)
Mme [J] soutient, ce que la MACIF ne conteste pas, que l'expert a omis de prendre en compte les besoins en tierce personne pendant le temps de son hospitalisation en ambulatoire 2 février 2016 et du 30 mars 2016. Il convient en conséquence de faire droit à cette demande et d'ajouter 1h30 pour ces deux journées d'hospitalisations sous la forme de l'ambulatoire qui se situent au lendemain de deux périodes pour lesquelles 1,5h a été fixé par l'expert.
En application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, le tiers responsable est tenu d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable qui ne saurait être réduit en cas d'aide familiale ni subordonné à la production des justificatifs des dépenses effectuées. Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, alors que Mme [J] a subi de lourdes blessures et un important déficit fonctionnel temporaire partiel, des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 20€.
L 'indemnité de tierce personne s'établit à :
- 2h par jour du 21 février 2015 au 30 juin 2015 soit sur 130j : 5200€
- 1,5h par jour du 1er juillet 2015 au 2 février 2016 soit sur 217 j : 6510€
- 1h par jour du 3 février 2016 au 21 février 2016 soit sur 19j : 380€
- 1,5h par jour du 26 février 2016 au 30 mars 2016 soit sur 34j : 1020€
- 1h par jour du 31 mars 2016 au 31 mai 2016 soit sur 61j : 1220€
- 4h par semaine du 1er juin 2016 au 27 octobre 2016 soit sur 125,57s (879j/7) : 10.045,60€
- 1h par jour du 6 novembre 2018 au 2 février 2019 soit sur 89j : 1780€
- 4h par semaine du 3 février 2019 au 2 mai 2019 soit sur 12,71 s (89j/7) : 1016,80€
et au total la somme de 27.172,40€.
Préjudices patrimoniaux
permanents (après consolidation)
- Dépenses de santé futures 35.980€
Les parties ne contestent pas le montant alloué par le premier juge à hauteur de 35.980€ dont 17.664,04€ pris en charge par l'organisme social et celle de 18.315,96€ revenant à la victime.
- Perte de gains professionnels futurs 304.816,70€
Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.
Au titre de l'incidence professionnelle dans l'acception large du terme, l'expert a retenu que l'état séquellaire de Mme [J] engendre des difficultés pour les stations assises prolongées dans sa profession de comptable au-delà d'une à deux heures, une pénibilité pour assurer les stations debout prolongées et l'impossibilité de monter et descendre les escaliers dans son activité professionnelle de façon trop fréquente, et d'assurer une gestion des stocks.
Il est constant que Mme [J] a été licenciée par son employeur à compter du 14 janvier 2020 à la suite de l'avis de la médecine du travail du 20 décembre 2019 qui a conclu que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, et tel que cela résulte de la lecture du courrier de licenciement qui lui a été adressé le 14 janvier 2020, alors qu'elle était âgée de 57 ans.
Elle rapporte la preuve que depuis la consolidation du 3 mai 2019, elle n'a repris aucun emploi salarié si bien que son indemnisation entre cette date et le prononcé du présent arrêt sera totale.
S'agissant de la période future, il s'avère que Mme [J] est à ce jour âgée de 60 ans. Si l'expertise n'a pas conclu à une inaptitude totale à tout emploi, il paraît illusoire qu'une femme de son âge, et présentant un taux de déficit fonctionnel permanent évalué à 30% affectant sensiblement la mobilité de son membre inférieur droit puisse trouver sur le marché du travail, qui sans être tendu n'en est pas moins exigeant, un emploi qu'il soit rémunéré au SMIC ou à hauteur du montant mensuel de 2451,08€ qu'elle percevait avant le fait traumatique et qu'elle demande à la cour de retenir pour le calcul de ce poste de préjudice. Par conséquent, la demande formulée par la MACIF tendant à chiffrer ce poste en tenant compte d'une perte de chance, qu'il n'est ni raisonnable ni réaliste de retenir en l'espèce, est rejetée.
L'indemnité sera calculée en fonction d'un revenu mensuel de 2451,08€ et annuel de 29.413€, tel que demandé par la victime, en retenant un départ prévisible à la retraite de 67 ans sans la survenue de l'accident, ce qui signifie que la capitalisation sera chiffrée en fonction d'un euro de rente temporaire à cet âge et non viager, ce qui paraît équitable puisque Mme [J] a été régulièrement employée sa vie durant et jusqu'à l'âge de 57 ans qui était le sien en janvier 2020, et qu'elle avait donc accumulé un nombre certains de trimestres de cotisation sur la base d'un revenu nettement supérieur au revenu moyen français, et qu'ainsi l'incidence sur ses droits à la retraite en est limitée.
Au vu de l'ensemble de ces données, l'indemnité due pour ce poste de dommage s'établit :
- pour la période écoulée entre le 3 mai 2019 et le prononcé du présent arrêt le 1er décembre 2022, et donc sur 3 ans (3 x 29.413€ = 88.239€) et 7 mois (2451,08€ x 7 = 17.157,56€) à 105.396,56€,
- pour la période à échoir, en fonction d'un euro de rente temporaire de 6,780 pour une femme âgée de 60 ans à la liquidation et qui aurait accédé à la retraite à 67 ans, la somme de 199.420,14€ (29.413€ x 6,780),
et au total celle de 304.816,70€.
Sur cette indemnité s'imputent d'une part les indemnités journalières versées postérieurement à la consolidation et du 3 mai 2019 au 14 janvier 2020 pour 16.905,62€, et d'autre part les arrérages de la rente accident du travail versés du 20 décembre 2019 au 15 avril 2020 pour 1184,45€ et le capital représentatif de cette rente de 84.611,33€, réglées par la CPAM qu'elle a vocation à réparer et donc une créance de 102.701,40€.
Ce tiers payeur sera intégralement désintéressé et une indemnité de 202.115,30€ revient à ce titre à Mme [J] (304.816,70€ - 102.701,40€).
- L'incidence sur les droits à la retraite Rejet
Les éléments versés par Mme [J] pour établir sa perte de droits à la retraite sont particulièrement sommaires et consistent en deux feuillets d'une impression écran de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO. Il s'agit de simulations qui n'apparaissent pas refléter la situation réelle. Sur l'une on peut lire que pour un départ à la retraite à 67 ans avec 196 trimestres sa retraite aurait été de 2150€ dont 1665€ versés par le régime des salariés. Sur l'autre figure une simulation d'un départ en retraite à l'âge minimum de 62 ans avec 159 trimestres ce qui dégage une somme net mensuelle de 1370€, mais aucune précision du montant versé par le régime des salariés et le régime complémentaire.
Alors qu'il appartient à Mme [J] de rapporter la preuve de ses prétentions, le différentiel allégué ne présente pas les caractères suffisants de fiabilité pour permettre le calcul exact de ses pertes de droits à la retraite. Elle est donc déboutée de cette demande telle qu'elle est chiffrée.
- Incidence professionnelle 30.000€
Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap.
L'indemnisation de ce poste est admise en son principe mais il est discuté dans son montant.
Il s'avère que depuis la consolidation, et alors qu'elle était âgée de 57 ans, Mme [J] a dû renoncer à sa profession de comptable dans laquelle elle s'était investie, et qu'en raison des séquelles invalidantes et des restrictions médicales importantes qu'elles ont générées, la victime se trouve exclue du monde du travail et qu'elle en perçoit un sentiment de dévalorisation sociale. Il convient d'admettre aussi qu'elle a perdu une chance d'évoluer dans sa carrière, indépendamment des possibles augmentations de son salaire. Si elle n'a pas été en mesure de chiffrer précisément sa perte de droits à la retraite, il doit néanmoins être retenu que sa sortie du monde du travail à 57 ans l'a privée d'une meilleure retraite que celle qu'elle va percevoir.
Ces données conduisent la cour à évaluer ce poste de préjudice à la somme de 30.000€.
- Assistance de tierce personne 136.459,36€
La nécessité de la présence auprès de Mme [J] d'une tierce personne à titre viager n'est pas contestée dans son principe ni son étendue pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, suppléer sa perte d'autonomie mais elle reste discutée dans son coût.
L'expert précise, en effet, qu'elle a besoin d'une aide humaine à titre viager de 4h par semaine.
En application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, le tiers responsable est tenu d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable qui ne saurait être réduit en cas d'aide familiale ni subordonné à la production des justificatifs des dépenses effectuées. Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 20€.
Mme [J] demande l'indemnisation de ce poste sur le nombre de jours écoulés entre la consolidation et le prononcé de l'arrêt, puis pour la période à échoir sur une annuité de 412 jours, pour tenir compte des jours fériés et des congés.
Le besoin annuel se chiffre sur 58,85 semaines (412j/7) à 4708€ (58,85s x 4h x 20€).
L 'indemnité de tierce personne s'établit conformément à cette demande et de la façon suivante :
- pour la période échue du 3 mai 2019 au 1er décembre 2022, et donc sur 1309 jours et donc 187 semaines, à la somme de 14.960€ (187s x 4h x 20€),
- pour la période à échoir, en fonction d'un euro de rente de 25,807 pour une femme âgée de 60 ans révolus à la liquidation, la somme de 121.499,36€ (4708€ x 25,807),
et au total la somme de 136.459,36€ (14.960€ + 121.499,36€).
- Frais de véhicule adapté 10.941,60€
L'expert a retenu un besoin d'aménagement du véhicule en adaptant le pédalier. Les pédales d'accélérateur gauche peuvent être installées sur tous types de véhicules à condition qu'ils soient équipés d'une boîte de vitesse automatique.
La cour retient le surcoût de l'installation d'un pédalier pour 1992€ et évalue à 1.400,00€ le différentiel de coût entre une boîte automatique et une boîte mécanique, soit un surcoût initial de 3392€, et à sept années le délai raisonnable pour procéder au renouvellement d'un véhicule.
En fonction de ces données, l'indemnité s'établit de la façon suivante :
- une première acquisition à la consolidation en mai 2019 pour 3392€,
- un prochain renouvellement en mai 2026, avec une annuité de 484,57€ (3392€/7), et un euro de rente de 22,580 pour une femme qui sera alors âgée de 64 ans et donc 10.941,60€ (484,57€ x 22,580).
- Frais de logement adapté 2500€
Les parties ne contestent pas le montant alloué par le premier juge à hauteur de 2500€ au titre des aménagements déjà réalisés au domicile de la victime.
Préjudices extra-patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Déficit fonctionnel temporaire 20.050€
Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.
Il doit être réparé sur la base d'environ 840€ par mois, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie, montant qui intègre le préjudice sexuel positionnel inhérent aux blessures et à la mobilité pendant la période antérieure à la consolidation soit :
- déficit fonctionnel temporaire total de 196 jours : 5488€
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % de 313 jours : 4382€
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 33 % de 89 jours : 822,36€
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 30 % de 1114 jours : 9357,60€,
et au total la somme de 20.049,96€ arrondie à 20.050€.
- Souffrances endurées 35.000€
Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison de l'importance des traumatismes initiaux, dont certains ont nécessité cinq interventions chirurgicales totalisant près de quatre mois d'hospitalisation, des traitements médicamenteux et des nombreuses séances de rééducation fonctionnelle ; évalué à 5/7 par l'expert, il justifie l'octroi d'une indemnité de 35.000€.
- Préjudice esthétique temporaire 3500€
L'expert judiciaire a évalué ce poste de préjudice à 3/7, sans en détailler les données médico-légales, qui en tout état de cause se déduisent des trois fractures ouvertes dont elle a été victime ayant nécessité la pose de deux fixateurs externes au niveau du genou et u fixateur externe au niveau de la cheville et pendant deux mois. Elle a circulé en fauteuil roulant et/ou au moyen de cannes anglaises à la sortie des interventions chirurgicales, cet ensemble ayant affecté l'image personnelle de la victime tant dans son propre regard que dans celui de l'extérieur. Ce poste de dommage justifie une indemnisation de 3500€.
permanents (après consolidation)
- Déficit fonctionnel permanent 66.600€
Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.
Il est caractérisé par une limitation et un enraidissement majeur du genou droit et de la cheville droite, ce qui conduit à un taux de 30 % justifiant une indemnité de 66.600€ pour une femme âgée de 57 ans à la consolidation.
- Préjudice esthétique 8000€
Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique
Il a été évalué à 3/7 par l'expert qui au cours de ses opérations d'expertise a signalé des cicatrices au niveau du genou droit dont l'une présente une longueur de 22cm, une autre cicatrice de 7cm de long et 1,5cm de large au niveau de la cheville droite, et une cicatrice de 3cm de long au niveau de la hanche droit. Il doit être indemnisé à hauteur de 8000€.
- Préjudice d'agrément 10.000€
Ce poste de dommage vise exclusivement l'impossibilité ou la difficulté pour la victime à poursuivre la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir.
La réalité de ce préjudice n'est pas contestée par le tiers responsable qui a conclu à la confirmation du montant de 8000€ alloué par le premier juge, alors que Mme [J] en sollicite la majoration substantielle à 30.000€.
Mme [J] justifie ne plus pouvoir pratiquer certaines activités sportives auxquelles elle s'adonnait régulièrement avant l'accident, à savoir la moto, la gymnastique d'entretien, les randonnées pédestres et le VTT, suivant justifications versées aux débats et ajoute qu'elle était très impliquée dans l'encadrement du club de gymnastique fréquentée par sa fille, puisqu'elle y avait une activité de juge en compétition qu'elle ne peut plus assumer, la position assise prolongée lui étant pénible, ce qui justifie pour une femme auparavant très active et âgée de 57 ans à la consolidation l'octroi d'une indemnité de 10.000€.
- Préjudice sexuel 10.000€
Les parties ne contestent pas le montant alloué par le premier juge à hauteur de 10.000€.
Le préjudice corporel global subi par Mme [J] s'établit ainsi à la somme de 976.441,06 € soit, après imputation des débours de la CPAM (354.908,11€) et le maintien du salaire (12.512,10€), une somme de 609.020,85€ lui revenant qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 28 octobre 2021 à hauteur de 500.673,54€ et du prononcé du présent arrêt soit le 1er décembre 2022 à hauteur de 68.347,31€.
Sur le double taux
Dans le dispositif de ses conclusions, Mme [J] demande à la cour de dire que les sommes lui revenant porteront intérêts au double du taux légal en l'absence d'offre, et ce à compter du 20 avril 2015, soit huit mois après la date de l'accident dont elle a été victime, et jusqu'au jour de la décision devenue définitive.
En vertu de l'article L 211-9 du code des assurances, l'assureur est tenu de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne une offre d'indemnité, qui comprend tous les éléments indemnisables du préjudice, dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident, laquelle peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime ; l'offre définitive doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.
La sanction de l'inobservation de ces délais, prévue par l'article L 211-13 du même code, réside dans l'octroi des intérêts au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.
Il s'avère que l'assureur a adressé une première offre d'indemnisation le 1er avril 2016, donc tardivement.
Pour interrompre le cours du doublement des intérêts au taux légal, l'offre doit d'une part être complète, c'est à dire contenir des offres sur chacun des postes de préjudice retenu par l'expert, et dont les éléments visés dans le rapport permettent d'établir l'existence et d'autre part contenir des propositions d'indemnisation qui ne soient pas manifestement insuffisantes, c'est à dire ne pas représenter moins du tiers des montants alloués.
L'offre du 1er avril 2016 a visé des propositions d'indemnisation de la perte de gains professionnels actuels, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent, sans aucune offre sur notamment l'assistance par tierce personne. Elle ne peut avoir interrompu le cours de la sanction.
La MACIF a présenté une seconde offre le 18 décembre 2017 portant sur le chiffrage du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, de l'assistance par tierce personne avant consolidation et du préjudice esthétique permanent. Cette offre ne peut être considérée comme complète et en tout état de cause, les montant proposés au titre du déficit fonctionnel temporaire et de la tierce personne temporaire étaient manifestement insuffisants.
Une troisième offre a été émise le 3 septembre 2020, après le dépôt du rapport d'expertise et Mme [J] considère qu'elle n'est pas incomplète mais ses montants sont manifestement insuffisants.
Les propositions de l'assureur, qui a fait état des débours provisoires de l'organisme social arrêtés au 16 juin 2020, étaient les suivantes :
- assistance par tierce personne temporaire : 17'636,06€
- perte de gains professionnels actuels : poste réservé dans l'attente des avis d'imposition des années 2012, 2013 2014, demander à la victime et en l'état d'une créance de la CPAM de 114'594,44€,
- dépenses de santé futures : 17'664,04€ correspond en la créance de l'organisme social
- assistance par tierce personne permanente : 84'408,48€
- frais de logement adapté au titre de l'aménagement de la salle de bains et d'un seuil au niveau de la porte d'entrée de la véranda : poste réservé dans l'attente de la production des justificatifs demandés à la victime,
- frais de véhicule adapté : 9449,71€
- perte de gains professionnels futurs : 135'270€ dont 85'795,78€ au titre de la créance de l'organisme social, et 49'474,22€ revenant à la victime
- incidence professionnelle : 15'000€
- déficit fonctionnel temporaire : 18'014,25€
- souffrances endurées : 24'000€
- préjudice esthétique temporaire : 1500€
- déficit fonctionnel permanent de 30 % : 51'000€
- préjudice esthétique permanent : 6000€
- préjudice d'agrément : 3000€
- préjudice sexuel : 1500€.
Il s'avère que les propositions au titre de la perte de gains professionnels futurs, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel sont manifestement insuffisantes au regard des sommes allouées par le présent arrêt.
Selon ses dernières conclusions signifiées devant la cour le 22 mars 2020 la MACIF n'a présenté aucune offre titre de la perte de gains professionnels actuels et la proposition d'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs à hauteur de 62'086€ est manifestement insuffisante au regard de la somme qui a été allouée à la victime.
En conséquence, la sanction du doublement des intérêts au taux légal est justifiée au titre de la tardiveté et du caractère manifestement insuffisant de la dernière offre présentée le 22 mars 2022. En conséquence, la MACIF est condamnée au doublement de cet intérêt au taux légal sur la période du 20 avril 2015 jusqu'au présent arrêt devenu définitif, sur la somme de 976.441,06 € intégrant la créance des tiers payeurs.
Sur la capitalisation
Conformément à la demande de Mme [J], les intérêts seront capitalisés pour ceux dus pour une année entière.
Sur les demandes annexes
La MACIF qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d'appel. L'équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité justifie d'allouer à Mme [J] une indemnité de 2500€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
- Confirme le jugement,
hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
- Fixe le préjudice corporel global de Mme [J] à la somme de 976.441,06 € ;
- Dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 609.020,85€ ;
- Condamne la MACIF à payer à Mme [J] les sommes de :
* 609.020,85€, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 28 octobre 2021 à hauteur de 500.673,54€ et du prononcé du présent arrêt soit le 1er décembre 2022 à hauteur de 68.347,31€,
* 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
- Condamne l'assureur au paiement des intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur la somme de 976.441,06 € à compter du 20 avril 2015 jusqu'au présent arrêt devenu définitif ;
- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
- Déboute la MACIF de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;
- Condamne la MACIF aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ