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25/11/2022 | FRANCE | N°19/03098

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 25 novembre 2022, 19/03098


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 25 NOVEMBRE 2022



N° 2022/ 207



RG 19/03098

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD2UN







[D] [I]





C/



Société EVERGREEN SHIPPING AGENCY GMBH











Copie exécutoire délivrée le 25 novembre 2022

à :





Me Thomas VARTANIAN, avocat au barreau de MARSEILLE





Me Xavier PIETRA, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 23 Janvier 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F17/02779.





APPELANTE



Madame [D] [I], demeurant [Adresse ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 25 NOVEMBRE 2022

N° 2022/ 207

RG 19/03098

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD2UN

[D] [I]

C/

Société EVERGREEN SHIPPING AGENCY GMBH

Copie exécutoire délivrée le 25 novembre 2022

à :

Me Thomas VARTANIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Xavier PIETRA, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 23 Janvier 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F17/02779.

APPELANTE

Madame [D] [I], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Thomas VARTANIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Société EVERGREEN SHIPPING AGENCY GMBH venant aux droits de droit de la SAS EVERGREEN SHIPPING AGENCY, demeurant [Adresse 2] (ALLEMAGNE)

représentée par Me Xavier PIETRA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Marion LEPIGEON-OLIVIERI, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

FAITS- PROCÉDURE

Mme [D] [I] a été embauchée à compter du 11 février 2013 par la SAS Evergreen Shipping Agency (Europe) GMBH par contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante commerciale, catégorie employée groupe E3, coefficient hiérarchique 110 conformément à la convention collective de transport routier et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 et pour un salaire mensuel brut de 1800 euros.

Par courriels des19 et 21 janvier 2016 Mme [I] mettait en demeure son employeur de procéder à la requalification de son contrat de travail et à la réévaluation de son salaire.

Le 25 janvier 2016 le conseil de Mme [I] sommait la société de procéder à la requalification de son poste et à la revalorisation de son salaire.

Mme [I] était convoquée le 5 février 2016 à un entretien préalable fixé au 17 février suivant avec une mise à pied à titre conservatoire effective à réception de la lettre jusqu'à décision définitive.

Par lettre recommandée du 4 mars 2016, la salariée était licenciée pour cause réelle et sérieuse.

Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre Mme [I] saisissait le 27 mai 2016 le conseil de prud'hommes de Marseille en vue de la requalification de son contrat de travail et de dire son licenciement dépourvu cause réelle et sérieuse .

Le 23 janvier 2019 le conseil de prud'hommes de Marseille a rendu le jugement suivant :

« Dit que Mme [D] [I] ne peut voir son contrat de travail requalifié en contrat de cadre

Dit que le licenciement de Mme [D] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse

Déboute Mme [D] [I] de l'ensemble de ses demandes

Déboute la SAS Evergreen Shipping Agency de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute la SAS Evergreen Shipping Agency (Europe) GMBH venant aux droits de Evergreen Shipping Agency (France) de sa demande reconventionnelle au titre des dommages- intérêts

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Condamne la partie demanderesse aux entiers dépens. »

Par acte du 21 février 2019 le conseil de Mme [I] a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions du 20 mai 2019, Mme [I] demande à la cour de :

« Infirmer en tous points le jugement rendu par le CPH de [Localité 3] le 23 janvier 2019

Constater que pour la période du 1er janvier 2015 au 4 mars 2016, le contrat de Mme [D] [I] doit être requalifié et fixé à un salaire mensuel de 2667 €.

Par conséquence,

Condamner la société ESA SA à verser la somme de 13'367,73 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de percevoir un salaire correspondant à son niveau de responsabilité et de qualification

Constater que le licenciement de Mme [D] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et par conséquence condamner la société à verser à cette dernière :

- 32 004,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

- 2 667,00 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement

- 1 778 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 8 001 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 800,10 euros de congés payés y afférents

- 5 000 euros au titre de son préjudice moral

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. »

Dans ses dernières écritures du 14 août 2019 la SAS Evergreen Shipping Agency (Europe) GMBH venant aux droits de la société Evergreen Shipping Agency (France) demande à la cour de :

« Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Dit que Mme [D] [I] ne pouvait voir son contrat de travail requalifié en contrat de Cadre ;

Dit que le licenciement de Mme [D] [I] reposait sur une cause réelle et sérieuse

Débouté Mme [D] [I] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné la partie demanderesse aux entiers dépens.

Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

Débouté la Société Evergreen Shipping Agency (Europe) GmbH de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procedure civile ;

Débouté la Société Evergreen Shipping Agency (Europe) GmbH au titre de sa demande reconventionnelle au titre des dommages et intérêts ;

Et statuant à nouveau

Condamner Mme [D] [I] à payer à la société Evergreen Shipping Agency (Europe) Gmbh la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner Mme [D] [I] aux entiers dépens. »

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION

I) Sur la demande en requalification

L'appelante fait valoir qu'elle a été en période d'essai en tant que cadre commerciale pendant une année à compter du mois de janvier 2015, son poste correspondant en tous points au poste de commerciale mis en ligne en interne par la société Evergreen.

Elle estime que son poste d'assistante commerciale a évolué en commerciale puisqu'elle avait la charge du développement commercial de l'entreprise par la prospection de clients extérieurs. Elle soutient que ses fiches de poste étaient intitulées 'commerciale' comportant de nouvelles missions lui laissant de l'autonomie.

Elle souligne qu'elle était régulièrement conviée aux réunions de commerciaux, que ses résultats étaient comparables à celles des personnes effectuant les mêmes tâches sous le statut de cadre en particulier M. [W] et qu'il était évident pour les partenaires commerciaux de la société Evergreen qu'elle était cadre commerciale et non assistante commerciale

La salariée verse aux débats notamment les pièces suivantes :

- l'extrait de l'annexe III et IV de la convention collective transport routier et activités auxiliaires de transport.

- un courrier du 6 janvier 2015 indiquant que l'emploi de Mme [D] [I] « relève du groupe 4 coefficient hiérarchique 175, les autres termes du contrat restant inchangés » (pièce n° 3).

- la lettre du 23 février 2015 de la société mentionnant « une revalorisation du salaire à la somme de 1903,13 € avec effet rétroactif au 1er janvier 2015, les autres termes du contrat restant inchangés » (pièce n° 4).

- l'annonce interne du 13 janvier 2016 relative à la recherche 'd'une commerciale import', minimum trois ans d'expérience en service import dans une compagnie maritime majeure de transport longue distance des containers (pièce n° 5).

- le courriel adressé le 13 janvier 2016 par Mme [D] [I] à Mme [F] [S] responsable ressource humaines et la réponse du 14 janvier 2016 de Mme [F] [S] ( pièce n° 6 et 7).

- les courriels de mise en demeure avant saisine du conseil de prud'homme de Mme [D] [I] du 19 et 20 janvier 2016 (pièce n° 9 et 10) et la réponses du 21 janvier 2016 de Mme [F] [S] par courrier recommandé (pièce n° 11).

- le courriel du 21 janvier 2016 de Mme [D] [I] concernant ses résultats et les notations au cours de l'année 2015 (pièce n°12 et 26).

- la fiche de poste de 2014 mentionnant 'commerciale sédentaire' et la fiche de poste de 2015 mentionant commerciale, les convocations aux réunions des commerciaux et l'e-mail du 25 juin 2015 demandant la communication de la liste des clients à jour par commercial (pièces n° 21, 22, 23, 24 et 25).

- l'évaluation de M. [L] [J] depuis le 1er janvier 2015 (A- et score 90) proposant une promotion dans 6 mois à 12 mois.

- l'attestation de Mr [P] indiquant que « Mme [D] [I] a été présentée comme commerciale en charge de leur trafic import » et le contrat de travail en qualité de commerciale conclu avec la société UASC (pièces 27 et 28 ).

La société réplique que la promotion des cadres et des techniciens ou agent de maîtrise se fait au choix conformément aux termes de l'article 11 de l'annexe IV des ingénieurs et cadres de la convention collective applicable et qu'il n'a pas été rédigé d'avenant au contrat de travail modifiant ses fonctions ou sa qualification professionnelle.

Elle relève que la prospection de clientèle entre dans les attributions de la classification professionnelle « agent de maîtrise » et que Mme [I] n'a jamais eu d'agents commerciaux sous sa responsabilité, ne disposait d'aucune marge d'autonomie et d'initiative.Elle indique que le terme d'essai n'a pas été utilisé dans le sens d'une période d'essai mais comme un test pour vérifier les compétences et les capacités de la salariée.

Elle explique que cette dernière n'exerçait pas les fonctions mentionnées dans l'annonce qui prévoyait un minimum d'expérience de trois ans service import, que les fiches de poste réalisées par Mme [I] sont dépourvues de valeur probante, faute de validation par sa hiérarchie et que la salariée n'a jamais effectué les missions dont elle prétend avoir la charge, les convocations aux réunions faisant bien la distinction entre les commerciaux et les assistants commerciaux.

Elle précise que M. [W] a été embauché en qualité de commercial dès le départ ayant plus de huit ans d'expérience dans le métier, la salariée ne s'occupant que du trafic import et présentant des chiffres tronqués.

La société produit notamment les pièces suivantes :

- l'organigramme de l'agence de [Localité 3](pièce n°6)

- les échanges d'e-mails concernant l'annonce de recrutement interne (pièce n°8)

- la lettre de Mme [S] du 16 février 2016 au conseil de Mme [D] [I]

- les courriers concernantd'autres salariés illustrant les changements de qualification (pièce n°20)

- la visite clientèle du 15 octobre 2014 de la salariée avec Mme [M] (pièce n°21)

- la validation des demandes de prise de congés par M. [W] et les reproches faits par ce dernier à la salariée (pièce n° 23 et 25)

- le tableau des résultats 2015 de Mme [D] [I] indiquant1299 teus contre 3699 teus pour M. [W] et des ventes de 27 contre 69 pour M.[W] ( pièce 27)

- le curriculum vitae de la salariée mentionnant moins de trois ans d'expérience

- l'entretien d'évaluation de Mme [Z] (A et score 99).

Le salarié qui revendique une classification différente de celle figurant sur son contrat de travail ou son bulletin de salaire doit démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il estime être la sienne au regard de la convention collective applicable.

Les fonctions réellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d'un salarié, sont donc celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire ou occasionnel.

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 et l'accord du 30 octobre 1951 relative aux techniciens et agents de maîtrise (nomenclature des groupes -annexe III) indique que le poste d'agent de service commercial 2ème degré, agent de maîtrise, est « un agent chargé de la recherche, de la visite de la clientèle, il fait des offres de services, est habilité à traiter des contrats de transport à des prix qui lui sont fixés et donne au service chargé de l'exécution toutes indications utiles en vue de l'exécution satisfaisant des ordres de la clientèle ». Le poste d'agent de service commercial 3ème degré a les mêmes fonctions que l'agent de service commercial 2ème degré et correspond à employé hautement qualifié de services exigeant la connaissance d'au moins une langue étrangère qui établit des prix et forfaits de transport selon les directives qu'il reçoit.

La nomenclature correspondant aux ingénieurs et cadres ( annexe IV) retient comme définition générale 'des agents d'encadrement ayant la responsabilité d'un service nécessitant soit une formation intellectuelle étendue sanctionnée par les diplômes de l'enseignement supérieur, soit des connaissances et une expérience professionnelles approfondies et étendues'. Le chef de service commercial cadre dans la classification en interne de la société correspond à un agent « assurant des relations permanentes avec la clientèle qui établit des prix de revient et les prix de vente, régle les litiges et poursuit en accord avec le service de comptabilité le règlement des factures clients et a sous ses ordres des démarcheurs et des agents commerciaux dont le nombre ne peut être inférieur à trois »

Est donc considérée comme cadre la personne qui possède un pouvoir d'encadrement, de décision et/ou de commandement.

La cour constate à titre liminaire que Mme [I] a été embauchée en tant qu'assistante commerciale catégorie employée et s'est vue notifier le 6 janvier 2015 par la société un changement de qualification d'agent de maîtrise, niveau M 4 coefficient hiérarchiques 175 avec une rémunération portée le 23 février 2015 à la somme mensuelle de 1 903,13 euros à compter du 1er janvier 2015.

La salariée apparaît dans l'organigramme de la société à [Localité 3] réalisé au 31/12/2014 dans le cadre du business département en tant qu'assistante commerciale import avec [B] [O] sous la responsabilité de [V] [M] et à compter à compter du 31 janvier 2015 sous la responsabilité d'[C] [W].

Mme [D] [I] n'établit pas au cours de l'année 2015 avoir eu sous sa responsabilité des employés ou des assistants commerciaux ou avoir exercé une fonction d'encadrement conformément à la classification de cadre, aucun élément en ce sens n'étant produit par la salariée.

La société démontre au contraire que la salariée recevait des directives et devait rendre des comptes sur son travail à M. [W] et rectifier ses erreurs (e-mails pièce 25). Ce dernier désigné comme 'approver' validait les congés de Mme [I] et de Mme [O] (pièce 23) et disposait en tant que cadre de l'un des véhicules de l'entreprise et d'un téléphone professionnel, ce qui n'était pas le cas de la salariée (pièce 7).

Par ailleurs, Mme [I] devait appeler l'agence lorsqu'elle rentrait d'une visite client pour prévenir un responsable commercial notamment [N] [U], cadre commercial, au vu de son entretien du 21 septembre 2015 repris par [T] [A], ce qui atteste d'une absence d'autonomie dans son travail.

S'agissant des activités attribuées à la salariée, la prospection de la clientèle est comprise dans les tâches imparties aux agents de maîtrise et ne peut donc constituer un élément permettant d'en déduire la qualification de cadre. De même, les fiches de poste produites par l'appelante n'ont pas un caractère suffisamment probant en l'absence de mention de date, de validation par la société et d'éléments extérieurs attestant de l'effectivité des responsabilités mentionnées. La perception du poste de la salariée par les clients de l'entreprise est également inopérante tout comme la signature d'un contrat en tant que commercial avec une autre entreprise dans le même secteur d'activité.

La cour note que la communication de la liste des clients à jour par commercial du 25 juin 2015 a été demandée par [T] [K] par e-mail adressée à 'EGF BIZ all members' et non spécifiquement à Mme [I] en tant que commerciale. Il en est de même que pour les réunions de présentation des ventes annuelles.

Si la cour convient que quelques unes des tâches proposées par la société pour le poste de commercial import du 13 janvier 2016 en interne pouvaient se rapprocher de certaines activités réalisées par la salariée, ledit poste ne saurait être considéré comme celui occupé par Mme [I] au regard de l'absence d'autonomie de la salariée dans les décisions à prendre, de l'expérience de moins de 3 ans dans l'import de cette dernière et de ses résultats ne permettant pas de répondre à l'attente de la société.

Enfin, les termes utilisés dans le courrier de Mme [S] qui mentionne « l'année 2015 était simplement une année d'essai» doivent être entendus comme une étape permettant à la hiérachie d'évaluer les capacités de Mme [I] et non comme la période d'essai prévue par les dispositions de l'article L.1221-20 du code du travail. Les évaluations n'ayant pas été concluantes pour la société, c'est en conformité avec des dispositions de l'article 11 de l'annexe IV de la convention collective applicable, que la société n'a pas fait droit à la promotion souhaitée.

Au regard de l'ensemble des éléments produits, l'appelante n'établit pas qu'elle assurait de façon permanente dans le cadre de ses fonctions, les tâches et les responsabilités relevant de la classification cadre et qu'elle remplissait à compter du mois de janvier 2015 l'ensemble des conditions nécessaires pour être considérée comme cadre commerciale au regard de la convention collective nationale applicable.

Mme [I] doit donc être déboutée de sa demande de requalification de son contrat de travail et de sa demande indemnitaire relative à la requalification sur la base d'une perte de chance de percevoir un salaire correspondant à son niveau de qualification.

Le jugement déféré doit être confirmé sur ces points.

II) Sur le licenciement

1) Sur le respect de la procédure

Mme [I] invoque le non-respect de la procédure de licenciement dans la mesure où la société a refusé de reporter la date de l'entretien préalable ainsi que sa mauvaise foi puisqu'elle publié une annonce pour la remplacer à son poste dès le 22 février 2016.

La société fait valoir que la procédure de licenciement a parfaitement a été respectée et qu'elle était en droit de publier sur internet des offres de postes dans l'éventualité où la procédure de licenciement irait jusqu'à son terme.

Conformément à la jurisprudence constante, la société n'est pas tenue de faire droit à la demande de report de convocation que ce soit en raison de l'état de santé ou du fait de l'indisponibilité de la personne choisie.

Les pièces produites attestent de ce que la société a régulièrement convoqué la salariée le 5 février 2016 pour le 17 février 2016 avec la possibilité pour cette dernière de présenter ses observations par écrit respectant ainsi le principe du contradictoire. D'ailleurs, Mme [I] a répondu aux griefs qui lui étaient reprochés par la direction, par courrier du 24 février 2016.

La mauvaise foi ne saurait être caractérisée par le fait de publier par anticipation une annonce pour le poste et en tout état de cause, ne concerne pas la régularité de la procédure.

En conséquence, la salariée doit être déboutée de sa demande indemnitaire.

2) Sur le bien fondé du licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige a été rédigée en ces termes :

«Nos griefs a votre encontre sont de deux ordres :

l) Sur votre remise en cause du pouvoir de direction de l'employeur :

Le 21 septcmbre 2015, vous avez bénéficié avec les Ressources Humaines du Siège de [Localité 4], Madame [S], Responsable RH et Melle [A], Assistante RH d'un entretien portant sur l'évolution de votre carriere au sein d'Evergreen Shipping Agency (France). Cet entretien a été pour vous l'occasion de nous faire part de votre souhait d'évoluer au sein dc notre entreprise, à savoir, passer d'un statut d'assistante commerciale à celui de commerciale. Nous avons bien pris note de vos demandes et par mail du l4 octobre 2015, Melle [G] [A], Assistante RH vous a adressé le compte-rendu de cet entretien pour validation. Vous avez répondu le même jour à cet email en indiquant que 'tout était clair de [votre] côté '.

Le 13 janvier 2016, vous avez été destinataire, ainsi que l'ensemble des salariés de notre entreprise, d'un courriel indiquant que nous recherchions un commercial pour notre agence de [Localité 3], agence au sein dc laquelle vous travaillez. Vous avez immédiatement réagi a cet envoi en répondant qu'à votre sens, le poste que nous souhaitions pourvoir était celui-la même que vous occupiez 'depuis l'année derniére '. Face à votre incompréhension, Madame [F] [S], vous répondait dès le lendemain que, ainsi que cela vous avait été déja signifié, votre manager et le Président de l'entreprise considéraient qu'au vu de vos évaluations, vous n'aviez pas encore acquis les competences requises pour ce poste. Madame [S] prenait

néanmoins soin de vous préciser que ce refus pouvait n'étre que temporaire, dans l'attente d'une evolution de vos compétences.

Vous répondiez alors en demandant un entretien individuel avec Madame [S] et Madame [K], Responsable commerciale d'Evergreen Shipping Agency (France).

A peine cinq jours après cctte dcmande d'entretien et malgré les explications qui vous avaient été fournies par votre direction, vous avez cru devoir adresser, le l9 janvier 2016, à Madame [F] [S] un email intitulé ' mise en demeure avant saisine du conseil de prud'hommes '. Dans cet email, vous présentiez une version de votre situation et dc vos fonctions - version que nous ne partageons pas - et nous demandiez

donc de 'bien vouloir requalifier [votre] contrat de travail et réévaluer [votre] salaire '. A défaut de réponse favorable de notre part, vous entendiez ' saisir le Conseil de prud'hommes sous huitaine '.

Malgré cette 'mise en demeure 'dont la forme nous paraissait déja plus que contestable, nous avons néanmoins souhaité clarifier une fois dc plus la situation et vous avons répondu par email du 19 janvier 2016. Nous vous expliquions alors que vos évaluations ne nous avaient pas - pour l'heure - convaincus du bien-fondé de vous faire accédcr à un poste dc commercial et en profitions également pour vous rappeler que notre société était seule juge de vos aptitudes professionnelles.

Nonobstant notre réponse, vous nous avez fait parvenir moins d'une semaine plus tard un courrier de votre conseil sollicitant à nouveau une requalification de vos fonctions et une augmentation de votre salaire.Or, le pouvoir dc direction appartient à l'employeur seul, et en matiére de promotion, d'appréciation des capacités professionnelles et de la qualité du travail, celui-ci reste unique juge.

Votre attitude est constitutive d'un refus réitéré du pouvoir de direction de votre employeur.

En tant que salariée, vous devez vous conformer aux règles générales de l'organisation du travail en vigueur dans l'entreprise et avoir un comportement compatible avec les relations de travail. Or, il ressort des éléments qui ont été portés à notre connaissance que dès lors que nous vous avons informée que nous ne souhaitions pas pour l'instant vous confier un poste de commerciale, vous avez cru devoir adopter un comportement fautif incompatible avec la poursuite de votre contrat de travail.

Dans votre email du 24 février 2016, vous nous indiquez en réponse que vous estimez avoir en réalité en 2015 occupé des fonctions 'doubles', à savoir ' un statut de commerciale outside-inside gérant [votre] propre clientéle tout en continuant [votre] suivi inside'.

Au soutien dc cette affirmation, vous arguez du fait que vous avez 'Que vous avez effectué pas moins de 27visites clientéles, généré pas moins dc 1301 teus sur un total pour l 'agence de [Localité 3] de 2634 soit une différence de 33 teus avec [votre] collégue [C] [W], de plus, j'ai été conviée à toutes Ies réunions commerciales de I 'année 2015[. . .] '.

Ces affirmations ne font que conforter notre appréhension des faits et de votre refus systématique d'accepter de prendre en compte l'appréciation que nous portons sur votre travail.En effet, Monsieur [W] a dû à de nombrcuses reprises vous reprendre sur la qualité du travail que vous fournissiez.

D'autre part, les chiffres que vous avancez pour vous comparer à Monsieur [W] sont en réalité tronqués, puisque les résultats que vous avancez - 1301 teus -ne concernent que la partie import. Vous ne pouvez donc comparer vos résultats à ceux de Monsieur [W], qui exerce des fonctions dc commercial pour l'import et l'export, et a dans ce cadre effectué un total annuel de 3699 teus.

Quant à vos autres explications sur ce premier grief, elles nous paraissent également mettre en lumière le fait que vous n'acceptez pas le fonctionnement de notre entreprise et les décisions que nous sommes susceptibles de prendre quant à l'évolution des carriéres au sein de notre société. Nous vous avions clairement expliqué que vos compétences ne nous paraissaient pas dans l'immédiat correspondre à nos attentes s'agissant d'un poste de commercial.

Dès lors, nous estimons qu'il est de notre pouvoir de direction de procéder au recrutement d'un profil plus adapté à ce poste, sans avoir de compte à vous rendre sur cette décision.

2) Sur le préjudice causé par votre comportement sur l'ensemble du personnel de l'entreprise.

Vous avez adopté un comportement gravement préjudiciable à notre cntreprise, et ce par au moins deux actions de votre part :

D'une part, dans le cadre du courrier qui nous a été adressé par votre conseil, vous avez sollicité auprès d'un de nos clients une 'attestation' portant sur vos fonctions au sein de notre entreprise.

Une telle démarche constitue à nos yeux un grave manquement à votre obligation de loyauté.

En effct, Monsieur [X] [P], à qui vous avez demandé ce témoignage, est un client d'Evergreen Shipping Agency (France) et le faire attester de votre travail - et donc de nos divergences de vues quant à l'évolution de votre carriére - n'a pu que détériorer l'image que ce client a de notre entreprise.

Sur ce point, les explications que vous avez cru nécessaire de nous apporter ne modifient en rien notre appréciation des faits et de votre comportement.

D'autre part, vous avez par votre comportement de plus en plus imprédictible, créé un climat de stress et de peur au sein de notre agence de [Localité 3]. La situation a été tellement dégradée du fait de votre comportement que le Président d'Evergreen Shipping Agency (France) a été destinataire d'un courrier signé par l'ensemble des salariés de I'agence de [Localité 3] lui demandant d'intervenir au motif que 'Elle [vous] est devenue agressive, virulente et menacante pour l'entreprise. Elle fait peur a tout Ie monde car on ne sait jamais ce qu'elle pourrait avoir comme comportement. De ce fait elle a créé un climat tendu dans l 'agence, et nous ne nous sentons pas à l'aise en sa présence, ce qui a eu pour effet d'engendrer une trés

mauvaise ambiance de travail'.

Votre attitude virulente à notre égard a donc eu des repercussions sur l'ensemble de l'agence de [Localité 3], créant une situation intolérable de nature à perturber Ie travail de l'ensemble de vos collègues.

Vous avez souhaité revenir dans votre courriel sur les agissements de Monsieur [J]. Vous nous expliquez ainsi que le fait que les salariés de I'agence de [Localité 3] se soient plaints de votre comportement serait la consequence des plaintes que vous avez vous-méme formulées concemant les agissements de Monsieur [J].

Cela est parfaitement erroné. Nous vous précisons tout d'abord que la société Evergreen Shipping Agency (France) a pris toutes les mesures qui s'imposaient afin de remédier à la situation que vous aviez portée à notre connaissance.

En outre, contrairement a ce que vous indiquez, Monsieur [J] n'a pas «menacé de se suicider auprés de sa famille », mais a malheureusement tenté de mettre fin à ses jours.

Vos collègues de l'agence de [Localité 3] ont en effet été trés affectés et votre attitude virulente a pu leur sembler déplacée dans un tel contexte. Néanmoins, nous réfutons catégoriquement vos accusations en ce que vous avancez « savoir de source sûre qu'une pression réelle régne sur 1'agence, que si une minorité n'avait pas consenti à signer cette pétition elle aurait été mise au banc comme j'en suis aujourd'hui victime». Nous vous rappelons à toutes fins utiles que les griefs exprimés à votre encontre par vos collègues de travail ne sont en rien liés à la situation de Monsieur [J].

Cette accusation que vous croyez devoir porter à notre encontre ne repose sur aucun fondement. De plus, nous vous rappelons que la lettre adresséc au Président de notre société demandant son intervention en raison de votre comportement inacceptable n'a pas été signée par une minorité de salariés, mais bien par l'ensemble des salariés de l'agence de [Localité 3].

Ainsi, et au vu de ces échanges, l'ensemble de ces éléments justifie pleinement votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. '

a) sur le premier grief

La société soutient que la salariée a remis en cause le pouvoir de direction de l'employeur de manière virulente et se réfère ainsi aux e-mails et courrier adressés par cette dernière et son conseil afin d'obtenir le changement de son statut.

Mme [I] fait valoir que les correspondances jugées litigieuses n'ont aucun impact sur l'exécution du contrat de travail et qu'il ne saurait lui être reproché au titre de sa faute ou d'un abus de sa liberté d'expression d'avoir exprimé des dissensions quant à la gestion de son cas personnel, les courriels ne comportant aucun appel à la sédition à l'égard des autres salariés de l'entreprise ou de menaces à l'égard de la direction.

L'évolution de carrière d'un salarié relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur sous réserve qu'il soit en mesure de la justifier par des éléments objectifs.

En l'espèce, la société a estimé que Mme [I] n'avait pas dans l'immédiat les capacités pour devenir cadre, de sorte que le fait de contester sa classification de manière péremptoire et réitérée avec' mise en demeure avant saisine du conseil des prud'hommes' sans même attendre l'entretien proposé par Mme [S] le 20 janvier 2016 qui indiquait dans son e-mail « j'ajoute que le délai très court qui s'est écoulé entre vos deux derniers mails ne m'a pas permis de répondre à votre demande d'entretien mais que je suis naturellement disposée à vous rencontrer prochainement ou à échanger par téléphone à votre convenance » constitue une remise en cause du pouvoir de direction de la société et non l'expression de dissensions comme allégué par l'appelante.

Ce grief doit être retenu.

b) sur le deuxième grief

La société indique que la salariée a créé une ambiance délétère au sein de l'agence [Localité 3] en utilisant des informations comme moyen de chantage et en déclarant de fausses accusations de harcèlement de la part de Mr [J], ses collègues de travail ayant signé une pétition pour dénoncer la dégradation de la situation et le comportement inacceptable de Mme [D] [I].

Elle se rapporte essentiellement à l'attestation du 21 février 2017 de Mme [S] (pièce n° 28) ainsi qu'à la pétition des 11 salariés de l'agence de [Localité 3] (pièce n°9) et aux attestations de Mme [Y], Mme [O], M.[W], M. [U], M. [R] (pièces n°31 à n°35).

Mme [I] estime avoir toujours entretenu de bonnes relations avec ses collègues de travail, la pétition ne procèdant pas d'une initiative spontanée de salariés terrorisés par leurs collègues mais d'une man'uvre à l'initiative de la direction.

Elle soutient que l'attestation de Mme [S] est mensongère. Elle produit des SMS de collègues de travail et une plainte auprès du procureur de la république de Marseille à l'encontre de l'attestation du 21 février 2017 de Mme [S] (pièces n°29 et 31) .

Concernant la plainte pour faux et usage de faux à l'encontre de cette dernière, déposée auprès du procureur de la république de Marseille, la cour observe qu'il n'est justifié d'aucune suite donnée par le parquet, ni même qu'une plainte avec constitution de partie civile ait été déposée. Les SMS qui témoignent de relations individuelles somme toutes classiques entre la salariée avec quelques collègues de la société n'ont pas de valeur probante quant à la mauvaise ambiance au sein de la société.

Les témoignages produits par la société démontrent un comportement devenu selon M. [W] « totalement inadmissible avec agressivité, absence à son poste, passant beaucoup de temps de régler son conflit avec la direction plutôt que de se concentrer sur son travail ayant clairement amené une mauvaise ambiance au sein du service ». Par ailleurs, les témoins M.[R] et Mme [O] indiquent ne pas avoir subi des pressions de la part de leur employeur pour s'exprimer sur cette affaire.

La pétition et les témoignages sont concordants pour attester de l'ambiance délétère au sein de l'agence de [Localité 3] en raison principalement de l'attitude adoptée par Mme [D] [I] à compter du refus par la direction de lui accorder le statut de cadre.

Le grief doit être retenu.

En revanche, la société ne démontre pas en quoi la production par la salariée d'une attestation d'un client aurait entrainé une détérioration de l'image que le client a de l'entreprise, ni qu'elles en sont conséquences effectives.

En conséquence, les griefs retenus justifient le licenciement de Mme [I] pour cause réelle et sérieuse et la salariée a été à juste titre déboutée de ses demandes liées à la rupture par la décision déférée qui est confirmée de ces chefs.

3) sur le préjudice moral

La salariée ne justifie pas de circonstances brutales et vexatoires autour du licenciement ayant pu générer un préjudice, étant précisé qu'elle a été payée pour la période de mise à pied conservatoire.

III) Sur les frais et dépens

L'appelante qui succombe doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre condamnée à payer à la société la somme de 1 200 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [D] [I] à payer à la SAS Evergreen Shipping Agency (Europe) GMBH venant aux droits de Evergreen Shipping Agency (France) la somme de 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne Mme [D] [I] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/03098
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;19.03098 ?
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