COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 01 DECEMBRE 2022
N° 2022/451
N° RG 21/15313
N° Portalis DBVB-V-B7F-BIJ5S
[W] [M]
C/
S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR
Mutuelle GFP SANTE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIES
-Me Cyrille MICHEL
-SELAS LLC ET ASSOCIES
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de DRAGUIGNAN en date du 20 Octobre 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 20/01930.
APPELANTE
Madame [M] [W]
Assurée [XXXXXXXXXXX01] auprès de la CPAM DU VAR
née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 7] (ALLEMAGNE),
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Isabelle FICI de la SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Thierry CABELLO de la SELARL CABELLO ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON, plaidant.
INTIMEES
S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD,
demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Cyrille MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE.
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR
La CPAM DU VAR dont le siège social est [Adresse 9] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège,
Assignation portant signification de la da DA le 03/01/2022 à personne étude,
demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Pascale PALANDRI de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN.
MUTUELLE GFP SANTE,
Assignation portant signification en date du 06/01/2022 à personne habilitée. Signification de conclusions en date du 02/02/2022 à personne habilitée. Signification de conclusions en date du 20/05/2022 à personne habilitée,
demeurant [Adresse 2]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 18 Octobre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Fabienne ALLARD, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022,
Signé par Madame Anne VELLA, Conseillère, pour le président empêché et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
Le 1er mai 2016 en Croatie, alors qu'elle était passagère d'une motocyclette conduite par son époux et assurée par la société assurances crédit mutuel (société ACM), Mme [M] [W] a été victime d'un accident de la circulation.
Aucun autre véhicule n'était impliqué dans l'accident, Mme [W] ayant glissé dans un virage à cause de la pluie.
Après expertise amiable du docteur [P] [O] en date du 4 novembre 2016, Mme [W] a saisi le juge des référés afin d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance 6 décembre 2017, le docteur [G] a été désigné en qualité d'expert.
Il a déposé son rapport le 17 septembre 2018.
Par acte du 25 février 2020, Mme [W] a fait assigner la société ACM devant le tribunal de grande instance de Draguignan, afin d'obtenir, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var et de la mutuelle GFP santé, l'indemnisation de son préjudice corporel.
Par jugement du 20 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, cette juridiction a :
- dit que Mme [W] doit être indemnisée de l'ensemble de ses préjudices sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et de l'article 4 de la convention de La Haye du 4 mai 1971 ;
- fixé la consolidation de Mme [W] au 12 avril 2018 ;
- condamné la société ACM à payer à Mme [W] la somme totale de 24 448,21 € toutes indemnités confondues et déduction faite des provisions versées ;
- dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2020 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts sur la somme de 24 448,21 € à compter du 25 février 2021 ;
- dit que l'indemnisation sera acquittée par la société ACM conformément aux dispositions de la loi du 21 décembre 2006 ;
- condamné la société ACM à payer à la CPAM du Var la somme de 24 312,58 € en remboursement de ses débours au titre des dépenses de santé actuelles et dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- condamné la société ACM au paiement de la somme de 1 091 € à la CPAM du Var au titre de l'indemnité forfaitaire due en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
- condamné la société ACM à payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à Mme [W] la somme de 3 000 € et à la CPAM du Var la somme de 1 500 € ;
- condamné la société ACM aux dépens avec distraction au profit des avocats ;
- rejeté la demande tendant à ce que l'exécution provisoire soit écartée.
Le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
- dépenses de santé actuelles : 24 312,58 € revenant à la CPAM et 94,50 € revenant à la victime ;
- frais divers : 2 452,41 €
- assistance par tierce personne temporaire : 5 860 €
- préjudice matériel : 547,30 €
- assistance par tierce personne permanente : rejet
- déficit fonctionnel temporaire : 4 094 €
- souffrances endurées 3,5/7 : 7 000 €
- déficit fonctionnel permanent 20 % : 34 400 €
- préjudice d'agrément : rejet
- préjudice sexuel : rejet
Pour statuer ainsi, il a considéré que :
- l'offre de l'assureur, présentée dans les délais prévus par le code des assurances, n'est ni incomplète ni manifestement insuffisante ;
- l'expert n'a retenu aucune nécessité de tierce personne à titre permanent ;
- l'expert n'a retenu aucun préjudice d'agrément compte tenu la nature des séquelles ;
- l'expert n'a retenu aucun préjudice sexuel, même si Mme [W] a allégué une baisse de libido consécutive aux séquelles.
Par acte du 28 octobre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme [W] a interjeté appel de cette décision en ce qu'il a indemnisé les frais de déplacement à hauteur de 1 408,41 €, le déficit fonctionnel temporaire à hauteur 4 094 €, en ce qu'il a rejeté ses demandes au titre de l'assistance par tierce personne permanente, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel et en ce qu'il a fixé les intérêts applicables au taux légal à compter du 25 février 2020.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 4 octobre 2022.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 2 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [W] demande à la cour de :
' confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé qu'elle doit être indemnisée de l'ensemble de ses préjudices sur le fondement de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et de l'article 4 de la convention de la Haye du 4 mai 1971 ;
' confirmer le jugement en ce qu'il a évalué les dépenses de santé actuelles, les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la société ACM aux dépens ;
' l'infirmer pour le surplus et condamner la société ACM à lui payer la somme de 165 265,89 € au titre des frais de déplacement, de l'assistance par tierce personne permanente, du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel ;
' infirmer le jugement déféré sur les intérêts et juger que le montant de l'indemnité totale qui sera allouée par le jugement à intervenir produira intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2017 jusqu'au jour du jugement devenu définitif sur l'ensemble des dommages et intérêts avant imputation de la créance des organismes sociaux avec capitalisation des intérêts à compter de la date anniversaire de la demande en justice conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
' débouter la société ACM de ses demandes ;
' condamner la société ACM à lui payer une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens distraits au profit de son conseil.
Elle chiffre son préjudice comme suit :
- dépenses de santé actuelles : 94,50 €
- frais divers restés à charge : 2 809,89 €
- assistance par tierce personne temporaire : 5 860 €
- préjudice matériel : 547,30 €
- assistance par tierce personne permanente : 145 050,40 €
- déficit fonctionnel temporaire : 5 450 €
- souffrances endurées : 7 000 €
- déficit fonctionnel permanent : 34 400 €
- préjudice d'agrément : 5 000 €
- préjudice sexuel : 8 000 €
Au soutien de son appel et de ses prétentions, elle fait valoir que :
Sur les frais de déplacement : elle justifie du nombre de kilomètres parcourus (2 479,60) et de la puissance fiscale de son véhicule ainsi que des frais de péage ;
Sur l'assistance par tierce personne permanente : les séquelles de l'accident ont aggravé le handicap dont elle souffrait, qu'elle ne peut plus désormais compenser avec son autre épaule ; l'invalidité préexistante a donc été radicalement transformée, de sorte qu'il existe bien, contrairement à ce que soutient l'expert, un besoin permanent en tierce personne ; elle a sollicité un ergothérapeute qui estime le besoin à quatre heures par semaine après avoir listé tous ses besoins ; le besoin futur doit être capitalisé selon l'euro de rente viagère ressortant du barème de la gazette du palais 2020, taux 0 % qui est le plus adapté ;
Sur le préjudice d'agrément : l'expert a considéré que ses loisirs (vélo, marche, moto et natation) n'étaient pas affectés par les séquelles, ce qui est inexact puisqu'il existe une gêne telle qu'elle y a renoncé ;
Sur le préjudice sexuel : depuis l'accident, elle se sent très dépendante et a une très mauvaise image d'elle même, ce qui retentit sur sa libido ;
Sur la sanction du double taux, l'assureur n'a jamais formulé d'offre provisionnelle au sens de l'article L 211-9 du code des assurances ; le point de départ de la sanction est donc fixé au 1er janvier 2017, huit mois après l'accident ; l'offre définitive est incomplète puisqu'il y manque le préjudice d'agrément et elle est également insuffisante.
Dans ses dernières conclusions d'intimée régulièrement notifiées le 29 juillet 2022, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, la société ACM demande à la cour de :
' confirmer le jugement en ce qui concerne les postes frais divers, assistance par tierce personne permanente, déficit fonctionnel temporaire, préjudice d'agrément et préjudice sexuel ;
' débouter Mme [W] du surplus de ses prétentions ;
' statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle fait valoir que :
- les frais de transport doivent être indemnisés selon le barème fiscal en vigueur à l'époque où les frais ont été engagés ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 23 € par jour ;
- l'assistance par tierce personne permanente n'est pas justifiée au regard des conclusions de l'expert et du fait que les douleurs à l'épaule gauche et la fibromyalgie n'ont aucun rapport avec l'accident ; en conséquence toutes les tâches que Mme [W] ne peut plus faire à cause de son épaule gauche et des douleurs induites par la fibromyalgie ne sauraient être indemnisées comme conséquence de l'accident, étant précisé que l'expert a maintenu sa position après un dire du conseil de Mme [W] et que le rapport de l'ergothérapeute ne lui est pas opposable et ne peut, à lui seul, fonder la décision de la cour ;
- depuis sa mise en invalidité en 2011, Mme [W] n'exerce plus d'activités de loisirs et l'expert n'a retenu ni gêne ni impossibilité à s'adonner aux loisirs allégués ;
- le préjudice sexuel est formellement exclu par l'expert ;
- son offre d'indemnisation du 12 février 2019 n'est pas tardive en ce qu'elle a été présentée dans les cinq mois du dépôt du rapport d'expertise qui est intervenu le 26 septembre 2018 et elle est conforme aux indemnités habituellement allouées.
Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 18 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la CPAM du Var demande à la cour de :
' confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
' condamner la société ACM à lui payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel et aux dépens.
La mutuelle GFP, assignée par M. [W] par actes d'huissier des 6 janvier, 2 février et 20 mai 2022, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel et des conclusions, n'a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d'appel le 18 janvier 2022, elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 3 391,16 €, correspondant à des prestations en nature.
*****
L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'appel porte sur exclusivement sur l'évaluation du préjudice et la sanction du doublement de l'intérêt légal.
L'acte d'appel critique expressément l'évaluation des postes frais de déplacement, assistance par tierce personne permanente, préjudice d'agrément et préjudice sexuel et le doublement du taux de l'intérêt légal.
Dans la mesure cependant où le dispositif de la décision de première instance contient une condamnation de l'assureur au paiement d'une somme globale au titre de l'ensemble des préjudices, ce chef du dispositif est nécessairement remis en cause devant la cour au titre des chefs de la décision qui dépendent de ceux expressément critiqués.
Cependant, les parties ne remettent pas en cause l'appréciation par le premier juge des postes suivants :
- assistance par tierce personne temporaire : 5 860 €
- préjudice matériel : 547,30 €
- souffrances endurées 3,5/7 : 7 000 €
- déficit fonctionnel permanent 20 % : 34 400 €
Sur le préjudice corporel
L'expert, le docteur [B], indique que Mme [W] a souffert au titre des lésions initiales, d'une fracture luxation de l'humérus proximal droit, d'une fracture non déplacée des bases des 2ème et 3ème métatarsiens droits et d'une entorse du plan collatéral latéral et du tibia fibulaire antérieur de la cheville droite.
De ces blessures, elle conserve comme séquelles une raideur importante de l'épaule droite et une amyotrophie, une diminution modérée de la flexion extension au niveau du coude et du poignet droit.
L'expert conclut à :
- un déficit fonctionnel temporaire total du 1er mai 2016 au 4 mai 2016,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 5 mai 2016 au 31 octobre 2016,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 1er novembre 2016 au 2 octobre 2017,
- une consolidation au 3 octobre 2017,
- des souffrances endurées de 3,5/7,
- un déficit fonctionnel permanent de 20 %
- un préjudice d'agrément
- un besoin d'assistance de tierce personne de 1 h par jour du 5 mai 2016 au 31 octobre 2016 et de 2 h par semaine du 1er novembre 2016 au 2 octobre 2017.
Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime, née le [Date naissance 3] 1961, sans activité professionnelle et de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
Mme [W] était âgée de 54 ans au moment de l'accident et de 56 ans au jour de la consolidation. Elle est actuellement âgé de 61 ans.
Préjudices patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Dépenses de santé actuelles 27 798,24 €
les parties ne remettent pas en cause l'appréciation par le premier juge des frais de santé pris en charge par la CPAM à hauteur de 24 312,58 € et de ceux restés à charge de la victime, soit 94,50 €.
A ces frais s'ajoutent les débours de la mutuelle GFP à hauteur de 3 391,16 €.
- Frais divers 2 643,02 €
Ils sont représentés par :
- des frais de transport pour se rendre au cabinet des kinésithérapeutes à [Localité 8] : le principe de la dépense et le kilométrage ne sont pas contestés par l'assureur ; s'agissant du barème fiscal à utiliser pour calculer la dépense, il convient de se référer au barème le plus récent (soit le barème de l'impôt 2022 sur les revenus de 2021) dès lors que le préjudice doit être évalué au jour où le juge statue et tenir compte de la dépréciation monétaire ; Mme [W] justifie être propriétaire d'un véhicule de 6 CV, de sorte que l'indemnité kilométrique à prendre en considération est de 0,631 du kilomètre ; la dépense correspond à 1 564,62 € (2 479,60 km x 0,631) auxquels s'ajoutent les frais de péage à hauteur de 34,40 € (4,30 € x 2 x 4), soit, au total, la somme de 1 599,02 € lui revenant.
- les honoraires d'assistance à expertise par le docteur [U], médecin conseil à hauteur de 1 044 €.
Ces dépenses supportées par la victime, nées directement et exclusivement de l'accident, sont par la même indemnisables.
La somme totale de 2 643,02 € revient à Mme [W] à ce titre.
Préjudices patrimoniaux
permanents (après consolidation)
- Assistance par tierce personne permanente 56 495,68 €
La nécessité de la présence auprès de Mme [W] d'une tierce personne après consolidation pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité et suppléer sa perte d'autonomie est contestée dans son principe.
L'expert n'a retenu aucune nécessité d'assistance par tierce personne après consolidation.
Les séquelles de l'accident consistent en une raideur importante de l'épaule droite, une amyotrophie de cette épaule et une diminution modérée de la flexion extension au niveau du coude et du poignet droit.
Cependant, Mme [W] était déjà en invalidité en 2011 pour des lésions à l'autre épaule.
Jusqu'à l'accident du 1er mai 2016, elle pouvait compenser cette invalidité en utilisant son autre épaule, ce qu'elle ne peut plus faire depuis.
L'expert, répondant à un dire du conseil de Mme [W], explique que son argumentation est fondée sur le fait qu'une assistance par tierce personne temporaire de deux heures par semaine a été reconnue au titre du déficit fonctionnel temporaire à 25 % et que le déficit fonctionnel permanent est de 20 % ce qui n'est pas très différent, mais qu'en réalité 5 % de déficit fonctionnel permanent représentent un déficit non négligeable. En conséquence, selon lui, les deux heures par semaine d'assistance par tierce personne ne sont plus nécessaires après consolidation.
Cependant, Mme [W] bénéficie pour l'autre épaule d'une tierce personne correspondant à un déficit de 17 %.
Certes, ce taux a été attribué par référence au barème des accidents du travail mais il s'impose malgré tout à la cour comme une réalité pour apprécier le besoin en tierce personne résultant du déficit de l'autre épaule, étant observé que le déficit lié à chaque épaule et le besoin d'assistance qui en découle ne peuvent être apprécié isolément. Il existe en effet une interdépendance entre les deux handicap et, comme le fait remarquer Mme [W], l'appréciation du besoin n'est pas la même si le sujet est en mesure de compenser le handicap d'un membre en utilisant l'autre.
Certes, la pathologie de l'épaule gauche n'a aucun lien avec l'accident mais le juge doit prendre la victime dans l'état physiologique où elle se trouve au jour de l'accident pour évaluer ses besoins et en l'espèce, Mme [W] souffrait à l'autre épaule d'un handicap important dont il doit être tenu compte pour apprécier son autonomie après consolidation des blessures causées par l'accident.
Mme [W] produit un rapport d'ergothérapeute dont il résulte qu'elle rencontre des difficultés à porter des charges, que son équilibre est instable, que pour les gestes de la vie quotidienne elle doit les réaliser avec le côté gauche et qu'elle ne peut réaliser toutes les taches qui nécessitent l'usage des deux bras.
Par rapport à une journée type, cet ergothérapeute évalue l'aide nécessaire à quatre heures par semaine au titre des tâches ménagères, des courses, de l'entretien du linge, de l'évacuation des déchets, de la préparation des repas, du port de charges, des rangements en hauteur, de l'aide à la mise en place du soutien gorge, de l'entretien du terrain et de la piscine, des shampoings et du brushing, ainsi que des soins des ongles de pied.
Ce rapport correspond à un avis officieux qui n'a pas été établi au contradictoire des parties.
Cependant, le juge a la possibilité d'utiliser un tel rapport pour apprécier l'étendue du préjudice et évaluer le besoin dès lors qu'il est corroboré par d'autres pièces.
En l'espèce, cet avis, corrélé à l'ensemble des pièces médicales et de l'expertise médicale réalisée au contradictoire des parties qui liste les séquelles et restrictions physiques dont Mme [W] est atteinte et aux éléments ci dessus exposés, justifie de retenir un besoin en assistance par tierce personne après consolidation de deux heures par semaine.
En application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, le tiers responsable est tenu d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable qui ne saurait être réduit en cas d'aide familiale ni subordonné à la production des justificatifs des dépenses effectuées. Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 18 €.
L 'indemnité de tierce personne échue s'établit à 9 699,43 €.
Le besoin annuel s'élève à 1 872 € (2 x 52 x18). Il convient de le multiplier par l'euro de rente viagère correspondant à une femme âgée de 61 ans au jour de la liquidation, tel que ressortant du barème publié à la Gazette du palais du 15 septembre 2020, taux d'intérêt 0,3 %, qui apparaît approprié, eu égard aux données démographiques et économiques actuelles, soit 24,998.
L'indemnité à échoir s'élève ainsi à 46 796,25 €.
Au total, l'indemnité revenant à Mme [W] au titre de l'assistance par tierce personne permanente s'élève à 56 495,68 €.
Préjudices extra-patrimoniaux
temporaires (avant consolidation)
- Déficit fonctionnel temporaire 4 806 €
Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.
Il doit être réparé sur la base d'environ 810 € par mois, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie soit :
- un déficit fonctionnel temporaire total du 1er mai 2016 au 4 mai 2016 : 108 €
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 5 mai 2016 au 31 octobre 2016 : 2 430 €,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 1er novembre 2016 au 2 octobre 2017 : 2 268 €,
et au total la somme de 4 806 €.
permanents (après consolidation)
- Préjudice d'agrément 4 000 €
Ce poste de dommage vise exclusivement l'impossibilité ou la difficulté pour la victime de poursuivre la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir.
L'expert retient une impossibilité de s'adonner aux activités de loisirs ou sportives nécessitant le bras au dessus du plan de l'épaule. Selon lui, les activités pratiquées par Mme [W], à savoir le vélo, la marche et la moto, ne sont pas impactées par les séquelles.
Mme [W] justifie par trois attestations de Mme [V] [Z], M. [R] [A] et M. [L] [N] qu'avant l'accident elle pratiquait les sorties à moto, la natation et le vélo.
Aucune de ces attestations n'évoque la pratique de la randonnée à pied, étant rappelé que ce poste a pour vocation d'indemniser l'impossibilité ou la gêne à pratiquer des activités sportives ou de loisir spécifiques qui étaient pratiquées avant le fait dommageable.
S'agissant de la conduite d'une motocyclette, les séquelles qui affectent sa deuxième épaule alors que la première était déjà affectée d'un handicap, ont nécessairement un impact sur sa capacité à conduire en toute sécurité un deux-roues, engin instable qui nécessite une bonne prise en main.
Il en va de même de la natation qui implique l'usage des membres supérieurs.
S'agissant du cyclisme, les membres supérieurs ont une utilité en ce qu'ils conditionnent la prise en main du vélo. Le handicap dont souffre Mme [W] est donc nature à en modifier la pratique et à la rendre plus pénible.
Il résulte de ces éléments que Mme [W] ne peut plus s'adonner dans les mêmes conditions qu'avant l'accident à ces activités.
Il n'est pas nécessaire qu'elle justifie d'une inscription dans un club dès lors que les personnes avec lesquelles elle pratiquait régulièrement ces activités avant l'accident en attestent.
Mme [W] était âgée de 56 ans au jour de la consolidation.
Ces données justifient d'évaluer le préjudice d'agrément à la somme de 4 000 €.
- Préjudice sexuel Rejet
Ce poste comprend divers types de préjudices touchant à la sphère sexuelle et notamment celui lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel.
L'expert ne retient aucun préjudice sexuel, expliquant que si Mme [W] évoque une perte de libido, aucun élément objectif ne vient conforter ses allégations.
Cependant, il ne peut être contesté que Mme [W] est devenue dépendante de l'assistance d'un tiers du fait de l'accident pour une partie des gestes de la vie quotidienne.
Sur le plan psychique, Mme [W] a fait état au cours de l'expertise de la mauvaise image qu'elle avait désormais d'elle même et des répercussions que celle-ci avait dans son couple.
Cependant, l'expert a relevé que cette problématique était intriquée à celle liée à la fibromyalgie dont elle souffre par ailleurs et souligné que Mme [W] ne bénéficiait d'aucun suivi psychique.
Dans ces conditions, elle ne démontre pas que la perte de libido qu'elle allègue est en lien de causalité avec les séquelles résultant de l'accident du 1er mai 2016 et doit être déboutée de sa demande au titre du préjudice sexuel.
Récapitulatifs des préjudices
Postes
Préjudice total
Part victime
Part CPAM
Part mutuelle
Dépenses de santé actuelles
27 798,24 €
94,50 €
34 312,58 €
3 391,16 €
Frais divers
2 643,02 €
2 643,02 €
0
0
Assistance par tierce personne temporaire
5 860 €
5 860 €
0
0
Assistance par tierce personne permanente
56 495,68 €
56 495,68 €
0
0
Déficit fonctionnel temporaire
4 806 €
4 806 €
0
0
Souffrances endurées
7 000 €
7 000 €
0
0
Déficit fonctionnel permanent
34 400 €
34 400 €
0
0
Préjudice d'agrément
4 0000 €
4 000 €
0
0
Total
143 002,94 €
115 299,20 €
24 312,58 €
3 391,16 €
Le préjudice corporel global subi par Mme [W] s'établit ainsi à la somme de 143 002,94 € soit, après imputation des débours de la CPAM (24 312,58 €) et de la mutuelle GFP (3 391,16 €), la somme de 115 299,20 € lui revenant, à laquelle s'ajoute la somme allouée au titre du préjudice matériel (547,30 €), soit au total 115 846,50 qui, en application de l'article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 20 octobre 2021 à hauteur de 24 448,21 € et du prononcé du présent arrêt soit le 1er décembre 2022 pour le surplus.
Le jugement est confirmé en ce qui concerne les sommes revenant à la CPAM du Var.
Sur le doublement de l'intérêt légal
L'article L.211-9 du code des assurances impose à l'assureur de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne, une offre d'indemnité, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, dans un délai maximal de huit mois à compter de l'accident, l'offre pouvant avoir un caractère provisionnel si l'assureur n'a pas, dans le délai de trois mois à compter de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. Un nouveau délai de cinq mois, à compter de la date à laquelle l'assureur a été informé de la consolidation est ouvert pour l'offre définitive d'indemnisation.
Ce dispositif est assorti d'une sanction, qui réside dans le paiement d'intérêts au double du taux légal, prévue en ces termes par l'article L. 211-13 du code des assurances : « lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre où le jugement est devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur ».
Mme [W] demande que la sanction prenne effet huit mois après l'accident au motif que l'assureur n'a formulé, même à titre provisionnel, aucune offre avant le 12 février 2019.
Selon le texte précité, le délai le plus favorable à la victime s'applique.
La société ACM justifie d'une offre présentée le 12 février 2019 à hauteur de 34 906 € au titre de l'assistance par tierce personne provisoire, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent.
Cette offre est tardive, puisque le délai de huit mois après l'accident a expiré le 1er janvier 2017.
Le doublement du taux d'intérêt est donc dû à compter du 2 janvier 2017.
S'agissant du terme de la pénalité, lorsque l'assureur a présenté une offre d'indemnisation tardive, les intérêts de retard sont dus jusqu'à la date de cette offre et ils ont pour assiette le montant de celle-ci, sauf si cette offre ne porte pas sur tous les éléments indemnisables du préjudice ou qu'elle est manifestement insuffisante.
En l'espèce, l'offre de l'assureur ne contient aucune offre au titre du préjudice d'agrément et de l'assistance par tierce personne permanente. Cependant, l'expert n'a pas retenu ces postes et si la cour en décide autrement, l'assureur ne peut être sanctionné pour ne pas avoir formulé d'offre au titre de postes de préjudice non retenus par l'expert.
L'offre ne peut donc être considérée comme incomplète.
Cette offre porte sur la somme de 34 906 € quand la cour, au titre des postes retenus par l'expert, a alloué la somme de 57 709,02 €.
Elle ne peut donc être considérée comme manifestement insuffisante, son montant n'étant pas inférieur au tiers des sommes allouées.
En conséquence, l'offre formulée par la société ACM le 12 février 2019 interrompt le cours des intérêts au double du taux légal et constitue l'assiette du doublement du taux de l'intérêt légal.
Au regard de ces éléments, les intérêts au double du taux légal courront du 2 janvier 2017 au 12 février 2019.
Il sera également fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, de sorte que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêt.
Sur les demandes annexes
La société ACM, qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation, supportera la charge des entiers dépens d'appel.
L'équité justifie d'allouer à Mme [W] une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et à la CPAM une indemnité de 1 000 € sur le fondement de ce même texte au titre des frais qu'elle a exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement, hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant personnellement ainsi que sur le doublement du taux de l'intérêt légal ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Condamne la société ACM à payer à Mme [M] [W] les sommes suivantes :
- 94,50 € au titre des dépenses de santé actuelles,
- 2 643,02 € au titre des frais divers,
- 5 860 € au titre de l'assistance par tierce personne temporaire,
- 56 495,68 € au titre de l'assistance par tierce personne permanente,
- 4 806 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 7 000 € au titre des souffrances endurées,
- 34 400 € au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 4 000 € au titre du préjudice d'agrément,
- 547,30 € au titre de son préjudice matériel,
le tout sauf à déduire les provisions versées et avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2021 à hauteur de 24 448,21 € et du 1er décembre 2022 pour le surplus ;
- une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
Déboute Mme [W] de sa demande au titre du préjudice sexuel ;
Condamne la société ACM à payer à Mme [W] des intérêts au double du taux légal entre le 2 janvier 2017 et le 12 février 2019 sur la somme de 34 906 € ;
Condamne la société ACM à payer à la CPAM du Var une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés devant la cour ;
Condamne la société ACM aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ